Persuasion

Chapitre 13

 

Anna passa à Great-House les deux dernièresjournées de son séjour à Uppercross. Sa société et ses conseilsfurent d’un grand secours aux Musgrove, dans la situation d’espritoù ils se trouvaient. Ils eurent des nouvelles de Lyme lelendemain, et Charles arriva quelques heures après pour donner plusde détails. Louisa n’était pas plus mal ; on ne pouvait pasespérer une guérison rapide, mais l’accident n’aurait pas de suitesfâcheuses. Il ne pouvait tarir sur les louanges de Harville et desa femme. Celle-ci avait décidé Charles et Marie à aller coucher àl’hôtel.

Marie avait eu une crise nerveuse le matin,puis elle avait été se promener avec Benwick. Son mari espérait quecela lui ferait du bien.

Charles revint encore le lendemain donner demeilleures nouvelles : la malade avait de plus longsintervalles de lucidité. Le capitaine Wenvorth paraissait installéà Lyme.

Le jour suivant, quand Anna se prépara àpartir, ce fut un chagrin général. Il semblait qu’on ne pût rienfaire sans elle. Alors elle leur suggéra l’idée d’aller touss’installer à Lyme jusqu’à ce que Louisa pût être transportée. Onviendrait ainsi en aide à Mme Harville, en prenantses enfants.

Ce projet fut accepté avec empressement. Annales aida à faire leurs préparatifs, et, les ayant vus partir, elleresta seule pour mettre tout en ordre.

Quel contraste dans ces deux maisons sianimées quelques jours auparavant ! Excepté les enfants de sasœur, elle était seule à Uppercross. Mais si Louisa guérissait, lebonheur reparaîtrait ici plus grand qu’avant. Quelques mois encore,et ces chambres, maintenant si désertes, seraient remplies de lajoie et de la gaîté de l’amour heureux, si inconnu à AnnaElliot ! Une heure entière de réflexions semblables par unsombre jour de novembre, avec une petite pluie serrée qui empêchaitde rien distinguer au dehors, c’en était assez pour que la voiturede lady Russel fût accueillie avec joie. Et cependant, en quittantMansion-House, en jetant un regard d’adieu au cottage, avec satriste véranda ruisselant de pluie ; en regardant à traversles vitres les humbles maisons du village, Anna ne put se défendred’un sentiment de tristesse. Uppercross lui était cher. Il luirappelait bien des peines, maintenant adoucies ; quelquesessais d’amitié et de réconciliation, auxquels elle ne devait plussonger ; de tout cela il ne lui restait rien que lesouvenir !

Elle n’était pas rentrée à Kellynch depuis lemois de septembre. Ce fut cette fois dans l’élégante et modernehabitation de son amie qu’elle descendit, y apportant une joiemêlée d’inquiétude, car lady Russel connaissait les visites deWenvorth à Uppercross.

Elle trouva Anna rajeunie, et lui fitcompliment de sa bonne mine. Anna se réjouit de ces louanges, car,en les ajoutant à la silencieuse admiration d’Elliot, elle putespérer qu’un second printemps de jeunesse et de beauté lui étaitdonné. Elle s’aperçut d’un changement dans son propre esprit encausant avec lady Russel. Quand elle était arrivée à Kellynch, ellen’avait pas trouvé d’abord la sympathie qu’elle espérait. Mais peuà peu ses préoccupations changèrent d’objet. Elle oublia son père,sa sœur et Bath et quand, revenue à Kellynch, lady Russel lui enparla, exprimant sa satisfaction de les savoir bien installés àCamben-Place, elle eût été confuse qu’on sût qu’elle ne pensaitqu’à Lyme et à Louisa, et à toutes ses connaissances là-bas.L’amitié des Harville et du capitaine Benwick la touchait bien plusque la maison de son père, ou l’intimité de sa sœur avecMme Clay. Mais elle était forcée de paraîtres’intéresser autant que lady Russel à ce qui la touchait pourtantde plus près que toute autre. Il y eut d’abord un peu de gêne dansleur conversation. Wenvorth ne pouvait manquer d’être nommé, enparlant de l’accident arrivé à Lyme : Anna n’osait regarderlady Russel en prononçant le nom de Wenvorth. Elle s’avisa d’unexpédient : elle raconta brièvement l’attachement de Wenvorthet de Louisa l’un pour l’autre. Une fois cela fait, elle n’éprouvaplus d’embarras. Lady Russel se contenta d’écouter tranquillement,et de leur souhaiter tout le bonheur possible, mais elle éprouva unplaisir amer en voyant l’homme qui, huit ans auparavant, avait paruapprécier Anna Elliot, se contenter de Louisa Musgrove.

Les premiers jours n’eurent d’autre diversionque quelques bonnes nouvelles de Lyme sur la santé de Louisa. Annane sut jamais comment elles lui parvinrent.

Lady Russel ne voulut pas remettre davantageses visites de politesse. Elle dit à Anna d’un tondécidé :

« Je dois aller voir M. etMme Croft. Aurez-vous le courage de m’accompagnerdans cette maison ? C’est une épreuve pour nous deux.

– C’est vous qui en souffrirez le plusprobablement ; vous n’avez pas encore pris votre parti de cechangement. En restant dans le voisinage, je m’y suisaccoutumée. »

Elle aurait pu ajouter qu’elle avait une hauteopinion des Croft, et trouvait son père heureux d’avoir de telslocataires. Elle sentait que la paroisse avait un bon exemple, etles pauvres, aide et secours. Elle ne pouvait s’empêcher dereconnaître que Kellynch était en de meilleures mainsqu’auparavant.

Cette conviction était certainement pénible etmortifiante, mais elle lui épargnait la souffrance que devaitéprouver lady Russel en retournant dans cette maison.

Elle ne songeait point à se dire :

« Ces chambres devraient être habitéespar nous. Oh ! combien elles sont déchues de leurdestination ! Une ancienne famille obligée de céder la place àdes étrangers ! »

Non, excepté en pensant à sa mère, qui avaitdemeuré là, elle n’avait aucun soupir de regret.

Mme Croft semblait l’avoirprise en grande amitié, et, dans cette visite, elle eut desattentions particulières. On causa surtout du triste accidentarrivé à Lyme… Wenvorth avait apporté des nouvelles ; ils’était particulièrement informé de miss Elliot, et exprimaitl’espoir que tout ce qu’elle avait fait ne l’avait pas tropfatiguée. Cela fit un vif plaisir à Anna.

Quant au triste accident, deux dames sisensées ne pouvaient avoir qu’une même opinion.

C’était pour elles la conséquence de beaucoupd’étourderie et d’imprudence. Les suites en seraient très graves,et il était terrible de penser à la longue convalescence encoredouteuse de miss Musgrove, exposée à se ressentir longtemps de cetébranlement. L’amiral résuma tout, en disant :

« Voilà une triste affaire ; c’estlà, pour un jeune homme, une nouvelle manière de faire sa cour.Briser la tête de sa fiancée, puis mettre un emplâtre dessus.N’est-ce pas, miss Elliot ? »

Les manières de l’amiral n’étaient pascomplètement du goût de lady Russel, mais elles ravissaient Anna.Cette bonté de cœur et cette simplicité de caractère étaient pourelle irrésistibles.

« C’est vraiment très ennuyeux pour vousde nous voir ici, dit-il tout à coup, sortant d’une rêverie. Je n’yavais pas encore pensé. Ne faites pas de cérémonies, montez etvisitez toute la maison, si bon vous semble.

– Une autre fois, monsieur ; je vousremercie ; pas à présent.

– Eh bien, quand vous voudrez. Vousverrez vos ombrelles accrochées à cette porte. N’est-ce pas un bonendroit ? Non, sans doute, car vous mettiez les vôtres dans lachambre du sommelier. Chacun a ses habitudes et ses idées. Nousavons fait très peu de changements, continua-t-il après unepause.

» Celui de la porte de la buanderie a étéune grande amélioration. On se demande comment vous avez pusupporter si longtemps la façon dont elle s’ouvrait ? Vousdirez à Sir Walter ce que nous avons fait ; M. Shepherdpense que la maison n’a jamais eu de meilleur changement.

» Nous pouvons nous rendre cettejustice : tout ce que nous avons fait a été pour le mieux.C’est ma femme qui en a le mérite. J’ai fait moi-même peu de chose,si ce n’est d’enlever les grandes glaces de mon cabinet detoilette, qui était celui de votre père : un homme excellent,et un véritable gentleman ; mais il me semble, miss Elliot,qu’il est bien tiré à quatre épingles pour son âge. Que de glaces,mon Dieu ! il n’y a pas moyen de s’échapper à soi-même. Jesuis très commodément maintenant avec mon petit miroir dans uncoin, et une autre grande chose dont je n’approchejamais. »

Anna, amusée en dépit d’elle-même, ne savaitque répondre, et l’amiral, craignant d’avoir été impoli,ajouta :

« La première fois que vous écrirez àvotre bon père, miss Elliot, faites-lui mes compliments ;dites-lui que tout ici est à notre goût, et que nous n’y trouvonsaucun défaut. Il faut avouer que la cheminée de la salle à mangerfume un peu, mais seulement quand le vent est grand et vient dunord, ce qui n’arrive pas trois fois par hiver, et sachez bien quenous n’avons pas encore trouvé de maison aussi agréable quecelle-ci, dites-le-lui, il sera content. »

Les Croft, en rendant à lady Russel sa visite,annoncèrent qu’ils allaient voir des parents dans le Nord. Ainsidisparut tout danger de rencontrer le capitaine Wenvorth àKellynch. Anna sourit en pensant combien elle s’était tourmentée àce sujet.

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