Un mousse de Surcouf

Chapitre 12MADRIGAUX DE GUERRE

Les marins de Surcouf eurent promptementl’explication des motifs qui avaient décidé leur chef à fuir devantles vaisseaux anglais.

On était au voisinage des îles Maldives, dansle bras de mer qui sépare cet archipel de celui des Maldives,passage essentiellement dangereux pour la navigation et qui a vud’innombrables naufrages.

Or, depuis plusieurs semaines, le corsaireétait averti que trois navires anglais, voyageant de conserve,avaient quitté le Cap se dirigeant vers l’Inde.

La Sainte-Anne n’était plus à sonservice par suite de la manœuvre de Clavaillan, il n’avait pusurveiller les côtes d’Afrique, ni par conséquent, arrêter aupassage ces bâtiments qu’il savait porteurs d’une richecargaison.

Il avait donc pris à part son lieutenant ettous deux avaient arrêté un plan aussi audacieux qu’imprévu.

« Jacques, avait dit Surcouf, nous avonsdeux moyens à notre disposition : livrer bataille tout desuite aux trois vaisseaux anglais, les couler, et revenir sur leconvoi. C’est chanceux. Nous pouvons subir des avaries graves etn’être plus suffisamment armés pour nous rendre maîtres des bateauxmarchands qu’on m’a signalés. Ou bien, nous devons nous porter auplus vite à la rencontre du convoi, le capturer, et attendre lestrois vaisseaux pour leur faire face. »

Jacques hocha la tête.

« C’est hardi, mais tout aussiaventureux. Une fois les navires pris, qu’en ferons-nous ?Comment tenir tête aux Anglais, si nous sommes empêtrés d’une tellecargaison ? Il y a peu de chances pour que nous puissions laconserver. »

Surcouf eut un geste vif, et tapant surl’épaule de son ami :

« Tu ne m’as pas compris. Je ne veux pascouler le convoi, bien au contraire. Il s’agit de le prendre sansl’avarier, et de nous en servir contre les autres eu exposant àleurs feux les bateaux ainsi capturés. Je sais qu’à bord de l’und’eux se trouvent d’honorables ladies, de charmantes misses, quiviennent rejoindre leurs familles dans l’Inde. Ce sont là deprécieux otages, de sûres cuirasses contre les boulets anglais.Elles prises, nous aurons presque tous les atouts dans notrejeu. »

Clavaillan se mit à rire :

« Parbleu ! Si tu m’en distant !… Parmi les voyageuses se trouve sans cloute ladyStanhope, la cousine de lady Blackwood, celle qui a rapportéd’Europe deux pianos à queue achetés en France. Bonne proie pour degalants chevaliers. »

L’ordre d’action fut donc immédiatementadopté. Jacques présenta une objection.

« Tout cela est fort bien. Mais où leprendre, ce convoi tant désiré ?

— M’est avis, répondit le Malouin, qu’àcette heure il ne doit pas être loin de nous. Je gagerais ma maindroite qu’il a dû embouquer dans le canal des Maldives.

— Oh ! des navires de commerce serisquer en un tel passage…

— Oui, oui, il a la réputation d’êtretrès périlleux, j’en conviens. Mais, outre qu’en cette saison, levent les favorise, le passage, si dangereux qu’il soit, l’estinfiniment moins qu’une rencontre de corsaires. Il y a donc denombreuses probabilités en faveur de mon hypothèse.

— En ce cas, hardi et sus auconvoi ! »

Tels furent les motifs pour lesquels lescorsaires prirent chasse devant les vaisseaux anglais et lesentraînèrent à leur suite dans le canal des Maldives.

Le sixième jour, vers midi, Clavaillan, quicourait en tête avec la Sainte-Anne, fit entendre un cride joie et se mit en communication avec son chef.

Il venait de relever au sud-ouest, auvoisinage de la plus petite des Maldives, le convoi si impatiemmentcherché. Les trois navires s’y trouvaient réunis.

En un clin d’œil, le Revenant et laSainte-Anne se mirent d’accord, et Surcouf arrêta le planà suivre, aussi bref, aussi expéditif que possible.

Laissant la Confiance et le GoodHope se traîner à l’arrière, les deux corsaires se couvrirentde toile et s’élancèrent à la rencontre du convoi.

Grâce à leur prodigieuse vitesse, ilsl’atteignirent vers trois heures de l’après-midi.

C’était bien lui. Les trois gros navires,pesamment chargés, semblaient ramper à la surface des flots. Ilsn’avaient pas redouté la présence de l’ennemi en ces paragesréputés dangereux, et leur prudence grossière leur étaitfatale.

L’apparition des corsaires les frappad’épouvante.

Un seul des trois navires, le Star,voulut tenter une résistance.

Il portait une pièce de chasse à l’avant. Leboulet qu’il envoya vint chercher l’eau à cent mètres duRevenant.

« Mahé, cria le Malouin au plus habile deses canonniers, te charges-tu d’amputer ce lourdaud de samisaine ?

— Rien n’est plus facile, si vous ledésirez, commandant, répondit Mahé.

— Alors, vas-y, et découpe proprementcette aile de pigeon. »

Mahé courut à l’une des pièces de tribord etpointa avec soin.

Quelques minutes plus tard, une détonationformidable ébranlait l’air, et du pont du Revenant onpouvait voir la misaine du navire anglais s’abattre avec fracas surle pont et le couvrir de ses débris.

Le Star amena immédiatement sonpavillon.

Aussitôt les deux corsaires s’approchèrent duconvoi et intimèrent aux équipages l’ordre de se rendre à leur borden qualité de prisonniers.

Ce fut le capitaine du Star qui vint implorerla modération des vainqueurs.

« Commandant, dit-il à Surcouf, vousferez de nos personnes ce qu’il vous plaira. Toutefois nous osonsespérer que vous vous conduirez en gentleman à l’égard des damesqui sont avec nous et qu’on ne saurait tenir pourprisonnières. »

Le redoutable écumeur de mer fronça lesourcil.

« Monsieur, répliqua-t-il, rien que pources paroles, je devrais vous faire pendre. Elles constituent uneinsulte gratuite. Je ne sais comment vous faites les choses enAngleterre. Mais ici, vous avez affaire à des Français. C’est vousdire que les dames n’auront qu’à se louer de notreconduite. »

Il y avait, proche le lieu de la capture, unîlot assez verdoyant et désert.

Les trois bâtiments, dirigés par les matelotsfrançais, mouillèrent dans une crique ombragée du rivage. Aprèsquoi Surcouf donna l’ordre de faire débarquer tous les passagers,les femmes les premières.

Il y en avait une vingtaine de toutes lesconditions.

Dans ce nombre apparaissait une jeune etélégante patricienne, au visage fier, à l’œil bleu plein de refletsd’acier. Quand elle fut en présence du corsaire, elle s’avança verslui, la tête haute, la démarche assurée.

« Monsieur, dit-elle au Malouin, je nepuis croire que vous avez contre nous des intentions perfides. Vousjouissez en Angleterre et dans les colonies de la réputation d’unhomme courtois et bien élevé. C’est sous cet aspect que je vousconnais. »

Surcouf s’inclina en souriant.

« Vous pouvez vous assurer, milady, quecette réputation est justement accréditée.

« Si les nécessités de la guerre m’ontcontraint à interrompre votre voyage, veuillez croire que c’estavec le plus vif regret de vous causer cet ennui. Mais, voscompatriotes le permettant, j’aurai l’honneur de vous remettre surla bonne voie.

— Monsieur, répliqua la jolieprisonnière, j’étais sûre que nous serions sous la sauvegarde devotre honneur. Laissez-moi vous demander, toutefois, si votreintention est de nous abandonner sur cet îlot désert. »

Le Malouin fit un nouveau salut plus gracieuxque le précédent.

« Milady, vous n’y séjournerez que letemps nécessaire à une joute inévitable. Vos beaux yeux vont sansdoute contempler un combat sur mer, car je crois savoir que voscompatriotes nous donnent la chasse. Souffrez donc que jusqu’àdemain je vous laisse sous la protection — je ne dis point, àdessein, sous la garde — de quelques-uns de mes plus aimablesmarins, et sitôt notre affaire vidée avec vos compatriotes, nousaurons l’honneur de vous rendre la liberté du chemin.

— Mais monsieur, s’écria la jeune femme,vous ne prévoyez que le cas où vous seriez victorieux ?

— C’est dans mes habitudes, madame.

— Vous n’avez donc jamais prévul’hypothèse d’une défaite ?

— je ne prévois que celle de ma mort,milady.

— C’est vaillamment parler, monsieur, etje vous admire pour cette parole. Mais elle n’est guère rassurantepour nous, prisonniers, permettez-moi de vous le dire.

— Au contraire, madame, si je meurs,c’est que les Anglais seront vainqueurs, et, en ce cas, ilsn’auront rien de plus pressé que de vous délivrer. »

La jeune femme détourna la tête. Un longsoupir souleva sa poitrine.

« Quelle affreuse chose que la guerre,monsieur Surcouf ! Elle peut donner de la gloire àquelques-uns, mais voyez de quel prix cette gloire estpayée !

— Vous dites vrai, milady. Mais si vousm’en croyez, nous échangerons de telles réflexions quand la paixsera faite entre nos deux nations. »

Sur son ordre, les équipages des troiscorsaires improvisèrent une sorte de campement dans une vallée bienabritée. Avec des espars, des vergues et des agrès de toute nature,on dressa des tentes sous lesquelles on installa des couchettes etdes hamacs à l’usage des prisonnières.

Au préalable, on faucha un vaste espace oùl’on promena le feu par précaution contre les serpents et lesinsectes venimeux. Ce feu fut entretenu toute la nuit aux alentoursdes tentes, bien que l’îlot ne parût point assez grand pourcontenir des fauves. Une compagnie de cinquante hommes veillapendant toute la durée des ténèbres, à distance suffisante pour nepoint gêner les prisonnières dans leurs soins personnels.

Surcouf, toujours attentif, chargea Clavaillande le seconder dans sa besogne de garde protectrice.

Le marquis revêtit donc son plus brillantuniforme et accompagna son chef auprès des captives, auquel iladjoignit Will comme spécialement attaché à leur service à défautde domestiques attitrés.

Le petit mousse s’attira tout de suite labienveillance de la jeune Anglaise.

« Vous me paraissez bien jeune pourservir, mon enfant, lui dit-elle, avec un maternel sourire, jouantsur le double sens du mot “servir”.

— Milady, répliqua gaillardementGuillaume, qui était à bonne école pour l’esprit aussi bien quepour le courage, je sers la France par le cœur et l’Angleterre paradmiration pour ses filles. »

Surcouf et Clavaillan battirent des mains enmême temps que la captive.

« Décidément, messieurs, dit celle-ci, ona raison d’assurer que vous ne craignez personne sur aucun champ debataille. L’esprit vous vient de bonne heure. »

Elle attira l’enfant auprès d’elle et lui fitraconter son histoire. Elle l’interrogea longuement sur sesorigines et sur sa famille. Des larmes mouillèrent ses paupièreslorsqu’il lui apprit que sa mère et sa sœur habitaient à Ootacamunddans une vallée enfouie au pied des monts Nilgherries, que, depuisprès de trois ans, elles n’avaient pas eu de ses nouvelles.

« Will, dit doucement la prisonnière, jevous promets que, si je rentre saine et sauve dans l’Inde, j’irai àMadras voir ma parente lady Blackwood et que de là je me rendrai àOotacamund pour consoler votre mère et votre sœur.

— Quoi ! s’écria Jacques deClavaillan, seriez-vous donc cette parente dont m’a parlé ladyBlackwood à Madras, lady Stanhope, si je ne me trompe ?

Moi-même, pour vous servir, monsieur lemarquis de Clavaillan, fit la rieuse jeune femme avec une profonderévérence, digne de l’ancien régime.

— Madame, reprit le Français, il m’étaitpermis d’en douter. Voici près de trois ans que lady Blackwoodm’apprit qu’elle attendait votre arrivée et, depuis cette époque,j’ai pu vous croire parvenue à destination.

— Monsieur, répondit lady Stanhope, surle même ton, vous avez su si bien tenir la mer depuis ces trois ansque ma famille, justement alarmée, ne m’a point permis dem’embarquer. De là, mon retard. »

Jacques sourit, puis, après quelques secondesd’hésitation, reprit :

— M’est-il permis, milady, de vous poserune autre question ?

— Je n’y vois aucune espèced’empêchement, monsieur le marquis.

— Puisque vous m’y autorisez, je vousdemanderai donc si vous avez emporté d’Europe deux pianos à queuedont lady Blackwood paraissait être fort en peine. Ce sont,m’a-t-elle dit, de récentes merveilles.

L’aimable Anglaise laissa libre cours à sagaieté.

« Allons ! je vois que vous êtesmerveilleusement informé. En effet, monsieur, ces pianos, selon lenom que leur donnent les Italiens, piano-forte, sont à nosclavecins et à nos épinettes ce que les canons modernes sont auxbombardes de Crécy. Et, puisque vous m’interrogez avec autant debonne grâce, sachez que ces pianos ont été soigneusement arrimésdans les flancs du Star.

— Celui des bateaux qui nous a contraintsd’abattre sa misaine, dit Surcouf.

— Celui-là même, messieurs. Et vous avezété vraiment bien aimables de ne point le couler, car, en lecoulant, vous m’eussiez fait perdre la somme de quatre centslivres. Je vous dois, de ce chef encore, une vivereconnaissance. »

Le corsaire fit chorus à l’hilarité de lajeune femme.

« Ne m’en remerciez pas outre mesure,milady. En ménageant vos navires, je ménageais ma bourse et aussinia bonne renommée.

— Comment cela, monsieur.

— Vous allez me comprendre. Mon amiJacques avait commis, à Madras, la chevaleresque imprudence des’engager en mon nom à remettre les deux précieux instruments demusique sains et saufs de toute avarie.

— Alors, monsieur, je puis être sûre quemes pianos m’accompagneront ?

— Doucement, milady, doucement. Je vousréponds, foi de Surcouf, que vos pianos vous seront rendus, mais jene puis vous garantir qu’ils arriveront dans l’Inde en même tempsque nous.

— Et pourquoi non, s’il vous plaît,monsieur Surcouf ?

— Parce que, madame, tout voleur de grandchemin que je sois, je professe une honnêteté spéciale. Il ne meviendrait pas à l’esprit de frustrer le fisc non plus que mesmatelots de ce qui leur revient dans les prises.

— Ce qui veut dire en bon français ?questionna la jeune femme avec inquiétude.

— En mauvais français, hélas !madame, reprit Surcouf, cela veut dire que je suis contraint deramener mes prises à Bourbon où elles seront estimées et vendues aumeilleur prix possible.

— Alors ! s’écria-t-elle, enjoignant les mains, je puis dire adieu à mes pauvres pianos !Quel malheur, en vérité, quel malheur !

— Ne vous désolez point, milady. Je vousai dit que je vous les rendrais.

— Comment pourriez-vous me les rendre,puisqu’ils doivent être vendus ?

— Madame, conclut le jeune corsaire, enriant, c’est mon honneur que j’y engage. Et maintenant, choisissezentre vos compatriotes et vos pianos. Si vous tenez aux derniers,souhaitez que les premiers soient vaincus. »

Sur cette parole ironique, Surcouf prit congéde la prisonnière et regagna son bord où il avait à surveiller lespréparatifs de la lutte prochaine.

Les Anglais voulaient la bataille.

On pouvait voir à l’horizon le Kent,l’Eagle et la Queen Elisabeth, s’avancer de frontà la rencontre de leurs ennemis.

Il était tout près de cinq heures du soir.Manifestement le combat, s’il s’engageait à pareille heure, seraitinterrompu par la nuit.

On était à cette époque dangereuse etindécise, entre les moussons, où le vent semble hésiter à prendresa direction et passe aux quatre points cardinaux.

Surcouf, qui ne négligeait aucunecirconstance, fut particulièrement impressionné par une brusquesaute du nord-est au sud ; il appela Clavaillan.

« Jacques, dit-il, voici qui vacontrarier les Anglais, mais qui nous servira en même temps. Jevais tenter quelque chose de ma façon, et je crois que jeréussirai.

— Il est dans tes habitudes deréussir », répliqua plaisamment le marquis.

Ainsi qu’il l’avait prévu, fatigués par levent debout, les vaisseaux anglais n’avançaient plus quepéniblement. Il est vrai que la même cause retardait la marche dela Confiance laissée en arrière, avec le GoodHope.

À la chute du jour, les deux navires étaient àportée de canon des vaisseaux anglais. Surcouf leur enjoignitaussitôt d’ouvrir le feu, sans ralentir leur marche, afin d’attirerl’escadrille le plus avant possible.

Car il redoutait la brusque survenance dureste de la flotte anglaise et voulait s’accorder le loisir decombattre les trois chefs de file au plus tôt.

La Confiance obéit strictement, et,sous les premières ombres, une longue détonation annonça que lesFrançais n’avaient pas attendu le feu de l’ennemi.

C’étaient d’excellents pointeurs que lescorsaires. Ce premier coup eut une merveilleuse portée. Ilatteignait l’Eagle, auquel il emporta le beaupré avec unepartie du gaillard d’avant, ce qui contraignit la corvette àstopper.

Les deux autres vaisseaux, craignant de seperdre dans les ténèbres, mouillèrent à leur tour sur un haut fondde l’île et attendirent le jour.

La Confiance en profita pour évoluerà l’avant du Kent, auquel le Good Hope envoya unedouble volée de ses pièces de retraite, tuant et blessant unequinzaine d’hommes.

Furieux, l’Anglais riposta à outrance et crevala hanche du Good Hope à tribord. Le pauvre navire blessédut s’enfuir pour échapper à une seconde décharge.

C’était le moment choisi par Surcouf pouraccomplir son trait d’audace.

Il avait relevé très exactement la situationdes vaisseaux anglais.

Entre le Kent et la QueenÉlisabeth s’ouvrait un passage à peine suffisant pour qu’unvaisseau passât au risque de se voir foudroyer par les deuxadversaires à la fois.

Ce fut pourtant là le parti que prit leredoutable corsaire.

La nuit était devenue tout à fait noire.Couvrant ses feux, démasquant les cinquante pièces de sa batterie,Surcouf prit le vent dans toutes ses voiles et courut droit auxdeux vaisseaux anglais.

Il était deux heures à peine du matin, et lacanonnade entre la Confiance et le Kent avaitpris fin depuis dix heures du soir. Les équipages harassés, nesoupçonnant point une agression nocturne, se reposaient en toutesécurité.

Le Revenant avait pour lui,par-dessus tout, sa prodigieuse vitesse.

Mais pour tenter une telle manœuvre, ilfallait des matelots prodigieux.

Il fallait, en outre, le chef incomparableauquel ils s’étaient donnés aveuglément.

Le terrible corsaire s’élança donc, ventarrière, avec une formidable vitesse.

Il arriva ainsi à une encablure de laQueen Elisabeth, sans qu’on l’eût vu venir. Mais, à cemoment, la vigie jeta le signal d’alarme, appelant tout le mondesur le pont. La circonstance était prévue. Surcouf avait pris sesprécautions. Toute la batterie de tribord envoya sa bordée à lacorvette,

Ce fut effroyable. Trente hommestombèrent ; l’artimon, haché, s’abattit sur le gaillardd’arrière. La confusion fut inexprimable.

« Feu ! » ordonna désespérémentle commandant Peterson.

Il était trop tard. Emporté par sa fulgurantevitesse, le Revenantétait passé, envoyant sa bordée debâbord au Kent à peine réveillé.

La riposte des vaisseaux anglais n’atteignitqu’eux-mêmes.

Et pendant les deux heures de nuit quirestaient à courir, le Kent et la Queen Elisabethse canonnèrent avec une stupide fureur.

À l’aube, ils s’aperçurent de leur désastreuseerreur et cessèrent le feu.

Hélas ! Elle avait été effroyable, cetteconfusion. Le Kent avait vingt boulets dans sacoque ; la Queen Elisabeth, outre son artimon rasé,avait eu son gouvernail brisé.

Pendant ce temps, le corsaire revenait sur sespas et rejoignait Jacques émerveillé.

« Hein ! lui dit-il, tandis que sesmatelots riaient à gorge déployée, crois-tu que ça a assez bienréussi ? Les voilà en train de se bombarder à qui mieux mieux.Nous n’aurons plus qu’à ramasser les blessés et lesmorts. »

Et il riait lui-même du succès de sonstratagème, montrait son équipage au complet, sa carène intacte.Puis, après avoir fait distribuer double ration de vin etd’eau-de-vie et trinqué avec l’équipage entier, il dit :

« Allons ! que tout le monde ailledormir. C’est un repos bien gagné, et il reste encore beaucoupd’ouvrage pour demain. »

L’ordre fut exécuté sur-le-champ. Les matelotsne demandaient qu’à dormir.

Tandis qu’ils regagnaient leurs hamacs,Surcouf faisait mettre un canot à la mer et, conduit par sixrameurs de la Sainte-Anne, accompagné de Jacques deClavaillan, allait complimenter les marins de laConfianceet ceux du Good Hope, les plus éprouvéspar le feu de l’ennemi.

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