Un mousse de Surcouf

Chapitre 14APRES LA BATAILLE

Ce matin-là, Surcouf et Jacques de Clavaillanembarquèrent dans le canot-major du corsaire et se firent porter àterre.

Hélas ! le petit camp était morne. Uneimmense désolation y régnait.

Les prisonniers, en effet, avaient pu assisterà la lutte, en suivre toutes les péripéties, en contempler ladramatique terminaison.

Bien que les vainqueurs eussent apporté laplus courtoise discrétion dans la joie de leur victoire, lesvaincus n’avaient pas été sans voir de loin le débarquement desblessés et les funérailles des morts.

Et, maintenant, toutes leurs espérancesétaient évanouies. Ils étaient à la discrétion des corsaires,d’autant plus triomphants qu’ils venaient de vaincre une flottillerégulière et des marins de Sa Majesté Britannique.

Quelle allait être la destinée descaptifs ? En des temps encore un peu éloignés, les Anglaisavaient fait courir sur leurs ennemis les bruits les plusdéshonorants.

N’avait-on pas raconté, en effet, que Surcoufet ses hommes vendaient les blancs prisonniers comme esclaves auxchefs nègres de la côte ?

Et, bien que, depuis lors, le jeune chef sefût signalé par des actes de générosité auxquels ses adversaireseux-mêmes avaient dû rendre justice, les vieilles calomnieshantaient encore quelques imaginations peureuses. Ce fut donc avecune angoisse très réelle que les captifs virent le canot quiportait Surcouf et son lieutenant se détacher du Revenantpour venir vers la terre.

Les propos les plus désobligeants commencèrentà circuler.

Une vieille femme, que ce séjour dequarante-huit heures sous la tente avait exaspérée, se montraparticulièrement acerbe en ses récriminations contre les« pirates ».

« À présent qu’ils sont rassurés contrela menace d’une intervention de notre flotte, ils vont entièrementnous faire subir les pires traitements. Attendons-nous à nous voirentassés à fond de cale et jetés sur quelque rivage de l’Arabie oude l’Afrique, à moins qu’ils ne préfèrent nous abandonner ici mêmeen nous laissant mourir de faim.

— Oui, ajouta une autre, et l’on racontedes horreurs sur leur compte. On dit que, quand il y a des enfantspris, ils les donnent aux cannibales qui les mangent. »

Un cri d’horreur accueillit cette abominablehypothèse, et les malédictions gratuites se mirent à pleuvoir surles « Damned Frenchmen », capables de tous lescrimes.

Par bonheur, lady Stanhope remit un peu decalme dans les esprits.

« Vous êtes tous des poules mouillées,dit-elle d’une voix ferme. Est-il raisonnable de supposer tant decruauté en des ennemis qui, jusqu’ici, ne nous ont donné que desmarques de courtoisie ? Vos craintes sontridicules. »

La réflexion porta et les accusatrices seturent.

Toutefois, celle qui avait parlé la premièrene voulut pas se laisser démentir sans esquisser une timidedénégation. Elle murmura à demi-voix :

« Il est certain qu’ils ne se sont pastrop mal conduits jusqu’ici. Mais ce n’était peut-être que del’hypocrisie de leur part.

— En ce cas, attendons qu’ils sedémasquent pour les juger », reprit lady Stanhope.

Cette parole rétablit définitivement la paixdans le petit camp.

Aussi bien le canot venait-il de toucherterre, et l’on pouvait voir Surcouf et son compagnon, suivis dequelques hommes, s’avancer vers le campement.

Lorsqu’il y fut parvenu, le Malouin s’adressa,par rang de préséance, à lady Stanhope en personne, respectant enelle la femme de qualité.

« Milady, commença-t-il, j’ai à vousfaire mes excuses au sujet d’une détention qu’il n’a pas dépendu demoi de faire cesser plus tôt. Je viens cependant vous annoncerqu’elle touche à son terme.

— Comment devons-nous entendre vosparoles, monsieur ? questionna la jeune femme.

— Mais dans le seul sens qui leurconvienne, milady ; j’ai eu l’honneur de vous dire,avant-hier, que, quelle que fût l’issue du combat, vousrecouvreriez votre liberté. Cette promesse, je viens la mettre àexécution. »

Il parlait en anglais, et tous ceux quientouraient la belle patricienne profitèrent de cette généreusedéclaration. Un murmure de joie courut dans l’assistance, et peus’en fallut que les mêmes personnes qui naguère chargeaientoutrageusement les corsaires n’éclatassent en applaudissements.

Lady Stanhope, qui triomphait, modéranéanmoins son enthousiasme.

« La liberté est une excellente chose,monsieur Surcouf, dit-elle, et personne ne l’apprécie plus que moi.Encore faut-il qu’on en puisse jouir. »

Le Malouin répliqua :

« Je le pense, comme vous, madame, maisje ne me rends pas un compte très exact du sens de vos paroles.Voudriez-vous me les expliquer ? »

Lady Stanhope exprima toute sapensée :

« Monsieur, la liberté de mourir de faimet de soif est de celles dont l’homme ne saurait se réjouir. Or, ilme semble que, sur ce rocher, il n’y ait point de place pourd’autre liberté. »

Le corsaire salua poliment et répondit avec unsourire ironique :

« En vérité, milady, je ne croyais pasavoir encouru une semblable méfiance de votre part. Est-il un seulde mes actes qui puisse justifier cette appréhension d’abandon quevous me faites connaître sans déguisement ? »

Elle parut touchée du reproche que soninsinuation avait mérité.

« Je reconnais que j’ai parlé trop tôt,monsieur, et, pour vous mieux faire amende honorable, je garderaile silence jusqu’à ce que vous nous ayez tout dit. »

Alors, très galamment, le Malouinpoursuivit :

« Voici ce que j’ai à vous faireconnaître, madame. Le génie protecteur de la France nous a donnél’avantage sur vos compatriotes. Robert Surcouf et Jacques deClavaillan, d’abominables corsaires, comme chacun sait, ont défaitSa Seigneurie le commodore John Harris et ses lieutenants JamesPeterson et George Blackford. La frégate Kent, lescorvettes Eagle et Queen Elisabeth sont tombéesen notre pouvoir. Des trois officiers vaillants qui lescommandaient un seul est vivant, c’est le commodore John Harris.Nous l’avons transporté, ainsi que plusieurs autres blessés, dansdes baraquements que nous avons construits à la hâte et que vouspouvez voir, d’ici, à un demi-mille à l’est de cette île. Il y ades soins à donner à ces braves gens, et c’est pour régler cettequestion que je suis venu m’entretenir avec vous,milady. »

La jeune femme s’émut de cette déclaration.Elle dit avec noblesse :

« Vous ne doutez point, j’imagine,monsieur Surcouf, que des femmes anglaises ne s’emploient de tousleurs moyens au soulagement de leurs compatriotes. Que devons-nousfaire, à votre avis, pour leur assurer des soins ?

— Madame, reprit le corsaire, il y aparmi les blessés des hommes que je crois difficilementtransportables en ce moment, et pour lesquels le séjour dans cetteîle, malgré le peu de confortable qu’elle présente, est néanmoinsindispensable. D’autres, au contraire, peuvent, dès à présent,repartir pour l’Inde. Je vous propose donc d’embarquer sur l’un desdeux vaisseaux que je mets à votre disposition toutes les personnesvalides et les matelots susceptibles de servir à la manœuvre. Noussommes à six jours à peine de Bombay. Ceux-ci gagneront lespossessions anglaises et préviendront les autorités des événementsaccomplis. On enverra alors des transports mieux aménagés pourrecueillir et porter dans l’Inde tous ceux des blessés qui aurontsurvécu.

— Ceci est très judicieusement raisonné,monsieur. Mais que feront ces blessés dans l’intervalle de l’alleret du retour des navires ? »

Surcouf hocha la tête. Il était évident que leproblème était délicat.

« Il faut compter deux semaines environ,dit-il, pour que leur transport soit possible. Je me ferais undevoir de les emmener avec moi, si leur situation même ne réclamaitles plus grands ménagements. Mais il m’est impossible de demeurerdans ces parages où je cours le risque d’avoir à nie mesurer uneseconde fois avec les vaisseaux du roi George. Or, quelque honneurque j’y puisse récolter, je ne nie soucie pas de courir de telsrisques. Veuillez considérer, en outre, que j’ai moi-même desblessés à mon bord, et que je dois au plus tôt leur assurer dessoins. Tout ce que je puis faire, c’est donc de laisser à terre lesvivres et les ustensiles suffisants pour permettre de soigner voscompatriotes dans la mesure du possible.

Je vais faire débarquer toutes les caisses deprovisions et de remèdes disponibles. Je profiterai de votreprésence pour organiser la répartition des secours entre tous etpréparer le départ de ceux qui peuvent reprendre la mer. »

L’Anglaise tendit sa main fine et blanche aucorsaire.

« En vérité, monsieur, il est impossibled’agir plus franchement que vous ne le faites. J’aurais honte derester inférieure à votre propre générosité. Assurez donc le départde ceux qui doivent s’embarquer les premiers. Pour moi, ma placeest marquée au chevet des blessés. Je demeurerai donc dans l’îlejusqu’au retour des navires anglais, avec ceux ou celles de noscompatriotes qui consentiront à se faire mes auxiliaires.

— Vous êtes une vaillante femme,milady », prononça Surcouf avec émotion.

Et il s’inclina sur la main qu’on lui tendaitpour la porter à ses lèvres.

Les préparatifs furent activement poussés pourle premier départ. De tous les bâtiments engagés, c’était leGood Hope qui avait le moins souffert.

En conséquence, calfats et marins semultiplièrent pour réparer les avaries et le mettre en état dereprendre la mer le jour même. On y installa tous les matelotsanglais et ceux des prisonniers du convoi qui avaient hâte deregagner la côte de Coromandel.

Avec le reste, on aménagea du mieux qu’on putles baraquements élevés en hâte la nuit précédente. Guidés parClavaillan, Evel et Ustaritz, qui avaient vécu longtemps dansl’Inde, parvinrent à construire une petit maison de bois dans unevallée de l’îlot où croissaient quelques arbres, au niveau d’unruisseau dont l’eau claire et le gazouillement continu donnaient uncoin de fraîcheur à ce coin du rocher désert.

On y transporta avec précautions le commodoreJohn Harris et ses compagnons les plus grièvement blessés.Clavaillan, qui possédait quelques notions de médecine, s’improvisachirurgien pour la circonstance, lava habilement toute les plaieset montra à lady Stanhope le moyen de continuer ces soins un peurudimentaires.

Dans la nuit qui suivit, le Breton et leBasque, aidés de Will, qui décidément devenait un homme, érigèrent,à côté de l’appentis principal qu’ils dénommaient a l’hôpital n,une petite cabine à laquelle ils travaillèrent avec une véritablecoquetterie.

Ils en goudronnèrent les joints et les fentes,en tapissèrent les cloisons de nattes, en couvrirent la toiture debâches et de toiles à voiles,

Ils en battirent la terre avec soin, aprèsl’avoir nivelée et ratissée, et la couvrirent d’un lit de feuillessèches. Après quoi, ils la divisèrent en trois compartiments dontle plus vaste reçut un hamac, un banc de buis, une table, tout unassortiment de toilette pris à l’aménagement des bâtiments duconvoi, et quelques livres empruntés à la bibliothèque duRevenantet de la Sainte-Anne.

Ces préparatifs terminés, Will alla enpersonne chercher lady Stanhope.

« Milady, lui dit-il en saluant le plusgalamment qu’il put, voici la chambre que nous pouvons mettre àvotre disposition. Pardonnez-nous de ne pouvoir vous en offrir uneplus confortable. »

La jeune femme promena en souriant les regardsautour d’elle.

« Mais, en vérité, mon garçon, elle estsuperbe, cette chambre. Je n’ai jamais été mieux logée en mesvoyages. Êtes-vous artiste, par hasard ? »

Et comme l’enfant s’excusait, en rougissant,la grande dame se mit à le considérer avec sympathie, l’interrogeasur ses origines, sur sa famille et parut émue d’apprendre qu’ilavait laissé sa mère et sa sœur aux Indes.

« Will, demanda-t-elle, c’est à Madras,chez lady Blackwood, femme du gouverneur, que je dois me rendre.Vous plairait-il que je me chargeasse de vos commissions pour votremère et votre sœur ? »

Les yeux de Guillaume Ternant s’allumèrentd’un éclair qui brilla à travers des larmes, et ce fut d’une voixtremblante qu’il répondit :

« Oh ! milady, je n’ose vousdemander une telle marque de bienveillance. Il n’y a pas encoretrois ans que je les ai quittées, et il me semble qu’il y a unsiècle. Elles doivent me croire mort.

— Eh bien, mon enfant, répliqua la jeunefemme, je vous promets qu’en arrivant dans l’Inde, avant toutechose, je m’acquitterai de votre commission. J’irai voir votremère, à Ootacamund, pour lui dire que son fils est un brave etgentil garçon, dont elle peut être fière à tous leségards. »

Cette nuit fut la dernière que les équipagesde Surcouf passèrent dans l’archipel des Maldives. À l’aube, leRevenant, la Sainte-Anne et la Confianceétaient prêts à l’appareillage. On était dans la belle saison et levent soufflait du nord.

Pour la dernière fois, Surcouf et Clavaillandescendirent à terre.

« Il ne me reste plus qu’à vous faire mesadieux, milady, dit le Malouin, en vous demandant pardon, une foisde plus, du trouble apporté à votre voyage. Je me plais à espérerqu’indépendamment des navires que vous attendez, la flotte anglaisedu golfe du Bengale aura l’idée de pousser une reconnaissance de cecôté. En ce cas, ce serait votre délivrance plus prochaine.

— Monsieur, riposta l’aimable femme,j’aurai sans doute toujours le regret d’avoir fait votreconnaissance en de pareilles circonstances, mais nullement celuid’avoir serré la main au plus chevaleresque desFrançais. »

Et, comme ils s’inclinaient pour la remercier,elle ajouta :

« N’oubliez pas mes pianos, monsieurSurcouf et monsieur de Clavaillan.

— Nous n’aurions garde, milady, fitJacques. Si aucun boulet anglais ne vient crever nos carènes, vousreverrez vos pianos sains et saufs. »

Ils allèrent, avant de partir, porter leurscompliments au commodore Harris.

« J’espère, dit Surcouf, que VotreSeigneurie ne m’en voudra pas trop de ce qui lui est arrivé, etque, la paix faite, elle gardera bon souvenir de nous.

— Ce sont les hasards de la guerre,monsieur », riposta flegmatiquement l’Anglais.

Une heure plus tard, les trois corsaires,ramenant les navires capturés, reprenaient la route du Sud, sedirigeant vers les îles françaises.

Ainsi prenait fin le glorieux combat desMaldives…

** * * *

C’était à Bourbon. Il y avait huit jours queSurcouf était rentré et la cargaison, défalcation faite de la partdu jeune corsaire, était au moment d’être vendue aux enchères. Lecommissaire du gouvernement présidait lui-même à la vente.

On venait de liquider ainsi un stockconsidérable de marchandises que leur origine européenne avait faitmonter à des prix très élevés, lorsque les équipages nègres etindiens, qui portaient les divers lots à la barre des criées,poussèrent devant eux avec précaution un volumineux objet ou plutôtune caisse gigantesque emmaillotée de paille et de toiled’emballage. En un instant la curiosité du public fut excitée.

« Qu’est-ce qu’il peut y avoir làdedans ? se demandait-on avec stupeur.

— C’est sans doute quelqu’un de cesmeubles de prix que les Français confectionnent avec un goût et untalent particuliers, dont les fils de la perfide Albion se montrentle plus avides. »

Or, tandis qu’on papotait sur ‘e sujet, lecommissaire des ventes annonça : « Un piano à queue, dela maison Pleyel, de Paris. »

Il y eut une longue exclamation de surpriseautant que d’ignorance.

« Un piano à queue, un piano àqueue ! Qu’est-ce que c’est que cela ? »

Et les belles dames de la colonie, les jeunesjoueuses de harpe ou de clavecin s’empressaient autour del’instrument inconnu, désireuses d’en percer le mystère.

La galanterie française a des droitsimprescriptibles.

Force fut au commissaire d’enlever au pianoses voiles de bois et de toile.

C’était une façon de table à dos allongé,terminé en pointe, d’où son nom de piano à queue, sur lequel lescordes sonores s’étendaient, prêtes à entrer en vibration aupremier ébranlement du clavier.

Aimable jusqu’au bout, le représentant du fiscinterrogea l’assistance :

« Est-il une de ces dames qui voudraitbien nous donner une audition ? »

Vingt mains blanches et délicates se tendirentvers les touches blanches.

Il fallait, en quelque sorte, tirer au sort,et ce fut une enfant de seize ans, réputée pour sa virtuosité, quis’assit devant le clavier.

Alors les cordes vibrèrent, et les notesgraves ou aiguës s’envolèrent dans la cadence d’un rythme joyeux,émerveillant l’auditoire.

Et ce fut un spectacle comme jamais on n’enavait vu dans cette salle de vente banale et consacrée auxtransactions commerciales. Un véritable concert s’improvisa et desvoix fraîches et claires firent écho au chant de l’instrument.

Une bonne heure s’écoula ainsi, pendantlaquelle la vente fut suspendue. Et l’étrangeté de l’événementattira tant de curieux que la halle aux ventes ressembla à unthéâtre.

Il fallut pourtant interrompre ce concertimprovisé.

Le moment était venu d’appeler les enchèressur le féerique instrument.

Il se fit un grand silence dans l’assistance,un silence précurseur d’orage.

« À combien le piano ? jeta l’organedu commissaire.

— Quatre mille francs, répliqua une voixféminine.

— Quatre mille cinq cents, riposta uneautre.

— Cinq mille.

— Cinq mille cinq cents.

— Six mille. »

Parvenue à ce chiffre, l’enchère modéra sonallure.

« Six mille cent, risqua une dame trèsélégante.

— Six mille deux cents », intervintun vieillard, un aïeul à l’apparence, au bras duquel s’accrochaitune gracieuse fillette de douze ans.

Et pendant quelques minutes, la lutte sepoursuivit augmentant les chiffres de quantités proportionnellementdécroissantes.

Ceux-ci atteignirent sept mille trois centsfrancs.

C’était un prix énorme, même pour un pianovenant de France.

Le commissaire frappa les deux premiers coupsau milieu d’un silence haletant. Puis il leva son marteau pour latroisième fois.

« Dix mille ! » cria une voixmâle, une voix de commandement.

Tout le monde se retourna en proie à uneprofonde stupeur.

Celui qui venait de parler était RobertSurcouf en personne.

Et, devant cette somme énorme, et qui parut àtous disproportionnée, toutes les compétitions s’effacèrent,l’instrument fut adjugé au corsaire.

Mais cela ne fit que stimuler les curiositésdes spectateurs.

Les gloses, les commentaires, les hypothèsesse mirent à aller leur train.

« Surcouf qui se porte acquéreur, Surcoufqui enchérit d’un coup.

— Et qui n’enchérit pas à moitié !Il faut qu’il soit fou.

— Dix mille francs, un piano ! Çan’a pas le sens commun.

— Qu’est-ce qu’il peut faire d’un piano,ce loup de mer ?

— J’imagine qu’il ne va pas jouer à borddu Revenant ?

— Qui sait ? Il veut peut-être fairedanser son équipage.

— Avec ça qu’il ne danse pas, sonéquipage, et à une autre musique.

— Sans compter, ajouta quelqu’un, qu’ilen a déjà un pareil à celui-ci, qui lui a été attribué dans sa partde prise. »

Il y eut une nouvelle stupeur.

« Ah ! çà, est-ce qu’il voudraitfonder une maison d’exportation pour instruments demusique ? » Un éclat de rire accompagna cette réflexionhumoristique.

Mais le silence se rétablit promptement. Onvenait de voir le corsaire escalader la tribune. Le Malouinsoulevant son chapeau à cornet fit une brève allocution :

« Messieurs, et vous surtout, mesdames,pardonnez-moi le préjudice que je cause à vos talents en vousenlevant ce piano. J’ai donné ma parole et suis tenu par un vœu.Pour faire danser les Anglais, j’ai les canons duRevenant, de la Sainte-Anne et de laConfiance. Mais j’ai promis à leurs femmes un souvenir desnôtres. Voilà pourquoi je vous enlève ce piano. »

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