Scène V
Axiane,Porus
Axiane
Cette sombre froideur ne m’en dit pourtantrien,
Lâche ; et ce n’est point là, pour me lefaire croire,
La démarche d’un roi qui court à lavictoire.
Il n’en faut plus douter, et nous sommestrahis :
Il immole à sa sœur sa gloire et sonpays ;
Et sa haine, Seigneur, qui cherche à vousabattre,
Attend pour éclater que vous alliezcombattre.
Porus
Madame, en le perdant je perds un faibleappui ;
Je le connaissais trop pour m’assurer surlui.
Mes yeux sans se troubler ont vu soninconstance ;
Je craignais beaucoup plus sa mollerésistance.
Un traître en nous quittant pour complaire àsa sœur
Nous affaiblit bien moins qu’un lâchedéfenseur.
Axiane
Et cependant, Seigneur, qu’allez-vousentreprendre ?
Vous marchez sans compter les forcesd’Alexandre,
Et courant presque seul au-devant de leurscoups,
Contre tant d’ennemis vous n’opposez quevous.
Porus
Hé quoi ? voudriez-vous qu’à l’exempled’un traître
Ma frayeur conspirât à vous donner unmaître ?
Que Porus, dans un camp se laissantarrêter,
Refusât le combat qu’il vient deprésenter ?
Non, non, je n’en crois rien. Je connaismieux, Madame,
Le beau feu que la gloire allume dans votreâme.
C’est vous, je m’en souviens, dont lespuissants appas
Excitaient tous nos rois, les traînaient auxcombats,
Et de qui la fierté, refusant de serendre,
Ne voulait pour amant qu’un vainqueurd’Alexandre.
Il faut vaincre, et j’y cours, bien moins pouréviter
Le titre de captif que pour le mériter.
Oui, Madame, je vais, dans l’ardeur quim’entraîne,
Victorieux ou mort mériter votrechaîne ;
Et puisque mes soupirs s’expliquaientvainement
À ce cœur que la gloire occupe seulement,
Je m’en vais, par l’éclat qu’une victoiredonne,
Attacher de si près la gloire à mapersonne,
Que je pourrai peut-être amener votre cœur
De l’amour de la gloire à l’amour duvainqueur.
Axiane
Eh bien ! Seigneur, allez. Taxile aurapeut-être
Des sujets dans son camp plus brave que leurmaître ;
Je vais les exciter par un dernier effort.
Après, dans votre camp j’attendrai votresort,
Ne vous informez point de l’état de monâme :
Triomphez et vivez.
Porus
Qu’attendez-vous, Madame ?
Pourquoi, dès ce moment, ne puis-je passavoir
Si mes tristes soupirs ont pu vousémouvoir ?
Voulez-vous, car le sort, adorable Axiane,
À ne vous plus revoir peut-être mecondamne,
Voulez-vous qu’en mourant un princeinfortuné
Ignore à quelle gloire il étaitdestiné ?
Parlez.
Axiane
Que vous dirai-je ?
Porus
Ah ! divine Princesse,
Si vous sentiez pour moi quelque heureusefaiblesse,
Ce cœur, qui me promet tant d’estime en cejour,
Me pourrait bien encor promettre un peud’amour.
Contre tant de soupirs peut-il bien sedéfendre ?
Peut-il…
Axiane
Allez, Seigneur, marchez contre Alexandre.
La victoire est à vous, si ce fameuxvainqueur
Ne se défend pas mieux contre vous que moncœur.