Seconde préface
Il n’y a guère de tragédie où l’histoire soitplus fidèlement suivie que dans celle-ci. Le sujet en est tiré deplusieurs auteurs, mais surtout du huitième livre deQuinte-Curce. C’est là qu’on peut voir tout ce qu’Alexandre fitlorsqu’il entra dans les Indes, les ambassades qu’il envoya auxrois de ce pays-là, les différentes réceptions qu’ils firent à sesenvoyés, l’alliance que Taxile fit avec lui, la fierté aveclaquelle Porus refusa les conditions qu’on lui présentait,l’inimitié qui était entre Porus et Taxile, et enfin la victoirequ’Alexandre remporta sur Porus, la réponse généreuse que ce braveIndien fit au vainqueur, qui lui demandait comment il voulait qu’onle traitât, et la générosité avec laquelle Alexandre lui rendittous ses États, et en ajouta beaucoup d’autres.
Cette action d’Alexandre a passé pour une desplus belles que ce prince ait faites en sa vie, et le danger quePorus lui fit courir dans la bataille lui parut le plus grand où ilse fût jamais trouvé. Il le confessa lui-même, en disant qu’ilavait trouvé enfin un péril digne de son courage. Et ce fut encette même occasion qu’il s’écria : « Ô Athéniens,combien de travaux j’endure pour me faire louer devous ! » J’ai tâché de représenter en Porus un ennemidigne d’Alexandre, et je puis dire que son caractère a pluextrêmement sur notre théâtre, jusque-là que des personnes m’ontreproché que je faisais ce prince plus grand qu’Alexandre. Mais cespersonnes ne considèrent pas que, dans la bataille et dans lavictoire, Alexandre est en effet plus grand que Porus ; qu’iln’y a pas un vers dans la tragédie qui ne soit à la louanged’Alexandre ; que les invectives même de Porus et d’Axianesont autant d’éloges de la valeur de ce conquérant. Porus apeut-être quelque chose qui intéresse davantage, parce qu’il estdans le malheur ; car, comme dit Sénèque : « Noussommes de telle nature, qu’il n’y a rien au monde qui se fasse tantadmirer qu’un homme qui sait être malheureux avec courage. Itaaffecti sumus, ut nihil aeque magnam apud nos admirationem occupet,quam homo fortiter miser. »
Les amours d’Alexandre et de Cléofile ne sontpas de mon invention : Justin en parle, aussi bien queQuinte-Curce. Ces deux historiens rapportent qu’une reine dans lesIndes, nommée Cléofile, se rendit à ce prince avec la ville où illa tenait assiégée, et qu’il la rétablit dans son royaume, enconsidération de sa beauté. Elle en eut un fils, et elle l’appelaAlexandre. Voici les paroles de Justin : Regna Cleofidisreginae petit, quae, cum se dedisset ei, regnum ab Alexandrorecepit, illecebris consecuta quod virtute non potuerat ;filiumque, ab eo genitum, Alexandrum nominavit, qui postea regnoIndorum potitus est.