Donatienne

Chapitre 7LE DÉPART DE L’HOMME

Le lendemain, dans le rayonnement pâle del’aube, à l’heure où les premiers volets s’ouvrent au pépiement desmoineaux, un homme traversait Plœuc pour prendre la route deMoncontour. C’était Louarn, dont les meubles avaient été vendus laveille. Il était parti de Ros Grignon avant même d’avoir puregarder une dernière fois ses pommiers, sa lande et la forêt. Ilemportait avec lui tout ce qui lui restait au monde. Noémi marchaità sa gauche avec un menu paquet noué au coude. Lui, il tirait unepetite charrette de bois où étaient couchés, face à face, etendormis tous les deux, Lucienne et Joël. Entre eux était posé unpanier noir qui avait appartenu à Donatienne. Par derrière, lemanche d’une pelle dépassait le dossier de la voiture, ettressautait à tous les heurts du chemin.

Beaucoup des habitants du bourg n’étaient pasencore éveillés. Ceux qui se penchaient au-dessus des demi-portesbasses ne riaient plus et se taisaient, parce que le malheuraccompagnait et grandissait le pauvre closier.

Louarn ne se cachait plus. Il commençait àsuivre la route inconnue, sans but, sans retour probable. Ildevenait l’errant à qui personne ne s’attache, et pour qui personnene répond. Mais la pitié des anciens témoins lui était maintenantacquise.

Quand il eut dépassé l’angle de la place où setrouvait la boulangerie, une femme sortit de la boutique, une femmetoute jeune, qui s’approcha de la charrette sans rien dire, etplaça un gros pain entre les deux enfants. Louarn sentit peut-êtrequ’il en avait un peu plus lourd à tirer, mais il ne se retournapas.

À cent mètres de là, sur le chemin qui sortaitde Plœuc, une autre personne encore attendait le passage de Louarn.Celui-ci longea le mur du jardin, sans lever les yeux. Tant quel’on put entendre le pas régulier de l’homme et le grincement desroues de bois, la grande ombre qui se dessinait entre les murs dela charmille demeura immobile. Mais lorsque le groupe desvoyageurs, diminué par la distance et à demi caché par les haies,fut tout près de disparaître, l’abbé Hourtier, songeant auxinconnus qui avaient perdu Donatienne, au monde lointain de petitsou de grands qui avaient fait le malheur de Louarn, leva le poing,comme pour maudire, vers le soleil qui rougeoyait dans les bassesbranches de ses lilas ;… puis il se souvint de ce qu’il avaitdit la veille, et le geste de son bras s’acheva en une bénédictionpour ceux qui s’en allaient.

L’homme s’était effacé derrière les arbres. Lajoie des matins purs chantait sur le pays de Plœuc. La Bretagnen’avait qu’un pauvre de moins.

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