Donatienne

Chapitre 9« À LA PETITE DONATIENNE »

Depuis huit ans, elle avait quitté son mari,ses enfants, la closerie de Ros Grignon au pays de Plœuc, pourservir à Paris, et il y en avait sept depuis que Jean Louarn, àcause d’elle, désespéré, son bien vendu, son cœur trahi, s’étaitjeté hors de la Bretagne, et avait pris la route de Vendée, cellequi mène partout. Dans le café qu’elle tenait à présent, et quiportait son nom « À la petite Donatienne », un café debanlieue, au coin d’une rue de Levallois-Perret, un client laissaitrefroidir le bol de chicorée qu’elle venait de poser devant lui. Cen’était pas un habitué. Les deux coudes sur la table, la têteavancée au-dessus du bol dont la fumée caressait son menton rasé etles lourdes moustaches déteintes qui cachaient ses lèvres, ilregardait devant lui, en remuant machinalement le liquide noir avecla cuiller. Tous les muscles de son visage étaient détendus. Il sereposait. Ses yeux, qui recevaient la lumière d’en face, ses yeuxverts luisant d’un vague sourire, fait de l’absence depréoccupation et d’un sentiment de bien-être, regardaient fixementla brume, par-dessus les petits rideaux qui voilaient le premierrang des vitres de la devanture. Cependant il se croyait obligé deparler quelquefois, par préjugé populaire hérité des vieux tempscharitables, par politesse pour l’hôtesse de hasard, inconnue, etqui ne se trouvait pas même dans l’orbe de sa vision. Elle setenait dans la partie gauche de la pièce, assise à contre-jour,touchant presque le vitrage qui séparait la salle d’avec la rue, etelle tricotait une paire de bas noirs, chose qu’elle avait faitetoute sa vie, depuis les temps lointains où, petite coureuse degrèves, en la paroisse d’Yffiniac, on la voyait parmi les femmesqui chaque jour attendent la mer montante et le retour des voileséparpillées au large. Elle faisait ce travail sans y penser. Celas’arrêtait et se reprenait silencieusement. Elle n’avait pas plusl’esprit à son tricot que le client n’avait le sien dans lesbrouillards de la rue. Elle songeait que ce client l’ennuyait,qu’il mangeait trop lentement, qu’elle aurait dû être sortie déjàpour les provisions du matin. Les laitiers revenaient avec leurspots de fer-blanc vides. Quand elle levait les yeux vers l’homme,elle remarquait qu’il avait la peau gercée par le vent deséchafaudages et, au creux de ces rides, des traces de chaux, quitombaient parfois et s’abîmaient dans le café que la main agitait.Ni l’un ni l’autre, ils ne se hâtaient de répondre. Et cependant,ces mots, qu’ils échangeaient si mollement et sans goût, lesamenaient, inconscients, à un moment tragique de la vie.

– Comme ça, disait Donatienne, vous allezvous en retourner dans votre pays ?

– Oui, répondait le maçon, puisquenovembre arrive. Pour nous, c’est la morte saison. Jusqu’au mois demars, on sera Limousin. Vous connaissez peut-êtreGentioux ?

– Non, je ne quitte pas Paris, moi,jamais. C’est joli, chez vous ?

– Pas trop. Et puis, quand personne nevous attend, vous savez, les pays, ça n’est jamais très beau.

Elle bâilla, fit sept ou huit mailles, et nerépondit pas, ayant le désir que le client s’en allât.

Celui-ci pencha la tête, qu’il avait couverted’un feutre dur, leva le bol dans ses deux mains, et but unegorgée.

– Ça n’est pas beau, reprit-il ;mais c’est le pays ; on retrouve au moins desconnaissances ; on apprend qu’il y en a qui sont morts pendantnotre campagne d’été, d’autres qui se sont mariés, d’autres quisont nés. Quand je reviens, moi, on m’attend toujours pour êtreparrain.

– Je ne dis pas non, fit l’hôtesse.

– Des Marie, des Julia, des Hortense, desPierre, des Constant, des Léonard, comme de juste,… il y en a detous les noms, chez nous, dans la Creuse…

Il se mit à rire, tout seul, puis à soufflersur le café.

– Je connais même, figurez-vous, un petitgars qui s’appelle Joël !

Et il rit de nouveau.

La femme s’était levée subitement. Petite,agile, habillée de noir, elle venait, son tricot dans une main, lesyeux droit devant elle et ardents. Elle n’avait plus son aird’ennui, mais ses joues encore fraîches, fendillées de millepetites rides au bas des paupières, étaient devenues toutesrouges.

– Répétez, pour voir ?demanda-t-elle. L’homme voulut prendre la main qui tenait letricot, et qui se tendait, pour commander. Mais elle la retira,d’un mouvement d’impatience.

– Laissez donc !

– Faites pas attention, ma belle, c’estpas pour vous offenser… Eh bien ! oui, j’ai rencontré un gaminqui s’appelle Joël.

– Quel âge ?

– Huit ou neuf ans.

– Frisé ?

– Je ne me rappelle pas…

– Gentil ?

– Bien sûr, comme les autres. Donatiennele saisit par le bras.

– Regardez-moi donc !… Il faut vousrappeler !… Ce nom-là m’intéresse, moi !… Vous voyez, çame fait quelque chose que vous l’ayez dit… J’ai connu un enfant quis’appelait de même… Où habite-t-il, le vôtre ?…

– Pas tout près de Gentioux, qui est monendroit ; à peut-être cinq ou six lieues sur la route deretour, je ne sais pas bien le nom, à un tournant de la granderoute… Nous l’avons vu en passant, lorsque nous sommes venus, enmars, avec un de mes compagnons… Nous allions à pied, pour prendrele train… Je me rappelle une manière de petit jardin entouré dehaies, avec des souches de peupliers… Le gamin jouait là dedans…Mon compagnon me l’a montré, et m’a dit : « Il s’appelleJoël ; c’est le fils d’un homme qui travaille aux carrières,là-haut ; il paraît que c’est venu de Bretagne. »

Il y eut un cri étouffé :

– Bretagne ? Vous êtes sûr qu’il adit Bretagne ? Ah ! il ne faut pas me mentir ! Vousne le feriez pas ! J’ai besoin de savoir… Ne me trompezpas !

Sa main tremblait sur le bras du maçon.

– Il y avait à côté une petite sœur,n’est-ce pas ?

– Une grande plutôt, et pas laide, biensûr ; un peu comme vous…

– Grande, vous dites ?

– Assez. Des yeux jolis, luisants commede l’eau qui remue.

– C’est Noémi ! fit la femme avecune voix de rêve, et comme si elle la voyait. Noémi ! Et avecelle ?

– D’autres enfants ?

– Oui.

– Je n’ai vu qu’un moutard.

– Une fille ?

– Non, un garçon… Il était en culotte… Jesuis sûr…

Donatienne changea de visage.

– Ce n’est pas eux, alors… J’avais cru…Ce que c’est que les idées…

Elle lâcha le bras de l’homme. Une émotiondont elle n’était plus maîtresse l’étreignait, et son cœur, sous cedouble coup de la surprise et de la déception, s’ouvrit, malgréelle, à cet inconnu. Elle était si malheureuse d’avoir espéré envain, si fortement tirée hors de sa vie ordinaire, qu’elledit :

– Au premier moment, j’ai pensé quej’allais retrouver les miens… J’ai eu trois enfants, moi qui vousparle,… et je ne sais plus où ils sont,… plus, plus,…comprenez-vous ?… Le plus petit s’appelait Joël… Mais jen’avais que lui de garçon, et les autres avaient nom Noémi etLucienne… Je suis trop prompte à me faire du tourment, n’est-cepas ?

Elle retira le bout de ses aiguilles quitraversaient le tricot, et elle se recula, en essayant de rire,tandis que l’homme buvait, en la considérant par-dessus le bord dubol. Il avait devant lui un mystère de chagrin. Cela le troublait.Il souffrait de cette peine obscure et toute voisine. Une mère, desenfants, il les voyait jouer ensemble… Et puis, l’abandon… Pourrien au monde, il n’eût voulu l’interroger… Mais il se rappelaitdes histoires pareilles, et une pitié vague lui prenait toutel’âme. Il buvait lentement, pendant que Donatienne, les yeuxbaissés sur son ouvrage, les paupières battantes, tricotait auhasard, et se retirait vers la place qu’elle occupaitauparavant.

Elle sentait cette pitié qui l’enveloppait.Elle demanda :

– Vous travaillez dans lequartier ?

– Non, madame, je suis ici rapport àl’entrepreneur, qui m’a envoyé faire une commission chez sonmarchand de plâtre. Mais je connais plusieurs de vos amis. Ilsm’ont parlé de vous.

– Il ne s’agit pas de cela. Seulement,puisque vous allez passer un temps chez vous, informez-vous tout demême de ce Joël… Vous me reviendrez dire la réponse, auprintemps ? Voulez-vous ?

– Pour sûr, je reviendrai, madameDonatienne… Ça ne me coûtera guère de revenir.

Dans la poche de son gilet, il chercha cinqsous, qu’il jeta sur le marbre de la table. Il redevintl’insouciant tâcheron de chaque jour.

– C’est drôle, tout de même, hein, lapatronne, d’avoir jusque chez nous, dans la Creuse, de la graine degueux de chez vous,… puisqu’il paraît que vous êtesBretonne ?… Sans rancune, n’est-ce pas ? Aurevoir !

La longue blouse blanche traversa lasalle ; les épaules de l’homme, sa tête au poil court, quecachait presque entièrement le chapeau de feutre taché de chaux,s’encadrèrent entre les montants de la porte, puis parurent encoreun instant dans la brume de la rue, à droite, au-dessus des petitsrideaux de la devanture. Enfin, Donatienne, qui avait suivi desyeux ce fantôme diminuant, le vit disparaître et s’abîmer dans legrand Paris. Elle continua de regarder l’endroit où elle avaitcessé de le voir. Le passage d’une voiture, dans le jour laiteux,brisa l’image qui survivait. La femme fronça les sourcils, d’un airimpérieux et mécontent, comme elle faisait autrefois, quand elleétait petite, pour faire céder ses parents. Eux ils cédaienttoujours. Mais la vie n’obéissait pas comme le père et la mère.Donatienne entra dans une seconde pièce, au fond, qui était unecuisine étroite, prit un panier, revint dans le café, et elleallait sortir, et déjà elle touchait la poignée de cuivre de laporte, quand derrière elle, une voix grasseyante demanda :

– Est-ce que tu as oublié le patron, parhasard ?

La figure mobile de la femme eut, de nouveau,un pli d’impatience. Mais, voulant sortir, et désireuse d’échapperà une explication, Donatienne dit rapidement :

– Ton café est sur le fourneau : tun’as qu’à le prendre.

– Il en a bu, pourtant, leclient ?

– C’est le mien que j’ai donné. Allons,va te recoucher !

Elle avança la main vers la poignée decuivre.

– Halte !

Un homme sortit de la pièce voisine, ets’avança, le teint pâle, ayant, sur le visage, ce mélanged’hébétude et de colère, fréquent chez les alcooliques.

– Halte-là, je te dis !

Il traînait sur le plancher des pantoufles decuir rouge éculées ; il n’était vêtu que d’un pantalon de drapbleu foncé, liséré de jaune, et d’une chemise de nuit, bouffantpar-dessus la ceinture, et dont le col, déboutonné, laissait voirun cou sanguin, épais, où la pulsation des artères remuait la peautendue. Assurément il avait été un bel homme autrefois : maisla paresse l’avait alourdi ; sa face rasée, aux sourcilscourts et blonds, était trop ronde ; les mains, couvertes depoils jaunes, étaient trop grasses, et les paupières tombaient surdes yeux où la pensée vacillait et luttait avec le sommeil.

– Qu’as-tu encore à me dire ?demanda Donatienne.

Il croisa les bras.

– Je voudrais savoir ce que tu disais auclient ?

– Ta jalousie qui te reprend,alors ?

– Peut-être.

– Jaloux de ce gâcheur desable !

Elle se mit à rire, plus haut et plus vitequ’elle n’en avait envie, nerveusement, et, une seconde, sur cevisage moqueur, dans l’attitude de cette femme irritée etméprisante, dans le mouvement de cette tête qui avait gardé laligne pure de ses attaches, l’image de la très jolie Bretonned’autrefois passa…

– Oui, tu te penchais, comme ça, tul’écoutais, tu lui prenais le bras… Ne dis pas le contraire :je t’ai vue, du haut de l’escalier !

Elle leva les épaules :

– Voilà donc que je vais te rendre comptede mes paroles, à présent ? Ah ! mais non ! Est-ceque nous sommes mariés, dis ? Est-ce que tu lecrois ?

– Que te disait-il ?

– Cela me regarde !

– Donatienne !

Il fit le geste de prendre une chaise pourl’en frapper. Alors, Donatienne laissa tomber le panier, courutdroit à celui qui la menaçait, et se dressa tout contre lui sur sespetits pieds, la tête levée, combattive et haineuse.

– Eh bien ! tape donc !cria-t-elle. Qui t’empêche ? Tue-moi donc !… Pour ce quela vie est belle avec toi !… Je la déteste, entends-tu ?…Et toi aussi !… Tu peux y aller !… Qu’attends-tu ?Ne te figure pas que je vais t’obéir, et te rendre compte de mesparoles, à toi, à un homme que je fais vivre !

Elle avait les traits creusés par la colère.La femme lasse et flétrie qu’elle serait bientôt apparaissaitmaintenant. Au coin de ses lèvres entr’ouvertes, une dent manquait.Les autres dents étaient blanches, et fines, et luisantes. Et lesyeux aussi luisaient, comme des crêtes de vagues qui écument. Ellerépéta :

– Oui, que je fais vivre !

L’autre, à ce dernier mot, qui portait juste,essaya de répondre :

– Il n’y a pas de travail, tu saisbien…

– Non, il n’y en a pas pour les lâches…Violente, d’autant plus qu’il cédait, elle continua :

– Je te répète que je suis lasse de toi,et que tu ne m’as pas en ton pouvoir, et que, un jour, je te lemontrerai !

Il répondit en ricanant :

– Tu es trop vieille !

– Pas pour m’en aller d’ici !…L’homme ferma à demi les yeux, et dit, entre ses dents :

– Où irais-tu donc ?

Il y eut un silence, pendant lequel chacunmédita la force de cette question : « Oùirais-tu ? » et la grande difficulté où ils seraient devivre hors de leur péché, et de se « lâcher » l’unl’autre. Donatienne se sentit retomber dans la basse sujétion oùelle vivait. Elle ne continua pas la discussion, se détourna, etsortit.

Elle était irritée, elle était plusmalheureuse encore qu’irritée, lorsqu’elle se trouva dehors, ayantdevant elle les maisons de Levallois, et, dans l’esprit, le dessintout présent de ces courses qu’elle allait faire, et aprèslesquelles il lui faudrait rentrer… Elle avait dépassé l’âge oùl’on s’étourdit aisément, et, bien qu’elle évitât les occasions dese souvenir ou de prévoir, il y avait des circonstances où elleentrevoyait le fond triste de son âme. Jamais peut-être elle nel’avait vu aussi nettement que ce matin.

Cette conversation inattendue avec le maçon dela Creuse, cette dispute avec son amant, quelles évidences demisère, quels durs rappels de la solitude, qui avait toujours étéson mal, depuis le jour…

Dans la brume, souillée de fumée, bue etrevomie par les égouts, par les bêtes, par les gens, et qui avaitessuyé les toits et les murs avant de tomber sur les trottoirs,elle allait, la tête basse, et elle n’entendit pas la crémière quidemandait : « Vous ne prenez pas de lait, madameDonatienne ? » ni la fruitière d’à côté, qui lui disaitbonjour, une jeune femme chargée de trois enfants, et qui, vivantdifficilement, enviait quelquefois la maîtresse du café, qui étaitsans charge de famille et passait pour riche dans le quartier.

Donatienne marchait au hasard, ayant toutesles puissances de son âme repliées sur elle-même, contre sonhabitude, et occupée d’une seule pensée, celle de ses enfants.

Elle avait toujours souffert à leur sujet.Dans les premiers temps, lorsqu’elle eut quitté Ros Grignon, ellepleurait en nommant dans son cœur Noémi, Lucienne, Joël, ce derniersurtout, qu’elle allaitait au départ, et que son nourrisson deParis lui rappelait ; elle se souvenait de la douceur de cespetites lèvres, formées de sa substance et de son sang, et quicontinuaient de lui demander la vie, et qu’elle pressait contre sonsein. Ah ! s’il avait été là, lui, Joël, l’enfant donné parDieu ; si elle avait pu embrasser les autres, seulement tousles deux jours, seulement toutes les semaines, elle sentait que cespetits l’eussent protégée, contre le plaisir qui la tentait, contrela nouveauté corruptrice, contre l’exemple… Plusieurs fois, elles’était écriée, en secret, aux premiers remords, quand il n’y a euencore que des pensées à demi consenties : « Mes petits,sauvez-moi ! » Mais ils étaient trop loin. Et l’enfantqu’elle nourrissait, et qui n’était point à elle, n’avait pas cettepuissance protectrice. Et le danger enveloppait de toutes partscette pauvre femme de Bretagne, qui n’était pas préparée contretant d’ennemis.

Les femmes de service qui l’entouraient, dansla première place où elle était entrée, rue de Monceau, n’étaientpas toutes perdues de mœurs, mais elles étaient toutes libres delangage, et habituées à ne faire aucun cas de ce que Donatienneconsidérait comme une faute. Celles qui n’avaient pas d’amantsdisaient et répétaient que l’unique motif de leur conduite était lafacilité plus grande qu’elles auraient de se marier. Elles nerespectaient aucune action en soi, et jugeaient seulement du profitqu’on en pouvait tirer. Plusieurs avaient plus d’esprit apparentque Donatienne, et une habitude de s’exprimer sur toute choseimpertinemment. Donatienne les écoutait volontiers, d’autant mieuxqu’on lui disait, la voyant facile à persuader :« Savez-vous que vous êtes jolie, la Bretonne, avec vos rubansde nourrice, sur votre coiffe de Plœuc ; quand vous passez,tout le monde se retourne ! »

Elle ne le savait que trop. Les femmes le luidisaient pour se faire bien voir, ce dont on a besoin, parmi lesdomestiques peu scrupuleux, et aussi parce qu’elle gagnait de grosgages. Les hommes encore mieux le lui faisaient entendre, et leschoses elles-mêmes s’unissaient pour la perdre. Elle était sijeune, si légère de tête, si vaniteuse et si portée à sonplaisir ! Le luxe lui paraissait un bonheur ; elle étaittroublée, grisée, amoindrie chaque jour dans sa défense morale, parla vue de l’argent qu’on dépensait autour d’elle, par la caresse detrop d’étoffes fines, de soie, de rubans, de dentelles qu’ellemaniait, par l’appel éhonté ou secret qui ne cesse ni jour ni nuitdans les villes, et qui prend les rêves, après avoir pris les yeux,et la mémoire, et le cœur devenu si faible, si faible.

En six mois, ce travail de perdition étaitbien avancé. Elle n’écrivait plus à son mari… On la savait mariée àun rustre. Pauvre Louarn !… Elle était la première à rire delui, quand on lui demandait, dans les réunions de l’office ou quandils prenaient le thé, le soir, dans la chambre de la cuisinière,pendant que les maîtres étaient sortis : « C’est vrai,Donatienne, que vous avez bêché la terre, et que vous faisiez lamoisson ? Il n’avait donc pas de cœur, ce garçon-là ?… Jevoudrais voir son portrait… Vous l’avez, dites ?Montrez-le ?… » Tous parlaient de la sorte. Les femmesinsistaient sur le nombre d’enfants qu’elle avait eus, trois encinq ans, et la plaignaient pour ce passé, dont elle se fûtsouvenue, quelquefois, sans elles, avec douceur.

Les valets de chambre, les cochers, lesmaîtres d’hôtel, ceux de l’appartement, ceux des autres étages, lacourtisaient plus ou moins. Elle leur plaisait par sa fraîcheur,son costume joli, sa hardiesse mêlée de retenue. Elle leur semblaitd’une race étrangère. Elle était de bonne race, simplement,imaginative, un peu folle et vaniteuse, et elle riait, plus qued’autres, mais elle était plus honnête, en réalité, à cause dupassé qui avait été meilleur. Elle permettait moins de privautés.Elle était traitée à part aussi, logée dans l’appartement desmaîtres, gâtée de cadeaux, comme nourrice, et cela encore larendait exceptionnelle, et l’exposait aux galanteries.

Et ce fut à cette époque, que le nourrissonmourut, presque subitement, de mal inconnu. Donatienne pleura. Elleeut de la peine et de l’épouvante. Son sort allait changer. Elle sesentait lasse, et presque à bout de lait. Quelques jours passèrent.Elle couchait encore près des maîtres, par ménagement pour elle, etpour qu’elle eût le temps de faire passer son lait… Madame, unsoir, la fit venir. Elle fut bonne ; elle, qui souffrait dansson cœur maternel, elle eut des mots de pitié pour cette autrefemme, qui avait nourri l’enfant disparu, et qu’elle avait commeassociée à sa maternité. « Nourrice, conclut-elle, – blonde,pâle, tout en noir, – nourrice, vous nous restez, n’est-cepas ? Ce sera une manière de m’acquitter envers vous, quil’avez toujours bien soigné ? D’ailleurs, là-bas, chez vosBretons, après le malheur qui nous atteint, qui sait ce qu’ondirait ?… Et puis, ma pauvre femme, vous ne devez pas avoirenvie de goûter de nouveau à la misère ? Si vous voulez êtreseconde femme de chambre chez moi, je vous garde. Seulement, je nepeux plus vous loger dans l’appartement… » Elle croyaitsincèrement, cette jeune femme, qu’elle accomplissait un acte decharité. Elle croyait bien faire. Sa pitié mondaine luireprésentait la misère comme le pire des maux. Il eût fallu qu’ellefût sainte pour penser autrement. Elle ignorait, d’ailleurs, à peuprès, ce que devenaient ses domestiques, là-haut, après dix heuresdu soir. Elle n’avait pas plus que d’autres le pouvoir de leconnaître. Et il était très vrai que la place manquait, dans le belappartement de la rue de Monceau, pour loger les domestiques prèsdes maîtres. La faute était à l’habitude, à l’architecte, aupropriétaire, aux voisins, qui avaient fait semblablement ; auprix des terrains ; aux revenus qui ne permettaient pas unhôtel ; aux distances d’ignorance, de défiance et de haine, àl’insécurité des relations, à leur fragilité, entre les serviteurset les maîtres ; à l’idée funeste que chacun n’est responsableque de soi ; à la jeunesse de cette femme de vingt-cinq ans,qui n’avait pas le temps de songer à ces choses, et à qui sa mèrene les avait pas dites… Et Donatienne fut perdue.

Donatienne connut le couloir taché du sixième,les mansardes séparées par des cloisons percées de trous qu’onbouche avec du papier, les rires, les conversations louches, lesobsessions, les coups à la porte, la nuit, quand les hommesrentraient du théâtre ou du café, les conciliabules, les partis quise formaient, les jalousies, les portes qui s’entr’ouvraient à unsignal convenu, l’appel des sonnettes électriques qui faisaientjurer dix hommes et descendre une femme, et les réceptions sous letoit, qui commençaient comme celles d’en bas, moins le décor, etqui finissaient crapuleusement.

Donatienne moins qu’une autre pouvaitéchapper.

Elle devint la maîtresse d’un valet de pied,très joli homme, connu pour ses bonnes fortunes, insolent sous lalivrée, jugeant le monde qu’il servait, avec l’assurance et larichesse d’informations d’un homme de vingt-huit ans, qui comptaitdéjà quinze ans de service à Paris, et dans tous les mondes. Il futtrès fier de sa conquête. Donatienne recevait, en ce temps-là, leslettres suppliantes, auxquelles elle ne répondait pas, les lettresoù Louarn annonçait la prochaine vente de leur mobilier, là-bas…Elle n’y crut pas. Son amant lui dit : « C’est pour teravoir, ou te faire chanter ! » Elle n’envoya pas sonargent ; elle ne partit pas, pour sauver la closerie de RosGrignon. Les deux dernières lettres même ne lui furent pas remises.Et on put dire : « Tu vois, s’ils t’oublient, et quelleblague c’était, ton ménage de Bretonne ! Ils n’écrivent mêmeplus ! »

Vers le même temps, chose étrange, elledemanda à quitter la coiffe de son pays. À présent qu’elle n’étaitplus nourrice, qu’elle sortait moins et qu’elle ne faisait pluspartie du luxe extérieur de la maison, peu importait. Elle enlevadonc les deux bandes de mousseline, qui étaient roulées, gaufrées,orientées à la mode du pays de Plœuc ; elle plia l’étoffe, –trois coiffes en tout, – et les serra avec sa robe de grosse laineà mille plis, ne les porta plus. Elle eut des chapeaux ; elleondula ses cheveux et les releva ; elle fut semblable à lamultitude. Cela changea Donatienne. Il fallait être observateur,pour reconnaître la Bretagne dans cette petite femme de chambredélurée, fine, les yeux brillants, qui avait le rire si nerveux etle sourire si triste.

L’été passa. Ros Grignon fut abandonné, etelle n’en sut rien… Elle pensait souvent aux enfants, et elleaurait voulu avoir de leurs nouvelles… Le remords aussi la tenaitpar moments. Elle avait été pieuse, dans sa toute petitejeunesse ; il lui restait un fond de croyance, et elle savaitque sa vie était mauvaise. Seulement, les réflexions qu’ellefaisait n’étaient ni longues ni fréquentes. Là-bas, dans le payspauvre, pour se garder ou se ressaisir, elle aurait eu les fêtesreligieuses avec les pratiques de dévotion qu’elles amènent, lagrand’messe et le sermon du curé de Plœuc, les missions, lesbaptêmes, les glas funèbres, les angélus sonnés par les cloches,tout l’air qui prie trois fois le jour ; elle aurait eul’exemple des anciennes de la paroisse, qui venaient quelquefoisvisiter la closerie, et qui étaient un peu sentencieuses etradoteuses, mais qui laissaient après elles un désir de bien vivre.À Paris, elle n’avait rien de tout cela,… une messe basse, quandmadame se souvenait, qu’elle indiquait l’heure et qu’elle pouvaitcontrôler…

Septembre vint. Elle était aux environs deParis, dans un château, et elle n’avait pas changé de vie. Maisl’inquiétude de ne plus recevoir de nouvelles la torturait, et luifit enfreindre l’ordre de son amant. Elle écrivit à« Mademoiselle Noémi Louarn, closerie de Ros Grignon, enPlœuc, Bretagne, » et elle demandait comment chacun seportait… Huit jours passèrent, sans réponse. Elle pensa que Louarnavait appris ce qu’elle était devenue ; elle accusa son marid’avoir empêché Noémi de répondre. Pour le savoir, elle écrivit àcette fille qu’elle avait elle-même choisie pour faire le ménage etsoigner les enfants ; elle demanda à Annette Domerc :« Pourquoi se taisent-ils ? » Cette fois, elle reçutla réponse, sans retard et brutale : « Vous ne savez doncpas que tout est vendu ? Il n’y a plus de chez vous. Votrehomme est parti. Il a pris la route de Vendée. Et il a emmené lesenfants. » Parti ! Emmené ? Où étaient-ils ?Personne ne put le dire, ni le maire, ni le curé, ni l’abbéHourtier, qui n’avait reçu aucune lettre de Louarn.

Alors Donatienne fut prise de désespoir. Elleeut une douleur passionnée et violente. Elle rompit avec son amantqu’elle accusa, sans le savoir, mais sans se tromper non plus,d’avoir supprimé les dernières lettres de Louarn ; elle refusade manger ; elle pleura toute une semaine, ne cessant derépéter : « Noémi, Lucienne, Joël ! » On voulutbien la supporter, parce qu’elle était adroite, vive dans leservice, et qu’elle avait été la nourrice du petit mort. Maisbientôt sa santé déclina, et un après-midi de novembre, elle futconduite à l’hôpital, en toute hâte. Le médecin avait reconnu unefièvre muqueuse. Trois jours plus tard, la jeune femme qu’elleavait servie envoya prendre de ses nouvelles, et dit à quelquesamies, réunies avant le dîner : « Cette petite quej’avais, vous vous souvenez, la Bretonne ? Eh bien ! elleest très mal ; elle a eu quarante et un degrés le lendemain deson départ d’ici… Elle était gentille, n’est-ce pas ? Et puistrès sage, très bonne mère : c’est même de trop aimer sesenfants qu’elle meurt… Un mari ivrogne, probablement, qui les aemmenés au loin, et qui la laisse sans nouvelles… Triste, n’est-cepas ? »

Donatienne faillit mourir, en effet. Elle seremit très lentement. Quand elle sortit de l’hôpital, elle était sifaible qu’elle n’aurait pu songer à entrer immédiatement enplace ; si pauvre qu’elle avait seulement de quoi vivrependant quelques semaines ; si changée, physiquement, que lahonte la prit de retourner rue de Monceau, où la place de secondefemme de chambre n’était plus libre, assurément, mais où elleaurait été aidée de quelque façon, recommandée, adressée à quelqueamie en quête d’une très honnête fille. Elle ne voulait pasrencontrer, dans cette maison, l’homme qu’elle détestait à présent,et se montrer à lui et aux autres avec ses tempes presque dégarniesde cheveux, avec ses joues creuses et ses yeux qui étaient devenuslégèrement inégaux, et qui ne pouvaient fixer les choses sansloucher et chavirer de faiblesse dans l’orbite.

Elle se logea en garni, sans trop savoir cequ’elle ferait, désemparée, comme tant de gens de service auxlendemains d’hôpital ou de renvoi. Elle eut des idées de retourneren Bretagne, mais comment aurait-elle trouvé à vivre dans le paysde Plœuc ? Quel moyen de gagner dans un coin si pauvre, etd’ailleurs si mal disposé pour elle, depuis que Louarn étaitparti ?… On l’aurait fait souffrir, oui, durement… Ellesouffrait tant déjà, et sa mélancolie foncière d’enfant des côtesbretonnes était devenue une douleur si précise ! Une tentativequ’elle fit pour se réconcilier avec ses parents, les pêcheursd’Yffiniac, échoua, quand elle eut avoué qu’elle ne rapporterait àla maison aucune économie ni aucun métier. Et la misère recommençade s’approcher. Avant que les forces fussent revenues, Donatiennerisqua ses derniers vingt francs dans un bureau de placement, entradans une nouvelle place, chez une femme du monde qui avait deuxfilles à marier. Elle n’y put rester, parce qu’il fallait veillertous les soirs. Le garni la reprit, et le total désespoir, etbientôt la vie mauvaise.

Elle ne cherchait plus à plaire et àbriller : elle avait peur de mourir de faim. Alors, sansentraînement, avec moins de résistance que la première fois,fermant les yeux, honteuse et résolue comme si elle se fût jetéedans le fleuve, elle « se mit » avec un autre homme,selon l’expression populaire, avec un ancien cocher, riche, brutalet buveur, qui se retirait du service, et cherchait à acheter unfonds de commerce. Il acheta, comme toujours, un café, et chargeaDonatienne de faire réussir l’entreprise. Depuis six ans, ilsvivaient ainsi maritalement, considérés, dans le quartier deLevallois, comme mari et femme. Elle s’occupait du ménage et de lacuisine, servait les clients, sauf le matin, pendant une heurequ’elle employait à courir le quartier et à acheter desprovisions ; elle tenait les comptes ; elle reprisait lelinge aux moments libres. Le café réussissait, grâce à l’activitéde Donatienne, à son esprit d’ordre, à l’espèce d’autorité qu’elleexerçait naturellement autour d’elle, et à l’habitude qu’elle avaitet qui séduisait la clientèle du faubourg, de toujours parlerpoliment. Ce Bastien Laray, avec lequel elle vivait, ne l’aidaitguère. Il était toute la journée dehors, sous prétexte deréapprovisionner les placards et la cave, et même de chercher uneplace de chauffeur, qu’il eût été navré de rencontrer. Il avaitmieux. Il avait sa retraite. Il rentrait ivre deux fois sur trois.Donatienne le menait parce qu’elle était plus intelligente que lui,mais, avant de céder, il la battait, parce qu’il était le plusfort. Ils ne s’aimaient pas. Ils n’étaient pas dupes l’un del’autre. Mais ils n’auraient pas su comment se fuir et commentvivre ensuite. Tout ce soin, toute cette peine, toute cettepatience que les mères et les femmes aimées retrouvent enreconnaissance émue, dans la tendresse de leurs enfants ou de leurmari, Donatienne les dépensait sans connaître en retour la douceurd’un remerciement, sans un rêve d’avenir, sans la paix qu’ellen’avait jamais pu fixer en elle.

Elle avait essayé d’avoir la paix, ou du moinsle silence et le vide dans son âme. Elle s’était appliquée àchasser ces souvenirs de religion et ces reproches de consciencequi renaissent de plus en plus faibles, comme les rejetons d’uneracine coupée au ras de la lumière. Et elle en avait à peu prèstriomphé. Dans sa vie quotidienne, constamment occupée et amusée,dans le mouvement et le bruit qui l’enveloppaient, elle trouvaitdes moyens d’écarter l’image importune du passé. Quelquefoisseulement, l’irrésistible besoin de tendresse maternelle lasaisissait, et la brisait, et la laissait sans force contrel’approche de tout le reste, contre les choses et les gens qu’ellecroyait oubliés. Alors, elle cherchait à s’étourdir, elle causaitavec les clients, elle jouait aux cartes avec eux, ou même,confiant à une voisine la garde du café, elle sortait, et elleallait, seule ou avec son amant, à travers les rues de Paris, dansla foule. Un des arguments dont elle se servait alors, au plussecret de son cœur, pour combattre de pareils orages, c’étaitl’impossibilité où elle se trouvait de remplir aucun de ces devoirsqu’elle avait abandonnés, de savoir même si ses enfants et son marivivaient encore. N’avaient-ils point succombé, père ou enfants,peut-être tous, à la misère errante qui est plus dure quel’autre ? Sept années entières sans nouvelles, septannées…

Et voici que, subitement, elle apprenait qu’unJoël, un petit de l’âge de son petit, et qui venait de Bretagne,avait été aperçu dans la Creuse… Elle ne pouvait savoir si c’étaitson enfant. Mais cela suffisait pour que la trêve fût rompue.L’idée des abandonnés reprenait possession de cet esprit qui avaitpu la chasser à moitié. Elle rentrait avec le nom de Joël. Ledoute, l’inquiétude, les accusations auxquelles Donatienne netrouvait plus rien à répondre, tout cela revivait. « Pourrien ! pensait Donatienne, en marchant vite dans labrume ; je me tourmente pour rien !… Est-ce qu’il n’yavait que mon enfant à porter ce nom-là en Bretagne ?… Etpuisque le maçon a vu deux garçons et une fille dans le courtilentouré de peupliers, ce n’est pas ça… Non, ça ne peut pas être lesmiens. D’ailleurs, le père, comme je le connaissais, a dû mourir dela peine que je lui ai faite… Mon homme a dû mourir… »

Les fournisseurs chez lesquels elle passa luitrouvèrent des yeux de rêve, et elle ne s’arrêta point pour causer.« Madame Donatienne a quelque chose, pour sûr, » direntla boulangère, la marchande de légumes et la pâtissière, une damevéritable, et qui avait une fille que Donatienne regardaittoujours, à cause de ses yeux compatissants à la vie inconnue… Maisqui pouvait deviner la cause de son trouble ? Personne nedevina.

Quand reviendrait-il, ce maçon ? Pasavant quatre mois. Il avait donné des détails singulièrementvoisins de la vérité, avec d’autres qui faisaient douter…

Donatienne resta dehors plus longtemps que decoutume.

Quand elle rentra, le café était à moitiéplein, Bastien Laray était assis dans l’espèce de chaire, protégéepar une glace de verre, où elle s’asseyait l’après-midi. Il lui fitun sourire aimable, qu’il ne prodiguait pas, et, l’appelant à voixbasse, et avec ce clignement d’yeux qui faisait dire, dans lequartier, « C’est un bon ménage, » il luidemanda :

– Ça t’a paru court, ta sortie ?… Ilest venu du client, comme tu vois ; je l’ai servi à ta place…Es-tu mieux, au moins, après ta promenade ?… Non ?… Tum’en veux encore ?… Nous irons ce soir au théâtre,dis ?…

Le bruit d’un sou frappant le marbreinterrompit ce commencement de plaidoyer. Bastien Laray, comme s’ilavait donné un ordre, répondit tout haut :

– Voyez au 15 !

Et il alla lui-même recevoir le prix d’unverre de bière.

La jeune femme monta les deux marches quiconduisaient à l’estrade. Et les clients qui la connaissaientl’observèrent, les autres aussi, moins longtemps. Le jour se traînaet finit dans la brume. Les chevaux, devant la porte, glissaientcomme par temps de neige. La fumée, rabattue par le vent, plongeaiten tourbillons dilués et reconnaissables, jusqu’à la hauteur desvitres, et c’était elle que regardait Donatienne, quand ellerelevait la tête de dessus son livre de comptes.

Elle se disait : « Ce n’est pas celaque j’aurais dû lui dire, à ce maçon de la Creuse qui est venu cematin. J’aurais dû le questionner davantage… Où le retrouver àprésent ? » Le trouble et le tourment s’étaient mis dansson cœur. Comment n’avait-elle pas insisté, pour avoir le nom duvillage où habitait Joël ou d’un village voisin ? Elle auraitécrit aux enfants. La surprise, l’émotion, la rapide désillusionl’avaient empêchée de faire ce qu’il aurait fallu… Mais non… Est-cequ’elle pouvait écrire aux enfants ? Qu’aurait-elle dit ?Quelle excuse pour les avoir abandonnés ? Et s’ils vivaient,si c’étaient là Noémi et Joël, n’auraient-ils pas eu la tentation,ou l’ordre de lui répondre durement, comme à une mèreindigne ?… Oh ! non, pas de lettres. C’était bien commecela, tout compte fait… Mais il fallait attendre,… des mois… Etaprès, quand elle aurait beaucoup souffert de cette attente,qu’apprendrait-elle ? Peut-être rien !… Cet hommen’était-il pas un imposteur ? un mauvais plaisant envoyé parquelqu’un qui savait qu’elle avait été mariée, et qui voulait luifaire avouer le crime de sa vie ?… Cependant, il avait l’airtrès simple… Il n’avait ri à aucun moment… Il semblait même unbrave homme, sauf peut-être cette audace qu’ils ont avec les femmescomme elle, un peu jeunes, et jolies encore.

Lasse infiniment, elle songeait :« Je voudrais que cela fût vrai, dussé-je être privée d’euxtoujours ; je voudrais savoir qu’ils vivent, qu’ils sontbeaux, et où ils sont… »

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