Histoire d’un casse-noisette

Histoire de la noisette Krakatuk et de laprincesse Pirlipate

Comment naquit la princesse Pirlipate, etquelle grande joie cette naissance donna à ses illustresparents.

Il y avait, dans les environs de Nuremberg, unpetit royaume qui n’était ni la Prusse, ni la Pologne, ni laBavière, ni le Palatinat, et qui était gouverné par un roi.

La femme de ce roi, qui, par conséquent, setrouvait être une reine, mit un jour au monde une petite fille, quise trouva, par conséquent, princesse de naissance, et qui reçut lenom gracieux et distingué de Pirlipate.

On fit aussitôt prévenir le roi de cet heureuxévénement. Il accourut tout essoufflé, et, en voyant cette joliepetite fille couchée dans son berceau, la satisfaction qu’ilressentit d’être père d’une si charmante enfant le poussa tellementhors de lui, qu’il jeta d’abord de grands cris de joie, puis seprit à danser en rond, puis enfin à sauter à cloche-pied, endisant :

– Ah ! grand Dieu ! vous qui voyeztous les jours les anges, avez-vous jamais rien vu de plus beau quema Pirlipatine ?

Alors, comme, derrière le roi, étaient entrésles ministres, les généraux, les grands officiers, les présidents,les conseillers et les juges ; tous, voyant le roi danser àcloche-pied, se mirent à danser comme le roi, en disant :

– Non, non, jamais, sire, non, non, jamais, iln’y a rien eu de si beau au monde que votre Pirlipatine.

Et, en effet, ce qui vous surprendra fort, meschers enfants, c’est qu’il n’y avait dans cette réponse aucuneflatterie ; car, effectivement, depuis la création du monde,il n’était pas né un plus bel enfant que la princesse Pirlipate. Sapetite figure semblait tissue de délicats flocons de soie, rosescomme les roses, et blancs comme les lis. Ses yeux étaient du plusétincelant azur, et rien n’était plus charmant que de voir les filsd’or de sa chevelure se réunir en boucles mignonnes, brillantes etfrisées sur ses épaules, blanches comme l’albâtre. Ajoutez à celaque Pirlipate avait apporté, en venant au monde, deux rangées depetites dents, ou plutôt de véritables perles, avec lesquelles,deux heures après sa naissance, elle mordit si vigoureusement ledoigt du grand chancelier, qui, ayant la vue basse, avait voulu laregarder de trop près, que, quoiqu’il appartînt à l’école desstoïques, il s’écria, disent les uns :

– Ah diantre !

Tandis que d’autres soutiennent, en l’honneurde la philosophie, qu’il dit seulement :

– Aïe ! aïe ! aïe !

Au reste, aujourd’hui encore, les voix sontpartagées sur cette grande question, aucun des deux partis n’ayantvoulu céder. Et la seule chose sur laquelle lesdiantristes et les aïstes soient demeurésd’accord, le seul fait qui soit resté incontestable, c’est que laprincesse Pirlipate mordit le grand chancelier au doigt. Le paysapprit dès lors qu’il y avait autant d’esprit qu’il se trouvait debeauté dans le charmant petit corps de Pirlipatine.

Tout le monde était donc heureux dans ceroyaume favorisé des cieux. La reine seule était extrêmementinquiète et troublée, sans que personne sût pourquoi. Mais ce quifrappa surtout les esprits, c’est le soin avec lequel cette mèrecraintive faisait garder le berceau de son enfant. En effet, toutesles portes étaient non-seulement occupées par les trabans de lagarde, mais encore, outre les deux gardiennes qui se tenaienttoujours près de la princesse, il y en avait encore six autres quel’on faisait asseoir autour du berceau, et qui se relayaient toutesles nuits. Mais, surtout, ce qui excitait au plus haut degré lacuriosité, ce que personne ne pouvait comprendre, c’est pourquoichacune de ces six gardiennes était obligée de tenir un chat surses genoux, et de le gratter toute la nuit afin qu’il ne cessâtpoint de ruminer.

Je suis convaincu, mes chers enfants, que vousêtes aussi curieux que les habitants de ce petit royaume sans nom,de savoir pourquoi ces six gardiennes étaient obligées de tenir unchat sur leurs genoux, et de le gratter sans cesse pour qu’il necessât point de ruminer un seul instant ; mais, comme vouschercheriez inutilement le mot de cette énigme, je vais vous ledire, afin de vous épargner le mal de tête qui ne pourrait manquerde résulter pour vous d’une pareille application.

Il arriva, un jour, qu’une demi-douzaine desouverains des mieux couronnés se donnèrent le mot pour faire enmême temps une visite au père futur de notre héroïne ; car, àcette époque, la princesse Pirlipate n’était pas encore née ;ils étaient accompagnés de princes royaux, de grands-ducshéréditaires et de prétendants des plus agréables. Ce fut uneoccasion, pour le roi qu’ils visitaient, et qui était un monarquedes plus magnifiques, de faire une large percée à son trésor et dedonner force tournois, carrousels et comédies. Mais ce ne fut pasle tout. Après avoir appris, par le surintendant des cuisinesroyales, que l’astronome de la cour avait annoncé que le tempsd’abattre les porcs était arrivé, et que la conjonction des astresannonçait que l’année serait favorable à la charcuterie, il ordonnade faire une grande tuerie de pourceaux dans ses basses-cours, et,montant dans son carrosse, il alla en personne prier, les uns aprèsles autres, tous les rois et tous les princes résidant pour lemoment dans sa capitale, de venir manger la soupe avec lui, voulantse ménager le plaisir de leur surprise à la vue du magnifique repasqu’il comptait leur donner ; puis, en rentrant chez lui, il sefit annoncer chez la reine, et, s’approchant d’elle, il lui ditd’un ton câlin, avec lequel il avait l’habitude de lui faire fairetout ce qu’il voulait :

– Bien, chère amie, tu n’as pas oublié,n’est-ce pas, à quel point j’aime le boudin ? n’est-ce pas, tune l’as pas oublié ?

La reine comprit, du premier mot, ce que leroi voulait dire. En effet, Sa Majesté entendait tout simplement,par ces paroles insidieuses, qu’elle eût à se livrer, comme ellel’avait fait maintes fois, à la très-utile occupation deconfectionner de ses mains royales la plus grande quantité possiblede saucisses, d’andouilles et de boudins. Elle sourit donc à cetteproposition de son mari ; car, quoique exerçant forthonorablement la profession de reine, elle était moins sensible auxcompliments qu’on lui faisait sur la dignité avec laquelle elleportait le sceptre et la couronne, que sur l’habileté avec laquelleelle faisait un pouding ou confectionnait un baba. Elle se contentadonc de faire une gracieuse révérence à son époux, en lui disantqu’elle était sa servante pour lui faire du boudin, comme pourtoute autre chose.

Aussitôt le grand trésorier dut livrer auxcuisines royales le chaudron gigantesque en vermeil et les grandescasseroles d’argent destinés à faire le boudin et les saucisses. Onalluma un immense feu de bois de sandal. La reine mit son tablierde cuisine de damas blanc, et bientôt les plus doux parfumss’échappèrent du chaudron. Cette délicieuse odeur se répanditaussitôt dans les corridors, pénétra rapidement dans toutes leschambres, et parvint enfin jusqu’à la salle du trône, où le roitenait son conseil. Le roi était fin gourmet ; aussi cetteodeur lui fit-elle une vive impression de plaisir. Cependant, commec’était un prince grave et qui avait la réputation d’être maître delui, il résista quelque temps au sentiment d’attraction qui lepoussait vers la cuisine ; mais enfin, quel que fût son empiresur ses passions, il lui fallut céder au ravissement inexprimablequ’il éprouvait.

– Messieurs, s’écria-t-il en se levant, avecvotre permission, je reviens dans un instant ;attendez-moi.

Et, à travers les chambres et les corridors,il prit sa course vers la cuisine, serra la reine entre ses bras,remua le contenu du chaudron avec son sceptre d’or, y goûta du boutde la langue, et, l’esprit plus tranquille, il retourna au conseilet reprit, quoique un peu distrait, la question où il l’avaitlaissée.

Il avait quitté la cuisine juste au momentimportant où le lard, découpé par morceaux, allait être rôti surdes grils d’argent ; la reine, encouragée par ses éloges, selivrait à cette importante occupation, et les premières gouttes degraisse tombaient en chantant sur les charbons, lorsqu’une petitevoix chevrotante se fit entendre qui disait :

– Ma sœur, offre-moi donc une bribe de lard ;

Car, étant reine aussi, je veux faire ripaille :

Et, mangeant rarement quelque chose qui vaille,

De ce friand rôti je désire ma part.

La reine reconnut aussitôt la voix qui luiparlait ainsi : c’était celle de dame Souriçonne.

Dame Souriçonne habitait depuis longues annéesle palais. Elle prétendait être alliée à la famille royale, etreine elle-même du royaume souriquois ; c’est pourquoi elletenait, sous l’âtre de la cuisine, une cour fort considérable.

La reine était une bonne et fort douce femmequi, tout en se refusant à reconnaître tout haut dame Souriçonnecomme reine et comme sœur, avait tout bas pour elle une fouled’égards et de complaisances qui lui avaient souvent fait reprocherpar son mari, plus aristocrate qu’elle, la tendance qu’elle avait àdéroger ; or, comme on le comprend bien, dans cettecirconstance solennelle, elle ne voulut point refuser à sa jeuneamie ce qu’elle demandait, et lui dit :

– Avancez, dame Souriçonne, avancez hardiment,et venez, je vous y autorise, goûter mon lard tant que vousvoudrez.

Aussitôt dame Souriçonne apparut gaie etfrétillante, et, sautant sur le foyer, saisit adroitement avec sapetite patte les morceaux de lard que la reine lui tendait les unsaprès les autres.

Mais voilà que, attirés par les petits cris deplaisir que poussait leur reine, et surtout par l’odeur succulenteque répandait le lard grillé, arrivèrent, frétillant et sautillantaussi, d’abord les sept fils de dame Souriçonne, puis ses parents,puis ses alliés, tous fort mauvais coquins, effroyablement portéssur leur bouche, et qui s’en donnèrent sur le lard de telle façon,que la reine fut obligée, si hospitalière qu’elle fût, de leurfaire observer que, s’ils allaient de ce train-là, il ne luiresterait plus de lard pour ses boudins. Mais, quelque juste quefût cette réclamation, les sept fils de dame Souriçonne n’entinrent compte, et, donnant le mauvais exemple à leurs parents et àleurs alliés, ils se ruèrent, malgré les représentations de leurmère et de leur reine, sur le lard de leur tante, qui allaitdisparaître entièrement, lorsque, aux cris de la reine, qui nepouvait plus venir à bout de chasser ses hôtes importuns, accourutla surintendante, laquelle appela le chef des cuisines, lequelappela le chef des marmitons, lesquels accoururent armés devergettes, d’éventails et de balais, et parvinrent à faire rentrersous l’âtre tout le peuple souriquois. Mais la victoire, quoiquecomplète, était trop tardive ; à peine restait-il le quart dulard nécessaire à la confection des andouilles, des saucisses etdes boudins, lequel reliquat fut, d’après les indications dumathématicien du roi, qu’on avait envoyé chercher en toute hâte,scientifiquement réparti entre le grand chaudron à boudins et lesdeux grandes casseroles à andouilles et à saucisses.

Une demi-heure après cet événement, le canonretentit, les clairons et les trompettes sonnèrent, et l’on vitarriver tous les potentats, tous les princes royaux, tous les ducshéréditaires et tous les prétendants qui étaient dans le pays,vêtus de leurs plus magnifiques habits ; les uns traînés dansdes carrosses de cristal, les autres montés sur leurs chevaux deparade. Le roi les attendait sur le perron du palais, et les reçutavec la plus aimable courtoisie et la plus gracieusecordialité ; puis, les ayant conduits dans la salle à manger,il s’assit au haut bout en sa qualité de seigneur suzerain, ayantla couronne sur la tête et le sceptre à la main, invitant lesautres monarques à prendre chacun la place que lui assignait sonrang parmi les têtes couronnées, les princes royaux, les ducshéréditaires ou les prétendants.

La table était somptueusement servie, et toutalla bien pendant le potage et le relevé. Mais, au service desandouilles, on remarqua que le prince paraissait agité ; àcelui des saucisses, il pâlit considérablement ; enfin, àcelui des boudins, il leva les yeux au ciel, des soupirss’échappèrent de sa poitrine, une douleur terrible parut déchirerson âme ; enfin il se renversa sur le dos de son fauteuil,couvrit son visage de ses deux mains, se désespérant et sanglotantd’une façon si lamentable, que chacun se leva de sa place etl’entoura avec la plus vive inquiétude. En effet, la criseparaissait des plus graves : le chirurgien de la courcherchait inutilement le pouls du malheureux monarque, quiparaissait être sous le poids de la plus profonde, de la plusaffreuse et de la plus inouïe des calamités. Enfin, après que lesremèdes les plus violents, pour le faire revenir à lui, eurent étéemployés, tels que plumes brûlées, sels anglais et clefs dans ledos, le roi parut reprendre quelque peu ses esprits, entr’ouvritses yeux éteints, et, d’une voix si faible, qu’à peine si on putl’entendre, il balbutia ce peu de mots :

– Pas assez de lard ! …

À ces paroles, ce fut à la reine de pâlir àson tour. Elle se précipita à ses genoux, s’écriant d’une voixentrecoupée par ses sanglots :

– Ô mon malheureux, infortuné et royalépoux ! Quel chagrin ne vous ai-je pas causé pour n’avoir pasécouté les remontrances que vous m’avez déjà faites sisouvent ; mais vous voyez la coupable à vos genoux, et vouspouvez la punir aussi durement qu’il vous conviendra.

– Qu’est-ce à dire ? demanda leroi ; et que s’est-il donc passé qu’on ne m’a pasdit ?

– Hélas ! hélas ! répondit la reine,à qui son mari n’avait jamais parlé si rudement ; hélas !c’est dame Souriçonne, avec ses sept fils, avec ses neveux, sescousins et ses alliés qui a dévoré tout le lard !

Mais la reine n’en put dire davantage :les forces lui manquèrent, elle tomba à la renverse, ets’évanouit.

Alors le roi se leva furieux, et s’écria d’unevoix terrible :

– Madame la surintendante, que signifiecela ?

Alors la surintendante raconta ce qu’ellesavait, c’est-à-dire que, accourue aux cris de la reine, elle avaitvu Sa Majesté aux prises avec toute la famille de dame Souriçonne,et qu’alors, à son tour, elle avait appelé le chef, qui, avecl’aide de ses marmitons, était parvenu à faire rentrer tous lespillards sous l’âtre.

Aussitôt le roi, voyant qu’il s’agissait d’uncrime de lèse-majesté, rappela toute sa dignité et tout son calme,ordonnant, vu l’énormité du forfait, que son conseil intime fûtrassemblé à l’instant même, et que l’affaire fut exposée à ses plushabiles conseillers.

En conséquence, le conseil fut réuni, et l’ony décida, à la majorité des voix, que dame Souriçonne étant accuséed’avoir mangé le lard destiné aux saucisses, aux boudins et auxandouilles du roi, son procès lui serait fait, et que, si elleétait coupable, elle serait à tout jamais exilée du royaume, elleet sa race, et que ce qu’elle y possédait de biens, terres,châteaux, pâlans, résidences royales, tout serait confisqué.

Mais alors le roi fit observer à son conseilintime et à ses habiles conseillers que, pendant le temps quedurerait le procès, dame Souriçonne et sa famille auraient tout letemps de manger son lard, ce qui l’exposerait à des avaniespareilles à celle qu’il venait de subir en présence de six têtescouronnées, sans compter les princes royaux, les ducs héréditaireset les prétendants : il demandait donc qu’un pouvoirdiscrétionnaire lui fût accordé à l’égard de dame Souriçonne et desa famille.

Le conseil alla aux voix pour la forme, commeon le pense bien, et le pouvoir discrétionnaire que demandait leroi lui fut accordé.

Alors il envoya une de ses meilleuresvoitures, précédée d’un courrier pour faire plus grande diligence,à un très-habile mécanicien qui demeurait dans la ville deNuremberg, et qui s’appelait Christian-Élias Drosselmayer, invitantle susdit mécanicien à le venir trouver à l’instant même dans sonpalais, pour affaire urgente. Christian-Élias Drosselmayer obéitaussitôt ; car c’était un homme véritablement artiste, qui nedoutait pas qu’un roi aussi renommé ne l’envoyât chercher pour luiconfectionner quelque chef-d’œuvre. Et, étant monté en voiture, ilcourut jour et nuit jusqu’à ce qu’il fût en présence du roi. Ils’était même tellement pressé, qu’il n’avait pas eu le temps de semettre un habit, et qu’il était venu avec la redingote jaune qu’ilportait habituellement. Mais, au lieu de se fâcher de cet oubli del’étiquette, le roi lui en sut gré ; car, s’il avait commisune faute, l’illustre mécanicien l’avait commise pour obéir sansretard aux commandements de Sa Majesté.

Le roi fit entrer Christian-Élias Drosselmayerdans son cabinet, et lui exposa la situation des choses ;comment il était décidé à faire un grand exemple en purgeant toutson royaume de la race souriquoise, et comment, prévenu par sagrande renommée, il avait jeté les yeux sur lui pour le fairel’exécuteur de sa justice ; n’ayant qu’une crainte, c’est quele mécanicien, si habile qu’il fût, ne vit des difficultésinsurmontables au projet que la colère royale avait conçu.

Mais Christian-Élias Drosselmayer rassura leroi, et lui promit que, avant huit jours, il ne resterait pas unesouris dans tout le royaume.

En effet, le même jour, il se mit àconfectionner d’ingénieuses petites boîtes oblongues, dansl’intérieur desquelles il attacha, au bout d’un fil de fer, unmorceau de lard. En tirant le lard, le voleur, quel qu’il fût,faisait tomber la porte derrière lui, et se trouvait prisonnier. Enmoins d’une semaine, cent boîtes pareilles étaient confectionnéeset placées non-seulement sous l’âtre, mais dans tous les grenierset dans toutes les caves du palais.

Dame Souriçonne était infiniment trop sage ettrop pénétrante, pour ne pas découvrir du premier coup d’œil laruse de maître Drosselmayer. Elle rassembla donc ses sept fils,leurs neveux et ses cousins, pour les prévenir du guet-apens qu’ontramait contre eux. Mais, après avoir eu l’air de l’écouter à causedu respect qu’ils devaient à son rang et de la condescendance quecommandait son âge, ils se retirèrent en riant de ses terreurs, et,attirés par l’odeur du lard rôti, plus forte que toutes lesreprésentations qu’on leur pouvait faire, ils se résolurent àprofiter de la bonne aubaine qui leur arrivait sans qu’ils sussentd’où.

Au bout de vingt-quatre heures, les sept filsde dame Souriçonne, dix-huit de ses neveux, cinquante de sescousins, et deux cent trente-cinq de ses parents à différentsdegrés, sans compter des milliers de ses sujets, étaient pris dansles souricières, et avaient été honteusement exécutés.

Alors dame Souriçonne, avec les débris de sacour et les restes de son peuple, résolut d’abandonner ces lieuxensanglantés par le massacre des siens. Le bruit de cetterésolution transpira et parvint jusqu’au roi. Sa Majesté s’enfélicita tout haut, et les poëtes de la cour firent force sonnetssur sa victoire, tandis que les courtisans l’égalaient à Sésostris,à Alexandre et à César.

La reine seule était triste et inquiète ;elle connaissait dame Souriçonne, et elle se doutait bien qu’ellene laisserait pas la mort de ses fils et de ses proches sansvengeance. En effet, an moment où la reine, pour faire oublier auroi la faute qu’elle avait commise, préparait pour lui, de sespropres mains, une purée de foie dont il était fort friand, dameSouriçonne parut tout à coup devant elle, et lui dit :

– Tués par ton époux, sans crainte ni remords,

Mes enfants, mes neveux et mes cousins sontmorts ;

Mais tremble, madame la reine !

Que l’enfant qu’en ton sein tu portes en ce jour,

Et qui sera bientôt l’objet de ton amour,

Soit déjà celui de ma haine.

Ton époux a des forts, des canons, des soldats,

Des mécaniciens, des conseillers d’États,

Des ministres, des souricières.

La reine des souris n’a rien de tout cela ;

Mais le ciel lui fit don des dents que tu vois là,

Pour dévorer les héritières.

Là-dessus, elle disparut, et personne nel’avait revue depuis. Mais la reine, qui, en effet, s’était aperçuedepuis quelques jours qu’elle était enceinte, fut si épouvantée decette prédiction, qu’elle laissa tomber la purée de foie dans lefeu.

Ainsi, pour la seconde fois, dame Souriçonnepriva le roi d’un de ses mets favoris ; ce qui le mit fort encolère et le fit s’applaudir encore davantage du coup d’État qu’ilavait si heureusement accompli.

Il va sans dire que Christian-ÉliasDrosselmayer fut renvoyé avec une splendide récompense, et rentratriomphant à Nuremberg.

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