XI
Il m’avait saisi par la main,m’entraînant.
Je ne lui résistai pas, estimant qu’en cessortes de crises la contradiction est inutile et périlleuse à lafois.
Nous étions arrivés à la porte du cabinet,jusque-là toujours clos ; posant les doigts sur laclef :
– Écoute, me dit-il à voix basse et avecune extrême volubilité, pour toi, mais pour toi seul, je vaiscommettre un sacrilège ; je violerai le sublime secret, maisElle l’a permis. Surtout pas un mot. Retiens ton souffle etregarde.
Nous étions entrés en pleine obscurité. Audehors maintenant, la nuit était profonde ; pas un rayon nefiltrait à travers les épais rideaux. De longue date sans doute sesyeux étaient habitués à ces ténèbres, car sans hésitation il meconduisit au fond de la pièce et me poussa dans un fauteuil.
S’étonnera-t-on que je fusse saisi d’uneangoisse profonde ? Ainsi les Latins appelaienthorror l’émotion qui étreignait la poitrine du néophyte auseuil du bois sacré.
Je n’osais pas faire un mouvement : lebuste en avant, la tête chaude, j’attendais, dans une agonied’anxiété.
Je ne voyais pas Paul, mais peu à peu jepercevais le bruit grandissant de sa respiration ou plutôt de longssoupirs qui brusquement s’arrêtaient, pour quelques secondes aprèss’achever en une expiration profonde.
Je ne mesurais pas le temps, mais ces pausesme semblaient interminables…
Alors, d’un des points de la pièce – je visbientôt que Paul se trouvait là, sur un canapé – s’épanouit unelueur blanchâtre que je compare à la fumée très tenue d’un cigare.Cette buée condensée en un filet s’agitait indécise, tendant àmonter.
Puis elle s’élargit, s’étendit, montant encoreen un jet plus fort. Très lentement elle tournoyait sur elle-même,se multipliant maintenant d’autres poussées de buées qui venaientse fondre en elle, formant un nuage dont les particulesparaissaient animées d’un mouvement d’une intensitévertigineuse.
De ce tourbillon de molécules se dégageait unelueur faible, mais cependant suffisante pour que je visse mon amidans la position que j’ai dite, la tête appuyée sur un coussin, lesyeux fermés, comme dormant, si pâle ! d’une blancheurlunaire !
La buée se condensait : la giration quil’agitait se faisait plus lente, elle se figeait pour ainsi dire,et, peu à peu, une forme se précisait, des contours sedélinéaient : cela devenait une image d’abord très vague, d’unpastel très effacé.
À mesure que cette précision s’accentuait, dela poitrine de Paul des soupirs plus forts s’échappaient, presquedes gémissements, et la forme toujours plus nette – c’étaitclairement celle d’une femme – ondulait exactement à l’unisson desinspirations et des expirations. À chacun de ses mouvements, elleprenait plus de solidité, si je puis dire, comme si ce souffle eûtété une nourriture vitale.
Entre lui et elle courait un filet de vapeurqui paraissait avoir sa racine dans la poitrine du dormeur.
Et ce fut alors que je compris ce qu’il avaitvoulu expliquer… Elle naissait de son cœur !
Oui, c’était bien de son cœur que s’exhalait,que s’extériorisait cette forme qui prenait une vitalité… qui,d’abord spectrale, peu à peu revêtait toutes les apparences –dois-je dire les apparences ? – de la vie !
Étais-je fou moi-même quand à présent jereconnaissais Virginie, la pure et chère enfant, non pas un fantômeplus sinistre que le cadavre lui-même, mais un être qui avait unregard, qui respirait, qui avait tous les attributs del’existence ?… Non, je ne puis me mentir à moi-même, c’étaitbien elle, ressuscitée, revenue de ce monde d’où nul – croyait-on –jamais ne pouvait revenir, Virginie, l’adorée, revivifiée parl’amour.
Oui, miracle de l’amour en satoute-puissance : elle revivait de celui qui l’avait conservéeen lui et qui, par un sublime don de lui-même, restituait, animait,vitalisait la tant aimée qu’il portait toujours vivante au dedansde lui-même !
Il avait maintenant les yeux tout grandsouverts et les tenait ardemment fixés sur ses yeux à elle, ces yeuxdont je reconnaissais la teinte bleutée, avec des paillettesd’argent bruni.
Je m’étais dressé à demi, désireux dem’approcher, n’osant pas.
Il me fit un signe, et je compris qu’ilm’appelait : il me désignait un flacon qui se trouvait sur uneconsole. Je le pris et l’ouvris. L’éthylique parfum de l’éther serépandit, et je constatai, à ma grande surprise, que sous leseffluves de l’odorante substance l’apparente vitalité du fantômeplus encore s’affirmait.
La jeune femme s’était agenouillée auprès dePaul, et ses mains se mêlaient aux siennes. Se parlaient-ils ?Je n’entendais pas de mots, et pourtant je devinais qu’ils sedisaient silencieusement des choses exquises.
Comment se fit-il que je me trouvai moi aussiagenouillé auprès d’eux et que Paul souriant mit ma main dans cellede Virginie ? Elle me regardait de cet air d’entente qui estle renouement des anciennes amitiés, et je sentais dans ma main sespetits doigts si souples qui répondaient à ma discrèteétreinte.
Et aussi – Paul m’y avait autorisé sans doute– je posai ma main sur son cœur, et ce cœur battait.
