La Guerre des vampires

Chapitre 7UNE MÉDICATION ÉNERGIQUE

 

La pâleur mélancolique d’une aube pluvieuseéclairait les désastres de la veille ; dans la forêt, maintsarbres avaient été rompus ou déracinés, le sol raviné roulait destorrents d’eau rougie par les argiles couleur de sang, et tout lemajestueux paysage disparaissait, comme derrière un voile, sous lesblêmes hachures d’une averse lente qui semblait ne devoir jamaisfinir.

À la villa, les serviteurs étaient revenus unà un remis de leur panique, quoique persuadés au fond que c’étaientles « sorciers » que protégeait leur maîtresse dont lesmaléfices avaient attiré le feu du ciel, creusé l’abîme géant quel’on voyait à la place du beau laboratoire aux parois decristal.

Par les soins de Mr. Frymcock, les corpsatrocement défigurés du capitaine Wad et de l’ingénieur Bolenskiavaient été déposés dans une salle transformée en chapelle ardenteen attendant que fussent célébrées de solennelles funérailles.

Tout semblait revenu à l’ordre accoutumé,seulement il avait été interdit à tous les serviteurs de pénétrerdans la chambre qui avait été celle du capitaine Wad, sous quelqueprétexte que ce fût.

Là, le mystérieux drame se continuait avec depoignantes péripéties.

C’est là qu’avait été transporté le corps deRobert Darvel.

En constatant que l’ingénieur offrait tous lessignes que l’on s’est habitué à regarder comme ceux d’une mortcertaine, Ralph Pitcher et miss Alberte elle-même ne s’étaient pasd’abord découragés.

Ils avaient même rassuré Georges ; ilslui avaient expliqué que ces apparences de mort étaient loin deprésenter une certitude ; ils lui avaient raconté les prodigesdont ils avaient été témoins aux Indes, les sommeils et lesrésurrections inouïes des yoghis du monastère de Chelambrum.

Georges s’était repris à espérer ;Alberte, revenue de son évanouissement, s’était elle-même occupéede toutes les dispositions nécessaires.

Robert avait été déposé sur le lit etenveloppé de couvertures brûlantes. On avait usé pour le rappeler àla vie de tous les révulsifs possibles, on l’avait énergiquementfrictionné, on lui avait appliqué de corrosifs sinapismes sur laplante des pieds on avait même réussi à lui faire absorber, àl’aide d’une sonde, quelques gouttes d’un cordial puissant.

Tout avait été inutile.

Le jour se levait et Robert Darvel n’avait pasdonné le plus léger symptôme de sensibilité.

Le découragement se glissait dans lesâmes.

– Vous voyez bien, murmura Georges Darvelavec une infinie tristesse, mon frère est mort !

– Ne dites pas cela, répliqua missAlberte, ayez un peu plus de confiance dans notre dévouement etdans le génie de votre frère.

« Sans doute, l’heure qu’il a calculéepour son retour à la vie n’est-elle pas encore venue.

« Ne désespérons pas, soyonspatients…

Mais la jeune fille avait prononcé ces motsavec une sorte de lassitude. On sentait qu’elle-même n’avait plusla même foi dans le triomphe, le même enthousiasme superbe qui, peud’heures auparavant, galvanisait le scepticisme de Pitcher,réchauffait la tristesse accablée de Georges.

C’était maintenant lui, Pitcher, qui montraitle plus d’ardeur, on eût dit que l’inutilité de ses tentatives nefaisait que lui inspirer plus de zèle.

– Goddam ! s’écria-t-il, ilfaut, miss Alberte, que vous envoyiez l’automobile à Tunis ou àBizerte…

– Pourquoi cela ?

– Pour ramener le meilleur chirurgien quise pourra trouver.

« Il y a une opération à tenter, uneopération désespérée, mais qui réussit dix fois sur cent. Ditesvite…

– Le massage du cœur… Dame, c’est trèsaudacieux, comme je vous le disais, cela réussit dix fois sur cent,et beaucoup de praticiens ne voudraient pas s’y risquer…L’opérateur sectionne les muscles de la poitrine, il scie deuxcôtes et ouvre un « volet » dans le sternum.

« Le cœur, une fois à nu, il le prend, lecomprime, essaye de le remettre en mouvement, comme on met enbranle le balancier d’une horloge arrêtée…

– Oui, sans doute, fit Georges Darvelavec un imperceptible haussement d’épaules, j’ai lu cela aussi,quelque part ; mais cette opération, la plus hasardeuse quisoit, n’a jamais été tentée que sur des sujets dont le cœur avaitcessé de battre depuis très peu de temps. Le cas n’est pas lemême…

– Il n’importe, fit Alberte, il est denotre devoir de rien négliger.

Déjà elle s’était penchée vers le transmetteurdu téléphone d’appartement et donnait des ordres.

– Voilà qui est fait, dit-elle au boutd’un instant, l’auto va partir dans dix minutes et sera de retour àmidi avec le chirurgien de l’hôpital de Bizerte…

– Et pourtant, objecta encore GeorgesDarvel, si mon frère n’avait fixé son réveil qu’à une date pluséloignée, comme le rapportait tout à l’heure monsieur Pitcher, neserait-ce pas une monstruosité de le disséquer ainsi toutvivant ?

– Sans doute, répondit missAlberte ; mais le docteur nous donnera peut-être quelque bonneidée.

– Je vous demande mille pardons, miss,interrompit Frymcock jusqu’alors immobile et silencieux dans soncoin ; mais en attendant l’arrivée du docteur qui peut tarder,il y a certains moyens que l’on pourrait employer et auxquels nousn’avons pas eu recours jusqu’ici.

« Par exemple l’application d’un courantélectrique, les piqûres d’éther dont on a quelquefois obtenu desurprenants résultats.

Pitcher avait bondi.

– L’électricité ! s’écria-t-il.Comment n’ai-je pas pensé à cela ?

« Heureusement que nous disposons d’uncourant…

Il s’était précipité hors de la chambre, ilrevint aussitôt muni des instruments nécessaires ; après avoirpratiqué une légère incision à l’épaule et au genou de RobertDarvel, il y appliqua l’extrémité de deux conducteurs et lança lecourant.

L’effet fut instantané, les jambes et les brasse détendirent, les yeux s’ouvrirent. Le corps avait maintenantquitté son attitude de momie pour s’allonger horizontalement sur lelit.

– Je savais bien ! s’écria Pitchertriomphalement.

– Cela ne prouve pas grand-chose,répliqua miss Alberte, vous savez comme moi que le courantélectrique imprime aux cadavres de pareils mouvements… Les musclesont remué, il est vrai, mais la froideur et la rigidité subsistent,les yeux sont fixes et le cœur…

– Attendez un peu, miss, s’écriafougueusement le naturaliste, je vais appliquer maintenant uncourant extrêmement faible et lent, pendant un certain temps, puisje ferai une piqûre d’éther.

Tous s’étaient approchés, n’ayant plus grandespoir, mais anxieux quand même.

L’effet du courant parut d’abord à peineappréciable.

Cependant Pitcher, optimiste quand même, fitremarquer que les muscles et les jointures avaient graduellementperdu de leur rigidité.

L’application fut continuée et eut pourrésultat d’amener une détente sensible des muscles du visage, lecorps entier avait repris une certaine souplesse.

– Voici le moment de faire la piqûre, ditle naturaliste, en essayant de surmonter le trouble quil’envahissait.

Pendant qu’il chargeait avec précaution laseringue de Pravaz, tous le regardaient pleins d’angoisse.

Tous connaissaient l’action énergique del’éther qui, injecté dans les veines, galvanise pour quelquesinstants les agonisants eux-mêmes.

Si cette médication était inefficace, ilfallait abandonner toute espérance.

Miss Alberte, les yeux brillants de fièvre,regardait Pitcher qui lentement enfonçait l’aiguille creuse sousl’épiderme de l’avant-bras.

Trois secondes s’écoulèrent au milieu d’uneffrayant silence.

Le corps de pompe de cristal de la minusculeseringue était vide : Robert Darvel demeurait toujoursinsensible.

Miss Alberte, le cœur horriblement serré,échangea avec Georges un regard de détresse.

Tous deux en ce moment auraient donnévolontiers des années de leur vie pour être plus vieux de quelquesminutes.

Enfin le visage de Robert se colora d’uneroseur légère, ses paupières battirent, tout son torse fut agitéd’un faible mouvement, puis il fit un effort pour se dresser surson séant, promena autour de lui un regard inconscient et vide etretomba sur l’oreiller.

– Il vit ! s’écria la jeune filledans l’ivresse de son bonheur.

Pitcher eut un geste pour imposer silence àcette joie exubérante.

– Il vit, sans doute, murmura-t-il à demivoix ; mais le fil qui le rattache à l’existence est si ténuque le moindre choc suffirait pour le rompre. Il n’a même pas eu laforce de se soulever, ses regards demeurent hébétés et vagues.

« Je n’ose faire une seconde piqûre, jene sais s’il sera assez fort pour la supporter…

Les frictions furent recommencées avec plusd’énergie ; mais l’ingénieur demeurait dans un état de stupeurprofonde, comme s’il eût été en catalepsie. Il ne reconnaissaitaucun de ceux qui l’entouraient, et c’est à peine si le faiblebattement des artères montrait que l’étincelle vitale n’était pascomplètement éteinte dans ce corps usé par les fatigues et lespérils.

Ralph Pitcher fronçait les sourcils, hanté parla crainte de voir ce presque agonisant retomber pour n’en plussortir dans son immobilité première.

Tout à coup, il se tourna vers Georges.

– Qu’avez-vous fait, lui demanda-t-il,des débris de la sphère ?

Comme vous me l’aviez dit, je les ai portésdans votre chambre et déposé avec précaution sur des plateaux deporcelaine ou dans des cuves de cristal…

« J’ai même ramassé tous les fragmentsdes tubes de verre rouge plus ou moins endommagés, de façon àrecueillir assez du liquide incolore et visqueux qu’ils contiennentpour pouvoir l’analyser plus tard.

– Bien, allez me chercher tout ce quevous avez de ce liquide.

– Que voulez-vous faire ?

– Je ne sais si mon idée est juste ;mais je suis persuadé que cette liqueur à des propriétés toniques,nutritives, roboratives. Beaucoup de médicaments et même d’alimentss’absorbent par la peau.

– On peut toujours essayer, dit le jeunehomme, après un moment d’hésitation. Je crois comme vous que cesétranges tubes renfermaient les provisions de voyage et peut-êtrel’air respirable que mon frère avait emportés de Mars…

Georges, quelques minutes après, apportait unalcaraza à demi plein de la mystérieuse liqueur.

À l’aide d’une petite éponge, Pitcher commençaà en frictionner le torse du malade et eut bientôt la satisfactionde constater que cette médication produisait le plus heureuxrésultat.

De minute en minute, le visage de l’ingénieurse colorait, en même temps que ses yeux devenaient moins hagards etqu’il recouvrait la faculté du mouvement.

Après une demi-heure de soins, il paraissaitavoir repris conscience de lui-même ; son visage émaciés’éclaira d’un sourire, une expression d’une singulière douceuravait passé dans ses prunelles éteintes.

– Georges !… Miss Alberte !balbutia-t-il d’une voix si faible qu’elle en était commelointaine, et ses regards ne quittèrent pas les deux jeunes genspenchés vers son chevet.

Mais sans doute ce choc moral avait été tropviolent, car au bout de quelques instants ses yeux se fermèrent,son buste se renversa sur les oreillers : il dormait.

– Il est sauvé ! s’écria Pitcher.J’en réponds, ce n’est plus maintenant qu’une question de repos etde bons soins.

Le docteur arrivé de Bizerte peu aprèsconfirma ce diagnostic.

Le malade, en dépit de son amaigrissement,était robuste ; au bout d’une quinzaine il serait complètementremis.

Le docteur manifesta d’ailleurs uneincrédulité polie au récit que lui fit Pitcher des invraisemblablesaventures de Robert Darvel.

Il fallut pour le convaincre de leur réalitélui montrer les débris de la sphère.

Son incrédulité se changea alors en unevéritable stupeur, et il demanda instamment la permissiond’emporter un de ces tubes de verre rouge pour en analyser lecontenu, qu’il déclara à première vue fortement oxygéné.

Ralph Pitcher ne crut pas devoir s’yopposer ; mais ce fut à la condition expresse que le docteurgarderait le plus profond silence sur les événements dont la villaavait été le théâtre.

Dès lors, l’état de Robert Darvel s’améliorarapidement. Il ne pouvait encore articuler que de rares paroles, etavec une extrême fatigue, mais son sommeil était calme et profondet son estomac acceptait sans répugnance les consommés élaborés parles mains savantes de Mr. Frymcock.

La villa reprenait un air de vie etd’animation et, sans la, mort du capitaine Wad et de Bolenski, missAlberte n’eût aperçu aucune ombre à son bonheur.

Seul, Zarouk demeurait sombre, assiégé decontinuelles terreurs, répétant sans cesse que les vampires – lesdjinns comme il continuait à les appeler existaient maintenant engrand nombre autour de la villa.

Il prétendait entendre le bruit de leurs ailesdans le silence de la nuit, comme au milieu des occupationsbruyantes du jour.

Hanté par cette obsession, le malheureux Noirne vivait plus, osait à peine s’aventurer dans le jardin de lavilla.

Il était d’autant plus peiné que personne oupresque ne faisait attention à ses dires.

Le retour de Robert Darvel avait faitdisparaître toute autre préoccupation de l’esprit de ses amis.

D’ailleurs, – et c’était la réponse quePitcher faisait aux éternelles lamentations du Noir – maintenantque l’explorateur des planètes était revenu, il saurait bientrouver un moyen de repousser les attaques des invisibles et aubesoin de les capturer.

Le Noir, mal convaincu, hochait la têtemélancoliquement, si épouvanté que, sans son attachement pour missAlberte et pour le naturaliste, il se fût enfui, il eût regagnésans hésiter les lointaines oasis de l’extrême sud où il étaitné.

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