La Guerre des vampires

Chapitre 6UN ÉTRANGE MÉTÉORITE

 

À la lueur des phares de l’automobile, missAlberte Téramond parut à Georges d’une pâleur mortelle, ses yeuxbleus étaient soulignés d’un cercle lilas et ses cheveux d’orsombre en désordre, son costume de voyage moucheté de boue.

Nerveusement, elle avait sauté à terre.

– J’espère, master Pitcher,demanda-t-elle haletante d’angoisse, que tout se borne à des pertesmatérielles !… J’ai vu la lueur de l’incendie… J’ai comprisque la foudre était tombée sur la villa.

Et apercevant Georges, qui s’inclinaittimidement :

– Monsieur Darvel, sans doute ?Soyez le bienvenu… Mais je ne vois pas le capitaine etM. Bolenski ?

Elle avait parlé avec tant de volubilité quePitcher n’avait pas eu le loisir de répondre.

– Miss, balbutia-t-il en tremblant.

– Mais vous êtes atrocement brûlé, monpauvre Pitcher ! continua-t-elle, dans le désarroi de sonémotion, et vous aussi monsieur Darvel !

« Ah ! voici Chérifa et Mr.Frymcock, sains et saufs heureusement.

Puis frappée de la consternation peinte surtous les visages :

– Alors, personne ne veut me donner desnouvelles du capitaine Wad et de M. Bolenski ?

« Parlez, que je sache au moins, que jene reste pas dans cette horrible incertitude.

– Miss, balbutia Pitcher, enraffermissant sa voix, nos deux amis ont péri dans la catastrophe…Telle est la douloureuse vérité !

Il y eut quelques minutes d’un silencepoignant ; la jeune fille demeurait comme pétrifiée par lafatale nouvelle.

Elle ne sortit de cet état d’abattement quepour pleurer à chaudes larmes.

– Mon Dieu ! murmura-t-elle ensanglotant, mais c’est terrible ! Songer qu’avec mesmilliards, je ne puis même pas donner la sécurité de l’existence àmes amis les plus chers !

« Qui remplacera jamais leur dévouement,leur science, leur infinie bonté ?

Cependant, il y avait trop de latente énergiedans l’âme de la fille du spéculateur mort de joie pour qu’elledemeurât longtemps plongée dans le désespoir.

La réaction se fit chez elle avec uneextraordinaire promptitude.

En quelques phrases rapides, elle se fitminutieusement expliquer par Pitcher les circonstances du sinistreévénement.

– Peut-être, dit-elle, le capitaine Wadn’est-il que blessé, a-t-il été miraculeusement préservé comme ilarrive si souvent dans ces sortes de catastrophe.

« Il est de notre devoir de tout fairepour le sauver.

« Je ne prendrai aucun repos avant d’êtrefixée sur son sort…

Chérifa s’était avancée vers sa maîtresse dontelle embrassait les mains avec émotion.

– J’étais tellement inquiète,murmura-t-elle, la tempête a dû être terrible en mer !…

– Oui, j’ai bien cru que leConqueror n’atteindrait jamais le port de Tabarka, la merroulait des vagues de flamme, les nuages même semblaientflamber.

« Il y avait de brusques accalmies, puistout à coup une lame de fond haute comme une montagne lançait leyacht à une hauteur vertigineuse…

« Deux hommes ont été emportés par-dessusbord et noyés.

« Les marins ont déclaré qu’ils n’avaientjamais assisté à une si étrange tempête ; jamais le capitaine,qui navigue depuis quarante ans, n’avait vu les terrifiants etinexplicables météores de cette nuit d’horreur.

– Tu sembles épuisée de fatigue, repritChérifa avec insistance ; malgré le désarroi où nous sommes,un souper t’attend…

– Il s’agit bien de cela, s’écria missAlberte avec impatience.

« Je te remercie de ton attention, maisaide-nous plutôt à sauver le capitaine s’il en est encoretemps.

Chérifa ne répliqua pas, elle suivit missAlberte qui déjà s’était élancée vers le laboratoire.

Zarouk avait mis ces quelques minutes à profitpour se procurer des torches, ainsi que des pioches et des pellesqu’il avait prises dans la cabane du jardinier.

Tout en gravissant l’escalier, la jeune filledemanda à Ralph Pitcher à quelle cause il attribuait lacatastrophe.

– Je ne pourrais rien affirmer, réponditle naturaliste encore tout bouleversé, je suppose pourtant quec’est la foudre…

– Cependant le laboratoire était muni deparatonnerres.

– Il y a, vous le savez peut-être, descas où les paratonnerres les plus savamment construits sontinutiles et cela sans qu’on puisse s’expliquer pourquoi…

« Je vous l’ai dit, nous sommes victimesd’un phénomène tout à fait anormal et extraordinaire.

– Mais vous avez parlé d’une boule defeu ?

– La foudre prend très souvent cetteforme… Véritablement, je ne puis rien affirmer.

– Nous, allons être fixés àl’instant.

Passant par l’escalier intérieur, ils étaientarrivés à la porte de l’officine, qui se trouvait immédiatementau-dessous du laboratoire de verre.

Ralph Pitcher ouvrit ; un chaos depoutres rompues, d’appareils brisés, de meubles à demi consumésapparut, l’odeur délétère des gaz qui avaient servi à éteindre lefeu montait en irritantes bouffées.

– Miss, dit encore le naturaliste, voussavez qu’il y a là une bonbonne de picrate ; c’est un vraimiracle qu’elle n’ait pas sauté.

« Le feu peut couver encore. Il suffit duchoc d’un coup de pioche pour déterminer l’explosion… Retirez-vous,je vous en conjure ; il est de la dernière imprudence derisquer votre existence dans ces décombres fumants.

– Vous vous exposez bien, monsieurPitcher, répliqua la jeune fille d’une voix brève. C’est à moiqu’il appartient de donner l’exemple à tous.

– Nous, ce n’est pas la même chose,grommela le naturaliste avec mécontentement. N’est-ce pas notremétier à nous autres, savants, de lutter avec les phénomèneschimiques ou physiques ?

– N’insistez pas davantage, monsieurPitcher, dit-elle d’une voix qui n’admettait pas de réplique. Jeconsidère qu’il est de mon devoir de partager le danger, s’il y ena un…

Pitcher se tut, comprenant que ses effortsétaient inutiles. Il distribua les outils à Georges Darvel, àZarouk et à Frimcock. Miss Alberte et Chérifa s’étaient emparéeschacune d’une torche.

Les lanternes posées à terre achevaientd’éclairer cette scène de désolation. Au centre des ruines, legouffre circulaire ouvrait ses profondeurs béantes d’où émergeaientdes tronçons de poutrelles d’acier pareils aux agrès d’un vaisseaudésemparé.

Avec mille précautions, on commença ledéblaiement ; les poutres et les blocs étaient enlevés etportés sur la terrasse ; les flacons de produits chimiques,dont beaucoup étaient demeurés intacts, étaient placés à part dansun angle isolé.

Les travailleurs poursuivirent cette tâche uneheure entière avec acharnement sans trouver la moindre trace ducapitaine.

Miss Alberte était désespérée ; elle nepouvait s’empêcher d’accabler de questions Ralph Pitcher.

– Comment se fait-il que nous netrouvions rien ? demanda-t-elle. Le capitaine aurait-il étéréduit en cendres par la foudre ?

– Ce n’est pas la foudre, répliqua lenaturaliste, après un moment de réflexion. S’il en était ainsi, lecuivre et l’acier auraient fondu. Au contraire, la section despoutrelles est nette et brillante comme une cassure. Il fautadmettre qu’elle ait cédé sous la pression d’une masseconsidérable…

Tout à coup, il s’interrompit, sa piochevenait de heurter la cuirasse d’osier d’une énorme bonbonne.

– Le picrate ! s’écria-t-il, c’estune vraie chance que je n’ai pas frappé plus fort.

« Je suis encore émerveillé que la villatout entière n’ait pas sauté. Quand on pense qu’il eût suffit d’unsimple heurt pour amener la déflagration.

« Ce gros fragment de la voûte qui esttombé juste au-dessus a formé à la bonbonne une espèce de nicheprotectrice, sa cuirasse d’osier n’a même pas eu uneégratignure.

Le redoutable explosif fut doucement tiré deson alvéole et mis en sûreté sur la terrasse.

Pitcher demeurait perdu dans sesréflexions.

– Je respire, murmura-t-il, c’était toutà l’heure comme si nous avions eu un volcan sous les pieds.

« Le corps de notre pauvre ami ne setrouve pas ici, la masse incandescente à dû l’entraîner dans sachute en effondrant les étages du dessous.

« Nous avons mal combiné nosrecherches ; c’est ma faute aussi.

Ils arrivaient peu à peu à se rendre compte duterrible phénomène.

Le bloc incandescent dont ils nes’expliquaient pas encore la nature avait traversé comme un bouletde canon tombé perpendiculairement tous les étages situésau-dessous du laboratoire.

On descendit dans la pièce inférieure quiétait une salle de bains à la mode arabe, un « hammam »tunisien aux murailles de marbre blanc.

Il n’y avait là que de rares débris ;mais sur le bord du gouffre circulaire qui se creusait dans ledallage de mosaïque Georges Darvel montra silencieusement à missAlberte une longue traînée de sang.

– Descendons encore, murmura tristementla jeune fille.

– Savez-vous, dit tout à coup Pitcher, àquoi je pensais ? Cette catastrophe a d’étranges points derapports avec celle qui amené la mort du vieil Ardavena.

– Qu’en concluez-vous ?

– C’est que nous sommes victimes d’unphénomène atmosphérique assez commun… C’est un simple météore, unbolide, ou si vous aimez mieux une étoile filante de grandedimension qui s’est abattue sur la villa.

– Mais ce bolide ?

– C’est lui qui a creusé le troucirculaire comme un boulet de canon traverse les diverses cloisonsd’une coque de navire.

« Je l’affirme maintenant sans crainte deme tromper ; le bolide est là à nos pieds au fond du trou.

Ces paroles produisirent une profonde émotiondans l’âme de la jeune fille ; elle et Georges Darvel seregardèrent sans oser préciser la pensée qui leur venait à tousdeux.

Sans un mot, tous se hâtèrent vers l’étageinférieur ; il était occupé par d’immenses caves voûtées quiremontaient à l’époque de l’occupation romaine.

Toute cette partie de la Tunisie est, on lesait, couverte de ruines gigantesques datant de cette époque. Lavilla était bâtie sur l’emplacement d’une ancienne forteresse, etl’architecte n’avait eu qu’à utiliser les matériaux tout préparéstrouvés là en abondance.

Les caves demeurées presque intactes avaientété sans nulle peine appropriées à leur nouvelle destination.

Avec leurs lourdes voûtes surbaissées, leurspiliers trapus, faits de gros blocs indestructiblement unis par leciment romain, c’étaient plutôt des cryptes que des caves.

C’est à l’une des extrémités de ce souterrainqu’avait été installée la machine à vapeur qui actionnait lesdynamos indispensables à l’éclairage, au chauffage et aux autresservices électriques de la villa.

Mais le foyer du générateur s’éteignait, lechauffeur et le mécanicien s’étaient enfuis pris d’une panique,s’imaginant sans doute que la villa s’écroulait sur eux. C’étaitencore un hasard que le bolide ne les eût pas tués en écrasant lamachine.

Il était en effet tombé à quelques mètresseulement.

– J’en étais sûr, s’écria Pitcher, enbrandissant sa torche frénétiquement, c’est bien un bolide !Et un bolide sphérique ! Le voici, à moitié enfoncé dans lesol…

Tous se précipitèrent. La lueur des torchesmontra un globe d’environ trois mètres de diamètre qu’on eût dittaillé dans une sorte de granit à demi vitrifié, à la surface dureet grenue, toute scintillante de mica.

Une buée épaisse flottait tout autour.Frymcock, qui s’était élancé des premiers, se rejeta tout à coup enarrière en poussant un cri de douleur.

Il avait imprudemment porté la main sur lemétéore encore incandescent et il s’était gravement brûlé la paumede l’extrémité des doigts.

– By Jove ! s’écria-t-ilavec une grimace, c’est aussi chaud que du fer rouge !

– Le capitaine est là-dessous, fitPitcher douloureusement.

– Qui sait ? murmura miss Alberte.Tant que nous n’aurons pas retrouvé son cadavre, nous avons ledroit d’espérer.

– Malheureusement, dit Georges Darvel,avec un frisson d’horreur, il n’y a plus de doute possible.

Et il montrait avec épouvante une main crispéeet à demi calciné engagée sous le bloc pierreux.

Miss Alberte ferma les yeux, son beau visagese couvrit des ombres de la mort, elle dut faire sur elle-même unincroyable effort pour ne pas tomber évanouie.

Pitcher pleurait comme un enfant.

Tous demeuraient consternés.

– Retirez-vous, miss, murmura doucementDarvel, épargnez-vous le lamentable spectacle… Nous vous ensupplions.

– Non, s’écria-t-elle avec un sanglotétouffé, je resterai jusqu’au bout. Je ne peux croire encore malgrél’évidence à la hideuse vérité… Si vous saviez combien j’aimais lecapitaine Wad… Si vous aviez pu apprécier comme moi son dévouement,sa modestie, sa science profonde… je le regardais presque comme unpère…

Silencieusement, on se remit au travail pourdégager le corps.

Il ne fallait pas songer à déplacer l’énormebloc encore brûlant, il était plus simple d’essayer de le briser,les minéraux à consistance cristalline étant souvent trèsfriables.

Georges Darvel donna un premier coup depioche.

Un large fragment se détacha. Le jeune hommedemeura surpris de voir que l’intérieur du météorite n’était pas dela même couleur que la partie superficielle.

Celle-ci était d’un brun rougeâtre avec destâches vertes comme certains grès obtenus à de hautestempératures ; au-dessous de cette espèce d’écorce s’étendaitune substance blanche, sillonnée par des tubes de couleurrouge ; quelques-uns de ces tubes, terminés en pointe effiléeavaient été cassés par la pioche et laissaient échapper desgouttelettes d’un liquide épais.

Le jeune homme s’était arrêté, pleind’hésitation.

– Que dois-je faire, monsieurPitcher ? demanda-t-il. Jamais aucune relation scientifiquen’a fait mention d’un aérolithe constitué de la sorte.

– Simple cristallisation, grommela lenaturaliste comme distrait par son chagrin.

– Je n’ai jamais vu de cristallisationrenfermant un liquide intérieur. Puis ce bloc est aussi régulierque s’il avait été façonné de main d’homme.

« J’ai le pressentiment que nous sommessur la voie de quelque chose d’extraordinaire !…

« Sachez que cette bizarre pierre vientpeut-être de quelque planète lointaine… Si je la réduis enpoussière, il sera impossible de l’étudier.

« Je ne sais si, vraiment, je doiscontinuer…

Tous haletaient d’impatience.

Miss Alberte et Ralph Pitcher échangèrent unétrange regard.

– Continuez, dit précipitamment lenaturaliste ; mais agissez de façon à faire le moins possiblede petits fragments.

Georges venait d’approcher avec précaution samain du débris abattu.

– Voici bien une autre chose,murmura-t-il fiévreusement : la surface de la sphère estbrûlante, l’intérieur est parfaitement froid, presque glacé.

– Comment expliquez-vous cela ?

– Je ne sais pas, fit Pitcheranxieusement. Continuons.

D’une main tremblante, Georges Darvel donna unsecond coup de pioche ; un plus gros morceau du bloc sedétacha.

Un même cri de stupeur monta de toutes lespoitrines.

Un pied humain venait d’apparaître, délivrétout à coup de la gangue pierreuse où il était enseveli.

Georges avait jeté la pioche, en proie à uneterrible émotion.

– Un homme ! bégaya-t-il, la têteperdue, un homme !

– Il y a un homme dans ce bloc !

– Un cadavre tout au plus, murmuraPitcher douloureusement.

– N’importe, je veux voir ! s’écriaGeorges avec exaltation.

« Mais vous ne comprenez donc pas,ajouta-t-il d’une voix rauque, que c’est Robert Darvel, que c’estmon frère, qui est là, là ! enseveli dans une pierre !…

« Mort ou vivant : je veuxsavoir !

– Comment voulez-vous qu’il soitvivant ? dit tristement Pitcher.

« Il y a dix minutes que j’ai la mêmepensée que vous, mais je n’osais pas, je ne pouvais pasparler !…

Et il montrait d’un geste miss Alberte qui,frappée au cœur, la face blême, s’appuyait sur l’épaule de Chérifapour ne pas défaillir.

Mais elle s’était brusquement redressée, l’œilen feu, le bras tendu, toute vibrante d’un espoir insensé.

À la lueur des torches sous les hautes voûtes,sa beauté délicate prenait quelque chose de tragique ; on eûtdit quelque sanglante héroïne du vieil Eschyle prenant à témoin lesdieux.

– Non, messieurs, dit-ellesolennellement ; Robert Darvel n’est pas mort, il ne peut pasêtre mort. Un homme comme lui ne succombe pas ainsi. Une voixsecrète me crie qu’il a triomphé !

« Croyez-moi, je vous en supplie. Robertest vivant.

Et elle ajouta avec l’accent de la foi la plusaveugle :

– Serait-il ici s’il avait péri ?Rien n’est impossible au conquérant du ciel ! S’il est revenu,c’est qu’il l’a voulu.

Pitcher se sentait ébranlé dans sa convictionpar cette parole ardente ; il essayait vainement de ressaisirson sang-froid ; ses artères battaient à grands coups, il sesentait en proie au vertige.

– Mais, balbutia-t-il, nous ne savonsmême pas encore si c’est à Robert Darvel que nous avonsaffaire.

Il n’avait pas achevé sa phrase que Georges,reprenant sa pioche avec une sorte de fureur sacrée, se mettait àfrapper à tort et à travers sur le bloc.

C’était une sorte de démence. Sous ses coups,de larges fragments se détachèrent, les tubes intérieurs broyéslaissaient échapper un liquide puissamment aromatique.

Pichet dut modérer cette furie.

– Mais prenez donc garde, lui dit-il,vous cognez comme un sourd. Vous pouvez le blesser…

Le jeune homme, frappé de cette réflexion,continua son œuvre avec plus de mesure.

Maintenant une apparence humaine se détachaitpeu à peu du bloc comme la statue qu’ébauche un sculpteurenthousiaste.

Accroupie, recroquevillée en boule, les genouxau menton, les mains croisées au-dessous des genoux cette formeencore vague était dans la même position que les Guanches des îlesAçores – descendants des Atlantes – et certains peuples Incas ontdonnée à leurs momies, dont quelques-unes sont renfermées dans degrandes urnes d’argile.

Pitcher, frappé de cette similitude, hocha latête avec découragement.

Pourtant, il remarqua que les tubes quebrisait la pioche de Georges Darvel étaient élargis à leur base eteffilés à leur extrémité, cette base était appliquée sur l’épidermecomme les piquants d’un oursin sur sa coque : il pensa que cestubes, qui paraissaient formés d’une sorte de verre, renfermaientdes liquides antiseptiques destinés à conserver la momie.

Mais cette explication ne le satisfit pas. Ilne se rappelait avoir lu nulle part la description d’un semblabledispositif.

Pendant qu’il se livrait à ces réflexions, letorse avait été complètement dégagé ; il ne restait plus quele visage à découvrir.

Georges s’était arrêté comme en proie à unesuprême hésitation.

Il n’osait soulever le dernier voile. Son cœurse serrait affreusement à la pensée de la déception qui peut-êtrel’attendait.

D’ailleurs, le corps gardait sa singulièreposition avec une rigidité inerte.

– Finissez, murmura miss Alberte. Qu’aumoins nous sortions de cette incertitude maudite, que noussachions !

– Je n’en ai pas le courage, balbutia lejeune homme, la gorge étreinte par l’angoisse.

– Ce sera donc moi, fit Pitcher, ens’avançant armé d’un canif à large lame. D’une main mal assurée, ilcommença à enlever avec précaution la croûte pierreuse mélangée auxdébris des tubes.

Il éprouva d’ailleurs à ce travail moins depeine qu’il ne s’y était attendu ; en glissant avec précautionla lame contre la joue et en appuyant doucement, le masque depierre cessa d’adhérer et se détacha tout d’une pièce.

Une face apparut, amaigrie et décolorée, lesyeux clos, mais d’une puissance et d’une noblesse de lignesidéales, avec le front très haut et la bouche gracieusementdessinée, où semblait errer encore un vague sourire.

– Robert !

– Mon frère !…

Les deux cris étaient partis en même temps.Mais cette fois, chez miss Alberte, la secousse avait été tropviolente.

Ralph Pitcher et Chérifa n’eurent que le tempsde s’élancer pour la recevoir évanouie dans leurs bras.

Mais c’est à peine si George Darvel y pritgarde. Les yeux brillants de fièvre, avec des gestes de démence, ils’était précipité vers le corps inerte, si miraculeusement exhuméde son cercueil de pierre.

Il mit la main sur le front de Robert ;il était glacé. Il épia les fugitifs battements du cœur ; lapoitrine était immobile et froide.

– Il est mort, balbutia-t-il, et ils’affaissa atterré parmi les débris de la sphère, en proie au plusaffreux désespoir.

À deux pas de lui, le Noir Zarouk souriaitd’un énigmatique sourire.

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