La Thébaïde ou Les Frères ennemis

Scène IV

 

Jocaste,Étéocle,Antigone,Créon

 

Jocaste

Mon fils, c’est donc ainsi que l’on garde safoi ?

 

Étéocle

Madame, ce combat n’est point venu de moi,

Mais de quelques soldats, tant d’Argos que desnôtres,

Qui s’étant querellés les uns avec lesautres,

Ont insensiblement tout le corps ébranlé,

Et fait un grand combat d’un simpledémêlé.

La bataille sans doute allait êtrecruelle,

Et son événement vidait notre querelle,

Quand du fils de Créon l’héroïque trépas

De tous les combattants a retenu le bras.

Ce prince, le dernier de la race royale,

S’est appliqué des dieux la réponsefatale ;

Et lui-même à la mort il s’est précipité,

De l’amour du pays noblement transporté.

 

Jocaste

Ah ! si le seul amour qu’il eût pour sapatrie

Le rendit insensible aux douceurs de lavie,

Mon fils, ce même amour ne peut-ilseulement

De votre ambition vaincrel’emportement ?

Un exemple si beau vous invite à lesuivre.

Il ne faudra cesser de régner ni devivre :

Vous pouvez, en cédant un peu de votrerang,

Faire plus qu’il n’a fait en versant tout sonsang ;

Il ne faut que cesser de haïr votre frère,

Vous ferez beaucoup plus que sa mort n’a sufaire.

Ô dieux ! aimer un frère est-ce un plusgrand effort

Que de haïr la vie et courir à lamort ?

Et doit-il être enfin plus facile en unautre

De répandre son sang, qu’en vous d’aimer levôtre ?

 

Étéocle

Son illustre vertu me charme comme vous,

Et d’un si beau trépas je suis mêmejaloux.

Et toutefois, Madame, il faut que je vousdie

Qu’un trône est plus pénible à quitter que lavie :

La gloire bien souvent nous porte à lahaïr,

Mais peu de souverains font gloired’obéir.

Les dieux voulaient son sang, et ce princesans crime

Ne pouvait à l’État refuser savictime ;

Mais ce même pays qui demandait son sang

Demande que je règne et m’attache à monrang,

Jusqu’à ce qu’il m’en ôte, il faut que j’ydemeure :

Il n’a qu’à prononcer, j’obéirai surl’heure,

Et Thèbes me verra, pour apaiser son sort,

Et descendre du trône, et courir à lamort.

 

Créon

Ah ! Ménécée est mort, le ciel n’en veutpoint d’autre.

Laissez coulez son sang sans y mêler levôtre ;

Et puisqu’il l’a versé pour nous donner lapaix,

Accordez-la, Seigneur, à nos justessouhaits.

 

Étéocle

Eh quoi ? même Créon pour la paix sedéclare ?

 

Créon

Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,

Vous voyez les malheurs où le ciel m’aplongé :

Mon fils est mort, Seigneur.

 

Étéocle

Il faut qu’il soit vengé.

 

Créon

Sur qui me vengerais-je en ce malheurextrême ?

 

Étéocle

Vos ennemis, Créon, sont ceux de Thèbesmême ;

Vengez-la, vengez-vous.

 

Créon

Ah ! dans ses ennemis

Je trouve votre frère, et je trouve monfils !

Dois-je verser mon sang, ou répandre levôtre ?

Et dois-je perdre un fils pour en venger unautre ?

Seigneur, mon sang m’est cher, le vôtre m’estsacré :

Serai-je sacrilège ou bien dénaturé ?

Souillerai-je ma main d’un sang que jerévère ?

Serai-je parricide afin d’être bonpère ?

Un si cruel secours ne me peut soulager,

Et ce serait me perdre au lieu de mevenger.

Tout le soulagement où ma douleur aspire,

C’est qu’au moins mes malheurs servent à votreempire.

Je me consolerai, si ce fils que je plains

Assure par sa mort le repos des Thébains.

Le ciel promet la paix au sang deMénécée ;

Achevez-la, Seigneur, mon fils l’acommencée ;

Accordez-lui ce prix qu’il en a prétendu,

Et que son sang en vain ne soit pasrépandu.

 

Jocaste

Non, puisqu’à nos malheurs vous devenezsensible,

Au sang de Ménécée il n’est riend’impossible,

Que Thèbes se rassure après ce grandeffort :

Puisqu’il change votre âme, il changera sonsort.

La paix dès ce moment n’est plusdésespérée :

Puisque Créon la veut, je la tiensassurée.

Bientôt ces cœurs de fer se verrontadoucis :

Le vainqueur de Créon peut bien vaincre mesfils.

(À Étéocle.)

Qu’un si grand changement vous désarme et voustouche ;

Quittez, mon fils, quittez cette hainefarouche ;

Soulagez une mère, et consolezCréon :

Rendez-moi Polynice, et lui rendez Hémon.

 

Étéocle

Mais enfin c’est vouloir que je m’impose unmaître.

Vous ne l’ignorez pas, Polynice veutl’être ;

Il demande surtout le pouvoir souverain,

Et ne veut revenir que le sceptre à lamain.

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