L’Aigle noir des Dacotahs

Chapitre 16Épilogue

 

Par une belle journée de juin, des groupescurieux et affairés stationnaient aux alentours d’un des plusriches hôtels de Saint-Louis, la grande cité assise nonchalammentsur les rives du Père des eaux (nom indien duMissouri).

Quelques gentlemen et quelques ladies, même,ne dédaignaient pas de sonder l’horizon à l’aide de leurs mignonsbinocles en cristal ; plusieurs miss folâtres circulaient dansla foule, fort embarrassées de savoir ce qui leur tenait le plus àcœur de satisfaire leur curiosité ou de faire admirer leurs jouesroses et leurs fraîches toilettes.

Bientôt une cavalcade rapide apparut au milieudes flots de poussière. Elle était précédée d’une troupe portantl’équipement bariolé et somptueux des fantastiques chasseurs dulointain ouest ; à leur tête galopait sur un superbecheval noir comme l’ébène, un cavalier de grande taille, aux traitsbronzés et expressifs, menant en laisse un étalon blanc de toutebeauté.

Venait ensuite une calèche découverte ;sur le devant était un beau vieillard ; dans le fond unecharmante jeune femme aux cheveux blonds comme la soie des maïsd’automne, et à côté d’elle un jeune homme dont les traits fins etdistingués étaient empreints d’une mélancolie sereine et heureuse.On voyait sur ce visage énergique et doux tout à la fois quelquessillons fugitifs laissés par le vent du désert – ou par le souffleamer de la vie. Mais ces teintes presque insaisissables sefondaient en un délicieux sourire lorsque ses yeux rencontraientceux de sa gracieuse compagne.

Tous mirent pied à terre devant le richeperron de l’hôtel où les attendaient et les acclamaient de nombreuxdomestiques.

Le cavalier au cheval noir était seul resté enselle ; le jeune couple s’approcha de lui.

– Frère, lui dit le jeune homme, voilànotre maison ; regardez ces portes ouvertes, regardez cesvisages amis ; la prairie est bien solitaire, le désert estbien vide ; que notre frère au visage pâle détourne sesregards de l’ouest et qu’il les arrête sur ce wigwam heureux ;notre affection sera longue comme la vie, les jours s’écoulerontsans nuage. Bientôt, ajouta-t-il en tournant les yeux vers sa jeunefemme toute rougissante, il y aura parmi nous de petits enfants quivous rappelleront de chers souvenirs. Osse’o prie son frère auvisage pâle de rester avec lui.

– Oh ! ma douce petite Est’, murmuraWaltermyer ; merci mon cher compagnon, poursuivit-il d’unevoix émue, j’ai besoin de l’air qu’on respire là bas ; ici jemanque de soleil et le ciel me semble petit ; je suis unenfant de la savane, les bois réjouissent ma vue, ces grandesmaisons l’attristent, Et puis… ici sa voix trembla, ses yeux sevoilèrent, et puis… Il y a dans les sentiers solitaires, des tombesauxquelles personne ne pensera, si le vieux Kirk Waltermyer ne lesvisite pas de temps en temps. Merci, vous avez été bons pour moi,tous deux, je ne vous oublierai pas.

La jeune femme lui prit la main et lui dit ensouriant à travers ses larmes :

– Si rien ne peut vous retenir, notre bonKirk, souvenez-vous qu’en tout temps, à toute heure, vous aurez desamis, de vrais amis sincères. Si un jour il vous plaît de retrouverune famille, songez à nous ; et si votre vie aventureuse vousemmène si loin que nous ne nous revoyions jamais, nous penserons àvous jusqu’à la mort… songez à nous…

La voix d’Esther s’éteignit dans un sanglot,elle s’appuya sur l’épaule de son mari.

Waltermyer voulut répondre, mais ses lèvres nepurent prononcer aucune parole ; une grosse larme tomba de sesyeux, et alla rouler jusque sur la main d’Esther.

Il s’inclina sur cette main qui serrait encorela sienne et après l’avoir embrassée, il la remit doucement danscelle d’Osse’o ; puis, rendant les rênes à son brave Star, ilpartit au galop ; quelques secondes après il disparaissaitcomme une ombre dans la direction du lointain ouest.

– Miss Hélène Worthington ! ditgalamment dans la foule un jeune gentleman de toute beauté, mesera-t-il permis de vous offrir mon bras ?

– Oh ! sir, répliqua nonchalammentla jeune miss aux yeux de bluet ; que ferais-je de votrebras ?

– Il vous conduira jusque chez vous, etpar dessus le marché je vous dirai la grande nouvelle du jour.

– Eh bien ! dites ; si cela envaut la peine, je prendrai votre bras.

– Volontiers, miss, reprit le gentlemanen incrustant son lorgnon dans l’œil pour mieux juger de l’effetqu’il allait produire ; la cavalcade mystérieuse qu’untourbillon de poussière dérobait aux regards… c’était…

– C’était ? allons,parlez !

– C’était l’équipage de CharlesSaint-Clair qui a épousé au désert la fille d’un planteurmillionnaire ; elle est plus belle encore que riche !…N’aviez-vous pas été fiancée avec Saint-Clair… ?

La jeune fille pâlit comme si elle eut reçu uncoup de poignard, et disparut dans la foule.

– Vous avez été un peu… comment dirai-je…un peu sec, mon cher Houston, cria-t-on au gentlemen, du milieud’un groupe qui riait à distance.

– Mais non, mais non ! c’est égal,elle dormira mal la nuit prochaine ; peut-être serésoudra-t-elle à rester fille.

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