Le Monde perdu

Chapitre 16En cortège ! En cortège !

Je désirerais rappeler ici notre gratitude àl’égard de tous nos amis de l’Amazone ; ils nous ont témoignéune extrême gentillesse, et leur hospitalité a été magnifiquependant notre voyage de retour. Tout spécialement je voudraisremercier signor Penalosa et les autres officiers du gouvernementbrésilien pour les dispositions qu’ils prirent afin de nous aider,et signor Peraira, de Para, à la prévoyance de qui nous devons uneréapparition décente dans le monde civilisé. Ce sont de médiocresactions de grâces comparativement à la courtoisie que nous avonsrencontrée. D’autant plus que nous décevrons nos hôtes et nosbienfaiteurs, mais, étant donné les circonstances, nous n’avonsréellement pas le choix. Dès à présent, je leur déclare que s’ilsessaient de suivre nos traces, ils perdront leur temps et leurargent. Dans mon récit, les noms ont été altérés, et je suis sûrque personne, même après l’avoir soigneusement étudié, ne pourraitparvenir à moins d’un millier de kilomètres de notre terreinconnue.

La frénésie qui s’empara des régions del’Amérique du Sud que nous dûmes traverser n’était passpécifiquement locale, comme nous l’imaginons. Je puis assurer nosamis d’Angleterre que nous n’avions aucune idée de l’écho que lasimple révélation de nos expériences avait suscité dans toutel’Europe. Ce ne fut que lorsque l’Ivernia se trouva à huitcents kilomètres au large de Southampton que les messages parsans-fil des journaux et des agences, nous offrant des sommesfolles pour la moindre communication touchant les résultats quenous avions obtenus, nous apprirent à quel point l’opinion mondiales’était passionnée pour notre tentative. D’un commun accordcependant, nous décidâmes de ne faire aucune déclaration précise àla presse avant d’avoir soumis notre rapport aux membres del’Institut de zoologie : puisque nous étions des délégués,n’était-il pas de notre devoir de rendre compte d’abord àl’organisme de qui nous avions reçu un mandat d’enquêter ?Donc, et bien qu’ayant trouvé Southampton bondé de journalistes,nous nous refusâmes systématiquement à leur donner desrenseignements ; ce silence eut pour effet naturel deconcentrer toute l’attention publique sur la réunion qui futannoncée pour le 7 novembre au soir. En prévision de la fouleannoncée, le Zoological Hall où s’était déroulée la scène de nosinvestiture fut trouvé trop petit, et ce fut au Queen’s Hall, dansRegent Street, que l’assemblée fut convoquée. Il est établi àprésent que les organisateurs auraient pu louer l’Albert Hall, ilse serait avéré lui aussi trop étroit.

La réunion avait été prévue pour le lendemainsoir de notre arrivée. La première soirée avait été consacrée,naturellement, à nos affaires privées. Des miennes, je ne puisencore parler. Peut-être que, quand elles auront pris du recul,j’aurai la force de les évoquer avec une émotion moins vive. J’aiau début indiqué au lecteur les mobiles de mon action. Il serajuste, par conséquent que je poursuive mon récit jusqu’à son termeet que je ne dissimule pas les résultats. Le moins que je puissedire est que j’ai été poussé à prendre part à une aventuremerveilleuse, et que je ne saurais être que reconnaissant envers laforce qui m’a poussé.

Pour l’instant, je reviens au dénouement denotre histoire. Et au lieu de me triturer la cervelle pour essayerde vous le dépeindre au mieux, je vais transcrire le complet etexcellent compte rendu qui a paru dans mon propre journal sous lasignature de mon ami et confrère Macdona. Je confesse que ce papierpeut choquer par son exubérance, et que notre journal s’estfélicité indiscrètement d’avoir envoyé un correspondant spécial.Mais les autres quotidiens ne furent guère moins enthousiastes.Voici donc le compte rendu de mon ami Mac.

UN MONDE NEUF

GRAND MEETING AU QUEEN’S HALL

SCÈNES DE TUMULTE

UN INCIDENT EXTRAORDINAIRE

ÉMEUTE NOCTURNE DANS REGENT STREET

(Reportage spécial)

« Hier soir, dans le grand Queen’s Hall,s’est tenue la réunion si attendue de l’Institut de zoologie,convoquée aux fins d’entendre le rapport de la commission d’enquêtenommée l’année dernière et partie pour l’Amérique du Sud afin d’yvérifier les allégations du Pr Challenger relatives à la permanencede la vie préhistorique sur ce continent, et il est normal d’écrireque cette réunion fera date dans l’histoire de la science, car lesdébats furent si remarquables et même sensationnels qu’aucunassistant ne les oubliera jamais…

(Oh ! Macdona, mon frère dans lejournalisme, quel exorde monstrueux par sa longueur et son défautde grâce !)

« Les billets étaient en théorie réservésaux membres de l’Institut et à leurs invités, mais« invité » est un terme élastique ; bien avantl’ouverture de la séance, fixée à huit heures, tous les coins etrecoins du grand Hall étaient archi-bourrés. Le public cependant,mécontent d’avoir été exclu, enfonça les portes à huit heures moinsle quart, à l’issue d’une mêlée prolongée au cours de laquelleplusieurs personnes furent blessées, dont l’inspecteur Scoble, dela section H, qui eut une jambe brisée. Cette invasion ayant étécouronnée de succès, il ne resta plus aucune place dans lespassages et couloirs, et la tribune de la presse eut même àsouffrir d’une intrusion enthousiaste. On estime à cinq millespectateurs au moins le nombre des Londoniens qui attendaient dansle Hall l’arrivée des voyageurs. Quand ils apparurent, ils prirentplace au premier rang de l’estrade sur laquelle étaient déjà massésles plus grands noms de la science, non seulement de ce pays, maisaussi de France et d’Allemagne. La Suède était égalementreprésentée en la personne du Pr Sergius, le célèbre zoologue del’université d’Uppsala. L’entrée des quatre héros déclencha uneremarquable manifestation de bienvenue : toute l’assistance seleva et éclata en applaudissements pendant plusieurs minutes. Unobservateur attentif aurait pu détecter, toutefois, quelques signesde désaccord et prévoir que les débats seraient plus animésqu’harmonieux. Pourtant, nul n’aurait pu prophétiser la tournureextraordinaire qu’ils allaient prendre.

« Il n’y a pas grand-chose à dire surl’apparition des quatre voyageurs, puisque leurs photographies ontété publiées par tous les journaux. Ils portent peu de marques desheures pénibles qu’ils affirment avoir traversées. Il est possibleque la barbe du Pr Challenger soit plus hirsute, les traits du PrSummerlee plus ascétiques, le visage de lord John Roxton plusdécharné ; tous trois sont plus hâlés que lorsqu’ilsquittèrent notre pays, mais ils paraissent en excellente santé.Quant à notre représentant personnel, l’athlète célèbre,l’international de rugby E. D. Malone, il est tiré à quatreépingles et contemple la foule avec bonne humeur ; un sourirede contentement de soi se répand discrètement sur sa figure franchemais banale…

(Très bien, Mac ! Attendez que je vousattrape seul à seul !)

« Quand le calme est rétabli, et quel’assistance s’est assise après l’ovation qu’elle a adressée auxvoyageurs, le président, le duc de Durham, prononce quelquesmots : il ne voudrait pas s’interposer plus d’une minute entrecette vaste assemblée et le plaisir qui l’attend, dit-il. Cen’était pas à lui d’anticiper sur ce que le Pr Summerlee, quiallait parler au nom du comité, avait à annoncer, mais le bruitcourait généralement que leur expédition avait été couronnée par unsuccès extraordinaire. [Applaudissements]. Apparemment, l’âge del’aventure n’était pas mort, et il existait un terrain commun surlequel pouvaient se rencontrer les imaginations les plus débridéesdes romanciers et les investigations actuelles des chercheursscientifiques. Il désirait seulement ajouter, avant de s’asseoir,qu’il se réjouissait hautement – et tous les assistants s’enréjouiraient également – que ces gentlemen soient rentrés sains etsaufs d’une tâche difficile et dangereuse ; indéniablement, sicette expédition s’était terminée par un désastre, une perteirréparable aurait été infligée à la cause de la sciencezoologique. [Grands applaudissements, auxquels se joignit le PrChallenger].

« Quand le Pr Summerlee se leva, uneformidable ovation déferla sur tous les rangs et elle se répétaplusieurs fois avec un enthousiasme rarement égalé dans cettesalle. Nous ne publierons pas son message in extenso dansnos colonnes, pour la simple raison qu’un compte rendu complet detoutes les aventures de l’expédition sera publié en supplément sousla signature de notre envoyé spécial particulier en Amérique duSud. Nous nous bornerons pour l’instant à quelques indications. LePr Summerlee commença par décrire la genèse du voyage, et à payerun tribut fort bien tourné à son ami le Pr Challenger ; cetribut s’accoupla avec des excuses touchant l’incrédulité aveclaquelle avaient été accueillies les affirmations du Pr Challenger,aujourd’hui pleinement vérifiées ; il retraça ensuite le coursde leur voyage, tout en se gardant bien de donner les précisionscapables de faire localiser par le public ce plateauextraordinaire. Après avoir décrit, en termes généraux, leurrandonnée depuis le fleuve principal jusqu’à leur arrivée devant labase des escarpements, il captiva ses auditeurs par le récit desdifficultés rencontrées par l’expédition pour escalader cesescarpements, et finalement il raconta comment ils avaient réussidans un suprême effort qui coûta la vie à deux de leurs dévouésserviteurs métis…

(Cette surprenante narration de l’affairecorrespondait au désir de Summerlee de ne soulever aucunediscussion lors de la réunion.)

« Ayant ainsi conduit par l’imaginationson assistance jusqu’au sommet du plateau, et l’ayant abandonnée làpar suite de la chute du pont, le professeur entreprit de dépeindreà la fois les horreurs et les attraits de ce pays remarquable. Ileffleura à peine les aventures personnelles, mais il s’étenditlonguement sur la riche moisson récoltée par la science après lesobservations faites sur la vie des bêtes sauvages, des oiseaux, desinsectes, et des plantes sur le plateau particulièrement riche encoléoptères et en lépidoptères : quarante-six nouvellesespèces des premiers et quatre-vingt-quatorze des deuxièmes ont étédécouvertes en quelques semaines. Ce fut, cependant, sur les plusgros animaux, et spécialement sur les gros animaux dont onsupposait que la race était éteinte depuis longtemps, que l’intérêtdu public se concentra davantage. Il en fournit une longue liste,et il ajouta qu’elle n’était qu’un début et qu’elle s’allongeraitencore notablement quand le plateau aurait été exploré à fond. Luiet ses compagnons ont vu au moins une douzaine de créatures, leplus souvent de loin, qui ne correspondaient à rien d’actuellementconnu par la science, et qui devraient être classées etrépertoriées attentivement. Il cita en exemple un serpent dont lapeau arrachée, de couleur rouge foncé, avait dix-huit mètres delongueur ; il mentionna aussi un animal blanc, probablement unmammifère, qui la nuit projetait une nette phosphorescence ;il parla encore d’un grand papillon noir dont la piqûre était, auxdires des Indiens, très venimeuse. En dehors de ces formes de vietout à fait nouvelles, le plateau abondait en aspectspréhistoriques connus, dont la date remontait aux premiers âgesjurassiques. Parmi eux, il cita le gigantesque et grotesquestégosaure, que M. Malone vit boire dans le lac en uneoccasion et qui avait été dessiné par l’aventureux Américain quiavait le premier pénétré dans ce monde inconnu. Il décrivitégalement l’iguanodon et le ptérodactyle, les deux premièresmerveilles qu’ils aient rencontrées. Il fit frémir l’assemblée enévoquant le terrible dinosaure carnivore qui avait une foispoursuivi des membres de leur groupe et qui était de loin l’animalle plus formidable qu’ils aient vu. De là il passa à cet oiseau,immense et féroce, le phororachus, et aux grands cerfs quivagabondent encore sur ce haut lieu. Mais ce fut quand il décrivitles mystères du lac central que l’enthousiasme de l’assistance futà son comble. On avait envie de se pincer pour être sûr qu’on étaitéveillé quand le professeur à l’esprit sain et pratique parla entermes froids, mesurés, des lézards-poissons monstrueux à troisyeux et des serpents aquatiques géants qui habitent cette napped’eau enchantée. Puis il traça un portrait des Indiens et deshommes-singes, ceux-ci pouvant être considérés comme en avance surle pithecanthropusde Java, et, étant donné qu’ils sont laforme connue la plus proche de cette créature hypothétique, commel’anneau manquant. Enfin il décrivit, au milieu de la bonne humeurgénérale, l’invention aéronautique, aussi ingénieuse quepérilleuse, du Pr Challenger, et il termina son si mémorable compterendu par le détail des procédés grâce auxquels la commissiond’enquête put rentrer dans le giron de la civilisation.

« On avait espéré que la séance prendraitfin là-dessus, et qu’une motion de remerciements et defélicitations, mise aux voix par le Pr Sergius, de l’universitéd’Uppsala, serait votée d’enthousiasme. Mais il devint vite évidentque le cours des événements ne serait pas aussi simple. Au cours dela séance, des symptômes très nets d’opposition s’étaientmanifestés de temps à autre, et le Dr James Illingworth,d’Édimbourg, se leva au centre de la salle. Le Dr Illingworthdemanda si un amendement ne pouvait pas être déposé avant le votede la résolution.

« LE PRÉSIDENT. – Si, monsieur, pour lecas où il y en aurait un de présenté.

« LE Dr ILLINGWORTH. – Votre Grâce, jedépose un amendement.

« LE PRÉSIDENT. – Alors, étudions-le toutde suite.

« LE Pr SUMMERLEE, sautant sur ses pieds.– Pourrai-je vous indiquer, Votre Grâce, que cet homme est monennemi personnel depuis notre controverse dans le Journal de laScience sur la véritable nature de bathybius ?

« LE PRÉSIDENT. – J’ai peur de ne pouvoirfaire entrer en ligne de compte des affaires personnelles.Poursuivez.

« Le Dr Illingworth ne futqu’imparfaitement entendu tout d’abord, car il se heurta à lavigoureuse opposition qui rassemblait tous les amis desexplorateurs. Certains voulaient même le faire descendre de latribune. Mais, étant extrêmement robuste, et doué d’une voixtonnante, il domina le tumulte et alla jusqu’à la fin de sondiscours. À partir du moment où il se leva, il devint clair qu’ilavait dans la salle des amis et des sympathisants, toutefois enminorité. L’attitude de la majorité de l’assistance pourrait serésumer ainsi : une neutralité vigilante.

« Le Dr Illingworth commença sesobservations par un hommage élevé à l’œuvre scientifique accompliepar les Prs Challenger et Summerlee. Il insista longuement sur lefait que les remarques qu’il allait développer ne seraient dictéespar aucun motif personnel, mais qu’elles seraient inspiréesexclusivement par son souci de la vérité scientifique. En fait, saposition présentait de fortes analogies avec celle qu’avait prisele Pr Summerlee lors de la dernière séance. Au cours de cettedernière séance, le Pr Challenger avait fait certaines déclarationsqui avaient été mises en doute par son collègue. Maintenant, cemême collègue se faisait le porte-parole de ces mêmes déclarations,et il s’attendait à ce qu’elles ne fussent pas mises en doute.Était-ce raisonnable ? [« Oui ! Non ! » ettoute une série d’interruptions prolongées, au cours desquelles lesjournalistes entendirent le Pr Challenger demander au président del’autoriser à jeter dans la rue le Dr Illingworth.] Il y a un an,un homme a dit certaines choses. Aujourd’hui quatre hommes endisent d’autres, et de plus surprenantes encore. Est-ce que cettesurenchère pouvait constituer une preuve finale, alors que le sujetexposé présentait un caractère révolutionnaire et incroyable ?Récemment, les exemples n’avaient pas manqué de voyageursdébarquant de pays inconnus et racontant des histoires qui avaientété trop facilement écoutées. L’Institut de zoologie de Londresallait-il se placer dans cette situation ? Il admettait queles membres du comité étaient des hommes de caractère. Mais que lanature humaine était donc complexe ! Les professeurs eux-mêmespouvaient être égarés par le désir de devenir célèbres. Semblablesà des papillons, nous préférons voler près de la lumière. Lechasseur de gros gibier aime se trouver en mesure d’éclipser lesrécits de ses rivaux, et le journaliste ne déteste pas lesensationnel, même au prix d’un effort d’imagination. Tous lesmembres de la commission d’enquête avaient en somme un motifpersonnel pour se vanter d’un maximum de résultats [« C’estune honte ! Une honte !] Il ne songeait nullement à êtreoffensant… [« Vous êtes un insulteur ! » Nombreusesinterruptions.] Mais comment prouver la véracité de ces contesmerveilleux ? Avec quoi les corroborer ? Les preuvesétaient minces : tout juste quelques photographies. Serait-ilpossible, à l’âge des manipulations les plus ingénieuses, que desphotographies fussent acceptées comme des preuves ? Quoid’autre ? Nous avons une histoire d’un vol en ballon et d’unedescente par cordes qui interdit la production au public de preuvesplus importantes. Idée ingénieuse, mais non convaincante !Lord Roxton a annoncé, paraît-il, qu’il avait le crâne d’unphororachus. Le Dr Illingworth voudrait bien voir ce crâne.

« LORD JOHN ROXTON. – Est-ce que ce type,par hasard, me traiterait de menteur ? [Grand vacarme.]

« LE PRÉSIDENT. – À l’ordre ! Àl’ordre ! Docteur Illingworth, je me vois dans l’obligation devous prier de conclure et de déposer votre amendement.

« LE Dr ILLINGWORTH. – Votre Grâce,j’aurais encore beaucoup à dire. Mais je me plie à votre décision.Je demande donc : premièrement que le Pr Summerlee soitremercié pour sa si intéressante communication ; deuxièmementque toute cette affaire soit considérée comme non prouvée ;troisièmement qu’elle soit renvoyée à une commission d’enquête plusnombreuse et, si possible, plus digne de confiance.

« Il est difficile de décrire laconfusion qu’engendra le dépôt de cet amendement. Une grande partiede l’assistance manifesta son indignation devant un tel affrontinfligé aux voyageurs. Des cris de protestation jaillirent,bruyamment orchestrés, et on entendit de nombreux :« Non ! Ne le mettez pas aux voix !Retirez-le ! À la porte ! » D’autre part, lesmécontents, dont on ne peut nier qu’ils étaient plusieurs,applaudirent à l’amendement en criant : « Àl’ordre ! » et : « Jouez le jeu ! »Une bagarre éclata dans les derniers rangs, et des coups furentéchangés entre les étudiants en médecine qui occupaient le fond dela salle. Une bataille rangée ne fut évitée que grâce à l’influencemodératrice due à la présence de nombreuses dames. Soudain,pourtant, le silence se rétablit miraculeusement ; il y eutdes « chut ! » impératifs. C’est que le PrChallenger se levait à son tour. Son aspect et ses manières avaientde quoi freiner les plus enragés. De sa main levée, il réclama quecesse le désordre. Immédiatement, toute l’assistance se rassit pourl’écouter.

« – Beaucoup de spectateurs serappelleront, déclara le Pr Challenger, que des scènes aussiindécentes et aussi imbéciles se sont produites au cours de ladernière séance où j’ai pris la parole. Ce jour-là, le Pr Summerleefut mon insulteur numéro un, et il a beau s’être radouci et avoirbattu sa coulpe, je ne l’ai pas tout à fait oublié. Ce soir, j’aientendu des choses aussi pénibles, mais encore plus offensantes, dela part de la personne qui vient de se rasseoir. Bien qu’un effortvolontaire d’effacement de soi soit nécessaire pour descendrejusqu’au niveau mental de cette personne, je consens à le tenter,ne serait-ce que pour dissiper les doutes raisonnables quipourraient se faire jour dans quelques esprits. [Rires etinterruptions]. Je n’ai pas besoin de rappeler à cette assistanceque, bien que le Pr Summerlee, en qualité de président de lacommission d’enquête, eût été désigné pour parler ce soir, c’esttout de même moi qui suis le véritable animateur de cette affaire,et que c’est surtout à mon crédit que tout résultat positif doitêtre inscrit. J’ai conduit à bon port ces trois gentlemen, et jeles ai convaincus, ainsi que vous avez pu en juger, de la véracitéde mon premier rapport. Nous avions espéré découvrir à notre retourque personne ne serait assez obtus pour discuter nos conclusionscommunes. Averti toutefois par une expérience précédente, je nesuis pas revenu sans les preuves capables de convaincre n’importequel individu doté de raison. Comme l’a expliqué le Pr Summerlee,nos caméras ont été brisées par les hommes-singes qui ont mis à sacnotre campement, et la plupart de nos négatifs ont étédétruits…

« [Huées, rires, et :« Parlez-nous d’autre chose ! » au fond de lasalle.]

« – J’ai évoqué les hommes-singes ;mais je ne puis m’empêcher de dire que quelques-uns des bruits quichatouillent mes oreilles me remettent vigoureusement en mémoirecertaines expériences que j’ai vécues avec ces intéressantescréatures. [Rires.] En dépit de la destruction de négatifsinestimables, il reste dans notre collection un certain nombre dephotographies corroboratives qui montrent quelques-unes desconditions de la vie sur le plateau. Nous accuse-t-on d’avoirtruqué ces photographies ?

« [Une voix crie :« Oui ! » Il s’ensuit une interruption prolongée.Plusieurs spectateurs sont expulsés de la salle.]

« Les négatifs sont à la disposition desexperts. Mais quelle autre preuve avons-nous ? Étant donné lesconditions de notre départ du plateau, nous n’avons naturellementpas pu emporter beaucoup de bagages, mais nous avons sauvé lescollections de papillons et de coléoptères du Pr Summerlee, quicontiennent beaucoup d’espèces nouvelles. Est-ce que ce n’est pasune preuve, cela ?

« [Plusieurs voix :« Non ! »]

« – Qui a dit non ?

« LE Dr ILLINGWORTH, debout. – Notreopinion est qu’une semblable collection a pu être réunie dans untout autre endroit que sur un plateau préhistorique.[Applaudissements.]

« LE Pr CHALLENGER. – Sans doute,monsieur, devons-nous nous incliner devant votre autoritéscientifique, quoique je doive avouer que votre nom ne m’est guèrefamilier. Passant, donc, sur les photographies et sur la collectionentomologique, j’en viens à l’information variée et précise quenous rapportons sur des sujets qui jusqu’ici n’avaient jamais étéélucidés. Par exemple, sur les habitudes domestiques duptérodactyle…

« UNE VOIX. – C’est une blague ![Grand chahut.]

« LE Pr CHALLENGER. – Je répète :sur les habitudes domestiques du ptérodactyle, nous sommes enmesure de projeter une vive lumière. Je puis vous montrer une imagede cet animal, prise sur le vif, qui est de nature à vousconvaincre…

« LE Dr ILLINGWORTH. – Aucune image nenous convaincra, de rien !

« LE Pr CHALLENGER. – Vous désireriezvoir l’original lui-même ?

« LE Dr ILLINGWORTH – Sans aucundoute !

« LE Pr CHALLENGER. – Vous l’accepteriezcomme preuve ?

« LE Dr ILLINGWORTH, riant. –Naturellement !

« Ce fut à ce moment-là que la sensationde la soirée se produisit, une sensation d’un caractère sidramatique qu’elle n’a pas de précédent dans l’histoire desassemblées scientifiques. Le Pr Challenger dressa une main commepour donner un signal : aussitôt notre confrère M. E. D.Malone se leva et se dirigea vers le fond de l’estrade. Un instantplus tard, il reparut en compagnie d’un Noir gigantesque ;tous deux portaient une grande caisse carrée. Elle pesaitévidemment très lourd. Elle fut lentement portée devant le PrChallenger. Le silence tomba d’un coup sur l’assistance. Le PrChallenger écarta le côté supérieur de la caisse – c’était uncouvercle à glissière – regarda à l’intérieur, claqua des doigtsplusieurs fois. De la tribune de la presse, nous l’entendîmesappeler d’une voix câline : Allons, viens ! Viens,petit !

« Presque sur-le-champ avec un bruit decrécelle, un animal parfaitement horrible et répugnant apparut etse posa sur le bord de la caisse. Même la chute imprévue du duc deDurham dans la fosse d’orchestre ne détourna pas l’attention dupublic pétrifié. La gueule de cette créature ressemblait à la plusaffreuse gargouille qu’une imagination médiévale eût pu concevoirdans une heure de folie. Elle était méchante, horrible, avec deuxpetits yeux rouges qui luisaient, comme du charbon en combustion.Ses épaules étaient voûtées ; autour d’elles était drapéquelque chose qui rappelait un châle gris défraîchi. C’était enpersonne le diable de notre enfance. Et soudain toute l’assistancefut envahie d’un grand trouble, des gens hurlèrent, deux dames dupremier rang tombèrent évanouies de leur fauteuil, et sur l’estradeun mouvement général se dessina pour suivre le président dans lafosse d’orchestre.

« Pendant quelques instants, on putcraindre une panique folle. Le Pr Challenger leva les mains pourapaiser l’émotion, mais son geste alarma l’animal qui se tenait àcôté de lui. Son châle étrange se développa, se déplia, s’étendit,et battit comme une paire d’ailes en cuir. Son propriétaire voulutle plaquer aux pattes, mais trop tard. La bête s’était envolée deson perchoir et décrivait de lents cercles au-dessus de la salle enbattant des ailes (trois mètres cinquante d’envergure), tandisqu’une odeur putride s’insinuait partout. Les cris des spectateursdes galeries, que la proximité de ces yeux brûlants et du becmeurtrier affolait, excitèrent la bête et la rendirent furieuse.Elle volait de plus en plus vite et se cognait contre les murs etles candélabres.

« – La fenêtre ! hurla de l’estradele professeur qui dansait d’un pied sur l’autre et se tordait lesmains plein d’appréhension. Pour l’amour du Ciel, fermez lafenêtre !

« Hélas ! son avertissement vinttrop tard. En une seconde, l’énorme bête qui rebondissait contre lemur comme un papillon dans un manchon à gaz se trouva face àl’ouverture, recroquevilla à travers la fenêtre son épaisse masse,et disparut. Le Pr Challenger retomba sur sa chaise, le visageenfoui dans les mains ; mais l’assistance poussa un longsoupir de soulagement quand elle réalisa que tout danger étaitécarté.

« Et alors… Oh ! Comment décrire cequi se produisit alors ?… Toute l’exubérance de la majorité ettoute la réserve de la minorité s’unirent, se fondirent dans uneseule grande vague d’enthousiasme, qui roula du fond du Hall,grossit de rang en rang, déferla sur l’orchestre, submergeal’estrade et emporta sur sa crête écumante nos quatre héros…

(Un bon point pour vous, Mac ! Il voussera beaucoup pardonné à cause de ceci.)

« … Si l’auditoire avait manqué à lajustice, il fit amplement amende honorable. Tout le monde étaitdebout. Tout le monde s’agitait, gesticulait, criait. Une fouleserrée se pressa autour des quatre voyageurs. « Entriomphe ! En triomphe ! » hurlèrent cent voix. Àl’instant, quatre silhouettes apparurent au-dessus de la foule. Envain nos triomphateurs cherchaient-ils à remettre pied à terre. Ilsdemeurèrent solidement maintenus à leurs places d’honneur.D’ailleurs, il y avait tellement de monde que si leurs porteursavaient eu envie de les déposer sur le plancher, ils ne l’auraientpas pu. « Regent Street ! Regent Street ! »scandèrent les voix. La multitude tourbillonna sur elle-même, et unformidable courant, avec nos quatre hommes toujours sur de solidesépaules, se rua vers la porte. Dehors, dans la rue, le spectacleétait prodigieux. Il n’y avait pas moins de cent mille personnesqui attendaient. Une masse compacte s’étendait de l’autre côté, duLangham Hôtel jusqu’à Oxford Circus. Un tonnerre d’acclamationssalua les quatre explorateurs quand ils apparurent au-dessus destêtes, bien éclairés par les lampadaires électriques. « Encortège ! En cortège ! » criait-on. Sous la formed’une armée très dense qui bloquait toute la largeur des rues, lafoule s’ébranla et prit la route de Regent Street, de Pall Mall, deSaint James Street et de Piccadilly. Toute la circulation étaitarrêtée dans le centre de Londres. Il paraît que de nombreusescollisions se produisirent entre les fanatiques d’une part, lapolice et les chauffeurs de taxi de l’autre. Finalement, ce ne futpas avant minuit que nos quatre voyageurs furent autorisés àdescendre des épaules de leurs admirateurs devant l’appartement delord John Roxton, à l’Albany. La foule en liesse entonna en chœurThey are Jolly Good Fellows, et elle conclut le programmepar le traditionnel God save the King. Ainsi se terminal’une des soirées les plus passionnantes que Londres ait vécuesdepuis bien longtemps. »

Parfait, ami Macdona ! Ce compte rendupeut être tenu pour un récit exact, quoique un peu haut en couleur,de la séance. En ce qui concerne l’incident à sensation, ilconstitua pour l’assistance une surprise bouleversante, mais paspour nous, bien sûr ! Le lecteur se rappelle que j’avaisrencontré lord John Roxton le soir même où vêtu de sa crinolineprotectrice, il était allé chercher pour le Pr Challenger un« poulet du diable », comme il l’avait appelé. J’avaisfait allusion également à l’encombrement provoqué par les bagagesvolumineux du professeur quand nous quittâmes le plateau. Quandj’ai décrit notre voyage de retour, j’aurais pu révéler aussi lemal que nous eûmes à assouvir l’appétit de notre répugnantcompagnon avec du poisson pourri. Si je n’en ai pas soufflé mot,c’était parce que le professeur voulait garder le secret d’unargument irréfutable pour confondre ses ennemis.

Un mot sur le destin du ptérodactylelondonien. Rien de certain ne peut être affirmé. Deux femmesépouvantées ont témoigné l’avoir vu perché sur le toit du Queen’sHall : il serait resté là pendant plusieurs heures comme unestatue diabolique. Le lendemain, les journaux du soir rapportèrentque Privates Miles, des Goldstream Guards, en service devantMarlborough House, avait déserté sa faction sans permission, etqu’il était traduit en conseil de guerre. La version de PrivatesMiles, selon laquelle il avait laissé tomber son fusil et pris dansle Hall ses jambes à son cou parce qu’en levant les yeux il avaitsoudainement vu le diable qui s’interposait entre la lune et lui,ne fut pas retenue par le tribunal. Peut-être n’est-elle pascependant sans rapport avec l’affaire. Le seul autre témoignagedont je puisse faire état est tiré du carnet de bord du vapeurFriesland, un paquebot de la ligne Hollande-Amérique, quirelata que le lendemain matin à neuf heures le navire fut dépassépar un animal d’un type indéterminé intermédiaire entre une chèvrevolante et une chauve-souris monstrueuse, qui se dirigeait à uneallure prodigieuse vers le sud-ouest. Si son instinct ne l’aréellement pas trompé, le dernier ptérodactyle européen a trouvé lamort quelque part au-dessus des espaces de l’Atlantique.

Et Gladys ? Oh ! ma Gladys !Gladys du lac mystérieux… Lac qui continuera de s’appeler lacCentral, car ce ne sera pas par moi que Gladys atteindra àl’immortalité… N’avais-je pas toujours prétendu qu’elle avait unefibre de dureté ? N’avais-je pas senti, même dès l’époque oùj’étais fier d’obéir à son commandement, qu’il n’y avait qu’unpauvre amour pour conduire ainsi son amoureux à la mort ou à tousles dangers de la mort ? Est-ce que je n’avais pas discerné aufond de moi-même les ombres jumelles de l’égoïsme et del’inconstance qui se détachaient sur la perfection du visage ?Aimait-elle l’héroïque et le spectaculaire en eux-mêmes, ou bienles aimait-elle pour la gloire qui pouvait, sans effort desacrifice, en rejaillir sur sa personne ?… À moins que cespensées ne soient l’effet de la vaine sagesse qui se déclare aprèsl’événement !

Ce fut le choc de ma vie. Pendant quelquetemps, je devins un vrai cynique. Mais déjà, tandis que j’écris,une semaine a passé, et nous avons eu notre entretien capital aveclord John Roxton, et… après tout, les choses auraient pu êtrepires.

Permettez-moi de les raconter en peu de mots.Aucune lettre, aucun télégramme ne m’attendait à Southampton.J’atteignis la petite villa de Streatham vers dix heures du soir,fébrilement inquiet. Était-elle morte, ou en vie ? Où étaientmes beaux rêves de bras ouverts, d’un sourire rayonnant, delouanges envers l’homme qui avait risqué sa vie pour obéir à soncaprice ? Ah ! j’étais loin des hautes cimes à présent,j’avais les deux pieds sur la terre ! Peut-être de bonnesraisons m’auraient-elles projeté une fois encore dans les nuages…Bref, je fonçai dans le jardin, martelai la porte de mes poings,entendis la voix de Gladys à l’intérieur, bousculai la servanteébahie, et me ruai dans le salon. Elle était assise sur un bastabouret, à la lumière de la lampe habituelle, près du piano. Entrois bonds, j’avais traversé la pièce et je m’étais emparé de sesmains.

– Gladys ! criai-je. Gladys !

Elle leva les yeux, surprise. Je lus sur sonvisage une altération subtile. L’expression durcie du regard et lepincement des lèvres étaient nouveaux. Elle libéra ses mains.

– Que me voulez-vous ?demanda-t-elle.

– Gladys ! m’exclamai-je. Qu’est-ce quise passe ? Vous êtes ma Gladys, n’est-ce pas, petite GladysHungerton ?

– Non, fit-elle. Je suis Gladys Potts.Permettez-moi de vous présenter à mon mari.

Comme la vie est absurde. Je me surprism’inclinant mécaniquement devant un petit bonhomme aux cheveuxpoivre et sel, recroquevillé dans le grand fauteuil qui m’étaitautrefois réservé. Je lui serrai la main. Nous échangeâmes même unsourire.

– Papa nous permet de demeurer ici enattendant que notre maison soit achevée, dit Gladys.

– Ah ! oui…

– Vous n’avez donc pas reçu ma lettre àPara ?

– Non.

– Oh ! quel dommage ! Elle vousaurait informé…

– Je suis parfaitement informé, dis-je.

– J’ai tout dit à William à votre sujet,poursuivit-elle. Nous n’avons pas de secrets l’un pour l’autre. Jesuis désolée. Mais votre sentiment n’était pas trop profond,n’est-ce pas, puisque vous êtes parti pour l’autre extrémité dumonde et que vous m’avez laissée seule. Vous ne m’en voulez pas,dites ?

– Non. Non. Pas du tout. Je crois que je vaism’en aller.

– Vous prendrez bien quelque chose ? ditle petit bonhomme, qui ajouta sur le mode confidentiel : c’esttoujours comme ça, hé ! Et ça sera toujours comme ça, tant quevous ne serez pas polygame. La polygamie, c’est le seul moyen des’en sortir.

Il éclata de rire comme un idiot, tandis queje me dirigeais vers la porte.

J’étais sur le seuil quand une soudaineimpulsion me domina, alors je revins vers mon heureux rival, quiloucha nerveusement vers la sonnette.

– Voudriez-vous répondre à une question ?demandai-je.

– Si c’est une question raisonnable…

– Comment avez-vous réussi ? Avez-vouscherché un trésor caché, ou découvert un pôle, ou pourchassé unpirate, ou traversé la Manche à pied sec, ou quoi ? Quel estl’éclat de votre aventure ?

Il me regarda avec une expression désespéréesur son visage vide, honnête, bien lavé.

– Ne pensez-vous pas que cette question soitun peu trop personnelle ?

– Bien ! m’écriai-je. Alors une autrequestion. Qui êtes-vous ? Quelle est votreprofession ?

– Je suis le secrétaire d’un homme de loi, merépondit-il. Le deuxième homme chez Johnson & Merivale’s, 41,Chancery Lane.

– Bonne nuit !

Là-dessus je disparus, comme tous les héros aucœur brisé, dans la nuit, le chagrin, la rage et le rirebouillonnaient en moi comme dans une marmite.

Encore une petite scène, et j’en aurai fini.Hier soir, nous avons tous soupé dans l’appartement de lord JohnRoxton. Ensuite, nous avons fumé en bons amis et nous avons évoquéune fois encore nos aventures. C’était étrange de voir dans undécor nouveau les vieilles figures que je connaissais si bien. Il yavait Challenger, avec son sourire condescendant, ses paupièreslourdes, ses yeux insolents, sa barbe agressive, son torsebombé ; et il se gonflait, il soufflait tout en exposant sesidées à Summerlee. Et Summerlee, aussi, était là, avec sa courtepipe de bruyère entre sa moustache mince et son bouc gris, et satête décharnée saillait au-dessus du cou pendant qu’il débattaitles propositions de Challenger. Enfin notre hôte, avec ses traitsaquilins et ses yeux froids, bleus, toujours nuancés d’humour dansleurs profondeurs. Nous étions rassemblés dans son sanctuaire (lapièce aux éclairages roses et aux trophées innombrables) et lordJohn Roxton avait quelque chose à nous dire. D’une armoire, ilavait tiré une antique boîte à cigares, et il l’avait posée devantlui sur la table.

– Il y a une chose, dit-il, dont peut-êtrej’aurais dû parler auparavant, mais je voulais savoir un peu plusclairement où j’en étais. Inutile de faire naître des espoirs pourqu’ils s’effondrent ensuite. Mais à présent, il y a des faits, etpas seulement des espoirs. Vous rappelez-vous le jour où nous avonsdécouvert la colonie de ptérodactyles dans le marais, hein ?Eh bien ! dans le sol, j’avais remarqué quelque chose.Peut-être cela vous a-t-il échappé, aussi je vais vous le dire.C’était un cratère volcanique plein d’argile bleue.

Les professeurs acquiescèrent d’un signe detête.

« Bon. Eh bien ! dans le mondeentier, je n’ai vu qu’un endroit où il y avait un cratèrevolcanique d’argile bleue : la grande mine de diamants deKimberley ; la mine de Beers, hein ? Alors, vous voyez,j’avais en tête une idée de diamants. J’ai construit un dispositifpour me tenir hors de portée de ces bêtes collantes, et j’ai passéune bonne journée là avec une petite bêche. Voici ce que j’en aitiré.

Il ouvrit sa vieille boîte à cigares et larenversa : vingt ou trente pierres brutes, dont la formevariait entre celles d’un haricot et d’une noisette, roulèrent surla table.

« Peut-être pensez-vous que j’aurais dûvous en parler ? Oui, j’aurais dû. Seulement, je sais qu’ilexiste quantité d’attrapes pour les imprudents : ces pierres,en dépit de leur taille, pouvaient ne pas valoir grand-chose ;cela dépend de la couleur, de la consistance. Alors je les airapportées. Et dès mon arrivée ici je suis allé faire un tour chezmon joaillier, et je lui ai demandé d’en tailler une et del’évaluer.

Il tira de sa poche une boîte à pilules, d’oùil sortit un magnifique diamant qui étincelait, l’une des plusbelles pierres que j’eusse jamais vues.

« Voilà le résultat, dit-il. Il estime lelot à un minimum de deux cent mille livres. Bien entendu, nous nousle partageons entre nous. Je ne voudrais pas entendre l’ombre d’uneprotestation… Dites, Challenger, qu’est-ce que vous allez faire devos cinquante mille livres ?

– Si vous persistez dans votre générosité,répondit le professeur, je fonderai un musée privé, dont je rêvedepuis toujours.

– Et vous, Summerlee ?

– J’abandonnerai ma chaire, et je trouveraiainsi le temps de classer mes fossiles.

– Moi, ajouta lord John Roxton, j’emploieraimes cinquante mille livres à organiser une expédition bien montéeet à jeter un nouveau coup d’œil sur ce cher vieux plateau. Etvous, bébé, vous, naturellement, vous les dépenserez pour votremariage ?

– Pas encore, dis-je avec un triste sourire.Je crois que si vous voulez bien de ma société, je préféreraisaller avec vous.

Lord Roxton ne me répondit pas ; maispar-dessus la table, une main brune se tendit vers moi.

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