Le Parfum de la Dame en noir

Chapitre 7De quelques précautions qui furent prises par Joseph Rouletabillepour défendre le fort d’Hercule contre une attaque ennemie

Rouletabille n’eut même point la politesse de demanderl’explication de cet étonnant sobriquet. Il paraissait abîmé dansles plus sombres réflexions. Drôle de dîner ! Drôle dechâteau ! Drôles de gens ! Les grâces languissantes deMrs. Edith ne suffirent point à nous galvaniser. Il y avait là deuxnouveaux ménages, quatre amoureux qui auraient dû être la gaieté del’heure, et rayonner de la joie de vivre. Le repas fut des plustristes. Le spectre de Larsan planait sur les convives, même surcelui d’entre nous qui ne le savait point si proche.

Il est juste de dire, du reste, que le professeur Stangerson,depuis qu’il avait appris la cruelle, la douloureuse vérité, nepouvait se débarrasser de ce spectre-là. Je ne crois pointm’avancer beaucoup, en prétendant que la première victime du dramedu Glandier et la plus malheureuse de toutes était le professeurStangerson. Il avait tout perdu : sa foi dans la science, l’amourdu travail, et – ruine plus affreuse que toutes les autres – lareligion de sa fille. Il avait tant cru en elle ! Elle avaitété pour lui l’objet d’un si constant orgueil. Il l’avait associéependant tant d’années, vierge sublime, à sa recherche del’inconnu ! Il avait été si merveilleusement ébloui de cettedéfinitive volonté qu’elle avait eue de refuser sa beauté àquiconque eût pu l’éloigner de son père et de la science ! Et,quand il en était encore à considérer avec extase un pareilsacrifice, il apprenait que, si sa fille refusait de se marier,c’est qu’elle l’était déjà à un Ballmeyer ! Le jour oùMathilde avait décidé de tout avouer à son père et de lui confesserun passé qui devait, aux yeux du professeur déjà averti par lemystère du Glandier, éclairer le présent d’un éclat bien tragique,le jour où, tombant à ses pieds et embrassant ses genoux, elle luiavait raconté le drame de son cœur et de sa jeunesse, le professeurStangerson avait serré dans ses bras tremblants son enfantchérie ; il avait déposé le baiser du pardon sur sa têteadorée, il avait mêlé ses larmes aux sanglots de celle qui avaitexpié sa faute jusque dans la folie, et il lui avait juré qu’ellene lui avait jamais été plus précieuse que depuis qu’il savait cequ’elle avait souffert. Et elle s’en était allée un peu consolée.Mais lui, resté seul, se releva un autre homme… un homme seul, toutseul… l’homme seul ! Le professeur Stangerson avait perdu safille et ses dieux !

Il l’avait vue avec indifférence se marier à Robert Darzac, quiavait été, cependant, son élève le plus cher. En vain Mathildes’efforçait-elle de réchauffer son père d’une tendresse plusardente. Elle sentait bien qu’il ne lui appartenait plus, que sonregard se détournait d’elle, que ses yeux vagues fixaient dans lepassé une image qui n’était plus la sienne, mais qui l’avait été,hélas ! Et que, s’ils revenaient à elle, à elle Mme Darzac,c’était pour apercevoir à ses côtés, non point la figure respectéed’un honnête homme, mais la silhouette éternellement vivante,éternellement infâme, de l’autre ! De celui qui avait été lepremier mari, de celui qui lui avait volé sa fille !… Il netravaillait plus !… Le grand secret de la Dissociation de lamatière qu’il s’était promis d’apporter aux hommes retournerait aunéant d’où, un instant, il l’avait tiré, et les hommes iraient,répétant pendant des siècles encore, la parole imbécile : Ex nihilonihil !

Le repas était rendu plus lugubre encore par le cadre danslequel il nous était servi, cadre sombre, éclairé d’une lampegothique, de vieux candélabres de fer forgé, entre des murs deforteresse garnis de tapisseries d’Orient et contre lesquelss’appuyaient de vieilles armoires datant de la première invasionsarrasine, et des sièges à la Dagobert.

À tour de rôle, j’examinais les convives, et ainsim’apparaissaient les causes particulières de la tristesse générale.M. et Mme Robert Darzac étaient à côté l’un de l’autre. Lamaîtresse de céans n’avait évidemment point voulu séparer des épouxaussi neufs, dont l’union ne datait que de l’avant-veille. Desdeux, je dois dire que le plus désolé était, sans contredit, notreami Robert. Il ne prononçait pas une parole. Mme Darzac, elle, semêlait encore à la conversation, échangeait quelques réflexionsbanales avec Arthur Rance. Devrais-je ajouter même, à ce propos,qu’après la scène à laquelle j’avais assisté du haut de ma fenêtreentre Rouletabille et Mathilde je m’attendais à voir celle-ci plusatterrée… quasi anéantie par cette vision menaçante d’un Larsansurgi des eaux. Mais non ! Bien au contraire, je constataisune remarquable différence entre l’aspect effaré sous lequel ellenous était apparue précédemment à la gare, par exemple, et celui-ciqui était presque entièrement de sang-froid. On eût dit que cetteapparition l’avait plutôt soulagée et quand je fis part, dans lasoirée, de cette réflexion à Rouletabille, le jeune reporter fut demon avis et m’expliqua cette apparente anomalie de la façon la plussimple. Mathilde ne devait rien tant redouter que de redevenirfolle, et la certitude cruelle où elle était maintenant de ne pasavoir été victime de l’hallucination de son cerveau troublé avaitcertainement servi à lui rendre un peu de calme. Elle préféraitencore avoir à se défendre de Larsan vivant que de sonfantôme ! Dans la première entrevue qu’elle avait eue avecRouletabille dans la Tour Carrée pendant que j’achevais matoilette, elle avait, du reste, semblé à mon jeune ami tout à faithantée par cette idée qu’elle redevenait folle ! Rouletabille,me racontant cette entrevue, m’avoua qu’il n’avait pu lui rendrequelque tranquillité qu’en prenant le contre-pied de tout cequ’avait fait Robert Darzac, c’est-à-dire en ne lui cachant pointque ses yeux avaient bien vu clair et vu Frédéric Larsan !Quand elle sut que Robert Darzac ne lui avait dissimulé cetteréalité que par la crainte qu’elle n’en fût épouvantée et qu’ilavait été le premier à télégraphier à Rouletabille de venir à leursecours, elle avait poussé un soupir qui ressemblait à s’yméprendre à un sanglot. Elle avait pris les mains de Rouletabilleet les avait soudain couvertes de baisers, comme une mère fait,dans un accès de gloutonnerie adorable, aux mains de son tout petitenfant. Évidemment, elle était instinctivement reconnaissante aujeune homme vers lequel elle se sentait irrésistiblement portée partoutes les forces mystérieuses de son être maternel, de ce qu’ilrepoussait, d’un mot, la folie qui rôdait toujours autour d’elle etqui, de temps en temps, revenait frapper à sa porte. C’est dans cemoment qu’ils avaient aperçu, tous deux en même temps, par lafenêtre de la tour, Frédéric Larsan, debout, dans sa barque. Ilsl’avaient d’abord regardé avec stupeur, immobiles et muets. Puis uncri de rage s’était échappé de la gorge angoissée de Rouletabilleet celui-ci avait voulu se précipiter, courir sus à l’homme !Nous avons vu comment Mathilde l’avait retenu, s’accrochant à luijusque sur le parapet… Évidemment, c’était horrible, cetterésurrection naturelle de Larsan, mais moins horrible que larésurrection continuelle et surnaturelle d’un Larsan quin’existerait que dans son cerveau malade !… Elle ne voyaitplus Larsan partout. Elle le voyait où il était !

À la fois nerveuse et douce, tantôt patiente et par instantsimpatiente, Mathilde, tout en répondant à Arthur Rance, prenait deM. Darzac les soins les plus charmants, les plus tendres. Elleétait pleine d’attention, le servant elle-même, avec un admirableet sérieux sourire, veillant à ce qu’il n’eût point la vue fatiguéepar l’approche trop brusque d’une lumière. Robert la remerciait etsemblait, je dois bien le constater, affreusement malheureux. Etj’étais bien obligé de me rappeler que le malencontreux Larsanétait arrivé à temps pour rappeler à Mme Darzac qu’avant d’être MmeDarzac elle était Mme Jean Roussel-Ballmeyer-Larsan devant Dieu etmême, au regard de certaines lois transatlantiques, devant leshommes.

Si le but de Larsan avait été, en se montrant, de porter un coupaffreux à un bonheur qui n’était encore qu’en expectative, il avaitpleinement réussi !… Et, peut-être, en historien exact del’événement, devons-nous appuyer sur ce fait moral, grandement àl’honneur de Mathilde, que ce n’est point seulement l’état dedésarroi où se trouvait son esprit à la suite de la réapparition deLarsan, qui l’incita à faire comprendre à Robert Darzac, le premiersoir où ils se trouvèrent face à face – enfin seuls ! – dansl’appartement de la Tour Carrée, que cet appartement était assezvaste pour y loger séparément leurs deux désespoirs ; mais cefut encore le sentiment du devoir, c’est-à-dire de ce qu’ils sedevaient chacun à tous deux, qui leur dicta la plus noble et laplus auguste des décisions ! J’ai déjà dit que MathildeStangerson avait été très religieusement élevée, non point par sonpère qui était assez indifférent sur ce chapitre, mais par lesfemmes et surtout par sa vieille tante de Cincinatti. Les étudesauxquelles elle s’était livrée par la suite, aux côtés duprofesseur, n’avaient en rien ébranlé sa foi et le professeurs’était bien gardé d’influencer en quoi que ce fût, à ce propos,l’esprit de sa fille. Celle-ci avait conservé, même au moment leplus redoutable de la création du néant, théorie sortie du cerveaude son père, ainsi que celle de la dissociation de la matière, lafoi des Pasteur et des Newton. Et elle disait couramment que, s’ilétait prouvé que tout venait de rien, c’est-à-dire de l’étherimpondérable, et retournait à ce rien, pour en ressortiréternellement, grâce à un système qui se rapprochait d’une façonsingulière des fameux atomes crochus des anciens, il restait àprouver que ce rien, origine de tout, n’avait pas été créé parDieu. Et, en bonne catholique, ce Dieu, évidemment, était le sien,le seul qui eût son vicaire ici bas, appelé pape. J’auraispeut-être passé sous silence les théories religieuses de Mathildesi elles n’avaient été d’un appoint certain dans les résolutionsqu’elle eut à prendre vis-à-vis de son nouvel époux devant leshommes, quand il lui fut révélé que son mari devant Dieu étaitencore de ce monde. La mort de Larsan ayant paru certaine, elleétait allée à une nouvelle bénédiction nuptiale avec l’assentimentde son confesseur, en veuve. Et voilà qu’elle n’était plus veuve,mais bigame devant Dieu ! Au surplus, une telle catastrophen’était point irrémédiable et elle dut elle-même faire luire auxyeux attristés de ce pauvre M. Darzac la perspective d’un sortmeilleur qui serait arrangé comme il convient par la cour de Rome,à laquelle, le plus vite possible, il faudrait incontinent,soumettre le litige. Bref, en conclusion de tout ce qui précède, M.et Mme Robert Darzac, quarante-huit heures après leur mariage àSaint-Nicolas-du-Chardonnet, faisaient chambre à part, au fond dela Tour Carrée. Le lecteur comprendra alors qu’il n’en fallaitpeut-être point davantage pour expliquer l’irrémédiable mélancoliede Robert et les soins consolateurs de Mathilde.

Sans être précisément au courant, ce soir-là, de tous cesdétails, j’en soupçonnai néanmoins le plus important. De M. et deMme Darzac, mes yeux s’en furent au voisin de celle-ci, MrArthur-William Rance, et ma pensée déjà s’emparait d’un nouveausujet d’observation, lorsque le maître d’hôtel vint nous annoncerque le concierge Bernier demandait à parler tout de suite àRouletabille. Celui-ci se leva aussitôt, s’excusa, et sortit.

« Tiens ! Fis-je, les Bernier ne sont donc plus auGlandier ! »

On se rappelle, en effet, que ces Bernier – l’homme et la femme– étaient les concierges de M. Stangerson àSainte-Geneviève-des-Bois. J’ai raconté, dans Le Mystère de laChambre Jaune, comment Rouletabille les avait fait remettre enliberté, alors qu’ils étaient accusés de complicité dans l’attentatdu pavillon de la Chênaie. Leur reconnaissance pour le jeunereporter, à cette occasion, avait été des plus grandes, etRouletabille avait pu, dès lors, faire état de leur dévouement. M.Stangerson répondit à mon interpellation en m’apprenant que tousses domestiques avaient quitté le Glandier qu’il avait à jamaisabandonné. Comme les Rance avaient besoin de concierges pour lefort d’Hercule, le professeur avait été heureux de leur céder cesloyaux serviteurs dont il n’avait jamais eu à se plaindre, endehors d’une petite histoire de braconnage qui avait failli tournersi mal pour eux. Maintenant, ils logeaient dans l’une des tours dela poterne d’entrée dont ils avaient fait leur loge et d’où ilssurveillaient le mouvement d’entrée et de sortie du fortd’Hercule.

Rouletabille n’avait pas paru le moins du monde étonné quand lemaître d’hôtel lui avait annoncé que Bernier désirait lui dire unmot : c’était donc, pensai-je, qu’il était déjà au fait de leurprésence aux Rochers Rouges. En somme, je découvrais – sans en êtrestupéfait, du reste – que Rouletabille avait sérieusement employéles quelques minutes pendant lesquelles je le croyais dans sachambre et que j’avais consacrées, moi, à ma toilette ou àd’inutiles bavardages avec M. Darzac.

Ce départ inattendu de Rouletabille jeta un froid. Chacun sedemandait si cette absence ne coïncidait point avec quelqueévénement important relatif au retour de Larsan. Mme Robert Darzacétait inquiète. Et, parce que Mathilde se montrait fâcheusementimpressionnée, je vis bien que Mr Arthur Rance crut bon demanifester, lui aussi, un discret émoi. Ici, il est bon de dire queMr Arthur Rance et sa femme n’étaient point au courant de tous lesmalheurs de la fille du professeur Stangerson. On avait,naturellement, jugé inutile de leur faire part du mariage secret deMathilde et de Jean Roussel, devenu Larsan. C’était là un secret defamille. Mais ils savaient mieux que n’importe qui – Arthur Rancepour avoir été mêlé au drame du Glandier, et sa femme parce que sonmari le lui avait raconté – avec quel acharnement le célèbre agentde la sûreté avait poursuivi celle qui devait être un jour MmeDarzac. Les crimes de Larsan s’expliquaient naturellement aux yeuxd’Arthur Rance par une passion désordonnée, et il ne faut points’étonner qu’un homme qui avait été si longtemps épris de Mathildeque le phrénologue américain n’eût point cherché à l’attitude deLarsan d’autre explication que celle d’un amour furieux et sansespoir. Quant à Mrs. Edith, je me rendis bientôt parfaitementcompte que les raisons du drame du Glandier ne lui semblaient pointaussi simples que voulait bien le dire son mari. Pour qu’ellepensât comme celui-ci, il eût fallu qu’elle éprouvât pour Mathildeun enthousiasme approchant de celui d’Arthur Rance et, bien aucontraire, toute son attitude, que j’observais à loisir, sansqu’elle s’en doutât, disait : « Mais, enfin ! qu’a donc cettefemme de si étonnant pour avoir inspiré des sentiments aussichevaleresques, aussi criminels à des cœurs d’hommes, pendant de silongues années ?… Eh quoi ! la voilà donc cette femmepour laquelle, policier, on tue ; pour laquelle, sobre, ons’enivre ; et pour laquelle on se fait condamner,innocent ? Qu’a-t-elle de plus que moi qui n’ai su que mefaire platement épouser par un mari que je n’aurais jamais eu sielle ne l’avait pas repoussé ? Oui, qu’a-t-elle ? Ellen’a même plus la jeunesse ! Et cependant, mon mari m’oubliepour la regarder encore ! » Voilà ce que je lus dans les yeuxde Mrs. Edith qui regardait son mari regarder Mathilde. Ah !les yeux noirs de la douce, de la langoureuse Mrs. Edith !

Je me félicite de ces présentations nécessaires que je viens defaire au lecteur. Il est bon qu’il sache les sentiments quihabitent le cœur de chacun, dans le moment que chacun va avoir unrôle à jouer dans l’étrange et inouï drame qui se prépare dansl’ombre, dans l’ombre qui enveloppe le fort d’Hercule. Et encore,je n’ai rien dit du vieux Bob, ni du prince Galitch, mais leurtour, n’en doutez point, viendra. C’est que j’ai pris comme règle,dans une affaire aussi considérable, de ne peindre choses et gensqu’au fur et à mesure de leur apparition au cours des événements.Ainsi le lecteur passera par toutes les alternatives, quequelques-uns de nous ont connues, d’angoisse et de paix, de mystèreet de clarté, d’incompréhension et de compréhension ! Tantmieux si la lumière définitive se fait dans l’esprit du lecteuravant l’heure où elle m’est apparue. Comme il disposera, ni plus nimoins, des mêmes moyens que nous pour voir clair, il se sera prouvéà lui-même qu’il jouit d’un cerveau digne du crâne deRouletabille.

Nous achevâmes ce premier repas sans avoir revu notre jeune amiet nous nous levâmes de table sans nous communiquer le fond denotre pensée qui était des plus troubles. Mathilde s’enquitimmédiatement de Rouletabille quand elle fut sortie de la Louve, etje l’accompagnai jusqu’à l’entrée du fort. M. Darzac et Mrs. Edithnous suivaient. M. Stangerson avait pris congé de nous. ArthurRance, qui avait un instant disparu, vint nous rejoindre comme nousarrivions sous la voûte. La nuit était claire, toute illuminée delune. Cependant, on avait allumé des lanternes sous la voûte quiretentissait de grands coups sourds. Et nous entendîmes la voix deRouletabille qui encourageait ceux qui l’entouraient : «Allons ! encore un effort ! » disait-il, et des voix,après la sienne, se mettaient à haleter comme font les marins quihalent les barques sur la jetée, à l’entrée des ports. Enfin, ungrand tumulte nous emplit les oreilles. On se serait cru dans unecloche. C’étaient les deux vantaux de l’énorme porte de fer quivenaient de se rejoindre pour la première fois, depuis plus de centans.

Mrs. Edith s’étonna de cette manœuvre de la dernière heure etdemanda ce qu’était devenue la grille qui faisait jusqu’alorsfonction de porte. Mais Arthur Rance lui saisit le bras et ellecomprit qu’elle n’avait qu’à se taire, ce qui ne l’empêcha point demurmurer : « Vraiment, ne dirait-on pas que nous allons subir unsiège ? » Mais Rouletabille entraînait déjà tout notre groupedans la baille, et nous annonçait, en riant, que, si nous avionspar hasard le désir d’aller faire un tour en ville, il fallait pource soir-là y renoncer, attendu que ses ordres étaient donnés et quenul ne pouvait plus sortir du château, ni y entrer. Le pèreJacques, ajouta-t-il, toujours en affectant de plaisanter, étaitchargé par lui d’exécuter la consigne et chacun savait qu’il étaitimpossible de séduire ce vieux serviteur. C’est ainsi que j’apprisque le père Jacques, que j’avais connu au Glandier, avaitaccompagné le professeur Stangerson à qui il servait de valet dechambre. La veille, il avait couché dans un petit cabinet de laLouve, attenant à la chambre de son maître, mais Rouletabille avaitchangé tout cela, et c’était le père Jacques, maintenant, qui avaitpris la place des concierges dans la tour A.

« Mais où sont les Bernier ? demanda Mrs. Edith,intriguée.

– Ils sont déjà installés dans la Tour Carrée, dans la chambred’entrée, à gauche ; ils serviront de concierges à la TourCarrée !… répondit Rouletabille.

– Mais la Tour Carrée n’a pas besoin de concierges !s’écria Mrs. Edith, dont l’ahurissement était sans bornes.

– C’est ce que nous ne savons pas, madame », répliqua lereporter sans explication.

Mais il prit à part Mr Arthur Rance et lui fit comprendre qu’ildevait mettre sa femme au courant de la réapparition de Larsan. Sil’on prétendait cacher la vérité plus longtemps à M. Stangerson, onne pouvait guère y parvenir sans l’aide intelligente de Mrs. Edith.Enfin, il était bon que chacun, désormais, au fort d’Hercule, fûtpréparé à tout, autrement dit, ne fût surpris par rien !

Là-dessus, il nous fit traverser la baille et nous noustrouvâmes à la poterne du jardinier. J’ai dit que cette poterne Hcommandait l’entrée de la seconde cour ; mais il y avait beautemps qu’à cet endroit le fossé avait été comblé. Autrefois, il yavait là un pont-levis. Rouletabille, à notre grande stupéfaction,déclara que le lendemain il ferait dégager le fossé et rétablir lepont-levis !

Dans le moment même, il s’occupait de faire fermer, par les gensdu château, cette poterne par une sorte de porte de fortune enattendant mieux, faite de planches et de vieux bahuts que l’onavait sortis de la bâtisse du jardinier. Ainsi, le château sebarricadait et Rouletabille était seul maintenant à en rire touthaut ; car Mrs. Edith, mise rapidement au courant par sonmari, ne disait plus rien, se contentant de s’amuser in pettoprodigieusement de ces visiteurs qui transformaient son vieuxchâteau fort en place imprenable parce qu’ils redoutaientl’approche d’un homme, d’un seul homme !… C’est que Mrs. Edithne connaissait point cet homme-là et qu’elle n’avait pas passé parle Mystère de la Chambre Jaune ! Quant aux autres – et ArthurRance lui-même était de ceux-là – ils trouvaient tout naturel etabsolument raisonnable que Rouletabille les fortifiât contrel’inconnu, contre le mystère, contre l’invisible, contre ce on nesavait quoi qui rôdait dans la nuit, autour du fortd’Hercule !

À cette poterne, Rouletabille n’avait placé personne, car il seréservait ce poste, cette nuit-là, pour lui-même. De là, il pouvaitsurveiller et la première et la seconde cour. C’était un pointstratégique qui commandait tout le château. On ne pouvait parvenirdu dehors jusqu’aux Darzac qu’en passant d’abord par le pèreJacques, en A, par Rouletabille en H, et par le ménage Bernier quiveillait sur la porte K de la Tour Carrée. Le jeune homme avaitdécidé que les veilleurs désignés ne se coucheraient pas. Commenous passions près du puits de la Cour du Téméraire, je vis à laclarté de la lune qu’on avait dérangé la planche circulaire qui lefermait. Je vis aussi, sur la margelle, un seau attaché à unecorde. Rouletabille m’expliqua qu’il avait voulu savoir si ce vieuxpuits correspondait avec la mer et qu’il y avait puisé une eauabsolument douce, preuve que cette eau n’avait aucune relation avecl’élément salé. Il fit quelques pas alors avec Mme Darzac qui pritaussitôt congé de nous et entra dans la Tour Carrée. M. Darzac, surla prière de Rouletabille, resta avec nous, ainsi qu’Arthur Rance.Quelques phrases d’excuses à l’adresse de Mrs. Edith firentcomprendre à celle-ci qu’on la priait poliment de s’aller coucher,ce qu’elle fit d’une grâce assez nonchalante et en saluantRouletabille d’un ironique : « Bonsoir, monsieur lecapitaine ! »

Quand nous fûmes seuls, entre hommes, Rouletabille nous entraînavers la poterne, dans la petite chambre du jardinier ; c’étaitune pièce fort obscure, basse de plafond, où l’on se trouvaitmerveilleusement blottis pour voir sans être vus. Là, Arthur Rance,Robert Darzac, Rouletabille et moi, dans la nuit, sans même avoirallumé une lanterne, nous tînmes notre premier conseil de guerre.Ma foi, je ne saurais quel autre nom donner à cette réuniond’hommes effarés, réfugiés derrière les pierres de ce vieux châteauguerrier.

« Nous pouvons tranquillement délibérer ici, commençaRouletabille ; personne ne nous entendra et nous ne seronssurpris par personne. Si l’on parvenait à franchir la premièreporte gardée par le père Jacques sans qu’il s’en aperçût, nousserions immédiatement avertis par l’avant-poste que j’ai établi aumilieu même de la baille, dissimulé dans les ruines de la chapelle.Oui, j’ai placé là votre jardinier, Mattoni, Monsieur Rance. Jecrois, à ce qu’on m’a dit, qu’on peut être sûr de cet homme ?Dites-moi, je vous prie, votre avis ?… »

J’écoutais Rouletabille avec admiration. Mrs. Edith avaitraison. C’était vrai qu’il s’improvisait notre capitaine et voilàque, d’emblée, il prenait toutes dispositions susceptiblesd’assurer la défense de la place. Certes ! j’imagine qu’iln’avait point envie de la rendre, à n’importe quel prix, et qu’ilétait parfaitement disposé à se faire sauter en notre compagnie,plutôt que de capituler. Ah ! le brave petit gouverneur deplace que c’était là ! Et, en vérité, il fallait être tout àfait brave pour entreprendre de défendre le fort d’Hercule contreLarsan, plus brave que s’il se fût agi de mille assiégeants, commeil arriva à l’un des comtes de la Mortola qui n’eût, pourdébarrasser la place, qu’à faire donner grosses pièces,couleuvrines et bombardes et puis à charger l’ennemi déjà à moitiédéfait par le feu bien dirigé d’une artillerie qui était l’une desplus perfectionnées de l’époque. Mais là, aujourd’hui, quiavions-nous à combattre ? Des ténèbres ! Où étaitl’ennemi ? Partout et nulle part ! Nous ne pouvions niviser, ne sachant où était le but, ni encore moins prendrel’offensive, ignorant où il fallait porter nos coups ? Il nenous restait qu’à nous garder, à nous enfermer, à veiller et àattendre !

Mr Arthur Rance ayant déclaré à Rouletabille qu’il répondait deson jardinier Mattoni, notre jeune homme, sûr désormais d’êtrecouvert de ce côté, prit son temps pour nous expliquer d’abordd’une façon générale la situation. Il alluma sa pipe, en tira troisou quatre bouffées rapides et dit :

« Voilà ! Pouvons-nous espérer que Larsan, après s’êtremontré si insolemment à nous, sous nos murs, comme pour nousbraver, comme pour nous défier, s’en tiendra à cette manifestationplatonique ? Se contentera-t-il d’un succès moral qui auraporté le trouble, la terreur et le découragement dans une partie dela garnison ? Et disparaîtra-t-il ? Je ne le pense pas, àvrai dire. D’abord, parce que ce n’est point dans son caractèreessentiellement combatif, et qui ne se satisfait pas avec desdemi-succès, ensuite parce que rien ne le force àdisparaître ! Songez qu’il peut tout contre nous, mais quenous ne pouvons rien contre lui, que nous défendre et frapper, sinous le pouvons, quand il le voudra bien ! Nous n’avons, eneffet, aucun secours à attendre du dehors. Et il le saitbien ; c’est ce qui le fait si audacieux et sitranquille ! Qui pouvons-nous appeler à notre aide ?

– Le procureur ! » fit, avec une certaine hésitation,Arthur Rance, car il pensait bien que, si cette hypothèse n’avaitpas été encore envisagée par Rouletabille, c’est qu’il devait yavoir quelque obscure raison à cela.

Rouletabille considéra son hôte avec un air de pitié qui n’étaitpoint non plus exempt de reproche. Et il dit, d’un ton glacé quirenseigna définitivement Arthur Rance sur la maladresse de saproposition :

« Vous devriez comprendre, monsieur, que je n’ai point, àVersailles, sauvé Larsan de la justice française, pour le livrer,aux Rochers Rouges, à la justice italienne. »

Mr Arthur Rance, qui ignorait, comme je l’ai dit, le premiermariage de la fille du professeur Stangerson, ne pouvait mesurer,comme nous, toute l’impossibilité où nous étions de révélerl’existence de Larsan sans déchaîner, surtout depuis la cérémoniede Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le pire des scandales et la plusredoutable des catastrophes ; mais certains incidentsinexpliqués du procès de Versailles avaient dû suffisamment lefrapper pour qu’il fût à même de saisir que nous redoutionspar-dessus tout d’intéresser à nouveau le public à ce que l’onavait appelé Le Mystère de Mademoiselle Stangerson.

Il comprit ce soir-là, mieux que jamais, que Larsan nous tenaitpar un de ces secrets terribles qui décident de l’honneur ou de lamort des gens, en dehors de toutes les magistratures de laterre.

Il s’inclina donc devant M. Robert Darzac, sans plus dire unmot ; mais ce salut signifiait de toute évidence que Mr ArthurRance était prêt à combattre pour la cause de Mathilde comme unnoble chevalier qui s’inquiète peu des raisons de la bataille, dumoment qu’il meure pour sa belle. Du moins, j’interprétai ainsi songeste, persuadé que l’Américain, malgré son récent mariage, étaitloin d’avoir oublié son ancienne passion.

M. Darzac dit :

« Il faut que cet homme disparaisse, mais en silence, soit qu’onle réduise à merci, soit qu’on passe avec lui un traité de paix,soit qu’on le tue !… Mais la première condition de sadisparition est le secret à garder sur sa réapparition. Surtout, jeme ferai l’interprète de Mme Darzac en vous priant de tout faire aumonde pour que M. Stangerson ignore que nous sommes menacés encoredes coups de ce bandit !

– Les désirs de Mme Darzac sont des ordres, répliquaRouletabille. M. Stangerson ne saura rien !… »

On s’occupa ensuite de la situation faite aux domestiques et dece qu’on pouvait attendre d’eux. Heureusement, le père Jacques etles Bernier étaient déjà à demi dans le secret des choses et nes’étonneraient de rien. Mattoni était assez dévoué pour obéir àMrs. Edith « sans comprendre ». Les autres ne comptaient pas. Il yavait bien encore Walter, le domestique du vieux Bob, mais il avaitaccompagné son maître à Paris et ne devait revenir qu’avec lui.

Rouletabille se leva, échangea par la fenêtre un signe avecBernier qui se tenait debout sur le seuil de la Tour Carrée etrevint s’asseoir au milieu de nous.

« Larsan ne doit pas être loin, dit-il. Pendant le dîner, j’aifait une reconnaissance autour de la place. Nous disposons, au-delàde la porte Nord, d’une défense naturelle et sociale merveilleuseet qui remplace avantageusement l’ancienne barbacane du château.Nous avons là, à cinquante pas, du côté de l’Occident, les deuxpostes frontières des douaniers français et italiens dontl’inexorable vigilance peut nous être d’un grand secours. Le pèreBernier est tout à fait bien avec ces braves gens et je suis alléavec lui les interroger. Le douanier italien ne parle quel’italien, mais le douanier français parle les deux langues, plusle jargon du pays, et c’est ce douanier (qui s’appelle, m’a ditBernier, Michel) qui nous a servi de truchement général. Par sonintermédiaire, nous avons appris que nos deux douaniers s’étaientintéressés à la manœuvre insolite, autour de la presqu’îled’Hercule, de la petite barque de Tullio, surnommé Le Bourreau dela Mer. Le vieux Tullio est une des anciennes connaissances de nosdouaniers. C’est le plus habile contrebandier de la côte. Iltraînait, ce soir, dans sa barque, un individu que les douaniersn’avaient jamais vu. La barque, Tullio et l’inconnu ont disparu ducôté de la pointe de Garibaldi. J’y suis allé avec le père Bernier,et, pas plus que M. Darzac qui y était allé précédemment, nousn’avons rien aperçu. Cependant Larsan a dû débarquer… J’en ai commele pressentiment. Dans tous les cas, je suis sûr que la barque deTullio a abordé près de la pointe de Garibaldi…

– Vous en êtes sûr ? s’écria M. Darzac.

– À cause de quoi en êtes-vous sûr ? demandai-je.

– Bah ! fit Rouletabille, elle a laissé encore la trace desa proue dans le galet du rivage et, en abordant, elle a faittomber de son bord le réchaud à pommes de pin que j’ai retrouvé etque les douaniers ont reconnu, réchaud qui sert à Tullio à éclairerles eaux quand il pêche la pieuvre, par les nuits calmes.

– Larsan est certainement descendu ! reprit M. Darzac… Ilest aux Rochers Rouges !…

– En tout cas, si la barque l’a laissé aux Rochers Rouges, iln’en est point revenu, fit Rouletabille. Les deux postes desdouaniers sont placés sur le chemin étroit qui conduit des RochersRouges en France, de telle sorte que nul n’y peut passer de jour oude nuit sans en être aperçu. Vous savez, d’autre part, que lesRochers Rouges forment cul-de-sac et que le sentier s’arrête devantces rochers, à trois cents mètres environ de la frontière. Lesentier passe entre les rochers et la mer. Les rochers sont à picet constituent une falaise d’une soixantaine de mètres dehauteur.

– Certes ! fit Arthur Rance, qui n’avait encore rien dit,et qui semblait très intrigué, il n’a pu escalader la falaise.

– Il se sera caché dans les grottes, observa Darzac ; il ya dans la falaise des poches profondes.

– Je l’ai pensé ! dit Rouletabille. Aussi, moi, je suisretourné tout seul aux Rochers Rouges, après avoir renvoyé le pèreBernier.

– C’était imprudent, remarquai-je.

– C’était par prudence ! corrigea Rouletabille. J’avais deschoses à dire à Larsan, que je ne tenais point à faire savoir à untiers… Bref, je suis retourné aux Rochers Rouges ; devant lesgrottes, j’ai appelé Larsan.

– Vous l’avez appelé ! s’écria Arthur Rance.

– Oui ! je l’ai appelé dans la nuit commençante, j’ai agitémon mouchoir, comme font les parlementaires avec leur drapeaublanc. Mais est-ce qu’il ne m’a point entendu ? Est-ce qu’iln’a point vu mon drapeau ?… Il n’a pas répondu.

– Il n’était peut-être plus là, hasardai-je.

– Je n’en sais rien !… J’ai entendu du bruit dans unegrotte !…

– Et vous n’y êtes pas allé ? demanda vivement ArthurRance.

– Non ! répondit simplement Rouletabille, mais vous pensezbien, n’est-ce pas ? que ce n’est point parce que j’ai peur delui…

– Courons-y ! nous écriâmes-nous tous, en nous levant d’unmême mouvement, et qu’on en finisse une bonne fois !

– Je crois, fit Arthur Rance, que nous n’avons jamais eu unemeilleure occasion de joindre Larsan. Eh ! nous ferons bien delui ce que nous voudrons, au fond des Rochers Rouges ! »

Darzac et Arthur Rance étaient déjà prêts ; j’attendais cequ’allait dire Rouletabille. D’un geste il les calma et les pria dese rasseoir…

« Il faut réfléchir à ceci, fit-il, que Larsan n’aurait pas agiautrement qu’il ne l’a fait, s’il avait voulu nous attirer ce soirdans les grottes des Rochers Rouges. Il se montre à nous, ildébarque presque sous nos yeux à la pointe de Garibaldi, il nouseût crié en passant sous nos fenêtres : « Vous savez, je suis auxRochers Rouges ! Je vous attends ! Venez-y !… »qu’il n’aurait peut-être pas été plus explicite ni pluséloquent !

– Vous êtes allé aux Rochers Rouges, repartit Arthur Rance, quis’avoua, du reste, profondément touché par l’argument deRouletabille… et il ne s’est pas montré. Il s’y cache, méditantquelque crime abominable pour cette nuit… Il faut le déloger delà.

– Sans doute, répliqua Rouletabille, ma promenade aux RochersRouges n’a produit aucun résultat, parce que j’y suis allé seul…mais que nous y allions tous et nous pourrons trouver un résultat ànotre retour…

– À notre retour ? interrogea Darzac, qui ne comprenaitpas.

– Oui, expliqua Rouletabille, à notre retour au château où nousaurons laissé Mme Darzac toute seule ! Et où nous ne laretrouverions peut-être plus !… Oh ! ajouta-t-il, dans lesilence général, ce n’est là qu’une hypothèse. En ce moment, ilnous est défendu de raisonner autrement que par hypothèse… »

Nous nous regardions tous, et cette hypothèse nous accablait.Évidemment, sans Rouletabille, nous allions peut-être faire unegrosse bêtise, nous allions peut-être à un désastre…

Rouletabille s’était levé, pensif.

« Au fond, finit-il par dire, nous n’avions rien de mieux àfaire pour cette nuit, que de nous barricader. Oh ! barricadeprovisoire, car je veux que la place soit mise en état de défenseabsolue dès demain. J’ai fait fermer la porte de fer et je la faisgarder par le père Jacques. J’ai mis Mattoni en sentinelle dans lachapelle. J’ai rétabli ici un barrage, sous la poterne, le seulpoint vulnérable de la seconde enceinte et je garderai moi-même cebarrage. Le père Bernier veillera toute la nuit à la porte de laTour Carrée, et la mère Bernier, qui a de très bons yeux, et àlaquelle j’ai fait encore donner une lunette marine, resterajusqu’au matin sur la plate-forme de la tour. Sainclairs’installera dans le petit pavillon de feuilles de palmier, sur laterrasse de la Tour Ronde. Du haut de cette terrasse, ilsurveillera, avec moi du reste, toute la seconde cour et lesboulevards et parapets. Mrs. Arthur Rance et M. Robert Darzac serendront dans la baille et devront se promener jusqu’à l’aurore, lepremier sur le boulevard de l’Ouest, le second sur celui de l’Est,boulevards qui bornent la première cour du côté de la mer. Leservice sera dur cette nuit, parce que nous ne sommes pas encoreorganisés. Demain nous dresserons un état de notre petite garnisonet des domestiques sûrs, dont nous pouvons disposer en toutesécurité. S’il y a des domestiques douteux, on les fera sortir dela place. Vous apporterez ici, dans cette poterne, en cachette,toutes les armes dont vous pouvez disposer, fusils, revolvers. Onse les partagera suivant les besoins du service de garde. Laconsigne est de tirer sur tout individu qui ne répond pas au quivive ! et qui ne vient pas se faire reconnaître. Il n’y apoint de mot de passe, c’est inutile. Pour passer, il suffira decrier son nom et de faire voir son visage. Du reste, il n’y auraque nous qui aurons le droit de passer. Dès demain matin, je feraidresser, à l’entrée intérieure de la porte Nord, la grille quifermait jusqu’à ce soir son entrée extérieure, – entrée qui estclose, désormais, par la porte de fer ; et, dans la journée,les fournisseurs ne pourront franchir la voûte au-delà de la grille: ils déposeront leur marchandise dans la petite loge de la tour oùj’ai gîté le père Jacques. À sept heures, tous les soirs, la portede fer sera fermée. Demain matin, également, Mr Arthur Rancedonnera des ordres pour faire venir menuisiers, maçons etcharpentiers. Tout ce monde sera compté et ne devra, sous aucunprétexte, franchir la poterne de la seconde enceinte ; tout cemonde sera également compté avant sept heures du soir, heure àlaquelle devra avoir lieu le départ des ouvriers, au plus tard.Dans cette journée, les ouvriers devront entièrement achever leurtravail, qui consistera à me fabriquer une porte pour ma poterne, àréparer une légère brèche du mur qui joint le Château Neuf à laTour du Téméraire, et une autre petite brèche, qui se trouve situéeprès de l’ancienne Tour Ronde de coin (B sur le plan) qui défendl’angle nord-ouest de la baille. Après quoi, je serai tranquille,et Mme Darzac, à laquelle je défends de quitter le château jusqu’ànouvel ordre, étant ainsi en sûreté, je pourrai tenter une sortieet partir en reconnaissance sérieuse à la recherche du camp deLarsan. Allons, Mister Arthur Rance, aux armes ! Allez mechercher les armes dont vous disposez ce soir… Moi, j’ai prêté monrevolver au père Bernier, qui se promènera devant la porte del’appartement de Mme Darzac… »

Quiconque eût ignoré les événements du Glandier et auraitentendu un pareil langage dans la bouche de Rouletabille n’auraitpoint manqué de traiter de fous et celui qui le tenait, et ceux quil’écoutaient ! Mais, je le répète, si celui-là avait vécu lanuit de la galerie inexplicable, et la nuit du cadavre incroyable,il aurait fait comme moi : il eût chargé son revolver, et attendule jour sans faire le malin !

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