Le Pouce crochu

Chapitre 3

 

 

Cette année-là, Pâques tombait trèstard. La foire au pain d’épice durait encore et lescafés-concerts des Champs-Élysées venaient déjà d’ouvrir. À Paris,c’est signe que le printemps commence. Les viveurs n’ont pas besoinde consulter le calendrier pour changer de plaisirs. Au lieu des’enfermer dans les théâtres, ils vont là où ils sont sûrs detrouver des femmes en toilettes claires et de dîner enmusique.

Ainsi avaient fait Julien Gémozac etAlfred de Fresnay, le soir du jour où Camille Monistrol s’étaitprésentée pour la première fois chez l’associé de sonpère.

Julien n’avait pas encore digéré lemauvais tour que son camarade lui avait joué en le plantant làaprès leur aventure de la barrière du Trône. Il le lui reprochaitsouvent et, au fond, il lui en gardait rancune, mais rien ne liecomme les vices, et ces deux garnements étaientinséparables.

Ils s’étaient rencontrés, commed’habitude, à la partie de baccarat du Cercle, de quatre àsept ; par exception, ils avaient gagné et le gain les ayantmis en belle humeur, ils avaient décidé, d’un commun accord, depasser la soirée au café des Ambassadeurs.

Ils s’étaient fait servir sur laterrasse qui domine le concert, et ils y mangeaient en nombreusecompagnie. La fine fleur du quart-de-monde était là. On sedisputait les tables, et ces messieurs s’estimaient fort heureuxd’en occuper une des mieux placées – juste au milieu et tout contrela balustrade. Ils étaient venus pour s’amuser et ils s’amusaient,mais les deux convives n’étaient pas montés au même diapason degaieté.

Fresnay, tout à la joie, échangeait dessignes avec les horizontales[12]assises dans le voisinage, interpellait gaiement lesmessieurs qu’il connaissait, – et il en connaissait beaucoup, caril était un peu de toutes les bandes, – blaguait les chanteuses quis’égosillaient sur la scène, et ces distractions diverses nel’empêchaient pas de boire et de manger comme quatre ; deboire surtout, et du train dont il allait, il devaitinfailliblement finir par se griser.

Julien, moins exubérant de sa nature,prenait son plaisir en dedans et pensait à une foule de choses quin’avaient aucun rapport avec le bruyant entourage qui s’agitaitsous ses yeux. Il pensait que l’existence, même dorée, devientmonotone quand elle n’a pas de but ; que les farceuses à lamode se ressemblent toutes et que le bonheur ne consiste pas àsouper avec ces demoiselles et à tracasser la dame depique.

Il pensait qu’il approchait de latrentaine et que la vie de famille a son charme.

Il pensait surtout à CamilleMonistrol.

La jeune fille qu’il avait vue le matin,si belle et si sérieuse, lui apparaissait comme un vivant contrasteavec toutes ces dévoyées qui n’étaient venues là que pour chercherfortune. Leurs manèges le dégoûtaient et ses nerfs se crispaientquand il les entendait rire à faux des plaisanteries stupides deleurs amis de rencontre.

Et il en était à se demander s’il neferait pas mieux de passer carrément et d’un seul saut dans le campdes bourgeoises.

Il dépendait de lui de prendre, pour yentrer, un chemin que mademoiselle Monistrol lui avait indiqué etqui lui plaisait, précisément parce qu’il n’était pas facile àsuivre. Courir les aventures et braver des dangers pour conquérirla main d’une honnête fille, c’était plus tentant et plus neuf quede subventionner des drôlesses et même que de se laissertranquillement marier par ses parents à quelque richehéritière.

Ces sages réflexions juraient avec lesgrimaces du comique de l’endroit, qui mimait, en ce moment, unechansonnette désopilante, et elles ennuyaient Fresnay, qui se mit àdire :

– Ah ! tu as le vin triste,toi ! Nous en sommes à notre troisième bouteille de Rœderer,et tu n’as encore ouvert la bouche que pour boire. À la seconde,j’étais déjà gai comme un pinson. Maintenant, je commence à avoirenvie de faire des bêtises.

– Moi pas, répliqua laconiquementJulien.

– Veux-tu parier cent francs que jegrimpe sur l’estrade là-bas, et que je dégoise uneromance ?

– Tu en es bien capable, mais on temettrait au poste et je t’y laisserais… quand ce ne serait que pourt’apprendre à me lâcher comme tu l’as fait l’autre jour.

– Comment ! tu m’en veuxencore ?… mais tu devrais me remercier. Je t’ai laissé entête-à-tête avec une personne qui t’avait donné dansl’œil…

– Et avec un hommeassassiné !…

– Mon cher, j’avais promis à deux femmescharmantes de leur payer à souper… Or, je n’ai qu’une parole,et…

– Tais-toi !… Tu ne comprends rien…et tu ne seras jamais qu’un gommeux.

– Alors, tu crois que je n’ai pas depoésie dans l’âme ?… Eh ! bien, tu t’abuses, mon cher.J’aspire à me lancer dans de chevaleresques extravagances… j’aisoif d’inconnu… Oui, moi, Alfred de Fresnay, gentilhomme angevin,et sceptique de profession, je rêve un idéal… le diable, c’est queje ne le trouve pas… mais il me prend par moments des envies de mesacrifier pour une femme… une femme comme on n’en voit pas…Montre-m’en une qui en vaille la peine, et je me déclarerai prêt àla défendre envers et contre tous. Tu hausses les épaules ? Tucrois que je blague ?… C’est que tu ne me connais pas… J’aides tendances romanesques… Tant pis pour toi si tu ne les as pasaperçues… des tendances cachées…

– Elles apparaissent surtout quand tu asbu.

– Et quand j’ai gagné au baccarat… maistu n’as qu’à me mettre à l’épreuve…

– Tiens ! le voilà ton idéal,répliqua Gémozac, impatienté par ces propos d’ivrogne.

– Cette femme qui vient d’entrer ?…hé ! hé ! je ne dis pas non. Elle est superbe… et puiselle a un type étrange.

L’idéal en question était une grandediablesse bien plantée, qui ne ressemblait pas du tout auxcréatures attablées sur la terrasse. Celles-là, brunes ou blondes,étaient toutes bâties sur le même modèle et habillées à peu près dela même façon. Qui en a vu une en a vu cent. C’est un troupeau debrebis… égarées. La nouvelle venue portait une toilette bizarre,qu’aucune couturière en renom n’aurait voulu signer et qu’elleavait dû inventer tout exprès pour se faire remarquer. Ses cheveuxétaient roux, de ce roux vénitien qu’affectionnaient les maîtres duseizième siècle. Ses yeux brillaient comme deux diamants noirs etses lèvres ne souriaient pas. Avec son grand chapeau à bordstailladés et sa robe à demi décolletée, elle avait l’air d’unVelasquez détaché de son cadre.

Son entrée avait fait sensation. Lescocodès[13] ricanaient ; leursaimables compagnes chuchotaient. Évidemment, personne, parmi leshabitués de la terrasse, ne connaissait cette femme qui cependantne devait pas être une débutante, car elle ne paraissait pastimide. Elle regardait dédaigneusement l’assistance et elle restaitlà, coudoyée à chaque instant par les garçons qui allaient etvenaient du couloir à la terrasse.

Fresnay ne manqua pas cette occasion deprouver à son ami que les aventures excentriques ne l’effrayaientpas. Il se leva, aborda carrément la dame et lui dit sanspréambule :

– Vous cherchez une place… il y en a uneà notre table…

– Non… je cherche quelqu’un,répondit-elle froidement.

– Quelqu’un qui vous fait poser,puisqu’il n’est pas là. Dînez avec nous.

– Merci… j’ai dîné, mais je veux bienm’asseoir.

Sur quoi, Fresnay lui prit galamment lamain et la conduisit à la chaise qu’il venait de quitter et qu’elleoccupa sans se faire prier.

Gémozac se serait bien passé de lacompagnie que son camarade lui amenait, et cependant sa curiosités’éveillait. Il se disait :

– Où donc ai-je vu cettefigure-là ?

Mais il avait beau regarderattentivement cette rousse aux yeux noirs, il ne parvenait pas à serappeler dans quelles circonstances il l’avait rencontrée. C’étaitchez lui un souvenir confus. Peut-être même était-il dupe d’uneressemblance. La taille, le teint, les traits, il croyait lesreconnaître, mais il y avait dans l’ensemble quelque chose qui ledéroutait.

Fresnay, enchanté de sa trouvaille,prenait déjà des airs triomphants. Il se rengorgeait, il avait misses pouces dans les entournures de son gilet, et il se balançaitsur sa chaise en lorgnant l’étrange personne à côté de laquelle ilétait assis. Il semblait dire aux gens : c’est moi qui ai faitcette conquête, et je vous en souhaite une pareille.

La dame ne lui rendait pas ses œilladeset ne desserrait pas les dents. Elle ne paraissait même pass’apercevoir qu’elle était attablée avec deux messieurs quivalaient pourtant bien la peine qu’elle s’occupât d’eux, carGémozac était très joli garçon et Alfred de Fresnay était ce qu’onappelle dans le monde gai : pourri de chic. Elle nevoyait que la scène, étincelante de lumières et émaillée dedemoiselles très décolletées qui n’étaient là que pour la montre.Cette contemplation l’absorbait à ce point qu’elle ne remarquaitpas les manèges de son voisin.

– Avouez, dit Fresnay en goguenardant,que vous êtes venue pour entendre Chaillié, le petit bossu. Toutesles femmes le gobent[14].

– Je ne le connais pas, répliquadédaigneusement la rousse.

– C’est donc la première fois que vousvenez aux Ambassadeurs ?

– Oui. Qu’est-ce que c’est que cesdames, assises en rond là-bas… sur les planches… est-ce qu’ellesvont chanter ?

– Jamais de la vie. Ce sont de simplesfigurantes.

– Pourquoi les a-t-on habillées l’une enbleu, l’autre en rouge, l’autre en jaune, l’autre en vert ?…On dirait une nichée de perroquets.

– Absolument. Madame a le mot juste.Madame serait-elle artiste dramatique ?… non… artiste lyrique,peut-être ?

– Pas artiste du tout.Étrangère.

– Ça ne m’étonne pas. Les Françaisesn’ont pas des yeux et des cheveux comme les vôtres. Vous devez êtreEspagnole.

– Non, je suis Hongroise.

– Ça revient au même. Votre nationaliténe vous empêchera pas d’accepter un verre deChampagne ?

– Je veux bien. J’ai soif.

Fresnay s’empressa de remplir un verremousseline.

– Non, dit la dame, pas là-dedans.J’aime mieux une coupe.

– Je vais en demander une augarçon.

– Pas la peine : Je me servirai decelle-ci.

Et s’emparant de la coupe pleine queJulien avait devant lui, elle la vida d’un trait.

Le procédé était familier, mais si maldisposé qu’il fût, Julien ne pouvait guère se fâcher. Il s’inclinamême pour remercier l’étrangère de l’honneur inattendu qu’elle luifaisait, et elle lui rendit un sourire engageant.

Ces façons commençaient à l’intriguer etil s’efforça de plus belle de ressaisir un souvenir qui luiéchappait, le souvenir d’une rencontre avec cette énigmatiquepersonne. Il n’y réussit pas davantage, mais il resta convaincuqu’il l’avait déjà vue quelque part, et il risqua unequestion :

– Puis-je vous demander, madame, depuiscombien de temps vous êtes à Paris ? Je ne suis jamais allé enHongrie et cependant je m’imagine que votre visage ne m’est pasinconnu.

– C’est possible. Je suis arrivée lasemaine dernière, mais je vais partout… je veux toutvoir.

– Seule ? dit Fresnay en clignantde l’œil.

– Oui, monsieur. Je me passe fort biende protecteur, car je ne crains personne.

– Alors, vous n’êtes pasmariée ?

– Je n’ai pas besoin de mari.

– Commentl’entendez-vous ?

– J’entends que je veux me gouverner,comme il me plait, et il me plaît en ce moment, de courir les coinset les recoins de cette ville curieuse. Ce ne sont pas lesmonuments qui m’intéressent. Je veux découvrir le Paris inconnudont j’ai lu tant de descriptions dans les romans français… lesbouges… les assommoirs…

– Et vous commencez ce soir par uncafé-concert. C’est parfait, chère madame. Mais il y a mieux et jesuis en mesure de vous mener dans les bons endroits. Je serai doncvotre guide, si vous le permettez, et je vous garantis que vousn’en trouverez pas de meilleur.

– Merci. J’en ai un.

– Qui ça ? Un interprète qu’on vousa fourni à l’hôtel où vous êtes descendue ?… un domestique deplace à dix francs par jour ? Il vous fera visiter la Monnaie,les Halles et les Abattoirs… tandis qu’un vieux Parisien comme moivous montrera ce que les étrangers ne voient jamais.

– Vous n’y êtes pas, monsieur ; monguide n’est pas à mes gages. C’est un de mes compatriotes quihabite votre pays depuis dix ans et qui a été l’ami de mon père. Ils’est mis à ma disposition et nous sortons ensemble tous les jours.Ce soir, je pensais le trouver ici… il m’avait dit qu’il ydînerait.

– Et il vous a manqué de parole. C’estimpardonnable. Mais vous n’y perdrez rien, car je le remplaceraiavantageusement. Où faut-il vous conduire après le concert ?Parlez ! ne vous gênez pas ! Désirez-vous voir labibine[15] dupère Lunette ?… La cité du Soleil ?… vulgairement appeléele Petit-Mazas… voulez-vous souper au tombeau des lapins,le restaurant préféré de messieurs leschiffonniers ?

– Tout cela doit être très intéressant,mais ce que j’ambitionne, c’est d’assister à une chasse à l’homme…des policiers traquant un assassin… comme dans les livres deGaboriau.

– Cette femme est folle, pensaJulien.

– Je comprends ce désir, réponditimperturbablement Fresnay. Seulement, ces expéditions-là ne se fontpas à jour fixe. Et d’abord, vous qui possédez si bien notrelangue, vous devez connaître le proverbe : pour faire uncivet, il faut un lièvre. Et les assassins, fort heureusement, sontplus rares que les lièvres.

– On ne s’en douterait pas, quand on litvos journaux. Il n’y a pas de jour où ils ne racontent un crimenouveau. Le lendemain de mon arrivée à Paris, ils ne parlaient quede l’assassinat du boulevard… je ne me rappelle plus le nom…Ah ! du boulevard Voltaire…

– En effet, c’est tout récent… et c’estune affaire très curieuse…

Julien allongea sous la table un coup depied à Fresnay, qui reprit sans se déconcerter :

– Je vous étonnerais bien, chère madame,si je vous disais que j’y ai été mêlé… et mon ami aussi…

– Vous, monsieur ! s’écria la dameen regardant Gémozac, qui aurait volontiers battu soncamarade.

Fresnay se chargea derépondre.

– Mon Dieu, oui, dit-il, mon ami, JulienGémozac, que j’ai l’honneur de vous présenter, a découvert lecadavre. Nous nous trouvions là, par hasard… et, ce qu’il y a deplus extraordinaire, c’est que Julien connaît beaucoup la fille dumalheureux qu’on a étranglé.

– C’est vrai, murmura l’inconnue, lejournal a dit qu’il avait une fille.

– Une très jolie personne, ma foi !et toute jeune.

– Ah ! que je la plains ! jesais ce que c’est que de rester orpheline à l’âge où l’on entredans la vie ! J’avais seize ans quand j’ai perdu mon père… etencore, moi, à sa mort, j’ai hérité d’une grande fortune, tandisque cette pauvre enfant se trouve sans doute dans lamisère…

– Oh ! quant à cela, rassurez-vous,chère madame. Elle est riche.

– Vraiment ? demanda l’étrangèreavec une vivacité qui surprit beaucoup Gémozac.

– Oui, répondit Fresnay, elle est trèsriche, et pourtant le père n’avait pas le sou. Il s’est trouvéqu’il avait inventé je ne sais quel appareil pour les machines àvapeur et que cette invention rapportera énormément d’argent à safille. Julien vous expliquera cela beaucoup mieux que moi, car sonpère était l’associé du défunt… il est maintenant l’associé del’orpheline…

– Finiras-tu cette conversationstupide ? s’écria Julien, exaspéré par les bavardagesintempestifs de son malencontreux camarade, qui semblait prendre àtâche de l’irriter en parlant de mademoiselle Monistrol à uneinconnue très suspecte.

– Pardonnez moi, monsieur, dit doucementcette singulière créature Je vous ai affligé, sans le vouloir, eninterrogeant votre ami sur une personne à laquelle vous vousintéressez. Je regrette beaucoup de vous avoir fait de la peine.J’ai eu tort aussi de m’asseoir à votre table, car vous avez dû mejuger fort mal. C’est la faute de mon caractère et de l’éducationque j’ai reçue. Je suis accoutumée à ne jamais me contraindre et àne mesurer ni la portée de mes paroles, ni la portée de mes actes.Mais je vous supplie de ne pas me prendre pour une aventurière. Jesuis la veuve du comte de Lugos. J’habite au Grand-Hôtel, jusqu’àce que j’aie trouvé une installation plus convenable, et, si vousvoulez bien venir m’y voir, j’espère que vous changerez d’opinionsur mon compte. Je vous présenterai mon compatriote,M. Tergowitz, que j’espérais rencontrer ici, cesoir.

– Et moi, s’écria Fresnay, est-ce quevous me fermerez votre porte ?

– Non, monsieur, car j’espère que vousallez me dire votre nom.

– C’est juste. Je vous ai présenté monami Gémozac, et comme il ne me paraît pas disposé à me rendre lapareille, je vais me présenter moi-même… Alfred, baron de Fresnay,vingt-neuf ans, orphelin, célibataire et propriétaire en Anjou… Ànous deux, Julien et moi nous représentons la noblesse et letiers-état… mais je troquerais volontiers les revenus de mabaronnie contre les millions du père Gémozac, qui reviendront unjour à son fils unique, ici présent.

– Il me suffit de savoir que j’aiaffaire à deux gentlemen. Je serais charmée, messieurs, de vousrecevoir ; mais je doute que vous gardiez le souvenir d’unerencontre due au hasard…

– Je vous prouverai le contraire, etbientôt, dit chaleureusement Fresnay, qui s’emballait de plus enplus sur la belle aux cheveux roux.

Julien ne dit mot. Il ne croyait pas auxbeaux discours de la dame, et cette soi-disant comtesse hongroiselui faisait de plus en plus l’effet d’être tout simplement uneintrigante. Il commençait même à soupçonner qu’elle avait sesraisons pour s’adresser à eux, et il maudissait l’indiscrétiond’Alfred, qui s’amusait à la renseigner, et qui ne paraissait pasdisposé à s’arrêter en si beau chemin.

– Du reste, reprit cet incorrigiblebavard, je compte, chère madame, que nous allons vous offrir, dèsce soir, une excursion intéressante. Après le concert, je vousmontrerai, si vous le permettez, un des coins les plus bizarres duParis nocturne.

– En attendant, dit l’étrangère sans seprononcer, je vous prie de me laisser jouir d’un spectacle toutnouveau pour moi. Est-ce qu’on ne chantera plus ? Les dames detoutes couleurs s’en vont… et la scène reste vide.

– Elles reviendront, mais nous allonsd’abord avaler des exercices de trapèze qui ne vous amuserontguère.

– Pardon ! j’aime beaucoup lesgymnastes, et je suis très curieuse de voir si ceux-là sont aussiforts que les nôtres.

– Gymnastes ! répéta mentalementGémozac. Elle emploie le mot propre et elle parle un français trèscorrect ! D’où sort-elle ? Jamais je ne me déciderai àcroire que c’est une femme du vrai monde… quelque institutricedéclassée peut-être… ce fou d’Alfred tirera la chose au clair… sansque je m’en mêle…

Alfred continuait à boire pour s’exciteret la problématique comtesse suivait, avec une attention marquée,le travail de deux artistes en maillot couleur chair, en caleçon develours noir et en bottines frangées d’argent, qui exécutaient surune barre fixe les tours les plus extraordinaires, pirouettant,voltigeant, se balançant accrochés par les mains, par les dents,par la nuque ou par les jarrets.

Elle s’y connaissait sans doute, cartantôt elle approuvait d’un hochement de tête un saut bien réussi,tantôt elle faisait la moue lorsque l’exécution d’une cabrioledifficile laissait à désirer.

La chaise que le galant Fresnay luiavait cédée était tout près de la balustrade. La dame, absorbée parce spectacle intéressant, finit par s’accouder sur cette clôture enbois, sans plus se préoccuper des deux jeunes gens assis à la mêmetable qu’elle. Julien ne la voyait plus que de profil et Alfred nela voyait plus du tout, car elle lui tournait le dos.

Les dîneurs des deux sexes quiremplissaient la terrasse ne s’occupaient pas de ce trio malassorti. Mais les deux amis échangeaient des signes que laHongroise, placée comme elle l’était, ne pouvait pasapercevoir.

– Décampons le plus tôt possible, mimaitJulien. Je ne veux pas m’accointer de cette femme toute lasoirée.

– Elle me plaît, répondait Alfred pardes jeux de physionomie. Va-t’en, si tu veux ! moi, je resteet je pousserai l’aventure jusqu’au bout.

Et personne ne bougeait, quoique Julienenrageât de tout son cœur. Il aurait voulu s’esquiver sans bruit,mais il devinait que, s’il se levait, l’insupportable Alfredl’interpellerait, que la dame se mettrait de la partie et qu’uneexplication s’ensuivrait. Il faudrait donner des raisons pourmotiver ce départ précipité, et il n’en trouvait pas de bonnes, carAlfred savait parfaitement que son camarade n’avait rien à faire cesoir-là.

Tout en maugréant, à part lui, Julien,accoté comme l’étrangère à la balustrade, regarda au-dessous delui, et il avisa en bas un monsieur qui, au lieu de suivre des yeuxle spectacle, faisait face à la terrasse et levait la tête enl’air, comme s’il eût cherché quelqu’un parmi lesdîneurs.

Ce monsieur était jeune, bien tourné,bien vêtu, bien ganté, et il n’y avait pas lieu de s’étonner qu’ilpassât en revue les jolies horizontales attablées au-dessus de satête.

Mais Julien s’aperçut bien vite qu’ilobservait uniquement la prétendue comtesse et qu’il devait laconnaître, car il fit un geste qui ne pouvait s’adresser qu’à elleet qui voulait dire, selon toute apparence : « Trèsbien ! j’ai compris ; c’est convenu. »

Julien avait surpris la fin d’unentretien muet, et cette découverte le mit encore plus endéfiance.

– Bonsoir, les gymnastes ! s’écriaFresnay. Les voilà partis. On baisse le rideau… nous allonsretomber dans les fortes chanteuses et dans les ténors légers.Madame la comtesse tient-elle beaucoup à lesentendre ?

– Mon Dieu, non, répondit l’étrangère.Mon compatriote n’arrive pas et il est inutile que je l’attende,car je commence à croire qu’il a oublié notrerendez-vous.

– Heureusement, je suis là pour vousservir, chère madame, et je vous promets de vous faire voir dunouveau, si vous voulez bien vous en rapporter à moi.

– Je ne dis pas non… à condition quevotre ami sera de l’expédition.

– N’y comptez pas, dit vivementJulien.

– Tu viendras, reprit Fresnay, car jevais te mener dans un monde où tu as des chances de rencontrerl’assassin de l’associé de ton père. Et tu as promis à mademoiselleMonistrol de l’aider à retrouver ce gredin.

– Qu’est-ce que c’est que mademoiselleMonistrol ? demanda tranquillement la soi-disant comtesse deLugos.

– C’est la fille de l’inventeur dont jevous parlais tout à l’heure et dont les journaux vous ont racontéla mort tragique. Moi, je n’ai fait que l’entrevoir et je ne saistrop si je la reconnaîtrais, mais mon ami Gémozac est destiné à larencontrer souvent et il lui est tout dévoué.

– Je te prie de te taire !… ditJulien avec colère.

– Ne vous défendez pas, monsieur, d’unsentiment qui vous honore, reprit la noble étrangère. Cette enfantest seule au monde, à ce qu’il parait. Il est tout naturel que vousvous attachiez à elle, et si réellement elle songe à venger sonpère…

– Elle ne songe qu’à cela, s’écriaFresnay.

Et comme Julien ouvrait la bouche pourlui imposer silence, l’impitoyable bavard ajouta :

– C’est toi qui me l’as dit. Tu m’as ditaussi qu’elle a juré d’épouser l’homme qui arrêtera l’assassin… etc’est une jolie prime à gagner, que la main de mademoiselleMonistrol, puisque l’invention de son papa doit rapporter desmillions. Je me serais peut-être mis sur les rangs, mais cettedemoiselle doit avoir une dent contre moi… et d’ailleurs, je puismieux employer mon temps.

Fresnay, pour souligner cette dernièrephrase, lança une œillade incendiaire à la Hongroise, qui réponditpar un sourire encourageant.

Julien était outré, et pour mettre unterme à cet insupportable marivaudage, il allait rompre envisière[16] à cette femme en luienjoignant de déguerpir, lorsqu’un maître d’hôtel venu des sallesdu rez-de-chaussée, s’approcha sournoisement de la table, etdemanda :

– Dois-je remettre à madame une cartequ’un monsieur m’a chargé de porter à madame la comtesse deLugos ?

– Donnez ! dit l’étrangère enétendant le bras.

La carte passa sous le nez d’Alfred, et,dès que la dame y eut jeté les yeux, elle s’écria :

– Je savais bien que M. Tergowitzne me ferait pas faux bond. Il est au concert ; il m’a vue, etil me prie de venir le rejoindre.

Puis, s’adressant au maîtred’hôtel :

– Dites à ce monsieur, que jedescends.

– Quoi ! vous allez nousquitter ! soupira Fresnay.

– À mon grand regret, cher monsieur,mais il le faut. Mon compatriote a ma parole pour ce soir… et quandje promets, je tiens.

– Présentez-nous à lui, tout de suite.Nous finirons la soirée à nous quatre.

– Ce serait charmant, mais il me sembleplus convenable de remettre la présentation à un autre jour… chezmoi, quand j’aurai le plaisir de vous y recevoir.

– Il habite donc aussi le Grand-Hôtel,votre compatriote, dit Fresnay avec intention.

– Non, monsieur, répliqua froidementmadame de Lugos, mais je suis seule et il m’arrive parfois dem’ennuyer. M. Tergowitz sait cela et vient à peu près tous lesjours me tenir compagnie. C’est pourquoi j’aurais tort de ne pasaller le rejoindre.

Au revoir donc, messieurs… ouadieu ! conclut l’étrangère en se levant d’un air si délibéréque Fresnay s’effaça pour la laisser passer et ne chercha point àla retenir.

Elle traversa la terrasse sans regarderpersonne et elle disparut dans le couloir où aboutitl’escalier.

Gémozac n’attendait que son départ pouréclater :

– Tu as donc juré de te brouiller avecmoi ? commença-t-il en roulant des yeux furibonds.

– Pourquoi ? demanda froidementAlfred. Parce que je viens de poser des jalons pour faire monchemin dans les bonnes grâces d’une jolie femme ?… car elleest très jolie, tu ne peux pas le nier.

– Eh ! morbleu ! fais-en tamaîtresse, si vu veux, mais ne lui raconte pas mes affaires… etcelles des autres.

– Bon ! tu me reproches d’avoirparlé de toi et de mademoiselle Monistrol. Où est le mal ?Elle ne te connaît pas et elle ne rencontrera probablement jamaiscette jeune fille qui t’intéresse si fort. La comtesse vient àParis pour s’amuser et pas du tout pour se mêler d’une histoire quine la regarde pas.

– Alors, tu crois que c’est une vraiecomtesse ? En vérité, tu es trop bête.

– Pas si bête que tu le penses. Jem’inquiète fort peu de ses quartiers de noblesse, mais je trouve sapersonne à mon goût et j’entrevois une liaison des plusdivertissantes… Les étrangères, ça me va… surtout les excentriques…ça vous change et ça n’engage à rien. Avec celle-là, je feraipendant six semaines une vie de bâtons de chaise, et quand elleretournera en Hongrie, je me dispenserai de l’yaccompagner.

– Prends garde qu’elle ne te mène plusloin que tu ne voudrais aller ! Cette créature est unedrôlesse de la pire espèce, et son M. Tergowitz ne vaut pasmieux qu’elle. Je l’ai vu, moi, pendant que tu roucoulais sottementavec la belle. Il était planté sous la terrasse et ils échangeaientdes signes. Je suis sûr qu’ils s’entendent comme larrons en foireet ils t’en feront voir de belles, si tu es assez fou pour telancer dans l’intimité de la dame. Peu m’importe après tout.Casse-toi le cou, si tu veux, mais ne prononce plus jamais mon nomdevant ces gens-là…

– Ni celui de mademoiselle Monistrol…c’est entendu. Il est probable, du reste, que la comtesse n’aretenu ni l’un ni l’autre, et très certain qu’elle ne s’attend pasà te revoir, car tu ne lui as dit tout le temps que des chosesdésagréables.

– Je ne lui en ai pas dit assez. Cettefemme me déplaît… autant qu’elle te plaît, et ce n’est pas peudire. J’ai le pressentiment qu’elle me fera du mal.

– Comment diable s’y prendrait-elle pourte nuire ? Tu es décidé à ne pas aller chez elle, etvraisemblablement tu ne la trouveras jamais sur ton chemin. Et, dureste, pourquoi chercherait-elle à te jouer un mauvais tour ?Tu n’as pas été poli avec elle, mais ce n’est pas une raisonsuffisante pour qu’elle te déclare la vendetta.

– Si je te disais que je suis à peu prèssûr de l’avoir déjà vue ailleurs et sous un autrecostume…

– Pas dans le monde, je suppose… tu n’yvas plus… ni chez une des horizontales que tu fréquentes… il y en ace soir une flotte sur la terrasse où nous dînons… toutes ontexaminé ma Hongroise et j’ai fort bien vu que pas une ne laconnaissait.

– C’est possible, mais tu ne m’ôteraspas de l’esprit qu’elle est montée ici tout exprès pour entrer enconversation avec nous… et pour nous faire dire des choses qu’elleavait intérêt à savoir. Tu l’as servie à souhait car tu lui asfourni une foule de renseignements… qu’elle ne te demandaitpas.

– Sur mademoiselle Monistrol. Voilà tamanie qui te reprend.

– Tâche du moins de réparer ta sottise,en m’aidant à découvrir à qui nous avons eu affaire. Il te serafacile, quand tu la reverras, d’observer ses allures… et sonentourage, car je la soupçonne d’être moins seule qu’elle ne leprétend. Dans tous les cas, elle doit avoir une femme de chambreet, moyennant un louis ou deux, la soubrette t’apprendra ce quevaut sa maîtresse.

– Allons, bon ! voilà maintenantque tu me pries de me faire ton espion. Ça ne me va guère, maisenfin, quand ce ne serait que pour te guérir de tes préventionscontre cette pauvre comtesse… tiens ! je la vois… elle estentrée au concert et elle cause avec un monsieur… là-bas, dans lecoin.

– Oui, grommela Julien, avec le monsieurqui tout à l’heure lui faisait des signes… Je le reconnaisparfaitement.

– Le gentilhomme hongrois,parbleu ! dit Fresnay.

– Il n’est, j’en réponds, ni Hongrois,ni gentilhomme.

– Il est, dans tous les cas, fort biende sa personne. Je conviens cependant qu’il a plutôt l’air d’unamant parisien que d’un seigneur madgyar[17].

– Et d’un amant complaisant. Il aperçoitsa maîtresse attablée avec deux jeunes gens, et, au lieu de monterpour lui faire une scène, ou tout au moins pour nous demander desexplications, il se contente d’entamer d’en bas une télégraphieclandestine…

– Ça prouve qu’en Hongrie on n’est pasjaloux. Chaque pays a ses mœurs. D’ailleurs, il ne s’en est pastenu là, puisqu’il a envoyé sa carte à la comtesse.

– C’est à nous qu’il aurait dû la faireremettre, s’il avait du cœur.

– Tu juges bien légèrement ce digneM. Tergowitz… car enfin il n’est peut-être que l’ami de madamede Lugos. Et ce qui me le ferait croire, c’est que si elle était samaîtresse, elle filerait avec lui… et les voilà qui s’installentcôte à côte sur deux fauteuils de bois… Ils entament un dialoguevif et animé… C’est dommage que nous ne puissions pas entendre cequ’ils se racontent… tu serais fixé… et moi aussi.

Fresnay ne croyait pas dire si juste,car la conversation qui venait de s’engager entre l’étrangère etson cavalier ne lui aurait laissé aucun doute sur la nature deleurs relations.

– Ne restons pas là, disait l’homme. Ilsnous voient de là-haut.

– Je le sais bien, répondit la dame,mais je leur ai annoncé que j’allais te rejoindre au concert. Sinous partions tout de suite, nous aurions l’air de nous sauver.Pour bien jouer mon rôle, il faut au contraire que je reste àcauser tranquillement avec toi.

– Alors, la blague a pris ?Qu’est-ce que tu leur as conté ?

– Que je suis la comtesse de Lugos, queje viens à Paris pour m’amuser et que je n’y connais personne, sice n’est un de mes compatriotes, un noble hongrois, qui répond aunom de Tergowitz… c’est toi qui es Tergowitz.

– Et ils ont gobél’histoire ?

– Ils ont fait semblant de la gober.C’est tout ce qu’il faut pour le moment.

– Ils ne t’ont pasreconnue ?

– Ça, non, j’en suis sûre.

– Bon ! maintenant, qu’est-ce c’estque ces deux citoyens-là ?

– Le plus petit s’appelle Alfred deFresnay ; il est baron et il me fait l’effet de ne penser qu’às’amuser. Il s’est allumé sur moi et il va me courir après, c’estsûr. Celui-là n’est pas dangereux, mais je me défie de l’autre, legrand blond. Il n’a pas dit grand’chose, et il n’a fait que meregarder tout le temps.

– Sais-tu son nom ?

– Parbleu ! Je ne suis montée quepour le savoir, et je rapporte des renseignements complets… JulienGémozac, fils de M. Gémozac…

– Le Gémozac qui a une usine sur le quaide Jemmapes ?… il doit être riche à millions.

– Oui, et de plus il était l’associé dupère de la petite. Comme ça se trouve, hein ? Le fils quitombe justement à la foire au pain d’épice, le soir del’affaire !… Le plus drôle, c’est qu’elle est très riche, lafille Monistrol… Son père a inventé je ne sais quoi, et l’inventionrapportera beaucoup d’argent.

– C’est bon à savoir.

– Attends, je n’ai pas fini. Cette douceenfant a juré de venger son papa. Elle offre sa main à quidécouvrira l’homme qui a fait le coup. Et Julien Gémozac a bonneenvie de gagner le prix. Nous voilà avertis.

– Je ne les crains pas.

– Ni moi non plus. Ils ne seront pasplus malins que le juge d’instruction. Mais il y a cette brute deCourapied. Il nous reconnaîtrait, lui, s’il nous rencontrait, et tupeux être sur qu’il nous cherche. Nous ferions peut-être biend’aller passer deux ou trois mois en Angleterre.

– Allons donc ! Nous y mangerionsnotre argent, tandis qu’à Paris nous sommes sûrs de réussir. Tuconnais le programme ?

– Parfaitement. Chacun travaillera deson côté… et on partagera les bénéfices. Mais, pour commencer, çava coûter cher.

– Je m’y attends bien. Je compte sur unedizaine de mille francs de frais de premier établissement. Tu leuras dit que tu logeais au Grand-Hôtel ?

– Oui. Et je parierais que le Fresnayviendra demain m’y faire une visite.

– Il faut donc que tu y débarques demainavec tes bagages et ta femme de chambre. Les colis t’attendent à lagare de l’Est, où je les ai déposés en ton nom. Tu n’auras qu’à lesy prendre et ce soir je te présenterai la femme de chambre. Tu laconnais d’ailleurs.

– Olga… la tireuse de cartes…, oui,c’est une fine mouche, et si tu es sûr d’elle…

– Comme de toi. D’ailleurs, je la tiens.Si elle bronchait, j’ai de quoi la faire envoyer à la Centrale pourdix ans. Maintenant, je ne suis pas disposé à entrer dans la peaudu seigneur hongrois que tu as inventé. Je te gênerais et il vautmieux que je ne figure pas dans la comédie que tu vas jouer. Jem’installerai à part et pas sous le nom de Tergowitz.

– Comme tu voudras… pourvu que je tevoie tous les jours.

– Non, toutes les nuits. Nous nousrencontrerons dans notre cassine de la plaine Saint-Denis… à moinsd’empêchement de ta part ou de la mienne. Mais, partout ailleurs,nous n’aurons pas l’air de nous connaître.

– Mauvais !… les imbéciles quidînent là-haut t’ont vu avec moi.

– Je m’arrangerai pour ne jamais lesrencontrer. Du reste, je n’entends pas que tu ailles trop loin avecle gommeux que tu viens de lever. Tu le recevras, tu te laisserasfaire la cour et tu t’arrangeras pour qu’il te tienne au courantdes opérations de son ami Gémozac, qui va probablement se mettre encampagne pour plaire à la petite. Celle-là, je me charge de lasurveiller.

– Bon ! mais pas de bêtises, moncher. Si tu t’avisais de faire concurrence à ce Gémozac, il t’encuirait. Je serais capable de te dénoncer. Je n’aime pas lepartage, moi.

– N’aie pas peur. Nous sommes rivés, etquand nous nous retirerons des affaires, après fortune faite, nousirons vivre maritalement à l’étranger, en attendant que je puisset’épouser. Mais, vois donc là-haut… Ils se lèvent et ils sontcapables de descendre ici pour me regarder sous le nez. C’est lemoment de filer.

– Pour aller où ?

– À la Grange-Rouge, parbleu !C’est la dernière fois que nous y coucherons, mais tu sais bien quej’ai besoin de Vigoureux. Il doit être rentré depuis longtemps, etnous allons le trouver couché sur la boîte qu’il est allé mechercher à la baraque.

– Tu aurais mieux fait de la laisser, taboîte. Vigoureux est malin, mais on peut le suivre.

– Qui ? La baraque est vide,puisque le patron a levé le pied. Et je n’avais pas envied’abandonner au premier venu ce qu’il y a dans ma cassette. J’aidéjà assez regretté de l’avoir oubliée, dans la précipitation denotre départ. Quand je la tiendrai, je ne craindrai plusrien.

Le digne couple sortit du concert par laporte qui s’ouvre du côté de la place de la Concorde, pendantqu’Alfred et Julien y entraient par le restaurant.

Ils s’étaient décidés à descendre pourvoir de plus près la comtesse et son chevalier. Ils arrivèrent troptard. Les oiseaux s’étaient envolés.

– Bah ! dit Fresnay, qui prenaittoujours les choses gaiement ; ce n’est que partie remise.Demain, je te rendrai bon compte de madame de Lugos et deM. Tergowitz.

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