Le Pouce crochu

Chapitre 11

 

 

Georget, depuis l’explosion qui luiavait sauvé la vie, passait des jours et des nuits presque aussitristes qu’au fond des caves de la maison rouge.

Les douaniers, qui s’étaient emparés desa chétive personne, l’avaient traîné chez le commissaire depolice, et ce magistrat lui avait fait subir un interrogatoireminutieux.

On n’en aurait pas usé autrement avec unhomme accusé d’un crime capital, et le pauvre petit diable n’étaitcoupable que d’avoir sauté en l’air, mais on l’accusait d’être lamouche des fraudeurs et on voulait le forcer à lesdénoncer.

Il n’avait garde, puisqu’il ne lesconnaissait pas, et il s’était défendu comme il pouvait sedéfendre, en disant à peu près la vérité.

Il avait raconté qu’en cherchant unchien qu’ils avaient perdu, son père et lui s’étaient égarés dansla plaine Saint-Denis, où la nuit les avait surpris ; que,n’ayant pas d’asile, ils avaient trouvé un abri dans unemaison en ruines, et que là, ils étaient tombéspar une trappe ouverte, dans une cavetrès profonde, d’où ils n’avaient pas pu sortir ;qu’ils étaient restés au moins huit jours et huit nuits dans cesouterrain, parmi des tas de jambons et des barriques d’eau-de-vieauxquelles son père avait mis le feu parimprudence.

Et après avoir entendu ce récit qui paraissaitassez plausible, le commissaire s’était transporté avecGeorget sur le théâtre de l’événement.

Les gens de l’octroi y étaientdéjà ; ils avaient amené des ouvriers pour fouiller leterrain, et ce fut vite fait, non pas de déblayer entièrement lecaveau, mais de découvrir les restes carbonisés du malheureuxCourapied, qui n’avait plus figure humaine.

L’explosion avait renversé le mur quiséparait les deux caves et rejeté le cadavre à l’entrée dusouterrain où les fraudeurs emmagasinaient leurs alcools.Comme ce mur était tombé d’un seul bloc, sanss’émietter, on put constater qu’au milieu, les pierrestrès habilement jointées tournaient sur elles-mêmes, sous unepression exercée à un certain endroit.

Ni le fils ni le père n’avaient trouvé cesecret qui équivalait au : Sésame,ouvre-toi ! de la caverne d’Ali-Baba, dans les Milleet une Nuits, et quand on le montra au pauvreGeorget, il ne put pas s’empêcher de pleurer en pensant que,s’ils avaient mieux cherché, ils auraient pu s’échapper de leurprison.

L’histoire qu’il racontait n’était pastout à fait conforme aux premières déclarations qu’il avait faitesaux douaniers, immédiatement après la catastrophe, mais lecommissaire n’attacha pas grande importance à ces variations delangage, et ne songea pas un seul instant à accuser ce gamind’avoir mis le feu aux tonneaux d’eau-de-vie pour se débarrasser deson père.

Il insista davantage pour savoir quelleprofession exerçait le défunt, et Georget ne lui fournit que desréponses assez vagues.

L’enfant s’était juré de ne pas mêlermademoiselle Monistrol à cette affaire, et s’il avait dit que sonpère et lui travaillaient dans les foires, c’en eût été assez,peut-être, pour réveiller le souvenir du crime du boulevardVoltaire, commis, prétendait-elle, par un saltimbanque.

Trop heureux encore si le commissaire neconcluait pas de cet aveu que l’assassin de Monistrol et l’hommebrûlé dans le caveau ne faisaient qu’un.

Georget se contenta de dire que son pèreétait pauvre à ce point qu’il n’avait pas de domicile, et que, laplupart du temps, ils allaient par les chemins, cherchant leur painet le gagnant comme ils pouvaient.

Le vagabondage n’est pas un délit biengrave, et on aurait peut-être relâché immédiatement Georget, sansce costume de chasseur de restaurant que Courapied avait eu lafâcheuse idée de lui acheter et qu’il portait encore, quoique leditcostume fût en très mauvais état. Sa veste à boutons de métal avaitbeaucoup souffert du séjour dans le souterrain et surtout del’ascension par un puits aussi étroit qu’un tuyau de cheminée. Sacasquette y était restée et sa culotte était pleined’accrocs.

Le commissaire le soupçonnait un peud’avoir volé à quelque étalage cet habillement complet, et le petiteut beau dire qu’un brocanteur de hardes le lui avait revendu à basprix, il ne parvint pas à convaincre l’homme qui disposait de sonsort.

Il s’ensuivit qu’au lieu de le remettreen liberté, on l’envoya au Dépôt, jusqu’à plus ampleinformé.

Georget s’y attendait et ne réclamapoint.

Il savait bien qu’on finirait par selasser de le garder, et qu’un jour ou l’autre on le mettraitdehors.

Ce qui lui parut le plus pénible, ce futd’être enfermé dans une salle commune avec des malandrins de touteespèce. Mais il prit son mal en patience et il sut se préserver descontacts dangereux. Il eut même le courage de ne pas se réclamer demademoiselle Monistrol, alors qu’il n’aurait eu qu’à lui écrirepour qu’elle vînt le délivrer.

Le brave enfant ne se plaignait qued’une chose : c’était de n’avoir pu assister à l’enterrementde son père qu’on avait jeté à la fosse commune, mais il maudissaitde tout son cœur ce Zig-Zag et cette Amanda qui l’avaient faitorphelin.

Et il se jurait à lui-même de reprendrela chasse qui avait si mal tourné, de les traquer, et finalement deles livrer à la justice pour venger à la fois le père de Camille etle sien.

Ce que Courapied n’avait pu faire, il leferait lui, Georget.

Les gros poissons restent dans la nasseet les petits passent à travers les mailles. Et puis, Georgetn’avait pas les défauts de son père. Il ne buvait pas et il ne selaissait jamais aller au découragement. Il devaitréussir.

En attendant qu’on se décidât à luidonner la clé des champs, il préparait des plans decampagne.

Il avait deviné que Zig-Zag et sa dignecompagne étaient restés à Paris et que ce n’était plus dans lesfoires qu’il fallait les chercher, mais dans les lieux de plaisir.Et il se disait : – Je gagnerai ma vie à appeler les voitureset à ouvrir les portières à la sortie des théâtres. J’y mettrai letemps, mais je finirai bien par les rencontrer.

Il en était là de ses projets, lorsqu’unmatin, après quarante-huit heures d’emprisonnement, qui luiavaient paru bien longues, un des gardiens du Dépôt vintl’appeler dans la salle où il était parqué.

Le cœur de Georget battit bien fortquand ce geôlier subalterne vint le chercher au milieu de cinquantechenapans qui grouillaient dans la salle commune et l’emmena sanslui dire où il allait le conduire.

L’enfant, qui ne connaissait pas lesusages du Dépôt, s’imagina d’abord qu’on allait le jeter dansquelque cachot noir et l’y laisser pourrir.

Il n’osait pas interroger le gardien, etil fut agréablement surpris lorsque cet homme ouvrit une portemassive et le poussa dehors en lui disant :

– File, moucheron, et tâche de ne pas tefaire repincer.

Georget se trouva dans une cour quedominait la Sainte-Chapelle et qui lui parut d’abord n’avoir pasd’issue, si bien qu’il n’était pas encore très sûr d’être libre.Mais l’instinct le poussa bientôt à s’éloigner de la prison, et, ense dirigeant au hasard, il finit par déboucher sur le quai desOrfèvres.

Cette fois, c’était bien la liberté, legrand air, et il prit un vif plaisir à regarder le ciel qu’iln’apercevait depuis deux jours qu’à travers les barreaux du Dépôt,et qu’il avait complètement perdu de vue pendant toute une semaine,passée au fond du souterrain.

Il se sentait tout étourdi ; ilalla s’accouder sur le parapet du quai pour reprendre possession delui-même, et il ne tarda guère à se demander ce qu’il allaitdevenir.

Ce n’est pas tout d’être libre, il fautmanger, et on l’avait mis dehors avant l’heure où on sert la soupeaux détenus. Naturellement, il ne possédait pas un sou, et ilsavait bien qu’on ne lui ferait crédit nulle part.

À l’âge qu’il avait, les émotions nesuppriment pas l’appétit et il s’aperçut bientôt qu’il avaitfaim : presque autant que dans le caveau, le premier jour,avant d’avoir découvert les jambons. Là, du moins, les vivresétaient pour rien, mais dans Paris on est forcé de payer pour êtrenourri.

Georget connaissait bien un endroit oùon s’empresserait de lui servir gratuitement un excellent déjeuneret où on lui donnerait avec joie l’hospitalité de nuit. Iln’avait qu’à se présenter chez mademoiselle Monistrol pour yêtre reçu à bras ouverts, et c’était certainement ce qu’il avait demieux à faire ; mais il ne voulait pas qu’on le vit entrerdans la maisonnette du boulevard Voltaire, et il ne voulait pastomber là au milieu d’étrangers qui s’étonneraient de voir entrerun gamin déguenillé.

Georget avait le courage des lions, maisil avait aussi la prudence des serpents, et il craignait qu’on nele filât, comme on dit dans la langue des agents de lasûreté.

Il s’était mis en tête qu’on ne lelâchait peut-être que pour savoir où il irait en sortant duDépôt. Il avait lu des romans de Gaboriau, et il yavait appris que la police use quelquefois de ce procédé,lorsqu’elle ne peut pas parvenir à constater l’identité d’unindividu qui refuse de dire son nom et d’indiquer son dernierdomicile.

Il oubliait que les romanciers ne sepiquent pas de ne jamais s’écarter de la vérité, et il s’exagéraitbeaucoup sa propre importance.

Il résolut donc de ne pas se rendredirectement chez mademoiselle Monistrol, d’y aller par le chemindes écoliers, en flânant le long des rues, et d’examiner les abordsde la maison avant de se risquer à y pénétrer.

Après s’être assuré qu’aucune figuresuspecte ne se montrait sur le quai, il s’acheminatout doucement vers l’île Saint-Louis, qu’il traversa dans toute salongueur, et, par le pont Henri IV, il passa sur la rivedroite.

Avant d’arriver à la place de laBastille, il se retourna plus d’une fois, et il finit par serassurer en constatant que personne n’était à sestrousses.

Il se disposait à gagner le boulevardVoltaire par la rue de la Roquette, lorsque, en passant près d’unestation où aboutissent plusieurs lignes d’omnibus, il vit descendrede voiture une femme qui attira son attention. Il croyait laconnaître et il ne pouvait pas se rappeler où il l’avait déjàrencontrée.

Ce qui le déroutait surtout, c’estqu’elle était mise avec élégance, et Georget n’avait jamaisfréquenté de dames richement habillées.

Elle s’était arrêtée, en l’apercevant,et elle le regardait avec une persistance singulière. Elle sedemandait évidemment : Où ai-je vu cegamin-là ?

Enfin, elle s’approcha et elle lui dit àdemi-voix :

– Est-ce que tu n’es pas Georget, lefils à Courapied ?

– Oui, madame, répondit l’enfant aprèsavoir un peu hésité ; mais, moi, je ne sais pas qui vousêtes.

– Tu as pourtant grimpé assez souventdans ma maringotte… et pas plus loin que l’année dernière, à lafête de Saint-Cloud…

– Oh ! je vous remets, maintenant…c’est vous qui disiez la bonne aventure avec un grandcornet…

– Justement, mon garçon ; mais jene travaille plus dans cette partie-là.

– Ça se voit bien. Vous avez faitfortune ?

– Et toi pas, hein ? Tu n’as pasl’air calé. Où as-tu pris ces frusques-là ? Est-ce que tu t’esfait larbin ?

– Non… je cherche à gagner mavie…

– Tu n’es donc plus avec tonpère ?

– Mon père est mort.

– Pas possible ! La dernière foisque je l’ai vu, il se portait comme le Pont-Neuf, et il était gaicomme un pinson. Seulement, des fois, il buvait un coup de trop, çalui aura joué un mauvais tour.

– Non, madame, on l’a tué.

– Qu’est-ce que tu me contes là ?Qui l’a tué ?

– C’est Zig-Zag.

– Allons donc ! On l’aurait arrêté,et je l’ai encore vu hier. Et ta belle-mère, qu’est-ce qu’elle estdevenue ?

– Amanda ?… elle s’est sauvée avecZig-Zag, et elle l’a aidé à tuer papa. Et si vous savez où ilssont, vous devriez bien me le dire. Je les cherche.

– Pourquoi ?

– Pour les faire guillotiner tous lesdeux.

– Rien que ça ! comme tu yvas !… enfin, comment ont-ils tué Courapied ?

– Père courait après eux. Il voulaitrattraper sa femme. Ils l’ont attiré dans une maison, là-bas, ducôté de la route de la Révolte. J’étais avec lui… Nous sommestombés dans une cave, par une trappe qu’ils avaient laissée ouverteexprès. Ils nous y ont enfermés, et nous y serions morts de faim…mais la cave était pleine de jambons et d’eau-de-vie… le feu a prisaux barriques et père a été brûlé. La preuve que c’est vrai, c’estque ç’a été dans tous les journaux.

Georget, avant de sortir du Dépôt, avaitlu une feuille à un sou, introduite en fraude par un des détenus dela salle commune, et il y avait vu le récit de l’explosion de laplaine Saint-Denis.

Olga, car c’était elle qu’il venait derencontrer, Olga, qui d’abord n’avait pas pris au sérieux leshistoires que l’enfant lui débitait, fut frappée de ce détail et sesouvint que, le matin même, la prétendue comtesse de Lugos s’étaitlevée comme une folle, après avoir jeté un coup d’œil sur sonjournal.

Olga venait en ce moment de la maison dela rue Mozart. Elle s’en allait, chassée honteusement de cet hôteloù elle avait pu se flatter un instant de remplacer sa maîtresse,et elle ne rêvait que vengeance.

Georget, qui avait de plus sérieusesraisons d’en vouloir à la fausse Hongroise, se trouvait tout àpoint sur le chemin de la ci-devant somnambule qui songeaimmédiatement à utiliser cette rencontre.

– Ah ! s’écria-t-elle, tu m’endiras tant que je finirai par te croire. Et comme je n’aime pas cesgueux-là, je ne serais pas fâchée qu’il leur arrivât dudésagrément. Mais pour ce qui est de leur faire couper le cou, tute fais des illusions, mon garçon. On ne guillotine par les genspour avoir enfermé un homme et un enfant dans une cave. Ça vauttout au plus six mois de prison.

Olga s’y connaissait, ayant eu jadis,pour son propre compte, quelques démêlés avec lajustice.

– Ils ont fait pis, répliqua Georgetsans réfléchir que cette confidence allait le mener plus loin qu’ilne l’aurait voulu.

– Quoi donc ? demanda avecempressement la tireuse de cartes. Est-ce qu’en quittant labaraque, ils ont emporté la caisse du patron ?

– Le patron n’avait pas de caisse, vuqu’il a fait faillite et que, le père et moi, nous nous sommestrouvés sur le pavé.

– Alors, où ont-ils pris dequoi mener la vie qu’ils mènent ? ils roulent surl’or !

– Chez un monsieur que Zig-Zag aassassiné.

– Ah ! bah !

– C’est la vérité. L’histoire a du yêtre aussi, dans les journaux.

– Je ne les lis pas souvent ; etpuis, quand ça s’est-il passé ?

– Il y a une quinzaine dejours.

– Je n’étais pas ici. Je travaillais àBeauvais… même que les affaires n’y marchaient pas du tout et queje suis revenue à Paris, sans un radis.

Alors, tu es sûr que Zig-Zag et Amandaont fait un mauvais coup ?

– Je ne sais pas si Amanda en était,mais elle a dû en profiter, puisqu’elle s’est sauvée avecZig-Zag.

– Ça, c’est clair comme le jour. Et tuvoudrais les retrouver ?

– Oh ! oui.

– Pour les dénoncer ?

– Certainement. Je n’aurais pas pitiéd’eux. Ils m’ont fait trop de mal à moi et à tous ceux qui m’ontfait du bien.

– C’est vrai que cette coquine d’Amandate martyrisait. Et si elle est cause que ton père a été grillé, jecomprends que tu aies une dent contre elle. Mais comment t’yprendras-tu pour lui mettre la main dessus ?

– Vous n’avez qu’à me dire où elleest.

– Faudrait que je le sache. Et puis,je vas te dire une chose… elle ne vaut pas cher, etson Zig-Zag non plus… mais suffit que je les aie fréquentés dans letemps… je ne voudrais pas qu’ils croient que je les aivendus.

– Je ne parlerai pas de vous.

– Bien vrai ?

– Je vous le jure.

– Alors, viens avec moi.

– Vous allez me mener où ilssont ?

– Écoute ! J’ai vu Amanda ce matin…il y a une heure. Elle ne m’a pas dit où elle allait, car c’est unefine mouche, et elle se défie de tout le monde. Mais, au moment oùje l’ai quittée, elle montait en voiture, et j’ai entendu l’adressequ’elle a donnée au cocher. J’ai même pris le numéro du fiacre. Sinous le trouvons devant la porte, ce sera signe qu’elle est encoredans la maison.

– Allons-y, dit vivementGeorget.

– Je veux bien. Mais je te préviens queje n’entrerai pas. Je ne veux pas qu’elle me voie.

– Eh bien ! j’entrerai,moi.

– Tu feras ce que tu voudras. Moi, jepasserai mon chemin et je te laisserai te débrouiller avecelle.

– Ça me va. Est-ce loind’ici ?

– Pas très loin. Nous y serons dansvingt minutes. Seulement, j’aime autant que tu ne marches pas àcôté de moi. Nous n’aurions qu’à rencontrer Zig-Zag.

– Je vous suivrai à quinzepas.

– Alors, en route, petit ! Tâche dene pas me perdre de vue avant d’arriver.

– Il n’y a pas de danger. J’ai bon pied,bon œil.

Olga se mit en marche, et Georget luiemboîta le pas à la distance convenue.

Elle était ravie, cette excellente Olga.Elle avait des raisons majeures pour ne pas se mettre en avant, carelle craignait de la part d’Amanda de terriblesreprésailles. Et le hasard lui fournissait un moyeninespéré de se venger sans se compromettre.

Georget n’était pas moins heureux qu’elle, etil croyait déjà tenir les bourreaux de son père, qui seseraient très probablement dérobés à ses recherches, s’il n’avaitpas eu la chance de rencontrer Olga.

Il fut un peu étonné de voir qu’elleprenait la rue de la Roquette, comme il se proposait de le fairepour aller chez mademoiselle Monistrol, et qu’au milieu de cetterue qui aboutit à la place où on exécute les criminels, elletournait à droite, par le boulevard Voltaire.

Où allait-elle ainsi ? Et commentl’affreuse Amanda avait-elle eu l’audace de se faire conduire dansle quartier où son amant Zig-Zag avait commis un crimeépouvantable ?

Olga avançait toujours et Georgetapercevait déjà la maisonnette où il avait dîné avec son père avantde partir pour cette expédition qui avait si tristementfini.

Il marchait le nez en l’air, afin de nepas perdre de vue la tireuse de cartes et tout à coupil trébucha sur un obstacle.

Le corps d’un chien mort gisait entravers du trottoir et Georget qui avait butté contre cettecharogne, poussa un cri si fort qu’Olga se retourna et revint surses pas en le voyant donner des signes d’agitation et presque defrayeur.

– Qu’as-tu donc ? luidemanda-t-elle.

– C’est Vigoureux, balbutia l’enfant,c’est le dogue de Zig-Zag.

– Tiens ! c’est vrai, dit Olga ense penchant pour examiner la carcasse ensanglantée deVigoureux ; je reconnais cette sale bête qui mordait tout lemonde. Une fois, elle m’a déchiré avec ses crocs unerobe toute neuve. Dieu merci, elle ne mordra pluspersonne.

– On l’a tuée à coups de pistolet,murmura Georget. Ce n’est pas Zig-Zag qui a fait cela. Iltenait trop à son chien.

– Tu ne vois donc pas qu’il étaitenragé ? Il a encore la bave à la gueule.

– Mais comment est-il venuici ?

– Est-ce que je sais ? Son maître atravaillé sur la place du Trône. Vigoureux le cherchait peut-êtreet un passant lui aura cassé la tête. Vas-tu pas leplaindre ?

– Non, mais j’ai peur que Zig-Zag nesoit pas loin.

– Bah ! il ne te mangera pas… s’ilte tenait entre quatre murs, tu passerais un mauvais quart d’heure,mais dans la rue, il ne te dira rien… N’empêche que je ne me souciepas de le rencontrer. Laisse là cette charogne et avance avec moijusqu’à cette voiture qui stationne là-bas et qui me fait l’effetd’être le fiacre où j’ai vu monter Amanda.

– Quoi ! là-bas, devant cettepalissade en bois ?

– Oui. Qu’est-ce qu’il y ad’étonnant ?

– C’est l’entrée de la maison où Zig-Zaga étranglé un homme.

– Ah ! bah !… Mais non, tudois te tromper.

– Je ne peux pas me tromper… je laconnais… j’y suis entré avec mon père.

– Et… elle est habitée, cettecassine ?

– Oui… la fille de l’homme que Zig-Zag atué y demeure encore.

– Seule ?

– Avec une vieille servante.

– Tiens ! tiens ! et Amandavient la voir !… c’est drôle.

– Qui sait si elle ne vient pas pour latuer aussi, murmura Georget, en frissonnant à lapensée que sa protectrice était en danger de mort.

– Quant à ça, rassure-toi, petit. Amandas’est fait accompagner par un monsieur qui n’est pas un brigandcomme Zig-Zag. Et je veux que le diable m’emporte, si je devinepourquoi elle l’a amené.

C’est égal… ça vaut la peine d’yregarder de près ; attends-moi un peu ici, pendant que je vaisvérifier le numéro du fiacre.

Georget, profondément troublé, la laissaavancer et la vit s’approcher de la voiture, examiner les chiffrespeints sur les lanternes, puis rebrousser chemin.

– C’est bien le même, dit-elle àl’enfant qui l’interrogeait des yeux. Amanda est en visite dans lamaison, et si tu la manques, ce sera bien de ta faute.

– Non, car elle partira en voiture et jene pourrai pas la suivre à pied.

– Tu n’as pas besoin d’attendre qu’ellesorte. La barrière n’est pas fermée. Entre carrément et tombe sanscrier gare au milieu de la visite. Tu verras le nez que fera cettegueuse, quand elle verra apparaître ta binette. Elle est habilléeen dame, maintenant, et elle a teint ses cheveux en rouge, mais tula reconnaîtras tout de même… et elle te reconnaîtra encore mieux.Alors, appelle-la par son nom d’Amanda et demande-lui des nouvellesde Zig-Zag. Je te promets que tu riras. Et n’aie pas peur dumonsieur qui est avec elle. Il prendra ton parti, je t’enréponds.

– Je ne le crains pas… je ne crainsrien… que de faire de la peine à la personne qui demeurelà.

– La fille de l’homme que Zig-Zag aestourbi[46] ? Elle te remerciera, aucontraire, car elle doit tenir à venger son père autant que tu asenvie de venger le tien. Et, de plus, je parierais volontiersqu’Amanda machine quelque chose contre elle.

Du reste, mon garçon, c’est à toi defaire pour le mieux. Je t’ai conduit à la remise du gibier que tuchasses. Maintenant, je ne m’en mêle plus. Ça teregarde.

Moi, je m’en vais et je compte que tu neparleras pas de moi, n’importe comment ça tourneralà-dedans.

Je vais quitter Paris pour me mettre àl’abri des éclaboussures ; j’y reviendrai, peut-être, quandZig-Zag et Amanda seront coffrés…, mais si jamais tu me rencontres,tu sais, petit… ni vu ni connu…

Au plaisir de ne pas te retrouver etbonne chance !

Ayant dit, Olga passa de l’autre côté duboulevard et fila au pas accéléré vers la place duTrône.

Elle avait mis le feu à la mèche et ellene songeait plus qu’à se garer de l’explosion.

Elle laissait Georget dans un grandembarras. Il ne demandait pas mieux que de démasquer l’odieuseAmanda et de faire prendre Zig-Zag, mais il hésitait beaucoup àentrer brusquement chez mademoiselle Monistrol.

Il ne savait pas du tout où elle enétait et il craignait fort d’arriver mal à propos ; ilcraignait surtout de troubler le repos de sa bienfaitrice et de luicauser une émotion trop vive, en la forçant à assister à une scèneviolente.

Et puis, que dire en présence de cemonsieur qui escortait Amanda et qui n’était peut-être pas des amisde mademoiselle Monistrol ?

Il fallait, cependant, prendre un parti,et Georget, avant de se décider, voulut essayer des’introduire sans bruit dans l’enclos, dont la maisonnette occupaitle centre.

Il se glissa le long des clôtures etreconnut que le cocher du fiacre dormait sur son siège.

Alors, profitant de l’occasion, il passala barrière et il se fit tout petit pour arriver jusqu’à la maisonen côtoyant les palissades. Il n’osait même pas lever les yeux versles fenêtres de ce salon du premier étage où mademoiselle Monistrolse tenait habituellement, et il tremblait de voir survenirBrigitte, qui l’aurait peut-être assez mal reçu.

Mais Brigitte ne parut pas et Georgetavisa fort à propos, tout près de la porte, une cabane en planchesoù feu Monistrol serrait des arrosoirs, des râteaux et autresustensiles de jardinage.

Zig-Zag s’était peut-être caché là,avant d’assassiner le père de Camille.

Georget s’y blottit, accroupi derrièreun battant à hauteur d’appui, un battant qu’il n’avait qu’à pousserpour sortir et entrer en scène.

De ce coin bien choisi, il pouvait voir,à travers les fentes des planches mal jointes, tous ceux quisortiraient et tous ceux qui entreraient.

Il se promit de ne pas laisser partirAmanda, de lui barrer le passage dès qu’elle se montrerait, et ilattendit, immobile, que le moment vînt d’intervenir.

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