Le Pouce crochu

Chapitre 9

 

 

Chacun sait que les obstacles ne fontque surexciter les amoureux. Or, Julien Gémozac était amoureux fou.Plus Camille Monistrol lui marquait de froideur, plus il l’adorait.Et il en était venu à l’adorer bêtement. Ce charmant garçon, quiavait eu de nombreux succès dans tous les mondes et qui aurait dûconnaître les femmes, s’obstinait à persécuter de ses assiduitésune jeune fille qui ne lui témoignait que de l’indifférence et quiavait fini par refuser nettement de l’admettre chezelle.

Il savait qu’elle recevait unM. de Menestreau, et il n’avait pas l’énergie delui demander l’adresse de ce monsieur, d’aller le trouver et de luichercher querelle, lui qui avait déjà eu trois duels et qui necraignait personne au monde.

Camille l’avait ensorcelé, sans levouloir, et justement parce qu’elle ne tenait pas du tout à leséduire.

Et rien n’y faisait, ni les conseils deson ami Fresnay, conseils assaisonnés de railleries qui auraient dûle piquer au vif, ni les reproches de sa mère désolée de ne plus levoir qu’à de rares intervalles, et très montée contre l’orphelinedu boulevard Voltaire, ni les sages observations du père Gémozac,qui envisageait avec plus de sang-froid que sa femme cettesituation nouvelle.

Homme d’affaires avant tout, ce grandindustriel se disait que l’héritière de son associé auraitcertainement, et avant peu, une grosse fortune, car les produits del’invention Monistrol ne pouvaient que s’accroître, et donnaientdéjà de superbes revenus. Et cette fortune, son fils unique, enépousant Camille, l’aurait tout entière après lui, au lieu d’êtreobligé de la partager avec une étrangère.

À d’autres points de vue, ce mariage nelui déplaisait pas. M. Gémozac avait commencé par êtreouvrier, et il ne tenait pas à voir Julien entrer dans une famillearistocratique. Il ne comprenait que les alliances entreégaux.

Mais, ce qu’il redoutait par dessustout, c’était que Julien, exaspéré par les refus de Camille, ne sejetât à corps perdu dans des débordements de toute espèce. Il lesoupçonnait même d’avoir déjà commencé, car le crédit qu’il luiavait ouvert était tellement dépassé, que le caissier s’était cruobligé d’avertir son patron.

La veille encore, Julien s’était faitremettre une somme de dix mille francs et il devait l’avoir perdueau jeu, car, épris comme il l’était, il ne l’avait certainement pasdissipée avec des drôlesses.

Il ne paraissait presque plus audéjeuner de midi, soit qu’il dormît après une nuit passée aubaccarat, soit qu’il fût sorti de grand matin pour aller rôderautour de la maisonnette habitée par mademoiselleMonistrol.

Tant qu’à la fin, M. Gémozac jugeaqu’il devait intervenir.

Il lui répugnait de traiter Julien commeun enfant qu’on met au pain sec, c’est-à-dire de lui couper lesvivres en lui fermant sa caisse, et il comprenait que des sermonspaternels ne toucheraient pas cet affolé. Mieux valait s’en prendreà la cause du mal et s’adresser à mademoiselle Monistrol,elle-même.

Elle ne venait plus chez lui, depuisqu’elle avait échangé des mots aigres avec sa femme ; ilrésolut d’aller chez elle et de la confesser à fond.

Il ne voulait pas croire qu’elle seconduisît mal, et il lui paraissait impossible qu’elle eût conçu del’antipathie contre un garçon si bien partagé, sous tous lesrapports. Il ne voyait, dans la sauvagerie qu’elle affichait, qu’uncaprice de jeune fille. Il avait pu déjà juger soncaractère de jeune fille. Il avait pu déjà juger son caractèreoriginal et indépendant. Peut-être aussi madame Gémozacl’avait-elle blessée dans son amour-propre. Il se faisait fort dela ramener par la douceur et de lui faire entendreraison.

Et d’ailleurs, pour d’autres motifs, illui tardait d’avoir une explication avec elle.

Camille n’était pas majeure et il ne luirestait plus aucun parent. Il fallait donc de toute nécessité luifaire nommer un tuteur ou la faire émanciper et M. Gémozacpensait que l’émancipation était préférable. Mademoiselle Monistrolavait, dès à présent, d’importants intérêts à régler avec l’associéde son père, des actes à signer. Mieux valait la mettre en mesured’administrer elle-même sa fortune. M. Gémozac voulait luiconseiller de prendre ce parti et lui offrir de se charger desdémarches nécessaires.

N’était-ce pas d’ailleurs la meilleuremanière de lui montrer qu’il ne prétendait point peser sur sesrésolutions futures, ni influer sur le choix qu’elle ferait d’unmari ? Et comme le père Gémozac était avant toutun honnête homme, il tenait essentiellement à passer pour tel auxyeux de mademoiselle Monistrol.

Donc, un beau jour, sans consulter safemme et sans rien dire à son fils, à l’heure où d’habitude ilentrait dans son cabinet pour s’occuper de ses affaires, il prévintson principal employé qu’il allait sortir, et il fit, dired’atteler son coupé.

Il n’avait jamais mis les pieds chez feuMonistrol. Les gros financiers ne se dérangent pas pour les gensqu’ils commanditent, et c’était le pauvre diable d’inventeur qui sedéplaçait pour conférer avec le maître de la grande usine du quaide Jemmapes.

Mais Gémozac connaissait, sans l’avoirvue, la maison où son associé était mort si tragiquement. Sa femmeet son fils la lui avaient assez souvent décrite, depuis lacatastrophe, et il n’était pas fâché de la visiter, car il n’avaitjamais pu s’expliquer comment le crime avait été commis. De plus,il doutait très fort que mademoiselle Monistrol fût en sûreté danscette baraque isolée, et il se proposait d’insister encore pour ladécider à déménager le plus tôt possible.

Il partit donc, et dix minutes après,son cocher, qui avait déjà conduit madame Gémozac au boulevardVoltaire, arrêta son cheval devant la clôture en planches quiprotégeait très imparfaitement la cour.

Il descendit de voiture, cherchainutilement une sonnette pour s’annoncer, et finit par pousser labarrière à claire-voie qui tenait lieu de porte.

Une fois dans la cour, il examina lamaison et il fit la grimace en reconnaissant qu’elle était tout auplus bonne à loger un portier. Du reste, il ne paraissait pasqu’elle fût habitée, car, à tous les étages, lesvolets étaient fermés.

Il avança, pensant que le bruit de sespas attirerait la servante, mais personne ne vint.

– Ah ! ça, murmura-t-il, c’est doncle château de la Belle au bois dormant !

La petite est peut-être sortie. Maiscette fameuse bonne qui la garde si bien, à ce qu’elle dit… oùdiable est-elle ? Sa jeune maîtresse l’a peut-être emmenée etelle a bien fait, car, jolie comme elle l’est, cette enfant auraitgrand tort de circuler dans Paris toute seule.

Il avança encore, et ne sachant par oùentrer dans cette maison close, il résolut d’en faire le tour pourtrouver la porte.

Instinctivement, il prit à droite et illa découvrit. Mais il fut tout étonné de voir qu’elle n’était pasfermée.

– Diable ! murmura-t-il, il fautque mademoiselle Monistrol soit bien peu soigneuse…laisser son logis à la discrétion du premier venu… après lemalheur qui lui est arrivé… c’est vraiment trop fort…

À ce moment, il lui sembla qu’on parlaitau premier étage. Il prêta l’oreille et il finit par entendredistinctement deux voix dont une d’homme.

– Oh ! oh ! se dit-il, ilparaît que je tombe mal. Le monsieur qui cause là-haut doit être lerival de Julien… le rival préféré… celui que ma femmea failli rencontrer le jour où elle s’est brouilléeavec la petite et que mon fils n’a jamais pu apercevoir. Les chosessont plus avancées que je ne pensais puisqu’elle le reçoit entête-à-tête et je commence à croire que ce pauvre Julien fera biende se retirer.

Mais je ne serais pas fâché de savoircomment est fait ce prétendant et d’où il sort.

Et il s’engagea bravement dansl’escalier, en ayant soin de heurter les marches avec ses bottes etde tousser très fort.

On l’entendit, car les causeurs seturent immédiatement, et un bruit de fauteuils roulés sur leparquet annonça qu’ils se levaient.

Presque aussitôt mademoiselle Monistrolse montra, habillée comme une femme qui vient de rentrer et qui n’apas pris le temps d’ôter son chapeau.

– C’est moi, ma chère enfant, cria lepère Gémozac. Vous n’attendiez pas ma visite,hein ?

– Non, monsieur, répondit Camille, sanslaisser percer aucun embarras, mais vous êtes et vous sereztoujours le bienvenu ici.

– Alors, je ne vous dérange pas ?…Il me semble pourtant que vous n’êtes pas seule.

– C’est vrai, mais je serai trèsheureuse de vous présenter quelqu’un qui vientd’arriver.

Entrez, monsieur, je vousprie.

Gémozac ne se fit pas répéterl’invitation. Il suivit mademoiselle Monistrol dans le salon et ilse trouva face à face avec un monsieur qui se tenait debout, lechapeau à la main, et qui lui parut fort bien de sapersonne.

La maison n’était pas double ;toutes les pièces avaient des fenêtres sur les deux façades, et ducôté opposé au boulevard Voltaire, les persiennes étaient ouvertes,de sorte qu’on y voyait très clair.

– M. Georges de Menestreau, ditCamille en désignant le visiteur arrivé avantM. Gémozac.

À ce nom, le père de Julien fit unhaut-le-corps et se mit à regarder ce monsieur avecune attention presque impolie. Son fils lui avait bien dit quemademoiselle Monistrol recevait un jeune homme, mais il ne luiavait pas dit comment ce jeune homme s’appelait, quoiqu’il le sûtparfaitement, Camille ne le lui ayant pas caché.

– Excusez-moi, monsieur, dit-il sanslaisser à la jeune fille le temps de compléter laprésentation ; n’êtes-vous pas de l’Aveyron ?

– Oui, monsieur… à qui ai-je l’honneurde parler ?

– Je suis Pierre Gémozac, et j’aibeaucoup connu votre père. Il était propriétaire de forges dans cepays-là, et il me vendait du fer excellent. C’était un homme desplus honorables. Il est mort, m’a-t-on dit ?

– Il y a plusieurs années.

– J’avais su qu’il avait un fils, et jeme suis toujours demandé pourquoi ce fils n’avait pas continué lesaffaires.

– La vocation me manquait complètement,tandis que j’avais un goût très vif pour les voyages. Ce goût,j’avais assez de fortune pour le satisfaire. Je suis parti pourl’Amérique où j’ai séjourné longtemps. Puis, j’ai été en Chine, auJapon. Et je ne suis rentré en France, tout récemment, qu’aprèsavoir fait le tour du monde.

– Vous ne m’aviez jamais dit que vousétiez allé si loin, murmura Camille.

– Et moi j’étais bien mal renseigné,reprit M. Gémozac. Je croyais… pardonnez-moi ma franchise… jecroyais que ce brave Menestreau s’était ruiné… et que son filsavait disparu.

– Mon père a en effet subi des revers,mais j’ai hérité de ma mère… et voyager n’est pas disparaître,répliqua sèchement Georges. Je suis, du reste, monsieur, trèsheureux de vous rencontrer… d’autant plus heureux que je meproposais d’aller très prochainement vous voir chezvous.

– Puis-je savoirpourquoi ?

– Pour vous demander non pas dem’accorder la main de mademoiselle Monistrol, puisque vous n’êtesni son parent ni son tuteur, mais d’approuver notre mariage. Jedois bien cet acte de déférence à l’homme généreux qui a commanditéson père et qui est resté son ami, son protecteur…

Gémozac interrogea des yeux Camille quilui dit aussitôt :

– C’est moi, monsieur, qui aiconseillé à M. de Menestreau de faire auprèsde vous une démarche respectueuse, et puisque le hasard nousrassemble ici, permettez-moi d’aborder un sujet délicat. Monsieurvotre fils vous a parlé, sans doute, d’un projet qu’il avait forméet qui m’honore infiniment.

– Oui, parbleu ! et je n’y ai pasfait la moindre objection. Sa mère s’en est un peu effarouchée,mais elle s’y serait ralliée… et je ne vous cacherai pasqu’en épousant M. de Menestreau vous mettrezmon fils au désespoir.

Mais vous êtes libre, ma chère Camille,et je n’ai pas le droit de vous blâmer de suivre votre inclination.Je suis même venu aujourd’hui tout exprès pour vous offrir de vousfaire émanciper, et je vais m’occuper de régler nos intérêtscommuns, de telle sorte que vous pourrez disposer de vos revenuscomme vous l’entendrez. Votre compte dans ma maison sera arrêtétous les ans ou tous les six mois, comme vous voudrez, et vousn’aurez avec moi et les miens que les relations qu’il vous plairad’avoir.

– Les plus affectueuses, après commeavant, s’écria la jeune fille, et puisque vous approuvez lechoix que j’ai fait…

– Je n’ai pas à l’approuver.M. de Menestreau est le fils d’un brave homme, etje ne doute pas que son père lui ait transmis ses sentiments. Maisil ne trouvera pas mauvais, je l’espère, que je demande desrenseignements sur lui dans le département où il a passé sapremière jeunesse.

À cette déclaration qui ressemblait unpeu à une menace, Georges de Menestreau pinça les lèvres, mais ilrépondit avec un calme parfait :

– Vous ferez fort bien, monsieur, devous renseigner. Je crois qu’on m’a un peu oublié dans mon pays,mais je me flatte de n’y avoir pas laissé de mauvaissouvenirs.

– J’en suis persuadé, ditM. Gémozac qui pensait tout le contraire et qui se promettaitbien d’écrire le jour même à ses correspondants del’Aveyron.

Il se rappelait vaguement que Menestreaule père avait été ruiné par son fils et que ce fils avait fort maltourné ; mais il s’était écoulé des années depuis ladéconfiture du maître de forges, et M. Gémozac n’était pas sûrde la fidélité de sa mémoire.

Il avait le temps de s’informer avantque Camille prît un engagement irrévocable. On ne se marie pas sansse faire afficher à la mairie. Les formalités prennent au minimumune quinzaine de jours, et il n’en faut pas plus de quatre pourrecevoir une réponse de Rodez ou de Decazeville.

– J’ai bien mal reconnu vos bontés,monsieur, reprit Camille, mais, je vous le jure, je suisprofondément touchée de ce que vous faites pour moi. Dites bien àmonsieur votre fils que si mon cœur eût été libre…

– Malheureusement il ne l’est pas,interrompit le père Gémozac, d’un ton légèrement ironique. Ilfaudra bien que Julien s’en console. Ce sera peut-être mieuxainsi.

Mais… il me semblait que vous aviez juréde n’épouser que l’homme qui retrouverait l’assassin de votrepère ?… Je sais bien que Julien n’a pas rempli les conditionsdu programme… M. de Menestreaua sans douteété plus heureux ?… L’assassin est arrêté, ou val’être ?

– Hélas ! non. Je crains même qu’ilne le soit jamais ; M. de Menestreau afait tout ce qu’il a pu… il n’a pas réussi… mais il m’a sauvé lavie…

– En vérité ?… oh !alors ! je comprends que vous teniez à le récompenser…Quoi ! votre vie a couru des dangers ? Est-ce que l’hommequi a tué votre père a essayé de vous tuer aussi ?…

– Pas comme vous l’entendez. J’ai apprisqu’il se cachait dans une maison en ruines… en pleine campagne, audelà de la porte de Saint-Ouen.

– C’est sans douteM. de Menestreau qui vous a fourni ce précieuxrenseignement ?

– Non ; c’est un pauvresaltimbanque… de la même troupe que Zig-Zag… l’histoire serait trèslongue à vous raconter en détail… Je suis partie la nuit avec cesaltimbanque et son fils… Ils ne sont pas revenus, eux…

– Quoi ! Zig-Zag les aexterminés ? Quel tueur d’hommes !

– Je ne sais… ils ont disparu, ils sonttombés dans une trappe ouverte au milieu du corridor decette maison… et j’ai failli partager leur sort… j’ai pul’éviter et m’enfuir, mais au milieu de cette plainedéserte, j’ai été attaquée par deux de ces misérables qui rôdentprès des barrières de Paris… ils me tenaient, et Dieu sait cequ’ils auraient fait de moi, si M. de Menestreaun’était pas venu à mon secours, au péril de sa vie… il m’aarrachée de leurs mains.

– C’est fort heureux et le hasard qui aamené là tout à point M. de Menestreau estvéritablement providentiel. Quel roman on ferait avec votreaventure !

– Elle n’est que trop réelle, murmuraCamille.

– Je n’en doute pas, mais il y manque undénouement. Vous n’êtes donc pas revenue, en plein jour, visiter cerepaire de brigands…, cette maison machinée comme un théâtre deféerie ?

– Je n’y ai pas manqué, monsieur. J’y aiconduit M. de Menestreau. Il a bien vouludescendre dans la cave où sont tombés les malheureux qui m’avaientservi de guides… leurs corps n’y étaient pas…

– Donc, ils ne sont pas morts. À votreplace, mademoiselle, j’aurais priéM. de Menestreau de signaler au préfet de police lamaison où il se passe de si étranges choses. Comment donc est-ellefaite, cette tour de Nesle ?

– Elle est en briques… en briquesrouges… et tous les gens de cette banlieue laconnaissent…

– En briques rouges !… c’estsingulier… je ne lis pas souvent les faits divers, et cependant, cematin, j’en ai remarqué un dans mon journal… Hier, dans la plaineSaint-Denis, tout près de la route de la Révolte, une maison enruines, qu’on appelle dans ces parages la maison rouge, s’estécroulée en partie, à la suite d’une terrible explosion. Il paraîtque les caves servaient d’entrepôt à des fraudeurs… elles étaientpleines de barriques d’eau-de-vie qui ont pris feu on ne saitcomment, et tout a sauté en l’air.

– Ah ! mon Dieu ! est-ceque ?…

– Il y a eu des victimes, affirme lejournal. Un homme grillé dans la cave… et un enfant qui en estsorti en très mauvais état…

– Et… qu’est-il devenu ? demandavivement mademoiselle Monistrol.

– Le journal ne le dit pas. On l’aurasans doute porté à l’hôpital. Mais cette histoire n’a aucun rapportavec la vôtre et je me demande pourquoi je vous la raconte. Si parhasard elle vous intéressait, il ne tient qu’à vous d’être pluscomplètement informée. Elle va faire le tour de la presse, etdemain les détails abonderont. Mais il faut que je vous quitte. Lesaffaires me réclament. Je me suis échappé de mon cabinet pourcauser avec vous de vos intérêts. Nous sommes maintenant d’accordsur tous les points. Je vais m’occuper de vous et j’espère vousrevoir bientôt. En attendant, je vous laisse avec votrefiancé.

Monsieur, j’ai bien l’honneur de voussaluer.

Georges de Menestreau s’inclinafroidement et le père Gémozac sortit sans serrer la main de CamilleMonistrol, qui ne s’émut pas trop de ce changement demanières.

– C’est la fin d’une situation fausse,murmura-t-elle. Je lui ai dit la vérité sur mes sentiments et je neme repens pas de l’avoir dite. Mais vous, mon ami, que pensez-vousde l’étrange récit que nous venons d’entendre ?

– Je n’y crois pas, réponditM. de Menestreau. C’est une invention dejournaliste aux abois. Et alors même que le fond serait vrai, lefait ne se rattache pas à votre expédition avec les amis deZig-Zag. Ces gens-là ne s’amusent pas à faire de la contrebande etils sont en ce moment bien loin de la maison rouge.

Mais j’ai une plus triste nouvelle àvous apprendre… triste pour moi… je pars cesoir.

– Vous partez !

– Oui, mademoiselle. Je suis appelé enAngleterre par un ami qui a besoin de moi pour terminer une affairegrave…

– Et c’est maintenant que vousm’annoncez ce départ précipité !

– Hier encore, je ne le prévoyais pas.La lettre que j’ai reçue de Londres m’est arrivée ce matinseulement. Je n’ai pas osé me présenter chez vous avant l’heure oùvous voulez bien me recevoir… et j’allais vous apprendre ce fâcheuxcontre-temps, lorsque M. Gémozac est survenu. Je n’ai pasvoulu vous en parler pendant qu’il était là. Il auraitcru que je tenais à quitter la France avant que ses correspondantsl’eussent renseigné sur mon compte.

– Quelle idée !

– Vous n’avez donc pas vu qu’il estsorti furieux ? S’il s’était contenté de montrer que je luidéplaisais, je n’y aurais pas pris garde, mais il vous a marquéplus que de la froideur, et mon devoir est de vousavertir que vous ne devez plus compter sur lui. Cet homme ne vouspardonnera jamais de m’avoir préféré à son fils… et il fera tout cequ’il pourra pour me nuire.

– Eh ! que m’importe ! messentiments ne changeront pas. Ni les calomnies ni votre absence neme feront oublier que nous sommes fiancés.

– Si j’en étais sûr, je partirais lecœur moins gros.

– Ainsi, vous doutez de moi !Qu’ai-je donc fait pour cela !… et que faut-il que je fassepour vous prouver que je tiendrai ma promesse ?… Si la loi lepermettait, je vous épouserais demain…

– Mais la loi s’y oppose… et lesformalités sont longues… Que ne sommes-nous Anglais !… Nousnous présenterions, devant un ministre de l’Église protestante…Nous lui déclarerions, sous la foi du serment, qu’il n’existe aucunempêchement légal à notre mariage… et il nous marierait, séancetenante. Malheureusement, dans ce pays-ci, il n’en va pas de même…et avant qu’un prêtre et un maire consentent à nous unir, mesennemis auront tout le temps de me noircir à vos yeux.

– Ils n’y parviendront pas, mais pourvous rassurer, je suis prête à aller me marier enAngleterre.

– Vous feriez cela !… vousbraveriez les préjugés, la médisance !… Vous ne craindriez pasde vous brouiller irrévocablement avec les Gémozac !… alorsque le père a votre fortune entre ses mains !…

– Ma fortune, j’y renoncerais volontierspour assurer le bonheur de toute ma vie, mais rien ne peut mel’enlever. J’ai trouvé dans les papiers de mon père l’acte deSociété signé par M. Gémozac.

– Dieu soit loué ! J’avais peur quevous n’eussiez commis l’imprudence de vous en dessaisir.

– D’ailleurs, M. Gémozac estincapable de nier, et, quoi qu’il advienne de mes relations aveclui et les siens, je n’ai pas la moindre inquiétude, car je suiscertaine qu’il ne me fera jamais tort d’un centime.

J’avoue qu’il m’en coûtera d’être jugéedéfavorablement par le bienfaiteur de mon père, mais je luiexpliquerai ma conduite et je n’aurai pas de peine à lajustifier.

– Et vous consentiriez à partir avecmoi ?… ce soir ?

– Non, mon ami. Si indépendante que jesois, je ne pousserai pas si loin le mépris de l’opinion des sots.On ne manquerait pas de dire que vous m’avez enlevée, et je ne veuxpas qu’on le dise.

J’irai vous rejoindre à Londres,Brigitte sera du voyage, et quand nous reviendrons en France, jeserai votre femme légitime. Nul n’aura le droit d’y trouver àredire.

Mais je ne partirai pas avant d’avoir suà quoi m’en tenir sur l’étrange événement que M. Gémozac vientde nous apprendre.

– Quoi ! vous vous préoccupezencore de ce canard éclos dans le cerveau d’un journaliste à courtde nouvelles ?

– Comment ne m’en préoccuperais-jepas ! quelque chose me dit que l’enfant sauvé du désastre,c’est le fils de l’ennemi de Zig-Zag ; c’est ce Georget dontje vous ai si souvent parlé… je n’ai jamais voulu croire qu’ilm’ait trahie.

– Je ne partage pas votre confiance, machère Camille ; mais, quoi qu’il en soit de la fidélité de cepetit drôle, soyez sûre que si c’était lui qui a sauté en l’air, iln’aurait pas manqué d’accourir ici.

– Il est peut-être blessé… ou, quisait ? on l’a peut-être mis en prison comme complice descontrebandiers… et que dira-t-il, si on l’interroge ?Il parlera de Zig-Zag… de moi… de vous…

– C’est possible… mais qu’yfaire ?

– Aller le voir… le prier de vousraconter ce qui lui est arrivé… Je ne sais pas où il est, mais jele saurai aujourd’hui, car je vais me faire conduire à la porte deSaint-Ouen et à la maison rouge… Je questionnerai les employés del’octroi… les gens du quartier des Épinettes.

– Et vous vous compromettrezhorriblement. Je vous en supplie, ma chère, renoncez à ce projet etsi vous tenez absolument à ce que l’enquête soit faite,permettez-moi de m’en charger.

– Vous, Georges ! vous qui devezpartir ce soir !…

– Je puis remettre mon voyage devingt-quatre heures. Je préviendrai par une dépêche l’ami quim’attend.

– Et je vous verrai demain. Oh !alors, j’accepte votre proposition. Promettez-moiseulement que la journée ne se passera pas sans que j’aie desnouvelles de Georget.

– Ou du moins de l’enfant qu’on aramassé près de la maison rouge… Ce n’est pas précisément la mêmechose… Enfin, je ferai de mon mieux. Mais, je vous le demande engrâce, répétez-moi encore que vous viendrez me rejoindre à Londres…J’ai tant de peine à croire à mon bonheur !

– Je vous l’ai promis… et je n’ai qu’uneparole…

Georges de Menestreau fit un mouvementpour tomber à ses genoux. Elle l’arrêta.

– J’entends la voix de Brigitte,dit-elle. Je l’ai envoyée faire une commission, et elle vacertainement monter ici… Mais, c’est singulier… on jurerait qu’ellepousse des cris de frayeur…

Aux cris succéda le fracas d’une portefermée avec violence, et, un instant après, Brigitte, pâle,échevelée, les yeux hors de la tête, se précipita dans lesalon.

– Qu’as-tu donc ? lui demandaCamille, effrayée.

La vieille servante articula péniblementces mots :

– Le chien !

– Quel chien ? demanda, toutébahie, mademoiselle Monistrol.

– Le chien du paillasse, réponditBrigitte avec effort.

Camille tressaillit, etM. de Menestreau lui-même ne putréprimer un mouvement d’émotion.

– Où est-il ? reprit la jeune filled’une voix altérée.

– Dans la cuisine, mademoiselle ;et c’est bien heureux que j’aie pu l’y enfermer, car il n’a plus samuselière, et il nous dévorerait tous. Il a l’air de n’avoir pasmangé depuis huit jours.

– Enfin… comment est-cearrivé ?…

– Voilà !… je rentrais avec monpanier au bras et je venais d’ouvrir la porte de ma cuisine, quandj’ai senti comme un gros pavé qu’on m’aurait jeté dans les jambes…même que j’ai manqué de tomber, les quatre fers en l’air ;mais je me suis tenue après le battant… et j’ai vu la vilaine bêtequi avait sauté du coup sur mon fourneau… elle s’est retournéecontre moi et je n’ai eu que le temps de pousser la porte que jen’avais pas lâchée… si j’avais perdu la tête, le chien m’étranglaitnet… et il serait monté ici pour vous en faire autant.

Mais il ne s’échappera pas… la fenêtreest trop haute et j’avais eu soin de fermer les volets avant departir en course.

Tenez ! entendez-vous la vie qu’ilfait là-dedans ?

On entendait en effet des coups sourdset répétés.

– Saute, sale bête ! grommelaitBrigitte. La porte est solide et tu t’aplatiras lemuseau.

Seulement, s’il continue, il va cassertoute ma vaisselle. Comment faire, mon Dieu !

Camille, aussi embarrassée que lavieille bonne, regardait Georges de Menestreau qui semblait méditersur ce cas imprévu.

– Si nous pouvions le museler etl’attacher, dit mademoiselle Monistrol, il nous ferait retrouverZig-Zag.

– Recommencer l’expédition de l’autrenuit ! s’écria Brigitte, en levant les bras au ciel. Avec ça,qu’elle vous a bien réussi ! Cette fois, vous n’en reviendriezpas !

– Ce serait une folie, mademoiselle, ditenfin M. de Menestreau ; et d’ailleurs,vous n’atteindriez pas votre but, car je constate que ce chien nepossède pas les aptitudes miraculeuses que lui attribuait cepaillasse. S’il aimait tant son maître, il ne l’aurait pas quitté…et s’il est revenu ici, ce n’est pas Zig-Zag qu’il ycherche, puisque Zig-Zag n’y est pas… à moins de supposer qu’ilreconnaît tous les endroits où Zig-Zag a passé… et la supposition,serait absurde.

– Alors, commentexpliquez-vous ?…

– De la façon la plus simple. Commebeaucoup de ses pareils, ce chien a la mémoire des lieux. Sonmaître l’aura chassé ou perdu volontairement… craignant sans douteque l’animal le fît reconnaître… un dogue ne peut pas setransfigurer comme un homme, et celui-là est connu de tous lessaltimbanques… Zig-Zag, qui a dû se faire une nouvelle tête, nevoulait pas garder avec lui une bête qui doit jouir d’une grandenotoriété dans les foires des environs de Paris. Ils’en est débarrassé, et l’animal a dû errer par les rues,cherchant sa nourriture. Il a fini par arriver place du Trône, oùil avait séjourné ; en rôdant sur le boulevard Voltaire, ilest passé devant la maison et il s’est rappelé qu’une fois il étaitentré là. La barrière était probablement ouverte… il n’a fait qu’unsaut jusqu’à la cuisine…

– C’est bien possible, murmura Camille,qui n’était qu’à moitié convaincue.

– Et je suis d’avis de ne pas l’ylaisser, conclutM. de Menestreau.

– Le lâcher, alors ?…

– Non pas. Je ne serais nullementsurpris qu’il fût enragé, et quand même il ne le serait pas, il neferait pas bon se frotter à un animal de cette taille et de cetteforce.

– Pas moi, toujours, dit Brigitte entreses dents.

– Qu’en ferons-nous donc ? demandaCamille.

– Ce que les agents de police font deschiens suspects. Il faut le tuer tout bonnement.

– Le tuer ! ce ne sera pasfacile.

– Je m’en charge, mademoiselle. Depuisqu’il m’est arrivé des aventures, une nuit, dans la plaineSaint-Denis, j’ai toujours un revolver dans ma poche.

– Je ne veux pas que vous vousexposiez.

– Oh ! je n’entrerai pas dans lacuisine. Je le canarderai de loin… Les volets de la fenêtre doiventavoir des trous.

– Deux, fit vivement Brigitte :monsieur a là une fameuse idée.

– Eh bien, ma brave femme, conduisez-moià la bonne place. Mademoiselle restera ici. Il est inutile qu’elleassiste à ce vilain spectacle.

– Je veux tout voir, répliquamademoiselle Monistrol ; et je veux être au danger s’il y ena.

– S’il y en avait, je vous empêcheraisde descendre, mais il ne peut y en avoir aucun. Venez,mademoiselle.

Brigitte se précipita dans l’escalier.Sa maîtresse la suivit et Georges ferma la marche.

En passant devant la cuisine, ilsentendirent, non pas des aboiements, mais ces hurlements rauques,enroués, qui constituent un des symptômes caractéristiques de larage.

– Ma chère Brigitte, ditM. de Menestreau, vous l’avez échappé belle. Si cechien vous avait mordue, vous seriez morte dans des souffrancesatroces.

– Ne m’en parlez pas, monsieur. Rien qued’y penser, j’en ai la chair de poule. Dépêchez-vous de letuer.

Us sortirent tous ensemble, et Brigitteles mena devant les volets hermétiquement clos qui protégeaient lafenêtre de la cuisine.

M. de Menestreau regarda parun des vasistas percés au bas des planches et dit :

– Je le vois. Diable ! il y a aumoins six pouces d’intervalle entre les volets et les vitres. Letir ne va pas être facile, d’autant qu’il ne fait pas très clairlà-dedans.

Il n’avait pas achevé qu’un bruit decarreaux brisés le fit reculer.

Vigoureux l’avait vu ou l’avait senti etil s’était lancé à toute volée contre les vitres.

– Bon ! reprit Georges, ce seraplus commode.

Et il arma son revolver.

Le chien sauta encore et cette fois ilparvint à se cramponner sur le rebord intérieur de la fenêtre. Leverre craqua sous l’effort de sa tête puissante, et le carreauétait assez large pour qu’il y pût passer.

Il passa, en se déchirant et il vintmontrer au trou du volet son mufle ensanglanté.

À cette apparition, Camille et Brigittereculèrent d’effroi et, en vérité, il y avait de quoi.

La tête de Vigoureux passait à moitiépar le trou du volet. Le poil hérissé, les yeux pleins de sang, lagueule ouverte, la bave aux dents, il poussait de toutes sesforces, en hurlant à donner le frisson.

Il regardait fixementM. de Menestreau qui n’avait pas bougé et qui levisait avec son revolver.

Le coup partit, et il était temps, carles volets ébranlés craquaient sous l’effort de la bêtefurieuse.

Elle jeta un cri de douleur, mais ellene tomba point en arrière.

M. de Menestreau avait tiré detrès près, et cependant la balle avait un peu dévié. Au lieu debriser le crâne de l’animal, elle lui avait percé le mufle,au-dessous des yeux.

Si brave qu’on soit, on ne tire paspresque à bout portant sur un chien enragé sans éprouver quelqueémotion, et la main du vaillant fiancé de mademoiselle Monistrolavait dû trembler.

Et chose étrange, au lieu de se retirerpour éviter les coups, Vigoureux, douloureusement blessé,redoublait d’efforts pour forcer le passage.

– Éloignez-vous, ma chère Camille, criaMenestreau en réarmant son revolver.

Camille ne bougea pas. Cet horriblespectacle la fascinait et elle n’en pouvait détacher sesyeux.

Menestreau fit feu une seconde fois etsans beaucoup plus de succès ; il creva l’œil du dogue, maisil ne parvint pas à l’abattre, et cette nouvelle blessure ne fitqu’exciter le monstre qui, d’une violente secousse, fit sauter lecrochet mal attaché.

Le volet céda et Vigoureux vint roulersur le sable de la cour.

Brigitte s’enfuit en criant, etMenestreau s’élança pour couvrir mademoiselle Monistrol, qui étaitrestée, résolue à partager le sort de l’homme qu’elleaimait.

Il avait encore quatre balles dans sonrevolver, mais le chien n’était pas frappé à mort et il neprésentait plus sa tête comme une cible enchâssée dans le troud’une planche.

Il s’était très vite remis sur sespattes et il lui restait bien assez de force pour se jeter sur sonbourreau, mais au lieu de bondir, il se traîna lentement vers luien gémissant d’une façon lamentable.

M. de Menestreau, profitant dece répit tout à fait inespéré, l’ajusta à loisir enplein corps, et d’un troisième coup, lui cassa lesreins.

La balle brisa la colonne vertébrale àla hauteur des hanches.

Vigoureux s’affaissa sans crier, et, ens’aidant de ses pattes de devant, il se mit à ramper sur le ventre,en regardant toujours Georges de Menestreau.

On eût dit qu’il lui demandait grâce etqu’il lui reprochait de le traiter si cruellement.

Il ne réussit pas à l’attendrir. Undernier coup le frappa entre les deux épaules et lerenversa sur le dos. L’œil qui lui restait se rouvrit encore unefois, se fixa sur l’exécuteur impitoyable et se referma pourtoujours.

– Enfin, il est mort ! dit entreses dents M. de Menestreau. Il nefera plus de mal à personne… mais il avait la vie dure… j’aicru un instant que je n’en viendrais pas à bout.

Vous avez dû avoir bienpeur ?

– Pour vous, oui… et j’avoue quel’agonie de cette malheureuse bête m’a profondémentémue.

– Je comprendrais cela s’il s’agissaitd’un chien quelconque, mais si vous êtes sûre que celui-làappartenait à Zig-Zag…

– Absolument sûre. Interrogez Brigitteet elle vous dira…

– Que c’est bien lui, acheva la vieilleservante, qui reparut tout à coup sur le champ de bataille. Il n’yen a pas deux pareils.

– Alors, repritM. de Menestreau, il ne nous reste plus qu’a nousdébarrasser de sa carcasse. Apportez-moi une bêche. Je vaisl’enfouir dans une de ces plates-bandes.

– Ah ! mais, non, parexemple ! Vous voulez donc que nous attrapions lapeste ! Laissez-moi faire, monsieur. Je le traînerai sur leboulevard Voltaire et je l’y laisserai. La police se chargera del’enlever.

– N’y manquez pas, au moins.

– J’y veillerai, mon ami, ditmademoiselle Monistrol. Maintenant, permettez-moi de vous rappelerque vous m’avez promis de vous informer de ce pauvreenfant.

– J’y vais de ce pas… à la maison rouged’abord… et si je n’y recueille aucun renseignement positif, j’iraien demander au commissaire de police du quartier desÉpinettes.

– Merci. J’attendrai impatiemment votreretour. Ne me faites pas languir.

– Je n’aurai garde, puisque c’est lacondition que vous mettez à votre départ pour l’Angleterre… et jene désespère pas de vous rapporter aujourd’hui même desinformations certaines… Vous ne comptez passortir ?

– Non, mon cher Georges. Je ne suis pasencore remise de la secousse que je viens d’éprouver… Cette scènem’a bouleversée… j’ai besoin de me reposer pour meremettre.

Allez, mon ami, et revenez vite, conclutCamille en serrant la main de son amoureux qui s’éloigna au pasaccéléré.

Brigitte assistait à ces tendres adieux,et à son air renfrogné, on voyait bien qu’elle n’était pascontente.

– C’est donc vrai que vous voulezpartir ? demanda-t-elle brusquement à sa maîtresse.

– Oui, répondit avec un peu d’embarrasla jeune fille, mais nous ne nous quitterons pas, jet’emmènerai.

– Moi !… à Londres ! dans lepays des goddem…, jamais de la vie !… j’y mourrais dechagrin, au bout de deux jours… Je suis comme lesvieux arbres qui sèchent sur pied quand on les transplante, etpuis, l’Angleterre, voyez-vous, mademoiselle, c’est trop loin deMontreuil-les-Pêches…

Sans compter, reprit-elle d’un airgrognon, que si vous y allez pour vous marier avec ce beau brun,vous ferez une fameuse bêtise…, je sais bien que ça ne me regardepas, mais tant pis ! c’est lâché !… J’avais ça sur lecœur, il fallait que ça sorte…, et je voudrais que votre pauvrepère fût là pour m’entendre…, c’est pas lui qui vous conseilleraitde suivre un monsieur que vous ne connaissez ni d’Ève nid’Adam…

– Tu oublies qu’il m’a sauvé la vie,interrompit Camille.

– Allons donc !… il devait êtred’accord avec les voyous qui vous ont tombé dessus. Cet homme-làn’en veut qu’à votre argent… Parlez-moi de l’autre, le blond…, onsait qui il est, celui-là, et il vous aime pourvous-même.

– Assez, dit impérieusement Camille,d’autant plus irritée des observations de Brigitte qu’elle enreconnaissait jusqu’à un certain point la justesse.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer