Le Pouce crochu

Chapitre 4

 

 

Pendant que Julien Gémozac et son camaradeFresnay cherchaient au concert des Ambassadeursl’énigmatiquecomtesse de Lugos, qui venait de disparaître avec son équivoquecavalier, Camille Monistrol et ses auxiliaires se préparaient àentrer en chasse.

Dix heures venaient de sonner. Ilsétaient réunis dans la cuisine de la maisonnette du boulevardVoltaire et tous les trois sous les armes, c’est-à-dire en tenued’expédition.

Courapied avait exécuté avecintelligence et célérité les ordres de Camille. Un magasin devêtements confectionnés l’avait habillé de pied en cap et lui avaitfourni un costume pour Georget et un costume d’homme pourmademoiselle Monistrol, qui, avant de l’expédier, lui avait remisde quoi payer comptant tous ces achats et même de quoi commencersur un bon pied une existence nouvelle.

Un des cinq rouleaux d’or avancés parM. Gémozac père y avait passé.

Le pitre s’était travesti en petitbourgeois de banlieue, et il possédait ce qu’on nomme au théâtre lephysique de l’emploi.

Georget avait très bon air sous la vesteà boutons et la casquette galonnée d’un petit groom derestaurant.

Mais le déguisement le plus réussi étaitcelui de Camille, vêtue en apprenti d’imprimerie, avec la longueblouse blanche, et coiffée d’un béret qui cachait entièrement sesbeaux cheveux noirs, relevés, pour la circonstance, sur le sommetde la tête.

On eût dit qu’elle avait porté toute savie le costume masculin, et, comme elle était au moins aussi grandeque Courapied, personne ne l’aurait prise pour unefemme.

Brigitte n’en revenait pas de cechangement, et commençait à croire que, dans la rue, les gens s’ytromperaient.

Ce n’était pas qu’elle approuvât cetteexcursion nocturne, en compagnie d’un saltimbanque de profession etd’un gamin élevé sur les tréteaux. Elle avait au contraire prêchésa jeune maîtresse pour tâcher de la détourner de ce projet. Maiscomme son éloquence n’y faisait rien, elle s’était résignée, fort àcontre-cœur, à souffrir ce qu’elle ne pouvait empêcher.

Cette ancienne nourrice était unerobuste gaillarde, sèche et hâlée comme une paysanne, brave commeun vieux soldat et dévouée comme un caniche.

Elle avait d’abord assez mal reçuCourapied ; mais elle aimait les enfants, et Georget l’avaitapprivoisée à ce point qu’elle s’était mise en quatre pour cuisinerun bon dîner, auquel le père et le fils avaient largement faithonneur.

Brigitte aurait même donné volontiers lapitance à Vigoureux, mais pour qu’il la mangeât, il aurait fallu ledémuseler, et Courapied s’y était opposé. Courapied, quiconnaissait l’animal, affirmait que ce dogue féroce dévoreraitquelqu’un aussitôt qu’il pourrait se servir de ses crocs, et il nese trompait pas. Il avait eu déjà assez de peine à le mater et dûtVigoureux devenir enragé à force de privations, mieux valait ne paslui délier la gueule.

Il était là, dans un coin de la cuisine,attaché par le cou à un des pieds massifs d’une énorme table, lemufle allongé sur ses pattes étendues, la boîte entre les dents,l’écume aux babines, grondant sourdement, et roulant des yeuxinjectés de sang. On voyait qu’il se sentait vaincu, mais qu’ilattendait une occasion de prendre sa revanche, et en vérité iln’aurait fait qu’une bouchée de Georget.

– Nous sommes prêts, dit Camille. Il esttemps de partir.

– Tu ferais bien mieux de rester,grommela Brigitte, qui avait gardé l’habitude de tutoyer la jeunefille qu’elle avait nourrie de son lait.

– D’autant plus, ajouta Courapied, que,nous deux Georget, nous ferions bien la besogne sans vous,mademoiselle. Je préférerais même la faire tout seul.

– Non, père, dit vivement Georget.Mademoiselle m’a permis d’en être et j’en serai.

– Nous en serons tous les trois, repritd’un ton ferme mademoiselle Monistrol. S’il y a des dangers àcourir, j’en veux ma part.

– Des dangers ? dit entre ses dentsCourapied ; j’espère que non, puisqu’il ne s’agit que dedécouvrir où niche nette canaille de Zig-Zag. S’il fallaitl’arrêter, ça serait une autre paire de manches. Il se défendrait,le gueux, et nous passerions un mauvais quart d’heure.

– Ce soir, il suffira que je le voie.Quand je l’aurai reconnu, je sais ce qu’il me restera àfaire.

– Le voir sans qu’il nous voie, j’aipeur que ça ne soit pas très commode. Vous pensez bien qu’il ne semontre pas dans les endroits publics. Et s’il loge en garni, il nefera pas bon monter chez lui.

– Le principal c’est que je sache où ilest et si le chien nous y conduit, comme vous l’espérez…

– Oh ! ça, j’enréponds… à moins que Vigoureux ne s’échappe en route… et ilne s’échappera pas… la corde est solide et j’ai bonne poigne ;il nous mènera tout droit au gîte de son maître. C’est quand nousen approcherons que les difficultés commenceront. En attendant, çame chiffonne de laisser partir la boîte… si je pouvais la casser àcoups de marteau, nous verrions ce qu’elle a dans leventre.

– Pas moyen, père. Elle est doublée enacier, dit Georget. Mais nous pourrions assommer Vigoureux etaprès…

– Tu lui en veux, parce qu’il t’a mordusouvent. Ça m’irait aussi de l’exterminer. Seulement, sans lui,nous ne repincerions jamais cette canaille de Zig-Zag. C’est vraique si nous réussissions à ouvrir le petit coffre, nous ytrouverions probablement ses papiers…

– Et autre chose avec, père. S’il n’yavait que des papiers, ça ne ferait pas de bruit quand Vigoureux sesecoue.

– Des fausses clés, peut-être, ou uncouteau catalan. Je lui en ai connu un dans le temps… et je n’aijamais su ce qu’il en avait fait.

Camille écoutait, en fronçant lesourcil, ce dialogue entre le père et le fils.

– Vous avez donc peur de cethomme ? dit-elle froidement.

– Mais, mademoiselle… il y a de quoi,murmura Courapied.

– C’est bien. J’irai seule. Ce chien meguidera. Je suis assez forte pour le tenir en laisse.

– Et je souffrirais ça ! Faudraitque je sois bien lâche. Ce que j’en disais, voyez-vous, c’étaitparce que ça me crève le cœur de ne pas garder la boîte. Mais il yaura peut-être moyen de tout arranger. Une fois que nous saurons oùZig-Zag s’est terré, si vous ne tenez pas à entrer, nous pourronsramener Vigoureux, et comme nous n’aurons plus besoin de lui, je mepayerai le plaisir de le pendre avec sa laisse.

En attendant, Courapied lui lança uncoup de pied dans les côtes et le dogue se leva en poussant desgrognements étouffés. En même temps, Georget défit le lien quil’attachait au pied de la table et remit le bout de la corde à sonpère.

Il y eut alors une bataille entrel’homme et la bête, mais Vigoureux, solidement muselé, n’était pastrès redoutable. Il eut beau se cabrer et se ruer sur Courapied,force lui fut de se remettre sur ses quatre pattes. Il recommençaalors à tirer sur sa chaîne de chanvre pour gagner laporte.

– Voyez ! il ne demande qu’àmarcher, dit Courapied. Nous n’avons plus qu’à le suivre, et il vanous mener bon train.

Camille embrassa Brigitte, qui avait lecœur gros, et lui dit avec le sang-froid d’un soldat partant pourmonter à l’assaut :

– Si je n’étais pas rentrée avant lejour, tu irais prévenir M. Gémozac, quai de Jemmapes, 124, ettu lui dirais ce qui s’est passé ici ce soir. Il ferait ce qu’ilfaudrait pour qu’on me retrouvât.

– Oh ! mademoiselle, s’écriaCourapied, ça n’arrivera pas ce que vous dites là. Pensez donc quenous sommes trois. Zig-Zag ne nous escamotera pas tous les troiscomme des muscades… quoiqu’il travaille aussi dans cette partie-là.Il file la carte comme pas un et il ferait sa fortune aubonneteau, s’il n’avait pas de meilleurs tours dans sonsac. Mais il ne s’agit pas de ça… s’il y a un mauvais coup àrecevoir, ce sera pour moi… et je n’ai pas peur de mourir, parceque je suis sûr que vous auriez soin du petit.

– Il ne me quittera jamais, quoi qu’ilarrive, dit Camille. Mais je ne veux pas que vous risquiez votrevie… et vous ne la risquerez pas cette nuit, car nous nousbornerons à une simple reconnaissance. Du reste, si nous étionsobligés de nous défendre, j’ai un revolver sous ma blouse, et jesaurais m’en servir.

Brigitte leva les bras au ciel, enentendant cette déclaration belliqueuse. La brave femme savait queCamille ne craignait rien au monde, mais elle ne s’était jamaisfiguré que Camille ferait, au besoin, le coup depistolet.

– Mademoiselle, reprit Courapied, c’estle moment de nous mettre en route. Plus nous tarderons et plus nousaurons de mauvaises chances contre nous. Zig-Zag ne doit pas logerdans les beaux quartiers, et s’il s’est caché du côté desfortifications, il ne fait pas bon, par là, aprèsminuit…

Mademoiselle Monistrol embrassaBrigitte, qui pleurait sans mot dire, et sortit en faisant signe àses nouveaux amis de la suivre.

Elle avait pris la tête de la petitetroupe qui partait en guerre contre l’affreux Zig-Zag, mais ellereconnut bientôt la nécessité d’intervertir l’ordre demarche.

L’itinéraire n’était pas fixé, puisqu’onne savait pas où on allait. Il fallait donc s’en rapporter àVigoureux, et Courapied, qui le tenait en laisse, devaitlogiquement passer le premier.

Ainsi fut fait, quand la colonne seforma sur le boulevard Voltaire. On décida même que le marid’Amanda marcherait seul, un peu en avant, et cela par la raisonqu’il était vêtu comme un bourgeois aisé, et que les passantspourraient s’étonner de le voir flanqué d’un ouvrier en blouse etd’un gamin en livrée de fantaisie.

Camille et Georget restèrent donc àl’arrière-garde, et, habillés comme ils l’étaient, ils pouvaientaller côte à côte sans qu’on les remarquât.

La question qui les intéressait tous,c’était de savoir quelle direction le dogue allaitprendre.

Vigoureux n’hésita pas une seconde. Ilse mit à descendre le boulevard avec un élan que Courapied euttoutes les peines du monde à contenir.

Jamais limier, approchant d’une enceinteoù s’est remisé un sanglier, ne tira avec plus de force sur salonge, tenue par un valet de chiens.

Bien en prit à l’ancien pitre d’avoir dubiceps.

Du reste, il n’y avait personne pourassister à ce départ et rien n’empêchait Camille et Georgetd’échanger leurs impressions.

– Elle sait bien où elle va, la salebête, murmura Georget.

– Je le crois, dit Camille, et sonmaître ne doit pas être loin d’ici.

– Savoir, mademoiselle ! Zig-Zagserait à Versailles que Vigoureux le sentirait tout de même.Tenez ! l’an passé, nous faisions la Picardie… onl’avait enfermé dans une écurie, à Roisel, où nous avions couché eton l’y avait oublié… il a cassé la porte, et il nous a rattrapés lesoir, à Péronne… il y a bien trois lieues de pays. Zig-Zag, desfois, s’amusait à le perdre exprès, pour montrer comme il savaitretrouver son chemin, et pour épater les bourgeois des villes où ontravaillait. On lui en a offert des deux et des trois cents francs,mais il n’a pas voulu le vendre. Il sait que Vigoureux ledéfendrait si on voulait l’arrêter.

– Il craint donc d’êtrearrêté ?

– Dame ! il n’a jamais eu depapiers, depuis qu’il voyage avec nous, ou, s’il en a, personne neles a vus. Ça fait qu’il n’aime pas les gendarmes. Mais il estmalin comme un singe et il se tire toujours d’affaire, à preuvequ’on voulait l’arrêter l’autre semaine et qu’on l’a laisséaller.

Et puis, ajouta Georget en baissant lavoix, si jamais un agent lui mettait la main dessus, Zig-Zagn’aurait qu’à siffler son chien. Amanda l’a dressé à sauter à lagorge de n’importe qui, dès qu’elle lui fait signe… et un signequ’on ne voit pas… elle a un truc… Père dit que c’est en faisantcraquer ses ongles et en regardant l’homme qu’elle veut faireétrangler… Vigoureux comprend.

Camille tressaillit. Son père était mortétranglé et le mot que Georget venait de prononcer lui rappelaitune effroyable scène. Elle se tut et l’enfant n’osa pas continuerl’entretien.

Ils marchaient d’ailleurs aux alluresvives, afin de ne pas se laisser distancer par Courapied que lebouledogue entraînait plus vite qu’il ne voulait ; si vitequ’ils arrivèrent bientôt au bout de ce long boulevard,c’est-à-dire sur la place du Château-d’Eau.

Là, il y avait du monde, des voitures,une station d’omnibus, mais ils n’attirèrent pas trop l’attention.Quelques flâneurs s’arrêtaient ou se retournaient pour examiner cegros chien qui tenait un coffret dans sa gueule, mais ils nevoyaient pas la courroie qui lui liait le museau et ils n’yprenaient pas garde ; à Paris, les chiens portant des paquetsne sont pas rares, et Courapied n’avait rien qui le distinguât desautres passants.

Camille et Georget hâtèrent un peu lepas parce qu’ils craignaient de perdre de vue leur chef de file, etils virent qu’après avoir traversé l’esplanade plantée qui s’étenddevant la caserne, il enfilait, sans hésiter, le boulevardMagenta.

C’était presque une indication. Cettelarge voie remonte vers les hauteurs de l’ancienne banlieue duNord. Elle conduit à Montmartre ou à La Villette, suivant qu’ontourne à gauche ou à droite, lorsqu’on arrive aux boulevardsextérieurs.

Ainsi commençaient à se vérifier lesprédictions de Courapied qui, en s’abouchant avec mademoiselleMonistrol sur la place du Trône, annonçait déjà que Zig-Zag devaits’être réfugié dans un des arrondissements les plus éloignés ducentre.

L’ardeur de Vigoureux ne s’était pascalmée. Il tirait plus que jamais sur sa laisse et s’il s’arrêtaitparfois, c’était pour grogner sourdement contre Courapied, qui semaintenait à la même allure régulière au lieu de prendre le pas decourse.

– Vous devez être fatiguée,mademoiselle, dit doucement Georget.

– Non, répondit Camille. Je marcheraitoute la nuit, s’il le faut. Mais ne m’appelle plus :mademoiselle. Donne-moi un nom d’homme et retiens-le bien pour t’enservir, si on nous parle.

– Jacques ?…voulez-vous ?

– Autant celui-là qu’un autre, pourvuque tu ne l’oublies pas.

– Oh ! il n’y a pas de danger. Maisj’espère qu’on ne nous dira rien.

– Tu crois donc que, si on me parlait,on s’apercevrait que je suis une femme ? C’est possible, aprèstout. Je ne peux pas changer ma voix, mais, s’il faut répondre, turépondras pour moi. Et la preuve que je suis bien déguisée, c’estque les gens que nous rencontrons passent sans meremarquer.

À vrai dire, il n’en passait pasbeaucoup. À cette heure avancée, le boulevard Magenta n’est pastrès fréquenté. Mais, plus loin, il n’en serait peut-être pas demême, et Georget, qui s’en doutait, redevint silencieux.

Au boulevard extérieur, Vigoureux prit àgauche. C’est le chemin qui mène à la place Pigalle, qui resteanimée et fréquentée jusqu’à deux heures du matin.

On pouvait s’attendre là à quelquesincidents, et il n’en survint aucun. Les couples attablés devantles cafés de ce rond-point ne se dérangèrent point pour regardersous le nez mademoiselle Monistrol ni ses auxiliaires.

Le voyage continua donc sans encombre,et arrivé à la place où s’élève la statue du maréchal Moncey,Vigoureux s’engagea dans l’avenue de Clichy, qui aboutit auxfortifications.

Elle n’en finit pas, cette avenue deClichy, et elle est assez mal fréquentée, le soir surtout. Aucommencement, du côté de la place Moncey, ce ne sont que cafés oùse rassemblent les artistes du quartier, débits où les ouvriersviennent se mettre le gosier en couleur, restaurants où lesbourgeois des Batignolles dînent en partie fine. C’est bruyant,mais c’est honnête.

Plus loin, l’avenue bifurque. Une desvoies qui se présentent aboutit à la porte de Clichy, l’autre à laporte de Saint-Ouen. Cette dernière passe tout près du cimetièreMontmartre et ce voisinage fait qu’elle n’est pas très habitée. Surl’autre, au contraire, s’embranchent une foule de ruelles,d’impasses et de cités où logent d’innombrables familles detravailleurs et quelques mal-vivants. Ce n’est pas encoredangereux, mais on s’aperçoit déjà que ces populations n’ont riende commun avec les paisibles citadins des arrondissements ducentre.

On n’est pas en pays ennemi ; onest en pays inconnu.

Vigoureux prit le chemin le moinsdésert, à la grande satisfaction de Courapied, qui ne tenait pas àtraverser des solitudes où on rencontre assez souvent des rôdeursde barrière en quête d’un mauvais coup. Une bande de ces malandrinsaurait eu beau jeu contre une femme, un enfant et un hommeembarrassé d’un chien qui, certes, ne l’aurait pas défendu, en casd’attaque, et qui se serait probablement sauvé en emportant laprécieuse cassette.

Mais la joie de Courapied n’était passans mélange, car il voyait bien que le voyage allait se terminerhors de l’enceinte fortifiée et il savait qu’après la porte deClichy, il n’y avait plus que des terrains vagues et desbouges.

Vigoureux tirait plus furieusement quejamais, comme tire un cheval qui approche de son écurie. EtCourapied se laissait traîner, quoiqu’il eût bonne envie des’arrêter.

Camille et Georget suivaient d’un peuplus près qu’auparavant. En campagne, au moment de traverser undéfilé périlleux, les soldats éprouvent le besoin de se sentir lescoudes.

On rencontrait de temps à autre desfigures peu rassurantes, et on passait devant des cabarets borgnesd’où sortaient des vociférations d’ivrognes. Mais Camille n’yprenait pas garde.

Elle ne pensait qu’au meurtrier de sonpère et il lui tardait d’arriver au repaire où il se cachait. Ellene réfléchissait pas qu’il lui serait probablement impossible d’ypénétrer, que, la nuit, elle aurait beaucoup de peine à reconnaîtreZig-Zag, alors même qu’elle le verrait, et plus de peine encore àexaminer ses mains. Elle allait, poussée par un violent désir devengeance, et fermement convaincue qu’au moment décisif, Dieu luisuggérerait un moyen d’en venir à ses fins.

Courapied, qui dirigeait la marche,passa devant la station du chemin de fer de ceinture et arriva auchemin de ronde qui longe les fortifications et qu’on a décoré denoms de maréchaux du premier empire. À gauche, le boulevardBerthier ; à droite, le boulevard Bessières. En face la portede Clichy et une caserne de l’octroi.

Avant d’aller plus loin, le marid’Amanda jugea qu’il était opportun de tenir conseil.

Le lieu s’y prêtait, car on ne voyaitpersonne ; des conspirateurs auraient pu s’y réunir et y jurerla mort des tyrans en pleine sécurité, comme les trois Suisses del’opéra de Guillaume Tell, dans la prairie du Grütli.

Il ne s’agissait pas de prêter serment,mais de se concerter sur les opérations qui allaient enfincommencer sérieusement.

Courapied se tira un peu à l’écart, pritposition sur le talus intérieur du bastion le plus rapproché etappela à lui ses deux compagnons.

– Mademoiselle, dit-il, quand le petitgroupe fut formé, voici le moment de prendre un parti. Au delà decette porte, nous allons nous trouver dans un des plus mauvaisendroits de la banlieue. Et c’est là que Vigoureux nous mène, iln’y a plus moyen d’en douter. Eh bien ! on risque sa peau à sepromener, à l’heure qu’il est, sur la route de laRévolte.

– Pourquoi ?… demanda Camille.Parce qu’elle est déserte ?

– Au contraire, mademoiselle. Parcequ’elle passe entre des rues trop peuplées. Des deux côtés, il n’ya que des garnis où tous les chenapans de Paris viennent coucher.Si Zig-Zag s’est terré là, ce n’est pas la peine de l’y chercher.Nous ne l’y trouverions pas, et nous n’en sortirions pasvivants.

– Allons toujours, jusqu’à ce que lechien s’arrête devant une maison. Et, après, nousverrons.

– Et s’il nous conduit dans unecité ?

– Une cité ? répéta mademoiselleMonistrol, qui n’avait aucune idée de la manière de vivre de cesgens-là.

– Une cité, mademoiselle, c’est comme uncampement de sauvages. Des baraques plantées dans la boue etséparées par des fondrières où on enfonce jusqu’au genou. On ymarche sur les charognes et il y a de quoi être asphyxié. La policen’ose pas y mettre le nez… à moins qu’il ne s’y commette un crimeet ça n’est pas rare.

– Zig-Zag, qui veut, dites-vous, changerd’existence, n’a certainement pas pris gîte dans un de cestaudis.

– Oh ! pas pour longtemps, mais onprend ce qu’on trouve, en attendant qu’on ait fait peau neuve. Etpuis, Amanda a des connaissances par ici, je le sais. Elle m’y aenvoyé plus d’une fois. Ça fait que je connais la route depuisNeuilly jusqu’à Saint-Denis.

– Alors, vous serez un guide excellent.D’ailleurs, à quoi bon délibérer, puisque je suis résolue à allerjusqu’au bout, quoi qu’il puisse arriver. Avançons, vous et moi.Georget nous attendra ici.

Le brave gamin ne dit mot, mais ils’achemina tout doucement vers la porte de Clichy.

Courapied ne pouvait pas moins faire quede suivre l’exemple donné par son fils. Il rendit la main àVigoureux, qu’il avait eu beaucoup de peine à retenir pendant cettecourte conférence, et Camille marcha à son côté.

Ils franchirent la barrière, gardée pardeux commis qui les regardèrent beaucoup et qui, sans doute, ne lesauraient pas laissés passer en sens inverse sans exiger qu’onouvrît la cassette, car on a vu plus d’une fois des chiens porterde la contrebande. Mais il s’agissait de sortir de Paris et lesliquides ne payent qu’à l’entrée. Les gens de l’octroi n’avaientrien à dire.

– Sommes-nous maintenant sur cetteterrible route de la Révolte ? demanda mademoiselle Monistrol,quand ils eurent franchi la porte.

– Non, mademoiselle, répondit Courapied,émerveillé du sang-froid de sa protectrice ; nous allons yarriver ; elle est là devant nous, mais ici, c’est encorel’avenue de Clichy.

– Et ces cabanes, des deuxcôtés ?…

– Servent de domicile aux joueursd’orgues et aux montreurs de singes qui travaillent dans les rues.Pas de danger que Zig-Zag se soit remisé là. Il y en a, là-dedans,qu’il a rencontrés dans nos tournées, et il ne tient pas à êtrereconnu. Aussi, vous voyez que Vigoureux ne s’y arrêtepas.

Vigoureux, en effet, continuait à tirerde toutes ses forces, et cinq minutes après, le groupe deschasseurs d’homme déboucha dans un carrefour triangulaire formé parl’intersection de l’avenue de Clichy avec la route malfamée.

– Nous y sommes, dit à demi-voixCourapied.

Courapied parlait bas, comme s’il eûtcraint d’être entendu et cependant le carrefour étaitdésert.

Mademoiselle Monistrol regarda autourd’elle et à la lueur des becs de gaz beaucoup trop espacés, ellevit une large route qui s’étendait à droite et à gauche.

L’aspect n’avait rien d’extraordinaire.C’était ce qu’on appelle, en langage administratif, un« chemin de grande communication, » comme il y en a par toutela France, y compris le département de la Seine.

C’est pourtant une voie sinistre, et levieux saltimbanque n’avait point exagéré la triste réputation quelui ont acquise les nombreux crimes commis dans cesparages.

Son nom même qui lui vient, dit-on,d’une révolte des gardes-françaises, au camp des Sablons, son nompresque menaçant semble l’avoir prédestinée à servir de théâtre àdes scènes sanglantes.

Elle commence au rond-point de laPorte-Maillot, et c’est précisément là que le duc d’Orléans mourut,à trente ans, d’une chute de voiture. Elle traverse Neuilly, ellepénètre dans Paris, elle en sort un peu plus loin et s’allonge dansla plaine de Clichy, après avoir coupé à angle droit la routed’Asnières.

Là, elle entre en plein pays de Bohème.Elle passe d’abord sur le territoire des chiffonniers qui campent àla belle étoile, ou peut s’en faut et se nourrissent dans desgargots, où on leur sert des aliments sans nom et desboissons au vitriol.

Ce n’est rien encore. Les chiffonnierssont presque tous de braves gens, qui travaillent la nuit et quidorment le jour. Mais la route arrive à Clichy, en passant sous lavoûte du chemin de fer de l’Ouest, un vrai souterrain où on peutassommer un homme sans craindre d’être dérangé pendantl’opération.

À droite, s’étendent des terrains vaguesoù viennent dormir les vagabonds et les malfaiteurs. Puis, viennentdes ruelles fangeuses, des impasses sombres, des passages qui sontdes coupe-gorges, et la cité du Soleil, ainsi nommée parce qu’elleest entourée d’une ceinture de tournesols, car le soleil ne s’ymontre guère.

Et ce n’est pas fini. Plus il s’étend,plus ce chemin maudit s’enfonce dans l’horrible.

Au delà du carrefour où s’étaientarrêtés Camille Monistrol et ses auxiliaires, il y a d’autresrepaires échelonnés des deux côtés. Chaque rue rappelle un souvenirjudiciaire. Le sang y a coulé.

Et c’était dans cette direction quel’horrible dogue cherchait à entraîner Courapied.

– Allons ! murmura le pauvre pitre,résigné à tout, Zig-Zag est probablement caché dans la citéFoucault. Nous ne pouvions pas plus mal tomber. Sur cent locatairesde la Femme en culottes, il y en a quatre-vingts quisortent de Mazas[18].

– Marchons ! dit résolumentCamille.

Il fallut obéir. Seulement, elle serenseigna tout en cheminant, et Courapied lui apprit que la« femme en culottes » était une demoiselle quiadministrait, en costume masculin, cette cité bizarre ;qu’elle ne craignait pas de prendre au collet les récalcitrants, etqu’elle ne se gênait pas pour démonter les portes de leurs chambresquand ils s’obstinaient à ne pas payer.

On arriva bientôt à la hauteur de cetassemblage de baraques construites toutes sur un modèle unique.C’est une longue suite de rez-de-chaussée surmontés d’un étage avecbalcon de bois.

Tout le monde dormait dans la cité, oudu moins on n’y entendait aucun bruit, et ce silence étaitrassurant.

Mais en face, et de l’autre côté de laroute, s’élevait une grande maison blanche où l’on vendait à boireet à manger, comme l’indiquait une énorme enseigne peinte par unartiste inconnu, un vrai tableau représentant, au premier plan, uneimmense casserole ; autour de cette casserole, un prêtre, unbedeau, un enfant de chœur et un croque-mort : tout lepersonnel d’un enterrement ; au fond dans un lointain vague,de longues files de lapins, accourant sur deux rangs pour seprécipiter dans le bassin de cuivre où ils vont passer de vie àgibelotte.

Au-dessus de cette toile fantaisiste,s’étalait en gros caractères l’inscription : Au tombeaudes lapins ; inscription qui avait beaucoup contribué àla renommée de l’établissement.

Le Tombeau des lapins étaitconnu dans tous les mondes, à ce point que l’élégant Alfred deFresnay le citait à la comtesse de Lugos comme une des curiositésdu Paris marginal[19].

Ce soir-là, on y menait grand tapage ettoute la vie du quartier semblait s’être concentrée dans la sallebasse, brillamment éclairée au dedans et même au dehors, car uneénorme lanterne se balançait, suspendue au-dessus de l’enseigne. Oncriait, on se disputait, on chantait à tue-tête des refrainsorduriers et la compagnie devait être nombreuse, à en juger par levacarme qu’elle faisait.

– Est-ce là ? demanda Camille envoyant que Vigoureux s’arrêtait devant la façade du cabaret etlevait le nez en l’air pour prendre le vent.

Mais le chien, après avoir flairépendant quelques secondes, secoua la tête et se remit à traînerCourapied qui répondit :

– Non, mademoiselle. Le père Villard,qui tient la maison, ne loge pas à la nuit. Zig-Zag ne trouveraitpas à coucher, ici. J’aime autant ça. Il y a trop de monde dans lacambuse et si nous y entrions, les pochards nous tomberaientdessus.

Et le pitre défroqué ajouta, après uninstant de réflexion :

– Ça se pourrait bien, tout de même, quele gueux y soit venu ce soir. Vigoureux l’a senti, car il a marquél’arrêt.

– Alors, son maître ne doit pas êtreloin, dit Camille. Avançons.

– Il n’y a plus devant nous que lequartier des Épinettes, et, s’il y est, je m’étonne que le chien nenous y ait pas menés par la porte de Saint-Ouen. C’est le pluscourt chemin.

– Il a pris le chemin par lequel Zig-Zaga passé.

– Oui… il le suit à la piste… Noussommes sûrs de ne pas le manquer, mais… savoir comment çafinira…

Mademoiselle Monistrol ne releva pascette phrase restrictive, qui ne lui apprenait rien de nouveau, carelle savait parfaitement que le mari d’Amanda n’était pastranquille sur l’issue de l’expédition. Mais elle savait aussiqu’il ne l’abandonnerait pas. Et ce n’était plus le moment dediscuter les chances de l’entreprise.

Ils continuèrent à cheminer en groupeserré derrière Vigoureux qui se démenait de plus en plus, parcequ’il approchait du but, et ils passèrent devant d’autres ruelles àpeine éclairées par quelques réverbères à l’huile.

Un peu plus loin, au bord de la route,se montraient çà et là des baraques faites, les unes avec desplanches pourries, les autres avec des moellons volés dans desmaisons en démolition ; de vraies huttes de sauvages,construites par des civilisés, car il y en avait deux ou trois pourlesquelles on n’avait employé d’autres matériaux que des boites àsardines, bourrées de terre, empilées avec un certain art etcimentées avec du plâtre.

Il ne paraissait pas qu’elles fussenthabitées, car on n’y voyait pas briller la moindrelumière.

Du reste, le chien tirait toujours et,au delà de ces bicoques, on n’apercevait plus que des champsincultes.

– Ah ! çà, dit entre ses dentsCourapied, est-ce qu’il va nous mener à Saint-Denis ? Nous yarriverions demain matin.

Tout à coup, Vigoureux fit un bond àgauche, un bond si violent qu’il faillit rompre la corde et aprèsle bond, un crochet qui jeta Courapied hors de la route.

La route, à cet endroit, se trouvait deplain-pied avec les terrains plats qu’elle traversait et elle n’enétait séparée que par un fossé, pas beaucoup plus profond qu’unsillon de labourage. Courapied, entraîné pas le chien, franchit cecreux sans presque s’en apercevoir et se trouva dans un champpierreux où l’herbe poussait à peine.

Camille et Georget s’empressèrent de l’ysuivre et là on tint conseil encore une fois, en dépit des sautsfuribonds de Vigoureux qui brisaient les poignets du pauvre marid’Amanda.

Il fallait, avant tout, s’orienter, etce n’était pas très facile par une nuit sans lune.

À droite, de l’autre côté de la route,la butte Montmartre se dessinait comme une énorme bosse surl’horizon embrumé. En arrière, des points lumineux piquaient lesténèbres, les uns immobiles et assez rapprochés, les autress’agitant dans le lointain, comme des feux follets.

– Ici, les lanternes de la cité Foucaultet là-bas les falots des chiffonniers qui commencent leur tournée,murmura Courapied.

– Mais… devant nous ? demandamademoiselle Monistrol.

– Devant nous, c’est la plaineSaint-Denis et à moins que Zig-Zag ne soit gîté dans un puits decarrière, je ne comprends pas où ce chien veut nousmener.

– Père, dit Georget, il me semble que jevois une maison… à deux cents pas d’ici… un peu sur lagauche.

– Tu as de bons yeux, toi… Je ne voisrien.

– Moi, j’aperçois quelque chose, ditCamille ; mais je ne distingue pas très bien si c’est unemaison ou un tertre. Dans tous les cas, c’est là que le chien veutaller. Laissez-le faire.

– Je ne demande pas mieux, car je n’enpeux plus. La corde me coupe les doigts. Mais, si nous le suivons,Dieu sait où il va nous mener. Encore, si on était sûr que c’est àune maison ! Mais ces terrains-là sont pleins detrous…

– Il a trop d’instinct pour y tomber, etil nous servira à les éviter. Nous n’avons qu’à marcherderrière lui… un à un.

La jeune fille avait réponse à tout, etCourapied se résigna, d’assez mauvaise grâce, à exécuter lamanœuvre qu’elle lui indiquait. Il suivit Vigoureux, et il lui eûtété difficile de faire autrement, à moins de le lâcher, car iln’était plus de force à lui résister.

Georget venait après son père, etCamille après Georget.

C’était la file indienne, et cet ordrede marche convenait parfaitement à des gens qui tenaient àsurprendre un ennemi au gîte ; car, ainsi rangés, ilsn’étaient qu’un point, presque invisible dans cette vaste plaine,et ils avaient des chances d’arriver jusqu’à la maison, sans qu’onsignalât leur approche.

À cent mètres de leur point de départ,ils rencontrèrent un gros tas de pierres qu’ils n’avaient pointaperçu de loin et qui était cependant assez élevé pour les abriter.Courapied, toujours prudent, s’y arrêta et se mit à examiner lesabords de la place.

C’était bien une maison, mais une maisonen ruines. Le toit s’était effondré, et de deux cheminées quisurplombaient autrefois cette bâtisse, il n’en restait qu’unedebout ; l’autre, en s’écroulant, avait couvert le sol dedébris amoncelés. Cependant il y avait encore des volets auxfenêtres et les quatre murs paraissaient solides. Peut-êtren’entouraient-ils qu’un espace vide, car aucune clôture neprotégeait extérieurement ces restes d’une villaabandonnée.

Qui l’avait détruite ? Il neparaissait pas que ce fût un incendie, car elle était construite enbriques rouges qui avaient conservé leur couleur. Ce n’était pasnon plus le canon, car on ne s’est pas battu là pendant lesiège.

Courapied s’inquiétait fort peu de lesavoir. Il se demandait si sa femme et l’odieux et Zig-Zag étaientvenus se cacher parmi ces décombres, et il hésitait à le croire,quoique Vigoureux persistât énergiquement à l’y conduire malgrélui. Mais quoi qu’il en fût, les deux coupables ne pouvaient avoirtrouvé là qu’un refuge provisoire, et ceux qui viendraient les ydéranger devaient s’attendre à être mal reçus.

– Eh bien, qu’attendez-vous ? luidit tout bas mademoiselle Monistrol.

– Je n’attends pas, murmura Courapied.Je pense que nous n’avons plus qu’à nous en retourner, car ceserait une folie que d’entrer là-dedans, cette nuit. En plein jourje ne dis pas, mais…

– Demain, ce misérable aura déguerpi. Jeveux en finir. Rien ne prouve, d’ailleurs, qu’il est là. Et je vaism’en assurer.

Qui m’aime me suive ! ajoutaCamille, en quittant le tas de pierres qui l’abritait, et en sedirigeant résolument vers la maison.

Georget s’élança et la dépassa en unclin d’œil. Courapied n’osa pas rester en arrière, et céda auxefforts de Vigoureux qui le traînait.

Ils n’avaient guère que cinquante pas àfaire pour arriver devant la façade mystérieuse, et quand ils yfurent, ils s’arrêtèrent encore, mais cette fois d’un communaccord.

Camille elle-même sentait la nécessitéd’examiner l’édifice avant d’aller plus loin.

Que Zig-Zag fût là, ce n’était plusdouteux. Le chien se dressait sur ses pattes de derrière et faisaitdes efforts inouïs pour rompre le lien qui l’enchaînait. Ilessayait aussi d’aboyer, et, la courroie s’étant un peu relâchée,il réussissait à pousser des grognements qu’on aurait pu entendred’assez loin. Mais où se tenait l’odieux clown au poucecrochu ? Derrière le mur, ou dans quelque cave creusée sousles ruines ? Et comment l’aborder ?

Au milieu de la façade, on voyait uneouverture béante ; l’entrée d’un corridor sombre dont la porteavait disparu. Mais ce chemin n’était pas engageant.

– Faisons le tour, mademoiselle, dittout bas Courapied. Nous trouverons peut-être mieux.

– Père, il y a de la lumière, soufflaGeorget en montrant une des fenêtres du rez-de-chaussée.

Camille regarda et vit qu’un mince filetde clarté filtrait entre les volets mal joints. Il y avait donc làune chambre habitable et Zig-Zag s’y était installé. Elle le tenaitenfin et rien ne l’empêchait de le forcer à se montrer. Elleverrait son visage, ses mains, s’il se présentait à la fenêtretenant le flambeau qui l’éclairait et après… après, elle monteraità l’assaut de son repaire et, le pistolet au poing, elle leforcerait à se laisser lier par Courapied.

C’était absurde, c’était extravagant,mais Camille ne raisonnait plus. Le sang lui montait à la tête.Elle voyait rouge.

Sans hésiter, sans avertir Courapied,elle tira son revolver de sa poche, l’arma, se baissa, ramassa unepoignée de cailloux et la lança dans les volets.

La lumière s’éteignit aussitôt etCamille comprit enfin que l’idée qui l’avait poussée à s’annoncerainsi n’avait pas l’ombre du sens commun, car en admettant queZig-Zag vînt à la fenêtre au lieu de s’enfuir, elle n’apercevraitpas ses mains dans l’obscurité.

– Sauvons-nous, mademoiselle, lui ditCourapied. Ils sont peut-être une bande… et ils vont nous assommer.Je n’aurai pas la force de vous défendre, car je me suis éreinté àtenir Vigoureux… et je vais être obligé de le lâcher.

– J’aime mieux mourir ici que de fuir aumoment où je retrouve l’assassin de mon père.

À ce moment, quelqu’un entr’ouvritdoucement les volets.

– Qui est là ? demanda une voix defemme.

Mademoiselle Monistrol resta stupéfaite.Elle cherchait Zig-Zag, elle venait d’essayer de l’attirer à lafenêtre et c’était une femme qui répondait à l’appel des caillouxlancés dans les volets.

Et pourtant Vigoureux bondissait detelle sorte qu’il devait avoir reconnu la personne quiparlait.

Courapied aussi l’avait reconnue, car ils’écria :

– C’est la voix d’Amanda.

Il avait malheureusement parlé assezhaut pour qu’on l’entendît de la maison et l’effet de cetteimprudente exclamation ne se fit pas attendre.

Les volets s’ouvrirent à deux battantset une forme blanche se montra.

Camille et ses auxiliaires restaientgroupés sous la fenêtre où se tenait l’apparition, et la nuitn’était pas assez noire pour les cacher.

– Ah ! gueuse ! repritCourapied, emporté par la colère. Je te retrouve donc enfin et tuvas me payer le tour que tu m’as joué.

– Comment ! c’est toi,imbécile ! reprit la voix. Qu’est-ce que tu viens faireici ?

– Je viens te chercher,coquine.

– Me chercher ! Ah ! elle estbonne, celle-là ! Tu te figures que je vais encore courir lesfoires avec toi. Merci, mon bonhomme ! J’en ai assez de tasociété et du métier. Tu repasseras une autre fois.

– Oui, compte là-dessus. Je te tiens. Jene te lâcherai pas.

– Viens donc me prendre. Entre, monvieux ! La porte est ouverte.

– Oui, et ton amant m’attend dans lecorridor pour me tomber dessus par derrière.

– Tiens ! tu as trouvé ça toutseul ? Eh bien, tu te mets le doigt dans l’œil. Je suis seuleet il faut que tu sois bien lâche pour ne pas oser avancer. Je nesuis qu’une femme, mais je ne canerais[20] pas comme ça.

– Tu mens !… Zig-Zag est avectoi.

– Zig-Zag ! ah ! ben, turetardes. Il a filé en même temps que moi, parce que le patron nenous payait pas notre dû… Mais il n’a pas traîné à Paris. Il atrouvé un engagement à Londres et il est loin, à cette heure, s’ilcourt toujours depuis qu’il est parti.

– C’est pas vrai… et si c’était vrai, onle repincerait. Il serait guillotiné, le scélérat.

– À cause de l’histoire du boulevardVoltaire ? Ah ! bien, il s’en fiche un peu, de cetteaffaire-là. Le juge l’a lâché ; c’est qu’il n’y avait riencontre lui. Mais tu es donc de la police, maintenant ? Combiente paye-t-on pour filer ton ancien camarade ? Vilain métierque tu fais là. Encore si tu étais malin, tu pourrais y gagner tavie, mais tu es trop bête… tu ne trouveras jamais rien, et leroussin[21] enchef te mettra à pied un de ces quatre matins.

Est-ce que tu en as amené avec toi, desroussins ?

– Non… mais je vais en chercher. Il y aun poste pas loin d’ici.

– Oui, va, mon garçon. Je les attends.Vous êtes trois. Les deux autres monteront la garde ici, pendantque tu feras ta course. Qui c’est-il, ces deux-là ? Il y en aun petit et un grand. Parions que le petit, c’est ce crapaud deGeorget.

L’enfant avait bonne envie derépondre : oui, mais son père lui mit la main sur labouche.

Camille écoutait en frémissantd’impatience cet étrange dialogue et trouvait qu’il était temps depasser des paroles aux actes. Elle ne doutait plus que Zig-Zag fûtlà, dans le fond de cette pièce, dont Amanda occupait l’uniquefenêtre, et elle cherchait un moyen de le forcer à semontrer.

Il ne s’agissait plus maintenant de voirses mains et son visage. Il s’agissait de le prendre, et, pourl’empêcher de fuir, elle n’aurait pas hésité à l’arrêter en leblessant d’une balle de revolver.

Mais le clown se gardait bien deparaître.

– Oui, reprit Amanda, j’en suis sûre,maintenant, c’est ce vilain moucheron de Georget. Il se mêle ausside me faire des misères… C’est bon, je lui revaudrai ça, Mais oùas-tu péché l’autre ?… La blouse blanche, … est-ce que tu l’asembauché dans la troupe pour remplacer Zig-Zag ?

Tout en interpellant ainsi sesadversaires, la coquine se retirait tout doucement de la fenêtre etCourapied pensa qu’elle s’apprêtait à se sauver par l’autre façadede la maison. Il se trompait. Après avoir disparu un instant,Amanda revint et lança un objet qui décrivit une courbe lumineusecomme une étoile filante et qui, en tombant aux pieds de Camille,s’enflamma tout à coup et se mit à répandre une lumièreaveuglante.

C’était un de ces feux de Bengale queles baigneurs des plages normandes s’amusent quelquefois à allumerpour éclairer les falaises.

Mademoiselle Monistrol, surprise etéblouie, recula en levant la tête et montra en plein son visage,insuffisamment abrité par son béret.

– Bon ! j’y suis, ricana la voixstridente d’Amanda, c’est la princesse que j’ai mise à la porte dela baraque, l’autre jour, place du Trône. Tu es donc à ses gages,maintenant, que tu l’as conduite ici ? Elle court aprèsZig-Zag, parce qu’elle se figure que Zig-Zag a tué son papa.Fi ! mademoiselle, que c’est laid de se fairemoucharde !… Savez-vous bien qu’il pourra vous en cuire… nousne sommes pas ici au boulevard Voltaire et j’ai bien envie de mepayer la fantaisie de vous traiter comme vous leméritez.

Camille n’écoutait pas ces menaces. À lalueur du feu de Bengale, elle avait cru entrevoir au fond de lachambre la silhouette d’un homme, et cette vision, rapidementévanouie, l’occupait tout entière.

– Et toi, vieux filou, reprit Amanda, tuas donc volé Vigoureux ? Je m’explique, à présent, comment tues arrivé ici avec ton gosse et la gonzesse, quise mêle déjouer les travestis. Je l’avais envoyé me chercher maboîte à bijoux, qui était restée dans la baraque, et tu l’asempoigné, à la sortie… Tu as dû le prendre en traître, car ilt’aurait mangé, si tu l’avais attaqué en face. Il a su retrouverson chemin, le brave caniche, et il me rapporte le coffret… Tu n’aspas osé le lui retirer de la gueule, grand couard !… et tul’as muselé !… et tu l’as attaché avec une corde !… Maistu vas me faire le plaisir de le lâcher… et plus vite queça.

Courapied n’obéit point à cet ordre,mais il ne savait quel parti prendre. Il ne se souciait point desuivre Vigoureux dans l’intérieur de cette maison en ruines quiavait bien la mine d’être un coupe-gorge, et, d’un autre côté, luirendre la liberté, c’eût été perdre tout le fruit d’une longue etpénible expédition. Battre en retraite et ramener le terribledogue, c’était impraticable. Il aurait fallu le traîner, etCourapied n’en pouvait plus. L’ennemi, d’ailleurs, n’aurait pasmanqué de faire une sortie pour délivrer le prisonnier et tombersur la petite troupe qui se repliait.

Le pauvre pitre regarda Camille pour luidemander conseil, mais le feu de Bengale commençait à s’éteindre etleurs yeux ne se rencontrèrent pas.

– Décidément, tu ne veux pas lelâcher ! cria la complice de Zig-Zag. Eh bien ! nousallons voir !

Un coup de sifflet sec et sonore perçale silence de la nuit.

Vigoureux, qui connaissait ce signal,prit un élan si furieux qu’il entraîna Courapied jusqu’à l’entréedu corridor sombre.

– Aide-moi, Georget, cria le malheureuxmari d’Amanda.

Georget saisit la corde à deux mains,mais le chien donna une dernière secousse, qui la rompit, au momentoù le père et le fils disparaissaient dans l’allée.

Camille entendit deux cris de détresse,puis un bruit sourd, puis… plus rien.

Le premier mouvement est toujours lebon, à ce qu’on prétend, et mademoiselle Monistrol se précipitapour secourir ses amis disparus. L’entrée du corridor n’était pasloin ; elle y arriva en trois enjambées. Elle allait lafranchir et tomber dans le piège comme Georget et Courapied, mais,par bonheur, elle trébucha sur le seuil et elle s’arrêta pourreprendre son aplomb avant de reprendre son élan. Ce léger accidentlui sauva la vie. Elle sentit un air frais et humide et ses yeux,qui s’étaient accoutumés à l’obscurité, reconnurent qu’il y avaitdans le plancher de l’allée une solution de continuité.

Alors elle comprit. Le père et le fils,entraînés par Vigoureux, n’avaient rencontré sous leurs pieds quele vide et ils étaient tombés tous les deux dans une trappeouverte, tandis que l’horrible chien, qui connaissait ce trouperfide, le franchissait d’un bond, et allait rejoindre ses maîtrescachés dans la maison.

Et les malheureux auxiliaires de Camilleavaient dû se tuer dans leur chute, car ils ne criaient plus.Camille prêta l’oreille et elle n’entendit pas un appel au secours,pas même un gémissement. Sans doute, ils étaient morts sur le coup.Et cette affreuse mort avait été préparée par Amanda, qui espéraitsupprimer en même temps mademoiselle Monistrol.

Une forteresse est protégée par desfossés ; la villa maudite était protégée par un obstacleinvisible, une cave profonde et béante, où se jetaient forcémenttous ceux qui essayaient d’entrer sans être avertis du danger. Eten appelant son chien, Amanda savait fort bien ce qui allait sepasser ; son coup de sifflet équivalait à unassassinat.

Camille fit ces raisonnements en moinsde temps qu’il n’en faut pour les écrire ; mais se rendrecompte de la situation n’était rien. Il s’agissait de prendre unparti, et de le prendre sur-le-champ, car l’atroce femelle quivenait de se débarrasser, par un crime, de son malheureux mari,n’allait certes pas en rester là. L’occasion était trop bonne pourdétruire en bloc tous les ennemis de Zig-Zag, alors même qu’elleeût été seule dans son repaire, et son complice devait être là.Camille devait donc s’attendre à une sortie, et elle se préparad’abord à recevoir à coups de revolver ceux qui l’attaqueraient.Elle eut même la présence d’esprit de calculer que l’attaque neviendrait pas du fond du corridor, car les assaillants nepourraient pas, comme Vigoureux, franchir d’un saut l’ouverture dela cave. Mais rien ne les empêchait de faire le tour de la maison,qui avait certainement une autre issue, et de venir couper laretraite à mademoiselle Monistrol.

La pauvre enfant restait penchée sur legouffre noir qui avait englouti ses alliés, et hésitant malgré toutà les abandonner.

Elle appela Georget à plusieurs repriseset personne ne lui répondit. Essayer de les sauver c’eût été seperdre elle-même et bien inutilement. Mieux valait aller chercherdu secours et il n’y avait pas une minute à perdre pour échapper aupéril qui la menaçait. Et quel péril ! tomber entre les mainsd’un monstre à visage de femme, qui était capable d’inventer dessupplices raffinés pour torturer sa prisonnière ! êtredéchirée par les crocs de ce dogue féroce qu’Amanda ne manqueraitpas d’exciter contre elle !

Zig-Zag, du moins, tuait d’un seulcoup.

L’imprudente expédition où Camilles’était embarquée coûtait bien cher à ses amis. Pour essayer deréparer le mal qu’elle leur avait fait, il ne lui restait d’autremoyen que de courir au poste le plus voisin et de ramener desagents qui retireraient du gouffre les deux victimesd’Amanda.

Au moment où elle se décidait à fuir,elle entendit deux voix qui parlaient dans l’intérieur de lamaison, la voix d’Amanda, qu’elle reconnut très bien, et une autrevoix plus grave. Camille ne distinguait pas les paroles, mais lediapason de cette conversation s’élevait progressivement, comme ilarrive lorsque les interlocuteurs se querellent. Évidemment, Amandadiscutait avec un homme qui ne pouvait être que son complice etmademoiselle Monistrol devina quel était le sujet de ladispute.

Sans doute, l’un des scélérats voulaitla tuer sur place et l’autre était d’avis de la laisserfuir.

La jeune fille n’attendit pas la fin dece colloque. Elle prit sa course, en évitant de passer sous lafenêtre ouverte et quand elle fut arrivée au tas de pierres quil’avait abritée un instant avec ses infortunés compagnons, elle seretourna pour s’assurer qu’on ne la poursuivait pas.

Elle ne vit personne, mais la nuit étaitsi noire que la vue ne portait pas très loin. En revanche, elleentendit très distinctement aboyer le chien. Ses maîtres l’avaientdémuselé et il exprimait sa joie. Les aboiements partaient de lamaison. Restait à savoir s’ils n’allaient pas se rapprocher etCamille, médiocrement rassurée, se remit à courir à toutes jambesvers la route de la Révolte.

Il lui semblait qu’elle y serait plus ensûreté que dans cette plaine déserte ; et puis, elle sefigurait que cette route, si mal famée qu’elle fût, devait aboutirà une des portes de Paris.

Son costume d’homme ne la gênait pas etelle avait de bonnes jambes. En moins de cinq minutes, elle seretrouva sur le macadam. Là, elle s’arrêta pour souffler et aussipour décider de quel côté elle allait se diriger.

Camille savait bien qu’en refaisant lechemin qu’elle avait déjà suivi avec Courapied, elle arriverait àla porte de Clichy, mais il lui aurait fallu passer devant ceTombeau des lapins, où tous les ivrognes de ces paragessemblaient s’être donné rendez-vous, ce soir-là. C’était une chanceinouïe qu’elle n’eût pas fait de mauvaise rencontre, et ellen’aurait peut-être pas le même bonheur en se risquant une secondefois de ce côté, surtout maintenant qu’elle était seule. L’arméedes chiffonniers venait de se mettre en branle. On apercevaitencore leurs falots dans le lointain et Camille ne se souciait pasde les rencontrer, en quoi elle avait tort, car en général leschiffonniers sont d’honnêtes gens, et leur compagnie l’auraitprobablement préservée de rencontres plus fâcheuses.

Elle préféra prendre la directionopposée, sans réfléchir que, de ce côté, la route de la Révoltes’éloigne de plus en plus des fortifications. Elle aurait pourtantdû se rappeler que le pauvre Courapied avait dit : « Cesale chien va finir par nous mener à Saint-Denis. » Mais ilétait écrit que mademoiselle Monistrol courrait, cette nuit-là,d’autres aventures.

Elle prit le pas accéléré, en ayant soinde marcher au milieu de la route pour éviter les embuscades, etelle alla ainsi pendant un gros quart d’heure, l’œil au guet et lepistolet à la main. Elle voyait toujours la butte Montmartre à sadroite, mais devant elle rien qu’une plaine sans fin et pas uneseule lumière. Alors, elle commença à se demander si elle netournait pas le dos à la porte qu’elle cherchait, la porte où elletrouverait des commis de l’octroi qui lui indiqueraient un poste desergents de ville, et elle cessa d’avancer.

À ce moment, deux ombres surgirent d’unedépression de terrain, deux ombres qui semblaient ramper pour serapprocher d’elle.

Mademoiselle Monistrol, occupée àchercher son chemin, ne vit pas tout d’abord ces deux ombressuspectes, ou si elle les vit, elle ne remarqua point qu’ellesavaient forme humaine, et elle se remit à avancerlentement.

À cet endroit, commençait une côte enpente douce et Camille espérait qu’en montant elle finirait parapercevoir un point de repère qui lui permettrait des’orienter.

Elle n’alla pas loin. Un léger bruit lafit tressaillir. Il lui sembla qu’on marchait derrière elle sur laroute et elle se retourna vivement pour faire face à ceux qui lasuivaient. Mais elle n’eut pas le temps de se mettre endéfense.

Deux hommes se jetèrent sur elle ;l’un la prit par le cou, l’autre la prit à bras le corps, et elleentendit ces mots :

– Tiens bon ! je vas lui passer lecollier, et quand je l’aurai enlevé sur mon dos, tubarboteras[22]les poches.

Camille, en se débattant, pressamachinalement la détente de son revolver ; le coup partit etla balle se perdit dans le vide.

– De quoi ? lepante[23]qui fait le méchant ? reprit un des malandrins. Attendsun peu que je le prive de ce joujou-là.

Et d’un coup de bâton vigoureusementappliqué sur le pistolet que tenait la malheureuse jeune fille, ille fit sauter à dix pas, pendant que son complice la serrait àl’étouffer.

Camille poussa un cri, un seul. Ellesentit qu’on lui jetait une courroie autour du cou et elle crutqu’elle allait mourir comme son père, étranglée. L’idée que cetassaillant était Zig-Zag lui traversa l’esprit ; mais elles’aperçut, presque aussitôt que ces gens-là n’en voulaient qu’à sonargent.

L’homme qui tenait d’une main les deuxbouts de la courroie et de l’autre une trique, se retourna vivementet enleva Camille qui perdit pied et resta suspendue comme unpaquet sur les épaules du bandit, pendant que le second détrousseurcommençait à la fouiller.

Elle étouffait et cependant elleconservait le sentiment de l’existence, parce que le lien de cuirne pesait que sur sa nuque, au lieu de lui serrer lagorge.

La pauvre enfant avait affaire à deux deces voleurs qui pratiquent le charriage à la mécanique.L’opération est très simple et réussit toujours. Elle se termineassez souvent par la mort du patient, quand il a été enlevé dos àdos, parce que, dans cette position, la courroie porte sur lelarynx et supprime complètement la respiration.

Cette fois, les deux coquins avaientemployé le procédé le plus doux, et leur victime n’était encore quesuffoquée.

Camille sentait de grosses mains sepromener dans ses poches, et elle entendait des mots d’argotbourdonner à ses oreilles.

– Il y a gras !… de l’or dans samontante…, une toquante dans son gilet… en v’làun drôle d’apprenti !… faut que ça soit un rupin quis’est camouflé en ouvrier pour aller voir unelargue de la haute… il a les mains blanches commeune fille.

Tiens ! c’en est une ! dittout à coup le fouilleur.

Le béret dont Camille était coiffée,venait de tomber, ses cheveux, qu’elle avait rassemblés sur le hautde sa tête, venaient de se dénouer et ses longues tresses pendaientsur sa blouse.

– Comment ! vrai ? c’est unelargue ? demanda l’autre, le porteur.

– Oui, mon vieux… et une chouetteencore !

– Eh ! ben ! finis lebarbot… après, nous l’emporterons dans le champ de fèves…et on pourra rigoler.

– Elle va crier.

– Je m’en bats l’œil. Lesroussins sont couchés et lesbiffins[24] dela cité du Soleil ne passent jamais par ici.

– Ça ne fait rien. Je vas lamuseler.

Et le coquin, détachant le cache-nezcrasseux qui lui servait de cravate, l’appliqua sur la bouche de lajeune fille, lui entortilla la tête avec cette loque de laine et labâillonna en un clin d’œil.

Cette fois Camille, à moitié asphyxiée,s’évanouit.

– C’est fait. Lâche-la ! repritl’homme après avoir vidé et retourné toutes les poches.

L’autre ouvrit ses mains qui tenaient lacourroie et mademoiselle Monistrol tomba comme une masse sur lemacadam de la route.

– Bien ! elle a son compte. Prendsla gonzesse par les épaules, moi je vais la prendre parles pieds. Et enlevons !… c’est pesé… je connais, pas loind’ici, un endroit où nous ne serons pas dérangés.

– Je ne dis pas non, mon vieux. Mais,minute !… je demande à compter d’abord… les bons comptes fontles bons amis.

– Tu crois donc que je veux terefaire ?

– Je n’en sais rien, mais je n’ai pasd’yeux derrière la tête et je n’ai pas pu te surveiller pendant quetu la barbotais… Maintenant, je demande à voir… et àpartager.

– Voilà, frangin !…quatorze louis de vingt balles qui se balladaient[25] dans la poche de gilet… unemontre en or avec sa chaîne… une montre de femme… deux écus de centsous et neuf francs de monnaie blanche que j’ai péchés dans lapoche du pantalon.

– Aboule-moi cent cinquantefrancs et la toquante… je te tiens quitte dureste.

– Ah ben ! non, par exemple !C’est moi qui serais refait… Rien que sur la montre, on prêteraitcent francs au clou… Part à deux… je la garde, et je vas te collerdeux cents francs en tout : c’est ce qui terevient.

– Donne toujours… c’est pas le moment denous disputer… nous réglerons demain définitivement.

Le fouilleur mit dix louis, un à un,dans la main de son acolyte, qui les empocha endisant :

– Maintenant, ne flânons pas ici.Aide-moi à charrier le colis. Elle ne doit pas peser lourd, c’tept’iote-là. Et elle me fait l’effet d’être rudement gentille. Nousne nous embêterons pas, tout à l’heure, dans la cahute que le pèreAlexandre avait bâtie avec des pots cassés et qu’il a quittée pourdéménager depuis qu’il a le sac.

Camille, étendue sur la route,commençait à reprendre ses sens ; elle entendait confusémentcet édifiant dialogue entre deux scélérats qui disposaient d’elleet elle devinait quel sort ils lui réservaient. Elle était résolueà ne pas le subir et pour y échapper, elle n’avait qu’un moyen,c’était de les forcer à la tuer.

Ses mains étaient libres : elles’en servit pour se débarrasser du bâillon qui lui fermait labouche, et au moment où les deux misérables se baissaient pourl’enlever, elle appela :

– À moi ! au secours ! àl’assassin !

Elle n’espérait pas qu’on viendrait àson aide ; elle espérait que pour la faire taire, sesbourreaux l’achèveraient.

Et ils ne manquèrent pas de lui criertous les deux :

– Si tu continues à piauler comme ça, onva te faire passer le goût du pain.

Ferme ta margoulette, ou jet’assomme.

En même temps, ils l’empoignaient, commec’était convenu entre eux, et ils l’emportaient déjà, lorsqu’enpassant le fossé qui bordait la route, celui qui la tenait par latête dit à l’autre :

– Méfions-nous… il me semble qu’oncourt, là-bas, sur le trimar[26].

– Eh ben ! après ? C’est unbiffin qui va à son ouvrage et qui se dépêche parce qu’ilest en retard. Tu sais bien que les roussins, en ronde denuit, ne courent jamais.

Camille entendait aussi ce pasprécipité, et se demandait si c’était le pas d’un sauveur ou celuid’un ennemi.

Camille, heureusement, sut bientôt àquoi s’en tenir.

Les deux gredins la lâchèrent encore unefois. Elle tomba sur le dos, et, pendant qu’elle cherchait à serelever, un homme, qu’elle ne fit qu’entrevoir, se rua sur eux etcommença à jouer d’une canne qu’il avait à la main.

Il en joua si bien que les banditsreculèrent tout d’abord.

Celui qui tenait un bâton essaya de sedéfendre. Un coup vigoureusement appliqué le désarma, et ce coupfut suivi d’une grêle de horions impartialement distribués. Lefouilleur en reçut un à travers la figure et s’enfuit enhurlant ; l’autre, atteint au crâne, n’eut que le temps desuivre son camarade pour éviter d’être assommé.

L’inconnu qui arrivait si à propos restamaître du champ de bataille. Il lui avait suffi de quelquessecondes pour disperser ces lâches coquins et il dédaigna de leurdonner la chasse. Il savait qu’ils ne reviendraient pas à la chargeet il voyait que leur victime avait grand besoin qu’il la secourût.Il vint à elle, et il lui tendit la main pour l’aider à se remettresur pied.

– Eh bien ! mon garçon, lui dit-il,nous n’avons rien de cassé, à ce qu’il me paraît. C’est égal, ilétait temps que je vinsse à votre secours, et j’ai eu une heureuseidée quand j’ai pris ce chemin pour rentrer dans Paris. Mais aussi,que diable cherchez-vous par ici à des heures pareilles ? Sivous y êtes venu pour dépenser votre paye dans les cabarets, vousavez fait un mauvais calcul, car ces drôles ont dû vous prendrevotre argent et je m’étonne qu’ils ne vous aient pas assassinépar-dessus le marché. Vous avez eu peur, hein ? Remettez-vous…et appuyez-vous sur moi… vous ne tenez pas debout.

– Oh ! monsieur, murmura Camille,vous m’avez sauvé la vie.

Et elle se dégagea doucement du bras deson défenseur, qui la soutenait pour l’aider à reprendre sonaplomb.

Le timbre féminin de la voix qui leremerciait l’étonna sans doute, car il recula de deux pas et il semit à dévisager cet apprenti qui parlait comme unedemoiselle.

Il ne tarda guère à remarquer leslongues tresses qui pendaient sur la blouse et il s’empressa dechanger de langage.

– Excusez-moi, madame, dit-il ; jene pouvais pas deviner que sous ce costume d’ouvrier…

– Il y avait une jeune fille, achevamademoiselle Monistrol. Je vous expliquerai pourquoi je me suisdéguisée ainsi… mais avant tout, je vous en supplie, monsieur,aidez-moi à secourir mes amis…

– Vos amis ? vous n’étiez donc passeule ?

– Non, je suis venue ici avec un bravehomme et un enfant…

– Eh bien, que leur est-ilarrivé ?

– On leur a tendu un piège… une trappeouverte… ils y sont tombés… et je doute qu’ils aient survécu àcette chute effroyable.

– Une trappe ?… dans cetteplaine ?… demanda l’inconnu en souriant d’un airincrédule.

– Non… dans une maison enruines…

– En ruines, mais habitée sans doute,puisque vous dites que le piège était préparé.

– Oui… par des scélérats que jecherchais pour les livrer à la justice… un assassin et sacomplice.

Le sauveur ne broncha point, mais ilcrut probablement que Camille était folle.

– Comment se fait-il qu’ils vous aientépargnée ? dit-il en la regardant avec une attention mêlée depitié.

– Parce que j’ai fui. J’aurais dû mouriravec mes amis, mais je ne pouvais plus rien pour eux et j’ai vouluvivre pour les venger.

– Et les brigands vous ont poursuiviejusque sur la route où je viens de vousrencontrer ?

– Non, monsieur ; les gens dontvous m’avez délivrée sont des voleurs que je ne connais pas et quim’ont attaquée comme ils auraient attaqué un autrepassant.

– Mais… ceux de la maison, vous lesconnaissez ?

– L’un des deux a tué monpère.

– Alors, répondit froidement lemonsieur, vous auriez dû vous faire accompagner par des agents depolice.

– J’avais, pour agir seule, des motifsque je vous expliquerai. Mais, au nom du ciel, ne perdons pas detemps… deux malheureux se sont sacrifiés pour moi et si je lesabandonnais…

– Pardon, mademoiselle, vous venez dedire vous-même qu’ils ont dû se tuer en tombant dans une cave. Vousvous exposeriez inutilement. Les coupables sans doute n’ont pasquitté la place et, à nous deux, nous ne serions pas les plusforts, si nous les attaquions dans la maison où vous les avezlaissés. Pour ma part, je ne m’y risquerais pas et cependant jecrois vous avoir prouvé que je ne suis pas un lâche.

– Oh ! certes !… je ne saiscomment vous prouver ma reconnaissance, mais faut-il donc laissermes défenseurs à la merci de ces misérables ?

– Il faut d’abord vous mettre en sûreté,et vous n’y serez qu’en rentrant dans Paris. Si nous restions ici,nous serions infailliblement attaqués et, cette fois je ne seraispeut-être pas aussi heureux que je viens de l’être contre deuxrôdeurs de barrières.

– Je ne veux pas vous exposer à denouveaux dangers, dit vivement mademoiselle Monistrol.

– Alors, permettez-moi de vous escorterjusqu’à votre domicile. Demain, si vous m’y autorisez, j’iraiexposer les faits au chef de la sûreté.

– Non… il ne ferait rien, murmuraCamille, qui ne croyait plus à l’intelligence, ni au bon vouloirdes agents de la Préfecture, depuis qu’ils avaient relâchéZig-Zag.

– Préférez-vous que j’agisse seul ?reprit l’obligeant inconnu. Je suis tout à votre disposition. Cequi serait impraticable cette nuit, je le tenterai en plein jour etje vous jure de vous renseigner non seulement sur le sort de vosamis, mais encore sur les agissements de vos ennemis.

Acceptez mon bras, mademoiselle, et nenous attardons pas ici, je vous en conjure.

À ce moment, un aboiement lointain fittressaillir Camille.

– Le chien ! l’horriblechien ! murmura-t-elle. Ils l’ont lancé sur mes traces… il sejetterait sur vous… partons !

Elle prit le bras que lui offrait sonprotecteur, qui s’empressa de quitter la place avec elle. Ill’emmena dans la direction qu’elle suivait lorsqu’il l’avaitrencontrée, mais un peu plus loin, au lieu de continuer à avancersur la route de la Révolte, il s’engagea dans un chemin latéral quine passait pas trop près des maisons du quartier des Épinettes etqui les conduisit tout droit à la porte de Saint-Ouen.

Ce sauveur pensait à tout, car il avaitpréalablement ramassé le béret de Camille, et elle s’étaitrecoiffée en marchant, de sorte qu’on pouvait encore la prendrepour un garçon, et qu’elle ne devait plus attirer l’attention desgens qu’ils rencontreraient.

Vigoureux avait cessé d’aboyer, ou dumoins on ne l’entendait plus. Mademoiselle Monistrol reprenait peuà peu son sang-froid et ne parvenait pas à se défendre d’un remordsen pensant à ses amis. Elle commençait aussi à se préoccuper de cedéfenseur providentiel, que le plus étrange des hasards avait amenétout à coup sur le terrain où elle soutenait une lutteinégale.

La nuit était trop sombre pour qu’ellepût voir ses traits, et il lui tardait d’arriver à la barrière oùla clarté du gaz lui permettrait d’examiner l’homme à qui elledevait son salut.

Ils avaient marché rapidement, sanséchanger une parole, et Camille savait gré à son nouveau compagnonde se montrer si réservé, mais elle ne devinait pas à qui elleavait affaire.

Ils approchaient de la porte deSaint-Ouen et les becs de gaz étaient déjà moins rares. Enregardant à la dérobée son défenseur, elle put constater qu’ilétait grand, mince et élégamment tourné. Elle reconnutaussi qu’il était habillé comme un gentleman : pardessus d’unebonne coupe, chapeau haut de forme, bottines pointues, gants dechevreau. La canne dont il s’était si magistralement servi pourrosser deux drôles vigoureux était un jonc de moyenne grosseur,monté en argent ciselé. On ne se serait pas douté que ce cavaliervêtu à la mode de demain venait de livrer une bataille assezsérieuse. Sa toilette était intacte. Pas un des boutons de sesgants n’avait sauté pendant qu’il s’escrimait comme unbâtoniste[27]deprofession.

Que pouvait faire, à minuit passé, dansla plaine Saint-Denis, un personnage qui semblait appartenir aumeilleur monde ?

Mademoiselle Monistrol se le demandaitet s’étonnait de cette anomalie. Il lui passait par l’esprit que larencontre avait peut-être été préméditée par ce monsieur, d’unetenue si correcte. Mais dans quel but ? Le sauveur ne pouvaitpas savoir qui elle était et il n’avait assurément aucuneaccointance avec le clown forain ou la danseuse de corde quivenaient de se débarrasser par un crime du pauvre Georget et dumalheureux Courapied.

On aurait pu croire que l’inconnu lisaitdans la pensée de Camille, car, à cent pas de la barrière, ilrompit le silence où il se renfermait discrètement et ce fut pourdire à sa protégée :

– Vous devez vous étonner, mademoiselle,de m’avoir rencontré à des heures indues sur la route de laRévolte. Je vous prie de croire que je ne fais pas de ce chemin malfamé ma promenade habituelle. Mais j’ai dîné, ce soir, chez devieux amis à moi qui ont une villa près de Saint-Ouen, et au lieude rentrer à Paris en voiture, il m’a pris fantaisie de traverser àpied ces régions inconnues qui, dit-on, fournissent très souvent defaits-divers les journaux bien renseignés. Je cherchais vaguementune aventure et je me félicite de celle qui m’est échue.

Remarquez, ajouta-t-il gaiement, que jepourrais m’étonner aussi de vous avoir trouvée perdue dans cessolitudes où les jeunes filles ne s’aventurent guère.

– Vous savez déjà ce que j’y venaisfaire, murmura mademoiselle Monistrol, assezembarrassée.

– Oh ! je ne vous demande pasd’explications. Mais vous me permettrez bien de vous dire qui jesuis. Je m’appelle Georges de Menestreau, j’ai trente ans, quelquefortune, et il ne reste plus que moi de ma race. J’ai beaucoupvoyagé en Orient, après avoir longtemps habité Paris, où je suisrentré, il y a huit jours, et où je compte me fixer définitivement.Je trouve que j’ai assez couru le monde et je veux mereposer.

Mais mon histoire, je le crains, ne vousintéresse guère, et j’arrête là le chapitre desrenseignements.

Maintenant, il faut bien que je vousprie de ne plus vous appuyer sur mon bras. Nous voici à labarrière, et les commis sont curieux par état. Ils pourraienttrouver extraordinaire de voir un monsieur en redingote noireremorquant un jeune ouvrier en blouse, et ils s’imagineraientpeut-être que nous nous sommes entendus pour frauder l’octroi.S’ils s’avisaient de vous fouiller, ils découvriraient que vousêtes une femme déguisée, et ce serait bien pis.

– Je ne m’exposerai pas à cettemésaventure, dit Camille en s’éloignant de son protecteur. Je vaisprendre les devants et vous me rejoindrez quand j’aurai franchi laporte.

Ainsi fut fait. Le protecteur avait unpeu exagéré les difficultés du passage, qui s’opéra sans accident.Les commis dormaient à moitié et ne se dérangèrent pas pourregarder sous le nez mademoiselle Monistrol.

Elle enfila rapidement l’avenue deSaint-Ouen, et, à deux cents mètres de la barrière, elle s’arrêtasous un candélabre, dont la lumière allait éclairer enfin lestraits de ce M. Georges de Menestreau dont elle venaitd’apprendre le nom, mais dont elle avait à peine entrevu levisage.

Il ne se fit pas attendre et ils’empressa de reprendre l’entretien interrompu.

– Nous voilà dans Paris, mademoiselle,dit-il du ton le plus courtois, et je suis tout à vous. Vousplaît-il que je vous reconduise chez vous ou bien préférez-vousrentrer sans moi ? Dans ce cas, je vous accompagneraisseulement jusqu’à ce que nous rencontrions une voiture. Mais, j’ypense… les chenapans qui vous ont assaillie vous ont peut-être pristout l’argent que vous aviez sur vous…

– Mon argent et ma montre, murmuraCamille. Mais, peu importe, je payerai le cocher en arrivant à lamaison.

En même temps, elle examinait sondéfenseur et elle constatait avec plaisir qu’il avait une figureagréable et une physionomie sympathique. Il était très brun ;ses yeux étaient vifs et doux : sa bouche souriait sous unefine moustache noire et il ne paraissait pas avoir l’âge qu’ilvenait d’accuser.

Mademoiselle Monistrol était femme etelle aimait mieux avoir été sauvée par un joli garçon, avenant etdistingué, que de rester l’obligée d’un rustre maltourné.

À ce moment, elle vit venir un fiacreattardé qui rentrait dans Paris après une course suburbaine ;mais elle ne pouvait pas quitter ainsi un homme qui avait risqué savie pour elle et elle lui dit :

– Monsieur, je vais rentrer seule. Cesera mieux. Mais j’espère vous revoir demain. Je demeure boulevardVoltaire, 292… Mademoiselle Monistrol… et si vous voulez bien fairece long voyage…

– Vous n’en doutez pas, répliquavivement le jeune homme. Mais… il me semble que votre nom ne m’estpas inconnu…

– Vous l’avez sans doute lu dans lesjournaux qui ont parlé de l’assassinat de mon père.

– Quoi ! vous seriez…

– La fille de Jean Monistrol qu’on a tuésous mes yeux et que j’ai juré de venger…

– Oh ! je comprends maintenantpourquoi je vous ai trouvée dans cette plaine sinistre. Vouscherchiez le meurtrier et il vous a échappé… en se débarrassant parun nouveau crime des amis qui vous secondaient. Je les remplaceraiet ce misérable ne se défera pas de moi si facilement. Dites unmot, mademoiselle, et j’entre en campagne dès demain. Jeretrouverai cette maison, si vous voulez bien me la décrire… j’ypénétrerai et…

– Elle est bâtie en briques rouges…mais… arrêtez, cocher !

– Voilà, bourgeois ! répondit lecocher en retenant son cheval. Dans quel quartier que vousallez ?

– Place du Trône.

– Ça me va. Je remise avenue Parmentier.Montez !

– À demain, monsieur, dit Camille avecune émotion qu’elle ne pouvait plus contenir.

M. de Menestreau serra la mainqu’elle lui tendait, l’aida à monter en voiture et donna au cocherl’adresse qu’il avait parfaitement retenue.

Mademoiselle Monistrol avait désormais,en la personne de ce gentilhomme, un allié plus sérieux que JulienGémozac, et qui lui plaisait davantage.

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