Le trappeur La Renardière – Au Canada, la tribu des Bois-Brûlés – Voyages, explorations, aventures

Chapitre 3Le dépotage.

 

On appelle portage, au Canada, l’espace quisépare une rivière d’une autre sur une route fluviale.

Les routes fluviales ne, sont pascontinues ; il y a des lacunes, des bandes de terre à franchirpour passer d’un cours d’eau à un autre.

Ces bandes de terre s’appellentportages ; parce que les Indiens sont obligés deporter leurs pirogues d’écorce et leur bagage, sur leurtête.

Bien entendu, on est obligé d’abandonner levapeur qui vous a conduits ; mais un autre vous attend àl’extrémité du portage et vous le reprenez.

Or, il fallait aller de la pointe nord du lacWinnipez à la pointe sud du lac Nelson, sur la rive orientaleduquel s’élève le fort Nelson.

Or, une tribu d’Indiens, celle des Ours,occupe ce portage.

Elle s’offre aux voyageurs pour transporterleurs bagages et eux-mêmes à dos de cheval ; on acceptegénéralement.

Cette tribu se divise en deux fractions, celledes Ours-Gris et celle des Ours-Noirs, ces derniers sont chasseurset ils ne s’occupent pas de portages.

Donc, La Feuille, à peine débarqué, reçut lavisite de deux chefs, le sachem, chef des guerriers, et lemédecin-sorcier, chef religieux des Ours-Gris.

Ils lui offrirent leurs services dont LaTaupe-Renardière discuta le prix.

Quand tout fut réglé, on se rendit au grandvillage des Ours-Gris.

Ceux-ci devaient abriter leurs hôtes sous destentes et les pourvoir de venaison et de maïs.

Ils devaient nourrir aussi la meute debouillie de maïs, mêlée de viande hachée très menue.

Le grand village des Ours-Gris pouvaitcontenir trois cents wigwams.

Il était très pittoresque.

Les tentes, en peaux de bisons, de daims ou decerfs, sont très hautes, très vastes, très commodes.

Elles sont peintes extérieurement par lesfemmes.

Elles sont habiles à retracer des épisodes dechasse et de guerre.

Chaque fois que le mari accomplit un haut faitde chasse ou de guerre, la femme efface une peinture pour laremplacer par la représentation du haut fait de l’homme.

On peut donc lire sur la tente l’histoire d’unguerrier.

Ajoutez à l’effet de trois cents tentes aussioriginales, celui de neuf cents lances avec pavillons, plantées enterre, armes des guerriers, et vous aurez une idée de l’aspectgénéral d’une ville indienne.

En arrière des tentes, à l’écart, des milliersde chevaux parqués.

Et, dans les rues, en ligne droite toujours,qui séparent les tentes, dès chiens bruyants et des poules, et desbandes d’enfants, le tout remuant et grouillant.

Les femmes, sur leurs portes de tente,regardent passer les étrangers.

Les guerriers affectent l’indifférence la plusfière.

Mais, cette fois, il n’en fut pas ainsi, parceque les piqueurs à cheval, dans leurs beaux habits rouges,entrèrent en sonnant des fanfares.

Les guerriers trouvèrent cette musique sibelle, si guerrière, qu’ils accoururent en foule et se mirent àmontrer leur satisfaction en poussant leur cri d’approbation.

Ohc ! Ohc !

Quant aux femmes, elles étaient ravies deplaisir.

La meute couplée marchait en bel ordre dechasse.

Un valet devant, un derrière, le grand foueten main, maintenaient l’ordre et la discipline.

Reconnaissant « les deux dames »pour des Bois-Brûlées, aux trois quarts Indiennes, les Ourses leursouriaient.

Bref, la réception fut des plus cordiales etdes plus chaleureuses.

On fuma le calumet de la paix, signature d’unebonne paix, puis on banqueta joyeusement.

Les Indiennes excellent à préparer lavenaison.

Elles connaissent les plantés, les racines,les bois qui s’accommodent le mieux avec les différentsgibiers ; elles sont très fortes sur le point de sauce et surle degré de cuisson.

Leurs gâteaux de maïs, bien dorés,croustillants, tout chauds, tiennent lieu de pain ; ons’habitue vite à un certain goût d’abord désagréable, comme celuidu sarrasin ou blé noir, mais qui plaît ensuite et que l’onregrette, si l’on en est privé longtemps.

Les piqueurs firent honneur au vin d’érabledont on arrosa le repas, à la cervoise (bière de mars avec grainesde genièvre et autres baies) ; ils offrirent au sachem, ausorcier et aux chefs, assis à la table d’honneur, de l’excellentrhum.

Je dis table quoique l’on fût assis parterre.

Les chefs sont des guerriers qui ont faitleurs preuves.

Pour être chef, il faut au moins avoir scalpéun ennemi.

Le scalp se prend sur la tête du mort ;c’est la peau du crâne depuis le sourcil jusqu’à la nuque, enlevéepar une incision circulaire passant près et au-dessus des oreilles,puis, par un dépouillement relevant la peau et l’enlevant comme onfait pour la peau d’un vulgaire lapin.

Quand le scalp a été montré à la tribu, on lesèche.

Après quoi, on le découpe en une lanière quel’on enroule au-dessus du jarret, sur le mocassin.

Dès qu’un Indien a pris un scalp, il estconsacré guerrier.

S’il est reconnu, apprécié comme un hommesupérieur, il se forme autour de lui une bande de jeunes gens etmême d’autres guerriers qui le suivent « sur le sentier de laguerre et de la chasse. »

Chez aucun peuple, il n’y a plus de libertéindividuelle que chez celui-là.

Le Peau-Rouge n’obéit qu’au sachem élu partous, qu’au chef choisi par lui ; il a le droit de se séparerdu chef, si celui-ci cesse de lui plaire.

Si le sachem de sa fraction de tribu luidéplait, il va se mettre sous l’autorité d’un autre sachem.

Notez que rien ne se fait sans délibérationcommune.

Le chef propose une expédition et on ladiscute.

Les plus jeunes ont le droit de dire leuravis. Jamais un orateur n’est interrompu ; on écoutetoujours.

On réfute, s’il y a lieu.

Tout Indien est orateur.

Chez nous, un monsieur quelconque se sent gênépour parler en public, chez les Peaux-Rouges tout le monde saitexprimer sa pensée très fortement et même très brillamment.

L’apologue joue un grand rôle dans lesdiscours.

Ce soir-là, il ne s’agissait pas de discours,mais de s’amuser.

À la prière générale, les piqueurs donnèrentun concert.

Les jeunes filles se mirent à danser tour àtour devant les hôtes.

Parmi elles, les quatre filles du sachem quiétaient fort belles.

Les piqueurs les remarquèrent, d’autant plusqu’elles se mirent à chanter fort agréablement, un chœurimprovisé.

La cadette disait quelques vers sur un rythmetrès lent, presque plaintif, et toutes reprenaient ensemble.

Quand elles eurent fini, La Renardière dit enriant aux piqueurs :

– Si vous ne vous mariez pas, c’est quevous n’aurez pas voulu.

– Pourquoi donc ?

– Ah ! voilà, vous n’avez pascompris ce qu’elles ont chanté.

– Parbleu… en indien.

– D’abord elles ont félicité lesBois-Brûlées, vos femmes.

» Bien heureuses, cent fois heureusesd’avoir épousé l’une un grand blanc, l’autre un beauBois-Brûlé.

» Puis elles ont déclaré que leschasseurs blancs étaient des hommes que de pauvres Indiennes nepouvaient espérer épouser, ce qui était bien malheureux.

» Pourtant elles savaient broder desmocassins, peindre les tentes, les fabriquer, coudre les peaux pouren faire de bons manteaux bien chauds.

» Elles savaient préparer la venaison,prendre soin des armes.

» Bref, elles ont déclaré que pas unefemme blanche ne saurait tenir un wigwam aussi propre qu’elles.

» Mais, voilà le malheur, les blancs nevoudraient pas d’Indiennes.

Et La Renardière de rire.

Mais La Rosée ne riait pas et « ilfaisait des yeux de langouste » comme on ne lui en avaitjamais vus.

Il dit à La Renardière :

– Est-ce que le sachem, par hasard,consentirait à marier avec moi celle qui a un collier decoquilles ?

» Et elle ?

» M’épouserait-elle ?

La Renardière gravement :

– C’est sérieux ?

La Rosée plus gravement :

– Mais oui.

La Renardière se leva.

Tout le monde se tut.

Le vieux trappeur demanda au sachem :

– Veux-tu marier ta fille au collier decoquillages avec mon ami, le trappeur La Rosée que voilà.

» Il te donnera dix livres de poudre etdix bouteilles de rhum.

Le vieux sachem ébloui, s’écria :

– Och ! Och !

Et toute la tribu répéta ce criapprobatif.

– Mais. fit La Rosée, la jeune personneaccepte-t-elle ?

La Renardière sourit.

Au sachem :

– Demande à ta fille si elleconsent ?

Étonnement du sachem.

– Est-ce que l’on consulte une fille pourla marier ?

Mais sur insistance, il appela sa fille et luiposa la question.

L’Indienne, pour toute réponse, alla seprosterner devant La Rosée, très flatté d’être adoré comme un dieu,puis elle lui prit la main.

– La Renardière !

C’était La Futaie qui interpellait ainsi letrappeur.

– Ah ! ah ! fit celui-ci.

» L’appétit vient en voyant manger lesautres.

– Avez-vous fait votre choix ?

– Voyons ! voyons !

– Laquelle ?

– Celle qui a une plume dans sonchignon.

Au sachem :

– Vieux chef ? fit LaRenardière.

– Ami ?

– Voici La Futaie qui te demande tafille, celle qui porte plume de faisan en ses cheveux. Mêmescadeaux !

– Och Och !

Sur ce, exclamations enthousiastes de la fouleindienne.

Alors La Feuille se décida.

– Eh ! La Renardière ?

– Mon camarade ?

– Puisque ça paraît marcher comme sur desroulettes, je me marierais bien avec la plus grande sœur.

– Très bien.

Et au vieux chef :

– Sachem, si tu veux, il y aura troismariages ce soir.

M. La Feuille prendrait la plus grande detes filles.

– Och ! Och !

Trépignement général !

Acclamations !

Mais un comble !

Le plus âgé des valets de chiens, unBois-Brûlé, réclama la quatrième fille, la plus jeune. Accordéeavec enthousiasme.

Mais l’impétueux La Rosée demanda à LaRenardière :

– Quand se feront les mariages ?

– C’est fait.

– Comment ! c’est fait ?

– Oui !

» Pas plus de cérémonies que ça ;vous devriez déjà avoir conduit vos femmes dans vos wigwams.

– Pas possible.

– C’est ainsi.

La Rosée, sans plus d’histoires, salual’assemblée et offrit son bras à sa femme qui le conduisit dans unetente.

Les autres mariés en firent autant.

Mais la tribu dansa toute la nuit et chantales mariages.

Drôles de mœurs !

Eh ! eh !

Un mariage simplement civil n’est pas beaucoupplus compliqué !

Là-bas, le père constate devant toute la tribuque sa fille devient la femme de tel guerrier. Ici, le maireconstate qu’un tel épouse une telle.

La différence est-elle donc sigrande ?

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer