Le trappeur La Renardière – Au Canada, la tribu des Bois-Brûlés – Voyages, explorations, aventures

Chapitre 2Le départ.

 

La Feuille, avec tout son monde, prit le trainqui les conduisit à Winnipeg où l’on devait s’embarquer.

La navigation fluviale est vraiment charmanteau Canada, surtout au commencement de la saison.

La température très douce, n’est pas encorebrûlante ; l’herbe qui a poussé dru sous la neige s’épanouiten immenses tapis verts ; les feuilles naissantes despeupliers, des hêtres, des charmes, des saules, des bouleauxfrissonnent sous le souffle des brises folles.

L’air est embaumé des parfums des primevères,léger, presque insaisissable quand on respire la fleur, mais trèsperceptible quand il se dégage des prairies.

On respire.

On se sent revivre.

C’est le renouveau.

Le printemps canadien n’est pas comme lenôtre.

Nous avons souvent trois ou quatre fauxprintemps.

Ils nous donnent des espérances bien vitedéçues.

Et le vrai, combien souvent il est aigre etmaussade !

Là-bas, franc dégel, franc retour de latiédeur.

Tout est fondu, tout est fini.

Et les longues bandes d’oiseaux migrateurs leprouvent.

Ils passent, obscurcissant la lumière, arméesimmenses, ailées, rapides et se succédant innombrables.

Et, très près des rives souvent, les troupeauxmigrateurs.

Bisons, bœufs musqués, daims, cerfs, s’enallant au nord, à la conquête de l’herbe tendre. Tout charme leregard.

Tout ranime.

Et point de chocs, de secousses comme surmer.

Point de roulis.

Point de tangage.

Le vapeur glisse et l’on éprouve une sensationtrès agréable, celle d’avancer sans fatigue.

On était bien un peu gêné, mais on avait peu àpeu organisé son petit chez soi et aménagé sa cabine.

D’autant plus que la plupart des passagerspréférèrent coucher sur le pont, sous la tente et lesmoustiquaires.

Une plaie, ces moustiques.

Mais on les combattait.

On brillait des huiles lourdes donnantbeaucoup de fumée.

Ça les éloignait.

Puis on avait la distraction de voir la meuteprendre ses ébats en liberté, deux fois par jour, sur le pont.

Les passagers étaient des fermiers, desbûcherons ou des trappeurs.

Gens très simples.

Des commis de Sociétés.

Gentlemen, mais sans prétentions.

Le matin, diane en fanfare par MM. lespiqueurs.

Le soir, concert de cors.

Mesdames Balle-Franche et Taupe-Renardièreraffolaient de cette musique, et, à la façon des femmesBois-Brûlées, elles avaient improvisé un chant pour chaque air etelles chantaient fort juste.

Vraiment gentilles, ces dames !

Mme La Renardière était mêmefort belle femme.

Grande, bien faite, mince et souple, trèsélégante dans sa mise cependant très simple, elle avait une bellefigure aquilinée et l’air imposant.

Brune aux yeux d’or, elle étaitfascinative[2].

Mais elle avait, pour son mari, une admirationsans bornes.

Et que de reconnaissance !

Pensez donc.

Lui, un blanc, non pas un petit blanc, mais ungrand blanc, trappeur célèbre, portant à ses mocassins centchevelures effrangées, scalps pris par lui, il l’avait épousée,elle, une Bois-Brûlée.

Et il lui avait dit :

– Nos enfants seront métis, mais ils teferont honneur.

» Ils apprendront à lire, à écrire, àcompter dans une école.

» Ils apprendront plus encore.

» J’en ferai des gentlemen.

» Un jaguar et sa famille ne peuventfaire que des jaguars.

» Une Bois-Brûlée comme toi et untrappeur comme moi ne peuvent taire que des braves et desintelligents.

» Tes fils te vêtiront d’honneurs et tuseras le reflet de leur grandeur.

La Bois-Brûlée en avait conçu des espérancesmaternelles qu’elle craignait cependant être trop hautes.

– Crois-tu, demandait-elle quelquefois àson mari, qu’un de mes fils pourrait devenir géomètre dugouvernement ?

Cela correspondait à un agent-voyer cheznous.

Pour elle, c’était le summum de l’ambitiond’un métis.

Et La Renardière répondait :

– Ils seront mieux que ça.

– Quoi donc ?

– Médecins, avocats, pasteurs peut-être,peut-être officiers.

Sur ces brillants avenirs, elle tombait dansdes rêves extatiques.

Quant à Mme Balle-Franche,c’était une cousine.

Jolie petite femme, aux cheveux châtains, àl’œil brun et tendre, au bon sourire, dévouée à son mari, ayant untrès grand charme attractif, elle se faisait aimer par tout lemonde.

Elle se laissait volontiers dominer par safière cousine.

Celle-ci se conduisait, du reste, en sœuraînée.

La présence de ces deux dames égayait latraversée.

Aussi celle des jeunes Bois-Brûlés engagéscomme valets de chiens et comme palefreniers-piqueurs pour soignerles chevaux et conduire les relais.

Bruyants, gais comme des pinsons, pleins desang, exubérants de vie, ils donnaient de l’animation au pont dunavire.

Tous, comme les piqueurs, les trappeurs et lesfemmes de ceux-ci étaient armés du fusil américain à répétiteur(cinquante balles à la minute) et des revolvers à quadruplerevoluteur (vingt-quatre balles sans recharger).

Tous ces Bois-Brûlés étaient de très bonstireurs.

Ils apprirent à manier le fusil américain, àfaire fonctionner la hausse et manier l’arme. Ils devinrent trèsforts.

La Feuille avait deux Bois-Brûlés comme valetsde chiens à pied, huit piqueurs de relais, il disposait de dix-huitfusils en tout, force respectable.

Et il la dressait.

Le tir à la cible fut un des grandspasse-temps de la traversée.

On visait des petites cibles, montées sur desbouées qui étaient traînées par le vapeur.

Bref, le temps se passa agréablement jusqu’aumoment où il fallut quitter le vapeur pour aller, à travers lesprairies, en reprendre un autre.

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