Chapitre 8Combat naval.
On arriva à la pointe sud du lac Nelson, aprèsquelques jours de marche et l’on y attendit pendant trente-sixheures, un navire qui faisait le service sur le Missiniepy ;la source de ce fleuve est très rapprochée de Saint-Paul d’où, àdos de mulets, on apporte les ravitaillements qui sont descendus enpirogues jusqu’au point où le vapeur peut remonter ; ilemmagasine alors et redescend.
Il entre dans le lac Nelson, ravitaille leport et remonte ensuite jusqu’à la rivière qui unit le Missiniepyau lac Garibou ; il ravitaille le fort de ce nom et il entredans le petit lac de la Hache.
Là il y a un partage pour atteindre le lacAthabasoa, père du fameux fleuve Mackensie.
Donc le vapeur descendant le Missiniepy,s’arrêta pour prendre les voyageurs à destination du fort Nelson oudu tort Garibou, repartit aussitôt.
Mais, au bout d’une demi-heure de traversée,on vit le lac couvert de plus d’une centaine de pirogues, chacuneétait montée par trois ou quatre guerriers.
– Eh mais, c’est la guerre ! s’écriaLa Renardière après avoir examiné la flotte sauvage avec unelorgnette.
– À quoi voyez-vous ça ? demanda LaFeuille.
– Les Indiens sont peints enguerre.
Le capitaine du vapeur était trèsperplexe ; il dit à La Renardière :
– Ce sont des Caramans.
» Tribu de chasseurs et de pêcheurs trèsturbulents.
» Ils auront eu des démêlés avec les gensdu fort et ils assiègent celui-ci ; ils ne peuvent le prendreque par la famine et on doit m’attendre avec impatience.
» Mais ces enragés vont s’accrocher à mesflancs et prendre le vapeur d’assaut, si je ne prends pas lachasse.
– Reculer ?
– Il le faut bien.
– Mais, dit La Feuille intervenant, je nevois pas la nécessité de fuir honteusement devant ces Caramans.
– J’ai si peu de monde.
– Et nous ?
– Vous… ce n’est pas votre affaire devous battre.
» Et puis, vous n’êtes pas nombreux.
– Vingt-deux fusils !
» Nos femmes font le coup de feu.
» Je n’ai pas eu le temps de vousraconter que nous avons combattu contre cinq cents Ours-Noirs.
– Vraiment.
– Nous en avons tué plus de trois centset blessé beaucoup.
Fièrement :
– Voyez mes mocassins.
» Voyez ceux de nos amis, ceux de nosfemmes ; seize scalps chacun, moi vingt-deux parce que j’étaisle chef.
» Vous avez dans l’entrepont, pouréclairer celui-ci, des hublots.
» Nous tirerons par là.
Il expliqua la puissance du fusilaméricain.
– Allons, dit-il, stoppez après vous êtremis par le travers.
» Vous allez voir comment nous recevronsces terribles Caramans.
– N’hésitez pas, capitaine ! dit LaTaupe-Renardière.
– Allons, soit !
» Risquons le paquet.
Il commanda la manœuvre et bientôt le vapeurresta immobile.
Déjà La Feuille et ses deux amis avaientendossé leurs habits rouges, comme pour une chasse ; avec toutson monde, il était descendu dans l’entrepont dont il avait faitouvrir les hublots du côté de l’ennemi.
– Attention ! cria-t-il.
» Moi, La Rosée, La Feuille, LaRenardière et sa femme, Balle-Franche et la sienne, nous allonstirer.
» Les autres en réserve.
» Feu lent et ajusté.
» Réservez le magasin.
» Hausse à quinze cents mètres.
Les tireurs désignés ouvrirent le feu envisant bien, les armes posées sur le bord des hublots.
On entendit sur le pont le capitaine crierdans l’escalier.
– Ça va !
» Ça va !
» Ils sont touchés !
Mais La Feuille dit :
– Visez un peu bas.
Les décharges firent encore effet, mais lessauvages pagayèrent furieusement et ils avancèrent rapidement.
La Feuille commanda :
– La hausse à mille mètres.
» Visez haut.
Et le capitaine, avec son porte-voix, en hautde l’escalier :
– Bravo !
» Ah ! vous en démolissez.
La Feuille :
– Tirez juste, maintenant.
Deux minutes après :
– Plus bas !
Puis :
– Hausse à huit cents mètres.
» Même jeu.
Mme La Feuille,impatiente :
– Mais nous ne tirerons doncpas ?
Lui avec autorité :
– Toi, tais-toi !
» Hausse abattue ; la trajectoireest tranche.
Enfin, il cria :
– Cessez le feu !
» Tout le monde aux hublots.
» Feu de magasin. Apprêtez arme.
Les sauvages poussaient des hourrahsindiens.
Ils croyaient que leurs adversaires netiraient plus, parce que le vapeur allait fuir à toute vitesse.
C’était tout ce qu’ils voulaient, n’ayantqu’un but :
Empêcher le ravitaillement du fort que leurscamarades assiégeaient.
Mais La Feuille cria :
– Joue !
» Feu !
Et la grêle meurtrière cribla les canots, lestrouant, les coulant.
Les Caramans sautèrent à l’eau etplongèrent.
Il en mourut beaucoup qui coulèrent à pic.
– Cessez le feu ! commanda LaFeuille.
» Rechargez les armes.
Il monta sur le pont.
– Eh bien, capitaine ?
– J’avais confiance, mais je ne medoutais pas que la noyade serait si complète ; je fais servirune collation pour boire à vos santés.
– Bon !
» Mais en route.
Le capitaine donna ses ordres au mécanicien etil prit la barre, le vapeur se mit en marche.
Une demi-heure après, on collationnaitbruyamment.
Victoire navale.
La gloire des piqueurs français étaitcomplète.
Mais tout n’était pas fini ; il fallaitfaire lever le siège.