L’Enfer

Chapitre 4

 

Ce matin, je pense à la vision si granded’avant-hier. Mais déjà je la revois avec moins d’émotion ;déjà, elle s’est un peu éloignée de mon cœur puisque un jour s’estpassé. Va-t-elle mourir sans que je fasse rien pour elle ?

Un désir me prend ; l’écrire, fixer d’unefaçon définitive tous les détails de ce que j’ai ressenti, pour queles jours ne les dispersent pas en passant, comme de lapoussière.

Mais, tout de suite, la blancheur du papierm’apporte l’oubli de ce que j’ai à dire, un éblouissement doux oùse fond toute la précision de mes souvenirs.

Grâce à une attention tendue et ramenée sanscesse, malgré une fatigue grandissante derrière les yeux, j’écris,j’écris tout. Je m’enfièvre. Je crois que je traduis exactement laréalité des choses. Puis je me relis, et ce n’est rien, – que desmots qui gisent devant moi.

L’oppression extraordinaire, la simplicitétragique, l’harmonie intense et déchirée, où est tout cela ?Cette écriture ne vit pas. C’est un grillage de mots sur laréalité ; les phrases sont là, noires et régulières, à traversle papier, comme des chaînes.

Comment faut-il faire pour que de ces signesmorts s’élève la vérité ?

J’ai essayé de tourner la difficulté. J’aicherché le détail typique, évocateur… Me rappelant une impressionqui m’était venue, lorsque je l’avais tout d’abord aperçue dans lalueur de la fenêtre, je voulus y insister : « Il yavait sur elle du bleu, du vert, du jaune. » Cela n’ajamais été ainsi ; ce barbouillage d’enfant n’est pas lavérité ; je le détruis… L’important, c’est de décrire soncorps. Je m’y consacre minutieusement, je fais des comparaisonsavec une statue antique. En me relisant, dans une colère,j’anéantis d’un trait ce replâtrage.

J’essaie des mots crus, plus énergiques, mesemble-t-il, et, peu à peu, je me laisse aller à inventer desdétails pour atteindre à l’acuité du souvenir :« Elle prenait des poses lubriques… »

Non ! non ! Ce n’est pasvrai !

Tout cela sont des mots inertes qui laissentsubsister, sans pouvoir y toucher, la grandeur de ce qui fut ;ce sont des bruits inutiles et vains ; c’est comme l’aboi d’unchien, le bruit des branches au souffle du vent.

J’ai ouvert ma main, laissé rouler ma plume,accablé d’impuissance, de défaite, de morne folie.

Comment se fait-il qu’on ne puisse pas dire cequ’on a vu ? Comment se fait-il que la vérité fuie devant nouscomme si ce n’était pas de la vérité, et qu’on ne puisse pas,malgré sa sincérité, être sincère ? On n’a pas évoqué unechose quand on l’a appelée par son nom. Les mots, les mots, on abeau les connaître depuis son enfance, on ne sait pas ce quec’est.

Mon frisson, ma mélancolie, ma détresse sontperdus. Je suis condamné à être oublié. On passera devant moi sansme regarder ou sans me voir. On ne se souciera pas de ce que jepuis renfermer. Je ne peux être sur la terre qu’un croyant.

** *

Je restai plusieurs jours sans rien voir. Cesjours furent torrides. Au commencement, le ciel avait été gris etpluvieux ; maintenant, septembre flamboyait en finissant.Vendredi… Eh quoi, il y avait déjà une semaine que j’étais danscette maison !…

Un après-déjeuner lourd, assis sur une chaise,je me plongeai, mi-rêvant, dans une impression de conte defées.

… L’orée d’une forêt ; dans le sous-bois,sur le tapis d’émeraude sombre, des ronds de soleil ; là-bas,au bout de la plaine, une colline, et par-dessus les feuillagesmoutonnants, jaunes et vert noir, un pan de mur et une tourelle,quadrillés, comme en tapisserie… Un page s’avançait, vêtu comme unoiseau. Un bourdonnement de mouches. C’était le bruit lointain dela chasse du Roi. Il allait arriver des choses extraordinairementdouces.

** *

Le lendemain, l’après-midi fut encore une foisensoleillé et brûlant. Je me rappelai des après-midi pareils, il yavait bien des années, et il me sembla vivre à cette époquedisparue, – comme si l’éclatante chaleur effaçait le temps,étouffait tout le reste sous sa couvée.

La chambre d’à côté était presque noire… Onavait fermé les volets. À travers les doubles rideaux confectionnésd’une étoffe mince, je voyais la fenêtre rayée de barresétincelantes, comme la grille d’un brasier.

Dans le silence torride de la maison, dans levaste sommeil enfermé, des rires montaient égrenés vainement ;des voix se perdaient, comme hier, comme toujours.

De ce lointain tumulte sortit précieusement unbruit de pas. Ils venaient vers moi, Je me tendis vers ce bruitgrandissant… La porte s’ouvrit, éblouissante, poussée, semblait-il,par la lumière elle-même, et deux ombres chétives, rongées par laclarté, apparurent.

Elles semblaient être poursuivies. Elleshésitèrent au seuil, toutes petites, encadrées en même temps, puisentrèrent.

J’entendis refermer la porte ; la chambreétait vivante. Je scrutai les arrivants ; je les distinguaidoucement à travers les halos rouge et vert sombre dont le coup delumière de leur entrée avait peuplé mes yeux : une fillette etun jeune garçon de douze ou treize ans.

Ils s’étaient assis sur le canapé, et seregardaient sans rien dire, avec leurs figures presquepareilles.

** *

La voix de l’un d’eux s’éleva etmurmura :

– Tu vois qu’il n’y a personne.

Et une main montra le lit sans draps, lesportemanteaux nus de vêtements, la table déserte : lasoigneuse dévastation des chambres inoccupées.

Puis, à mes yeux, cette main se mit à tremblercomme une feuille. J’entendais les battements de mon cœur. Les voixbruissèrent.

– Nous sommes seuls… On ne nous a pasvus.

– On dirait que nous sommes seuls pour lapremière fois.

– Pourtant, nous nous connaissons depuistoujours…

Un petit rire balbutia.

Il semblait qu’ils avaient eu besoin de leursolitude, première étape d’un mystère où ils allaient ensemble. Ilss’étaient échappés des autres ; ils avaient défait les autresd’autour d’eux. Ils avaient créé la solitude défendue. Mais onvoyait bien qu’une fois la solitude trouvée, ils ne savaient plusquoi chercher.

** *

Alors j’entendis bégayer avec un largefrisson, presque de la désolation, presque un sanglot :

– Nous nous aimons bien…

Puis une phrase tendre monta en haletant,essayant les mots, mal assurée comme un oiseau troppetit :

– Je voudrais t’aimer plus.

… À les regarder ainsi ployés l’un versl’autre, dans l’ombre chaude qui les entoure et qui voile leursâges sur leurs figures, on aurait cru voir deux amants qui serapprochent.

Deux amants ! C’était cela qu’ilsrêvaient d’être, sans savoir ce que c’était.

L’un d’eux avait prononcé ces mots :la première fois. C’était la première fois qu’il leurparaissait être seuls, bien qu’ils eussent vécu côte à côte.

C’était peut-être, c’était sans doute lapremière fois que les deux amis d’enfance voulaient sortir del’amitié et de l’enfance. C’était la première fois qu’un désir dedésir venait étonner et troubler deux cœurs qui jusqu’ici avaientdormi ensemble…

** *

À un moment, ils se redressèrent, et le mincerayon de soleil qui passait au-dessus d’eux et tombait à leurspieds montra leur forme, alluma leurs visages et leurs cheveux, desorte que leur présence éclaira la chambre.

Allaient-ils s’en aller, m’abandonner ?Non, ils se rassirent ; tout retomba dans l’ombre, dans lemystère, dans la vérité.

… À les contempler, j’éprouvais un mélangeconfus de mon passé et du passé du monde. Où étaient-ils ?Partout, puisqu’ils étaient… Ils sont au bord du Nil, du Gange oudu Cydnus, au bord du cours éternel des âges. C’est Daphnis etChloé, près d’un buisson de myrte, dans la lumière grecque, toutilluminés d’un vert reflet de feuillages, et leurs figures sereflétant l’une l’autre. Leur vague petit dialogue bourdonne commeles deux ailes d’une abeille près de la fraîcheur des fontaines,près de la chaleur qui dévore les champs, tandis qu’au loin un charpasse chargé de gerbes et d’azur.

Le monde nouveau s’ouvre ; la véritépantelante est là. Ils sont en désarroi, ils craignent la brusqueapparition de quelque divinité, ils sont malheureux etheureux ; ils sont aussi près que possible, s’étant apportésl’un à l’autre autant qu’ils ont pu. Mais ils ne se doutent pas dece qu’ils apportent. Ils sont trop petits, ils sont trop jeunes,ils n’existent pas assez ; ils sont chacun pour soi-même unsecret étouffant.

Comme tous les êtres, comme moi, comme nous,ils veulent ce qu’ils n’ont pas, ils mendient. Mais ils demandentla charité à eux-mêmes, ils demandent secours à leurs présences età leurs personnes.

Lui, déjà homme, déjà appauvri par cecompagnon féminin, tourné, traîné vers elle, lui tend ses brasindistincts et maladroits, sans bien oser la regarder.

Elle, déjà femme, elle a posé en arrière, surle dossier, sa figure aux yeux luisants un peu grasse et touterose, teintée et attiédie par son cœur ; la peau de son cou,satinée et tendue, palpite ; c’est, entre son visage et sonsein, le point précieux et délicat de sa pulsation. Demi-close,attentive, un peu voluptueuse de ce qui, d’elle, émane déjà devolupté, elle semble une rose qui se respire. On voit jusqu’auxgenoux ses jambes fines, aux bas de fil jaune, sous la robe quienveloppe son corps en le présentant, comme un bouquet.

Et moi, je ne pouvais détacher les yeux deleurs gestes, et je buvais ce spectacle, la figure collée à leurgroupe comme un vampire.

** *

Après le long silence, il murmura :

– Veux-tu que nous nous disions« vous » ?

– Pourquoi ?…

Il sembla s’absorber dans un effortd’attention.

– Pour recommencer, dit-il enfin.

Il répéta :

– Voulez-vous ?

Elle tressaillit visiblement au contact decette forme nouvelle de sa parole, sous le mot :« vous », comme sous une espèce de premier baiser.

Elle hasarda :

– On dirait que c’est quelque chose quinous couvrait et qu’on ôte…

Maintenant, il osait plus :

– Voulez-vous que nous nous embrassionssur la bouche ?

Oppressée, elle ne put pas complètementsourire.

– Je veux, dit-elle.

Ils se prirent les bras, les épaules, et setendirent les lèvres en s’appelant tout doucement, comme si leursbouches étaient des oiseaux.

– Jean…

– Hélène…

C’est la première chose qu’ils inventaient.Embrasser ce qui embrasse, n’est-ce pas la caresse la plustendrement petite qu’on puisse trouver et le lien le plusétroit ? Et puis, cela est tellement défendu !…

Il me sembla une seconde fois que leur groupen’avait plus d’âge. Ils ressemblaient à tous les amants, tandisqu’ils se tenaient les mains, leurs figures toutes jointes,tremblants et aveugles, dans l’ombre du baiser.

Cependant, ils s’arrêtèrent, se détachèrent dela caresse dont ils ne savaient pas encore se servir.

Ils parlèrent, avec leurs bouches toujoursaussi innocentes. De quoi ? D’autrefois, de cet autrefois siproche, si court.

Ils sortaient du paradis de l’enfance et del’ignorance. Ils parlèrent d’une maison et d’un jardin où ilsavaient vécu tous deux.

Cette maison les préoccupait. Elle étaitentourée par le mur d’un jardin ; de sorte que, de la route,on ne voyait que le haut de son toit, on ne voyait pas ce qu’ellefaisait.

Ils balbutièrent :

– Les chambres, quand nous étions petitset qu’elles étaient grandes…

– Les pas y étaient moins fatigants àfaire que partout autre part.

À les en croire, il y avait entre ces mursquelque chose de secourable et d’invisible, répandu partout ;quelque chose comme le bon Dieu du passé… Elle murmura un air demusique entendu là-bas, et elle dit que la musique se souvientmieux que les personnes.

Ils étaient retombés dans le passé par ladouceur naturelle de leur poids ; ils se pelotonnaient dans lesouvenir, frileusement.

– L’autre jour, la veille du départ, unelumière à la main, tout seul, j’ai parcouru l’appartement qui seréveillait à peine pour me regarder passer…

Dans le jardin si soigné et si sage, on nepensait qu’aux fleurs, et pas beaucoup plus qu’elles. On regardaitet on voyait la mare, l’allée couverte, et le cerisier qui,l’hiver, quand la pelouse est blanche, a trop de fleurs.

Hier encore, ils étaient dans ce jardin, commeun frère et une sœur. Maintenant, il semblait que la vie étaitdevenue soudain sérieuse, et qu’ils ne savaient plus jouer. On lesvoyait qui voulaient tuer le passé. Quand on est vieux, on lelaisse mourir ; quand on est jeune et fort, on le tue…

Elle se redressa :

– Je ne veux plus me souvenir,dit-elle.

Et lui :

– Je ne veux plus que nous nousressemblions. Je ne veux plus que nous soyons frères.

Peu à peu, leurs yeux s’ouvrent :

– Ne se toucher que les mains !murmura-t-il en tremblant.

– Être frères, ce n’est rien.

Elle était venue, l’heure des belles décisionstroubles et des fruits défendus. Avant, aucun d’eux nes’appartenait ; elle était venue, l’heure où ils s’occupaientà se reprendre tout entiers pour faire d’eux ce qu’ilsvoulaient.

Déjà, ils avaient un peu honte et conscienced’eux-mêmes.

Il y avait quelques jours, vers le soir, ilsavaient éprouvé un grave plaisir à désobéir en sortant du jardincontre la défense de leurs parents.

– Grand’mère était venue, du haut duperron tout gris, nous appeler pour rentrer…

« Mais nous sommes partis tous lesdeux ; nous avons traversé la haie à l’endroit où un oiseaucrie d’ordinaire, et où il y a une brèche. L’oiseau s’était envoléet son cri aussi. Pas de vent, et presque plus de lumière. Lesbranches des arbres se taisaient, malgré leur sensibilité. Lapoussière, par terre, était morte. L’ombre nous a enveloppés avecelle-même, si doucement, que nous lui aurions presque parlé. Nousétions intimidés en voyant venir la nuit. Il n’y avait plus decouleur aux choses, seulement un peu de clarté dans le noir ;les fleurs, la route, les blés même étaient d’argent… Et c’est lafois où j’ai le plus approché ma bouche de la vôtre.

– La nuit, dit-elle, l’âme surélevée dansune effusion de beauté, la nuit caresse les caresses…

– Je vous ai pris la main, et j’aicompris que vous viviez toute.

« Avant, je disais « ma cousineHélène », mais je ne savais pas ce que je disais en parlantainsi. Maintenant, quand je dirai : elle, ce seratout… »

De nouveau, ils joignirent les lèvres. Leursbouches et leurs yeux étaient ceux d’Adam et d’Ève. J’évoquail’infini exemple ancestral d’où l’histoire sainte et l’histoirehumaine coulent comme d’une fontaine. Ils erraient dans la lumièrepénétrante du paradis, sans rien savoir ; ils étaient commes’ils n’étaient pas. Quand, – par suite du triomphe de lacuriosité, interdite pourtant par Dieu en personne, – ils ontappris le secret, découvert la séparation caressante et entrevu lagrande volonté de la chair, le ciel s’est obscurci. La certituded’un avenir de douleur est tombée sur eux ; des anges, commedes vautours, les ont chassés ; ils ont roulé sur la terre, dejour en jour, mais ils avaient créé l’amour, remplacé la richessedivine par la pauvreté d’être l’un à l’autre.

Les deux petits enfants ont pris position dansle drame éternel. Ils se parlent, et restituent au tutoiement touteson importance reconquise :

– Je voudrais t’aimer plus… je voudraissurtout t’aimer plus fort, mais je ne sais pas comment… Je voudraiste faire mal, mais je ne sais pas comment.

** *

Ils ne disent plus rien, comme s’il n’y avaitplus de paroles pour eux. Ils sont au bord d’eux-mêmes, et l’onvoit leurs mains trembler entre eux.

Ils obéissent à cette inspiration de leursmains ; ils vont à tâtons vers le bonheur étrange et tragique,vers la faute heureuse qu’on commet en même temps, versl’enlacement qui fait que deux êtres recommencent la vie,intimement mêlés, comme un seul être informe.

Je ne les voyais pas distinctement… Il mesembla qu’il porta les mains sur elle, pendant que, les yeuxresplendissants, elle attendait. Il me sembla que, dans l’ombrebrûlante qui les tenait, il était à demi-dévêtu, et que, desvêtements bouleversés, écartés, sa nudité s’était érigée… Fleurétrange, profonde, qui est la même chose que ses entrailles, quetoute sa chair, et que son cœur, et qui est entre eux comme unmystère vivant, comme un miracle, comme un enfant.

… Sans doute, il avait soulevé sa robe, car jeperçus cette parole exhalée tout bas, confuse, étouffée, sacrifiée,dans le silence terrible :

– C’est ta vraie bouche.

** *

Et moi je palpitais sur eux, tandis qu’unamour affreux, un amour énorme de la vérité écartelait mon corpssur le mur… Comme si cette haleine les brûlait, les affolait, ilseurent peur, et se levèrent. C’était fini. La poignante aventurequi, par hasard, avait préludé sous mes yeux, continuerait ailleurset s’achèverait ailleurs.

À peine se sont-ils levés que la porte s’estouverte. La vieille grand’mère est là, qui se penche. Elle vient dugris, et des fantômes, elle vient du passé. Elle les cherche commes’ils étaient égarés. Elle les appelle à mi-voix… Par unecoïncidence extraordinaire qui, s’harmonise à leur présence, elle amis dans son accent une douceur infinie, presque – ô prodige !– de la tristesse.

– Vous êtes là, mes enfants ?

Elle dit avec un petit rire pur, sansarrière-pensée :

– Qu’est-ce que vous faites donclà ?… Venez, on vous cherche…

Elle est vieille, flétrie ; mais elle estangélique, avec sa robe jusqu’au cou. À côté d’eux, qui sepréparent à la vie immense, elle est devenue désormais comme unenfant : inactive, inutile…

Ils se jettent dans ses bras, exhaussent leursfronts vers sa sainte bouche abandonnée. Il semble qu’ils luidisent adieu pour toujours.

** *

Elle s’en va. Et un instant après, eux, sontpartis, hâtés comme ils sont venus : unis par l’invisible etsublime lien du mal ; tellement unis qu’ils ne se tiennentplus la main comme en entrant. Mais, sur le seuil, ils seregardent.

Et tandis que la chambre est vide comme unsanctuaire, je pense à leur regard, à leur premier regard d’amourque j’ai vu.

Personne, avant moi, n’a pu voir un premierregard. J’étais à côté d’eux, mais loin d’eux. Je comprenais etlisais, sans être impliqué dans l’étourdissement de l’action, niperdu dans la sensation. C’est pour cela que j’ai vu ce regard.Eux, ne savent pas quand il a commencé, ne savent pas que c’est lepremier ; après, ils l’oublieront ; les progrès urgentsde leurs cœurs viendront détruire ces préludes. On ne peut pas plussavoir son premier regard qu’on ne peut savoir son dernierregard.

Je me souviendrai, quand eux ne sesouviendront plus.

Je ne me rappelle pas, moi, mon premierregard, mon premier don d’amour. Cela fut, pourtant. Ces divinessimplicités se sont effacées de moi. Mon Dieu, qu’est-ce que jegarde, pourtant, qui les vaille ! Le petit être que j’étaisest mort tout entier sous mes yeux. Je lui survis, mais l’oubli m’atourmenté, puis vaincu, la tristesse de vivre m’a ruiné, et je nesais guère ce qu’il savait. Je me rappelle n’importe quoi, auhasard, mais le plus beau et le plus doux est dans le néant.

Eh bien, ce cantique trop tendre que je viensd’écouter, tout plein d’infini et débordant de sourires neufs, cechant précieux, je le prends, je l’ai, je le garde. Il palpite surmon cœur. J’ai volé, mais j’ai sauvé de la vérité.

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