L’Enfer

Chapitre 11

 

Elles étaient toutes deux seules à la fenêtrelargement ouverte et par laquelle se présentait l’espace dont lagrandeur attirait. À la lumière pleine, sage, du soleil automnal,je vis combien la femme enceinte avait le masque flétri.

Tout à coup, cette face prend une expressioneffarée ; la femme recule jusqu’au mur, s’y appuie, ets’écroule avec un cri étouffé.

L’autre la saisit dans ses bras ; elle latraîne jusqu’à la sonnerie, sonne et sonne… Puis elle demeure là,n’osant faire un mouvement, tenant dans ses bras la femme lourde etdélicate, la figure près de cette figure dont les yeux chavirent etdont le cri, d’abord sourd et muré, s’envole en hurlement.

La porte s’ouvre. On s’empresse. De nouvellesfigures sont là. Derrière la porte, le personnel est aux aguets.J’ai entrevu l’hôtesse qui cache mal son désappointementcomique.

On a étendu la femme sur le lit ; onremue des vases, on déplie des serviettes, on donne des commissionsprécipitées.

La crise s’apaise, se tait. Elle est siheureuse de ne plus souffrir, qu’elle rit. Un reflet un peucontraint de son rire marque les visages penchés. On la déshabilleavec précaution… Elle se laisse faire comme un enfant… On disposele lit. Ses jambes paraissent toutes fluettes, sa figure stagne,réduite à rien. On ne voit que ce ventre énorme au milieu du lit.Ses cheveux sont défaits et répandus inertes autour de son visagecomme une flaque. Deux mains de femme, rapidement, les nattent.

Son rire s’arrête, se casse, sombre.

– Ça recommence…

Un gémissement qui grossit, un nouveauhurlement…

La jeune femme, – la jeune fille, – la seuleamie, est restée. Elle la regarde et l’écoute, pleine depensées ; elle songe qu’elle aussi contient de telles douleurset de tels cris.

… Cela a duré toute la journée ; pendantdes heures, du matin jusqu’au soir, j’ai entendu la plaintedéchirante descendre et monter de l’être double et pitoyable. J’aivu la chair se fendre, se briser, la chair souple se rompre commede la pierre.

À certains moments, je retombe, excédé, je nepeux plus ni regarder ni écouter ; je renonce à tant deréalité. Puis de nouveau, avec un effort, je m’attache au mur, etmes regards le pénètrent.

Les deux jambes sont écarlates. On les luimaintient droites et écartées. On dirait deux ruisseaux de sang quicoulent de son ventre – le sang des femmes, si souventversé !… Sa pudeur, son religieux mystère sont jetés au vent.Toute sa chair se présente, béante et rouge, exposée comme sur unétal, nue jusqu’aux entrailles.

La jeune fille l’embrasse sur le front,s’approchant courageusement tout près de l’immense cri.

Quand ce cri a une forme, c’est :« Non ! Non ! Je ne veux pas ! »

Des figures presque vieillies en quelquesheures, de fatigue, d’écœurement et de gravité, passent,repassent.

J’ai entendu quelqu’un dire :

– Il ne faut pas l’aider, il faut laisserfaire la nature. Elle fait bien ce qu’elle fait.

Cette phrase a en moi un écho. Lanature ! Je me rappelle que le savant, l’autre jour, l’amaudite.

Et mes lèvres répètent avec surprise lemensonge proféré, pendant que mes yeux considèrent l’innocente etfragile femme en proie à la vaste nature qui l’écrase, la rouledans son sang, en tire tout ce qu’elle peut fournir desouffrance.

La sage-femme a retroussé ses manches etenfilé des gants de caoutchouc. On la voit agiter comme desbattoirs ces énormes mains rouge-noir et luisantes.

Et tout cela devient un cauchemar auquel jecrois à demi, la tête alourdie, la gorge prise par une âcre odeurde meurtre, et par celle de l’acide phénique, versé à pleinesbouteilles.

Des cuvettes remplies d’eau rouge, d’eau rose,d’eau jaunâtre. Un tas de linge, sali, dans un coin, et d’autresserviettes partout, se déployant, comme des ailes blanches, avecleur odeur fraîche.

À un moment d’inattention harassée, j’aientendu le cri séparé d’elle. Un cri qui n’est presque qu’un bruitde chose, un grincement léger. C’est l’être nouveau qui sedéchaîne, qui n’est encore qu’un morceau de chair pris dans sachair – son cœur qu’on vient de lui arracher.

Ce cri m’a troublé tout entier. Moi qui suistémoin de tout ce que les hommes subissent, j’ai senti à ce premiersignal humain vibrer en moi je ne sais quelle fibre paternelle etfraternelle.

Elle sourit. « Comme cela a passévite ! » dit-elle.

** *

Le jour baisse. On se tait autour d’elle. Unesimple veilleuse ; le feu qui remue à peine, parmoments ; la pendule, cette pauvre, pauvre âme. Presque rienautour du lit, comme dans un vrai temple.

Elle est là, étendue, fixée dans uneimmobilité idéale, les yeux ouverts dirigés vers la fenêtre. Ellevoit peu à peu le soir tomber sur le plus beau de ses jours.

Sur cette masse ruinée, sur cette figureabattue, rayonne la gloire d’avoir créé, une sorte d’extase quiremercie la souffrance, et on voit le monde nouveau de pensées quis’en élève.

Elle songe à l’enfant grandissant ; ellesourit aux joies et aux douleurs qu’il lui causera ; ellesourit aussi à la sœur ou au frère qui seront.

Et je pense à cela en même temps qu’elle – etje vois mieux qu’elle son martyre.

Ce massacre, cette tragédie de chair, cela estsi commun et si banal que chaque femme en porte le souvenir etl’empreinte. Et pourtant, personne ne sait bien cela. Le médecinqui passe devant tant de douleurs pareilles ne peut plus s’enattendrir ; la femme, qui a trop de tendresse, ne peut plus sela rappeler. Intérêt sentimental des uns, désintéressementprofessionnel des autres, le mal s’atténue et s’efface. Mais moiqui vois pour voir, je l’ai connue dans toute son horreur, cettedouleur d’enfanter qui, comme l’a dit naguère l’homme quej’entendais, ne cesse plus dans les entrailles d’une mère ; etje n’oublierai jamais la grande déchirure de la vie.

La veilleuse est disposée de telle façon quele lit est plongé dans l’ombre. Je ne distingue plus la mère ;je ne la sais plus ; je crois en elle.

** *

Aujourd’hui, l’accouchée a été transportéeavec d’exquises précautions dans la chambre voisine qu’elleoccupait auparavant – plus spacieuse et plus confortable.

On a nettoyé la chambre de fond en comble.

Cela n’a pas été sans peine. J’ai vu brandirles draps rouges, remporter la literie souillée où la corruption sefût mise vite, laver le bois du lit, le devant de lacheminée ; et la bonne avait peine à pousser dehors, avec lepied, l’amas de linge, d’ouate et de fioles. Les rideaux mêmeavaient des traces de doigts sanglants, et la descente de lit étaitlourde de sang comme une bête repue.

** *

C’est Anna qui, cette fois, parlait.

– Prenez garde, Philippe, vous necomprenez pas la religion chrétienne. Vous ne savez pas exactementce que c’est. Vous en parlez, ajouta-t-elle en souriant, comme lesfemmes quand elles parlent des hommes, ou les hommes lorsqu’ilsveulent expliquer les femmes. Son élément fondamental, c’estl’amour. Elle est un arrangement d’amour entre les êtres qui,d’instinct, se détestent. C’est aussi, dans notre cœur, unerichesse d’amour qui répond à elle seule à toutes nos aspirationsquand nous sommes petites, puis à laquelle toute tendresse,ensuite, s’ajoute comme un trésor à un trésor. C’est une loid’effusion à laquelle on s’adonne, et l’aliment de cette effusion.C’est de la vie, c’est presque une œuvre, c’est presquequelqu’un.

– Mais, ma belle Anna, ce n’est pas lareligion chrétienne, cela. C’est vous…

** *

Au milieu de la nuit, j’ai entendu parler àtravers la cloison. J’ai vaincu ma fatigue ; j’ai regardé.

L’homme est seul, étendu dans son lit. On alaissé dans la chambre une lampe à demi-baissée. Il remuefaiblement. Il dort. Il parle… Il rêve.

Il a souri ; il a dit trois fois :« Non ! » avec une extase augmentante. Puis lesourire qu’il adressait à la vision qui le comblait, a décru, s’estdissipé. Sa face est restée un instant rigide, fixe, comme dans uneattente, puis les lèvres ont dessiné une légère moue. Subitementensuite, le masque s’est épouvanté, la bouche s’est ouverte :« Anna ! Ah ! ah ! – Ah ! ah ! »a-t-elle crié sans se fermer, bâillonnée par le sommeil. Alors, ils’est réveillé, a roulé ses yeux. Il a poussé un soupir et s’estcalmé. Il s’est assis dans son lit, encore atteint et terrifié partout ce qui s’est passé il y a quelques secondes ; il apromené ses regards partout pour les calmer, les ôter complètementdu cauchemar où ils étaient engagés. Le spectacle familier de lachambre au milieu de laquelle trône la petite lampe si sage et siimmobile rassure et guérit cet homme qui vient de voir ce qui n’estpas, qui vient de sourire à des fantômes et de les toucher, quivient d’être fou.

** *

Je me suis levé, ce matin, rompu de lassitude.Je suis inquiet ; j’ai une douleur sourde à la face ; mesyeux, alors que je me considérais à la glace, me sont apparussanguinolents, comme si je regardais à travers du sang. Je marcheet je me meus difficilement, à demi paralysé. Je commence à êtrepuni dans ma chair des longues heures où je reste étendu le long dece mur, la face au trou. Et cela grandit.

Et puis, des préoccupations de tout genrem’assaillent lorsque je suis seul, délivré des visions et desscènes auxquelles je consacre ma vie. Préoccupations sur masituation que je gâche, les démarches que je devrais faire et queje ne fais pas, acharné au contraire à écarter de moi toutes lesobligations accaparantes, à remettre tout à plus tard, à repousserde toute ma force mon sort d’employé destiné à être emporté dans lerouage lent et le ronron d’une horloge de bureau.

Préoccupations de détail aussi, harassantesparce qu’elles s’ajoutent continuellement, minute par minute, l’uneà l’autre : ne pas faire de bruit, ne pas allumer de lumièrequand la chambre voisine n’en a pas, me cacher, me cacher toujours.L’autre soir, j’ai été suffoqué par un accès de toux pendant que jeles regardais parler. J’ai saisi mon oreiller, y ai enfoui ma têteet étouffé ma bouche.

Il me semble que tout va se réunir contre moi,pour je ne sais quelle vengeance, et que je ne vais plus pouvoirtenir longtemps. Je continuerai néanmoins à regarder tant quej’aurai de santé et de courage, car cela est pire, mais cela estplus, qu’un devoir.

** *

L’homme déclinait. La mort était évidemmentdans la maison.

Il était assez tard dans la soirée. Ils setenaient tous deux l’un en face de l’autre, chacun d’un côté de latable.

Je savais que, dans l’après-midi, leur mariageavait eu lieu. Ils avaient accompli cette union qui n’était queplus de solennité pour l’adieu prochain. Quelques corollesblanches : des lys et des azalées jonchaient la table, lacheminée, un fauteuil ; et lui était aussi mourant que cestêtes de fleurs coupées.

– Nous sommes mariés, dit-il. Vous êtesma femme. Vous êtes ma femme, Anna !

C’était pour la douceur nuptiale de prononcerces mots qu’il avait tant espéré. Rien de plus… mais il se sentaitsi pauvre, avec ses rares jours, que c’était tout le bonheur.

Il la regarda, et elle leva ses yeux sur lui,– lui qui adorait sa tendresse fraternelle, elle qui s’étaitattachée à son adoration. Quel infini d’émotion dans ces deuxsilences qui se confrontaient avec un certain enlacement ;dans le double silence de ces deux êtres qui, je l’avais remarqué,ne se touchaient jamais, même du bout des doigts…

La jeune fille se redressa et dit, d’une voixmal assurée :

– Il est tard. Je vais dormir.

Elle se leva. La lampe, qu’elle posa sur lacheminée, éclaira la pièce.

Elle palpitait toute. Elle semblait au milieud’un rêve, et ne pas savoir comment obéir à ce rêve.

Debout, elle éleva le bras et retira lespeignes de ses cheveux ; on vit ruisseler sa chevelure qui,dans la nuit, semblait éclairée par le couchant.

Il avait fait un mouvement brusque. Il laregardait surpris. Pas un mot.

Elle ôta une épingle d’or qui fermait le hautde son corsage, et un peu de sa gorge apparut.

– Que faites-vous, Anna, quefaites-vous ?

– Mais… je me déshabille…

Elle avait voulu dire cela d’un tonnaturel ; elle n’avait pas pu. Il répondit par uneinterjection inarticulée, un cri de son cœur touché à vif… Lastupéfaction, le regret désespéré, et aussi l’éblouissement d’uninconcevable espoir l’agitaient, l’oppressaient.

– Vous êtes mon mari…

– Ah ! dit-il, vous savez que je nesuis rien.

Il bégayait d’une voix faible et tragique desphrases hachées, des mots sans lien :

–… Mariés pour la forme… Je le savais, je lesavais… formalité… nos conventions…

Elle s’était arrêtée. Sa main était poséedemi-flottante vers son cou, comme une fleur au corsage.

Elle dit :

– Vous êtes mon mari, vous avez le droitde me voir.

Il ébaucha un geste… Elle repritvite :

– Non… Non, ce n’est pas votre droit,c’est moi qui le veux.

Je commençais à comprendre à quel point elleessayait d’être bonne. Elle voulait donner à cet homme, au pauvrehomme qui s’éteignait à ses pieds, une récompense digne d’elle.Elle voulait lui faire la charité, le don du spectacle d’elle.

Mais c’était plus difficile encore quecela : il ne fallait pas que cela semblât l’acquittement d’unedette : il n’aurait pas consenti, malgré la fête quigrandissait dans ses yeux. Il fallait qu’il crût simplement à unacte d’épouse volontiers accompli, à une libre caresse sur sa vie.Il fallait lui cacher, comme un vice, la répulsion et lasouffrance. Et pressentant tout ce qu’elle aurait à dépenser degéniale délicatesse, et de force, pour maintenir le sacrifice, elleavait peur d’elle-même.

Il résistait :

– Non… Anna… Chère Anna… pensez…

Il allait dire : « Pensez àMichel. » Mais il n’eut pas la force d’exprimer en ce momentle seul argument décisif, il n’en eut pas la force, et murmuraseulement :

– Vous !… Vous !

Elle répéta :

– Je le veux.

– Je ne veux pas, non, non…

Il disait cela de plus en plus faiblement,surmonté par l’amour et par l’éperdu désir que cela fût. Il avaitmis, par instinctive noblesse d’âme, sa main devant ses yeux ;mais sa main peu à peu tombait, tombait, domptée.

Elle continua à se déshabiller. Ses gesteseffarés ne savaient presque plus, et par moments s’arrêtaient, puisreprenaient. Elle était toute seule magnifiquement. Elle n’étaitaidée que par un peu de gloire.

Elle ôta son corsage noir, et son busteémergea comme le jour. Elle trembla charnellement dès que lalumière la toucha, et croisa sur sa gorge ses bras éclatants etpurs. Puis, les bras en anse, avançant sa figure empourprée, leslèvres attentivement serrées comme si elle n’était appliquée qu’àce qu’elle faisait, elle dégrafa la ceinture de sa jupe qui coulale long de ses jambes. Elle en sortit avec un bruissement doux,comparable à celui que fait le vent dans tout le jardinprofond.

Elle retira le jupon noir qui endeuillait etattiédissait ses formes, le corset, cette force qui appuyaithardiment sur elle, le pantalon qui, avec sa forme et ses replis,mollement, imitait sa nudité.

Elle s’adossa à la cheminée. Elle avait desmouvements larges, majestueux et beaux, mais pourtant jolis etféminins. Elle défit un bas, retira du mince voile ténébreux unejambe polie et ample comme celle d’une statue de Michel-Ange.

À ce moment elle frissonna, immobilisée net,prise d’une répugnance. Elle se remit, et dit, pour expliquer letressaillement qui l’avait arrêtée :

– J’ai un peu froid…

Puis elle continua, montrant, en la violant,son immense pudeur – et elle porta une main sur le ruban de sachemise.

L’homme cria, tout bas, pour ne pas lui fairepeur avec sa voix :

– Sainte Vierge !…

Et il était là, pelotonné, ratatiné, toutel’existence dans les yeux, brûlant dans l’ombre, avec son amouraussi beau qu’elle.

Il râlait : « Encore…Encore… »

Le grand instant, le vaste colloque du mutismed’ardeur et de vertu ! Les pauvres et faibles yeux du mourantla défloraient, l’abîmaient – et il lui fallait lutter contre laforce même de cette supplication pour l’exaucer. Son action avaittout contre elle : lui et elle.

Pourtant, avec une douce coquetterie simple etauguste, elle fit glisser les épaulettes de sa chemise sur lemarbre chaud de ses épaules, – et elle fut nue devant lui.

** *

Je n’avais jamais vu une femme si radieusementbelle. Je n’en avais jamais rêvée de pareille. Son visage m’avaitfrappé le premier jour par sa régularité et son éclat, et, trèsgrande, – plus grande que moi, – elle m’avait paru à la foisopulente et fine, mais je n’aurais pas cru à une telle perfectionde splendeur dans les formes.

On eût dit quelque Ève des grandes fresquesreligieuses, dans ses proportions suprahumaines. Énorme, suave, etsouple, elle en avait la chair abondante, la lumière simple, legeste mesuré et important. De larges épaules, de lourds seinsdroits, de petits pieds et des jambes qui s’évasaient, les molletsronds comme deux seins.

Elle avait pris instinctivement l’attitudesuprême de la Vénus de Médicis : un bras demi-plié, devant sesseins, l’autre allongé, la main ouverte devant son ventre. Puis,dans une exaltation d’offrande, elle éleva ses deux mains à sescheveux.

Tout ce qu’avait caché sa robe, ellel’apportait à ses regards. Toute cette blancheur, qu’elle seule,jusqu’ici, avait vue, elle la donnait en holocauste à cetteattention mâle, qui allait mourir, mais qui vivait.

Tout : son ventre lisse de vierge aularge duvet d’or ; sa peau fine et soyeuse, d’une couleur sipure et si éclairée qu’elle avait par endroits des reflets d’argentet qu’on y voyait à la gorge et à l’aine transparaître un peu dubleu des veines, posé sur la carnation comme un frissond’azur ; le pli que faisait sa taille portée sur le côté, etqui était, avec le léger collier vivant de son cou, la seule lignequi fût sur son corps, et ses hanches larges comme le monde, et leregard limpide et troublé qu’elle avait quand elle était nue.

… Elle parla ; elle dit d’une voix desonge, allant plus loin encore dans le don suprême :

– Personne, – et elle appuya sur ce motavec une insistance qui nommait quelqu’un – personne,entendez-moi bien, quoi qu’il arrive, ne saura jamais ce que j’aifait ce soir.

Après qu’elle eût donné pour l’éternité unsecret à l’adorateur abattu près d’elle comme une victime, ce futelle qui s’agenouilla devant lui. Ses genoux clairs et brillantsfrappèrent le tapis vulgaire, et ainsi approchée, vraiment nue pourla première fois de sa vie, rougissante jusqu’aux épaules, fleurieet parée de sa chasteté, elle balbutia d’informes paroles degratitude, comme si elle sentait bien que ce qu’elle faisait étaitau-dessus de son devoir et plus beau, et qu’elle en fût éblouieelle-même.

** *

Et quand elle s’est habillée et obscurcie àjamais, et qu’ils se sont quittés sans rien oser se dire, je suisbalancé par un grand doute. A-t-elle eu raison, a-t-elle eutort ? J’ai vu l’homme pleurer et je l’ai entendu semurmurer :

– Maintenant, je ne saurai plusmourir !

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