Les Chants de Maldoror

VII

 

Le corsaire aux cheveux d’or, a reçu laréponse de Mervyn. Il suit dans cette page singulière la trace destroubles intellectuels de celui qui l’écrivit, abandonné auxfaibles forces de sa propre suggestion. Celui-ci aurait beaucoupmieux fait de consulter ses parents, avant de répondre à l’amitiéde l’inconnu. Aucun bénéfice ne résultera pour lui de se mêler,comme principal acteur, à cette équivoque intrigue. Mais, enfin, ill’a voulu. À l’heure indiquée, Mervyn, de la porte de sa maison,est allé droit devant lui, en suivant le boulevard Sébastopol,jusqu’à la fontaine Saint-Michel. Il prend le quai desGrands-Augustins et traverse le quai Conti ; au moment où ilpasse sur le quai Malaquais, il voit marcher sur le quai du Louvre,parallèlement à sa propre direction, un individu, porteur d’un sacsous le bras, et qui paraît l’examiner avec attention. Les vapeursdu matin se sont dissipées. Les deux passants débouchent en mêmetemps de chaque côté du pont du Carrousel. Quoiqu’ils ne se fussentjamais vus, ils se reconnurent ! Vrai, c’était touchant devoir ces deux êtres, séparés par l’âge, rapprocher leurs âmes parla grandeur des sentiments. Du moins, c’eût été l’opinion de ceuxqui se seraient arrêtés devant ce spectacle, que plus d’un, mêmeavec un esprit mathématique, aurait trouvé émouvant. Mervyn, levisage en pleurs, réfléchissait qu’il rencontrait, pour ainsi direà l’entrée de la vie, un soutien précieux dans les futuresadversités. Soyez persuadé que l’autre ne disait rien. Voici cequ’il fit : il déplia le sac qu’il portait, dégageal’ouverture, et, saisissant l’adolescent par la tête, il fit passerle corps entier dans l’enveloppe de toile. Il noua, avec sonmouchoir, l’extrémité qui servait d’introduction. Comme Mervynpoussait des cris aigus, il enleva le sac, ainsi qu’un paquet delinges, et en frappa, à plusieurs reprises, le parapet du pont.Alors, le patient, s’étant aperçu du craquement de ses os, se tut.Scène unique, qu’aucun romancier ne retrouvera ! Un boucherpassait, assis sur la viande de sa charrette. Un individu court àlui, l’engage à s’arrêter, et lui dit : « Voici un chien,enfermé dans ce sac ; il a la gale : abattez-le au plusvite. » L’interpellé se montre complaisant. L’interrupteur, ens’éloignant, aperçoit une jeune fille en haillons qui lui tend lamain. Jusqu’où va donc le comble de l’audace et de l’impiété ?Il lui donne l’aumône ! Dites-moi si vous voulez que je vousintroduise, quelques heures plus tard, à la porte d’un abattoirreculé. Le boucher est revenu, et a dit à ses camarades, en jetantà terre un fardeau : « Dépêchons-nous de tuer ce chiengaleux. » Ils sont quatre, et chacun saisit le marteauaccoutumé. Et, cependant, ils hésitaient, parce que le sac remuaitavec force. « Quelle émotion s’empare de moi ? »cria l’un d’eux en abaissant lentement son bras. « Ce chienpousse, comme un enfant, des gémissements de douleur, dit unautre ; on dirait qu’il comprend le sort qui l’attend. »« C’est leur habitude, répondit un troisième ; même quandils ne sont pas malades, comme c’est le cas ici, il suffit que leurmaître reste quelques jours absent du logis, pour qu’ils se mettentà faire entendre des hurlements qui, véritablement, sont pénibles àsupporter. » « Arrêtez !… arrêtez !… cria lequatrième, avant que tous les bras se fussent levés en cadence pourfrapper résolument, cette fois, sur le sac. Arrêtez, vousdis-je ; il y a ici un fait qui nous échappe. Qui vous dit quecette toile renferme un chien ? Je veux m’en assurer. »Alors, malgré les railleries de ses compagnons, il dénoua lepaquet, et en retira l’un après l’autre les membres deMervyn ! Il était presque étouffé par la gêne de cetteposition. Il s’évanouit en revoyant la lumière. Quelques momentsaprès, il donna des signes indubitables d’existence. Le sauveurdit : « Apprenez, une autre fois, à mettre de la prudencejusque dans votre métier. Vous avez failli remarquer, parvous-mêmes, qu’il ne sert de rien de pratiquer l’inobservance decette loi. » Les bouchers s’enfuirent. Mervyn, le cœur serréet plein de pressentiments funestes, rentre chez soi et s’enfermedans sa chambre. Ai-je besoin d’insister sur cette strophe ?Eh ! qui n’en déplorera les événements consommés !Attendons la fin pour porter un jugement encore plus sévère. Ledénouement va se précipiter ; et, dans ces sortes de récits,où une passion, de quelque genre qu’elle soit, étant donnée,celle-ci ne craint aucun obstacle pour se frayer un passage, il n’ya pas lieu de délayer dans un godet la gomme laque de quatre centspages banales. Ce qui peut être dit dans une demi-douzaine destrophes, il faut le dire, et puis se taire.

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