Les Chants de Maldoror

IV

 

Je me suis aperçu que je n’avais qu’un œil aumilieu du front ! Ô miroirs d’argent, incrustés dans lespanneaux des vestibules, combien de services ne m’avez-vous pasrendus par votre pouvoir réflecteur ! Depuis le jour où unchat angora me rongea, pendant une heure, la bosse pariétale, commeun trépan qui perfore le crâne, en s’élançant brusquement sur mondos, parce que j’avais fait bouillir ses petits dans une cuveremplie d’alcool, je n’ai pas cessé de lancer contre moi-même laflèche des tourments. Aujourd’hui, sous l’impression des blessuresque mon corps a reçues dans diverses circonstances, soit par lafatalité de ma naissance, soit par le fait de ma proprefaute ; accablé par les conséquences de ma chute morale(quelques-unes ont été accomplies ; qui prévoira lesautres ?) ; spectateur impassible des monstruositésacquises ou naturelles, qui décorent les aponévroses et l’intellectde celui qui parle, je jette un long regard de satisfaction sur ladualité qui me compose… et je me trouve beau ! Beau comme levice de conformation congénital des organes sexuels de l’homme,consistant dans la brièveté relative du canal de l’urètre et ladivision ou l’absence de sa paroi inférieure, de telle sorte que cecanal s’ouvre à une distance variable du gland et au-dessous dupénis ; ou encore, comme la caroncule charnue, de formeconique, sillonnée par des rides transversales assez profondes, quis’élève sur la base du bec supérieur du dindon ; ou plutôt,comme la vérité qui suit : « Le système des gammes, desmodes et de leur enchaînement harmonique ne repose pas sur des loisnaturelles invariables, mais il est, au contraire, la conséquencede principes esthétiques qui ont varié avec le développementprogressif de l’humanité, et qui varieront encore » ; etsurtout, comme une corvette cuirassée à tourelles ! Oui, jemaintiens l’exactitude de mon assertion. Je n’ai pas d’illusionprésomptueuse, je m’en vante, et je ne trouverais aucun profit dansle mensonge ; donc, ce que j’ai dit, vous ne devez mettreaucune hésitation à le croire. Car, pourquoi m’inspirerais-je àmoi-même de l’horreur, devant les témoignages élogieux qui partentde ma conscience ? Je n’envie rien au Créateur ; mais,qu’il me laisse descendre le fleuve de ma destinée, à travers unesérie croissante de crimes glorieux. Sinon, élevant à la hauteur deson front un regard irrité de tout obstacle, je lui feraicomprendre qu’il n’est pas le seul maître de l’univers ; queplusieurs phénomènes qui relèvent directement d’une connaissanceplus approfondie de la nature des choses, déposent en faveur del’opinion contraire, et opposent un formel démenti à la viabilitéde l’unité de la puissance. C’est que nous sommes deux à nouscontempler les cils des paupières, vois-tu… et tu sais que plusd’une fois a retenti, dans ma bouche sans lèvres, le clairon de lavictoire. Adieu, guerrier illustre ; ton courage dans lemalheur inspire de l’estime à ton ennemi le plus acharné ;mais Maldoror te retrouvera bientôt pour te disputer la proie quis’appelle Mervyn. Ainsi, sera réalisée la prophétie du coq, quandil entrevit l’avenir au fond du candélabre. Plût au ciel que lecrabe tourteau rejoigne à temps la caravane des pèlerins, et leurapprenne en quelques mots la narration du chiffonnier deClignancourt !

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