Les Mystères du peuple – Tome III

L’AUTEUR AUX ABONNÉS – DES MYSTÈRES DUPEUPLE

 

CHERS LECTEURS,

 

L’histoire de notre famille de prolétairesentre dans une nouvelle période ; à force de luttes contre lesRomains, la Gaule a reconquis presque toutes ses libertés ; lecolonat a remplacé l’antique esclavage. Plusieursdescendants de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, ont pris partà ces combats héroïques livrés au nom de l’indépendance de laGaule ; elle respire enfin dans la plénitude de sa force et deson droit.

Mais un nouvel ennemi commence à poindre àl’horizon ; cet ennemi, c’est l’homme du Nord, c’est le Frank,c’est le cosaque de ce temps-là. Attiré de ses froides etsombres forêts septentrionales vers la Gaule au doux ciel, à laterre fertile, par quel prodige de malheur le Frank, ce barbare, cecosaque, doit-il dans l’avenir nous dépouiller de notre sol, denotre liberté, nous Gaulois, et nous imposer son impitoyableconquête durant treize siècles ? Par quel prodige de malheurla Gaule, après avoir, grâce à des insurrections sans nombre,secoué le joug des Romains, le plus redoutable peuple de l’univers,va-t-elle se courber de nouveau sous le joug d’oppresseurs, aussisauvages, aussi peu nombreux que les Romains étaient puissants etcivilisés ? Permettez-moi de vous rappeler ces lignes déjàcitées, écrites par M. Guizot en 1829 :

« La révolution de 89 a été une guerre,la vraie guerre, telle que le monde la connaît, entre peuplesétrangers. Depuis plus de treize cents ans, la France contenaitdeux peuples : un peuple VAINQUEUR et un peuple VAINCU.Depuis plus de treize cents ans, le peuple vaincu luttait poursecouer le joug du peuple vainqueur. NOTRE HISTOIRE ESTL’HISTOIRE DE CETTE LUTTE. De nos jours une bataille décisive a étélivrée ; elle s’appelle la révolution. FRANCS etGaulois, SEIGNEURS et paysans, NOBLES etroturiers, tous, bien longtemps avant cette révolution,s’appelaient également Français, avaient également la France pourpatrie. Treize siècles se sont employés parmi nous à fondre dansune même nation la race conquérante et la raceconquise, les vainqueurs et les vaincus ; mais ladivision primitive a traversé le cours des siècles et a résisté àleur action ; la lutte a continué dans tous les âges,sous toutes les formes avec toutes les armes ; et lorsqueen 1789, les députés de la France entière ont été réunis dans uneseule assemblée, les deux peuples se sont hâtés de reprendre leurvieille querelle. Le jour de la vider était enfin venu. »(GUIZOT, Du Gouvernement de la France depuis la restauration,et du ministère actuel, 1829.)

Oui, en vertu de quelle mystérieuse fataliténous Gaulois, après avoir si vaillamment reconquis notre libertésur les Romains, avons-nous été vaincus, conquis, dépouillé,asservis par cette royauté, par cette aristocratie de racefranque ? Oui, en vertu de quelle mystérieuse fatalité notrepeuple gaulois, continuant de se montrer le plus brave des peuples,a-t-il été obligé de lutter opiniâtrement jusqu’à notre immortellerévolution de 89 et 92 ? de lutter pendant treizesiècles enfin contre ses nouveaux conquérants, au lieu de sedébarrasser d’eux en moins de trois cents ans ainsi qu’ilss’étaient débarrassés de la domination romaine ?

Le secret de cette mystérieuse fatalité quinous a livrés à nos oppresseurs, vous le verrez se dévoiler durantle cours de ces récits… ce secret, vous le trouverez À ROME, cetantique foyer de la tyrannie païenne et universelle, le foyer de latyrannie inquisitoriale et jésuitique, non moinsuniverselle.[101]

Voilà pourquoi j’ai voulu montrer auvrai la divine morale de Jésus dans sa première et sublimesimplicité ; de sorte qu’en comparant plus tard la doctrinechrétienne, cette doctrine d’égalité, de fraternité, derenoncement, de charitable et surtout d’ineffable tolérance, encomparant, dis-je, cette doctrine à la vie publique, politique etHISTORIQUE d’un grand nombre de papes et de membres du haut clergécatholique, de princes des prêtres, comme disait le jeunemaître de Nazareth, vous reconnaîtrez qu’à chaque siècle ilss’éloignaient de plus en plus de la céleste morale de l’Évangile.Oui, ceux-là, les successeurs du Christ, qui tant de fois avaitproclamé – que les fers des esclaves devaient être brisés, –que l’esclave était l’égal de son maître, – ceux-là, cesrenégats, infâmes complices des Franks conquérants, possédèrentaussi tour à tour des esclaves, des serfs et des vassaux jusques en1789 ; il y a soixante ans de cela… pas davantage.

C’est donc à Rome, je vous le répète, que noustrouverons le secret de cette mystérieuse fatalité qui a faitpendant treize siècles peser sur la Gaule asservie, plongée dansune ignorance et une superstition odieusement calculées, le jougaffreux de la conquête franque, sacrée, à Reims, il y a treizesiècles, par l’horrible complicité des évêques romains, conquêtesacrée par eux comme une possession de DROIT DIVIN, d’où devaitressortir le prétendu droit divin de ces rois barbaresétrangers à la Gaule, droit souverain et absolu, encore invoqué denos jours au nom du principe de la légitimité.

Voici encore pourquoi j’essaye dans le récitsuivant de vous retracer les mœurs des Franks, ces cosaques dutemps passé, environ cent cinquante ans avant leur conquête desGaules ; la connaissance de ces mœurs, plus épouvantablespeut-être dans leur férocité sauvage que les mœurs romaines dansleur férocité civilisée, vous fera comprendre ce débordement depillage, de massacres, de meurtres, d’inceste, de fratricides, deparricides, qui ont dans la suite des siècles ensanglanté,déshonoré l’histoire de ces rois de race franque, devenus (nel’oublions jamais), devenus NOS ROIS DE DROIT DIVIN parl’infernale complicité DE ROME ; oui, car dans laconnaissance de ces mœurs primitives de nos vainqueurs, de nosseigneurs et maîtres, vous admettriez avec peine la réalité desfaits affreux qui doivent plus tard se produire devant vous.

Enfin, dans le récit suivant, vous verrez pourla première fois apparaître un Néroweg (plus tard sire,seigneur, baron, comte de Plouernel), personnage qui poseet résume par lui d’abord, et ensuite par sa descendance,l’antagonisme de la race franque et de la race gauloise,antagonisme qui, commençant ainsi au troisième siècle, se poursuità travers les âges entre la famille du conquis et lafamille conquérante, jusqu’à la rencontre de M. lecomte Néroweg de Plouernel et de M. Lebrenn, marchand de toilede la rue Saint-Denis, à Paris.

Eugène SUE

Paris, 1er juin 1850.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer