Les Mystères du peuple – Tome III

Chapitre 4

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Scanvoch est établi en Bretagne dans leschamps de ses pères, près de la forêt de Karnak. – Suite du récit.– Victorin et Kidda la Bohémienne. – Le voyage. – Le cavaliermystérieux. – Retour de Scanvoch à Mayence. – Le soulèvement. –Victorin et Victorinin. – Tétrik. – Le capitaine Marion et son amiEustache.

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Plusieurs années se sont passées depuis quej’ai écrit pour toi, mon enfant, le récit de la grande bataille duRhin.

L’extermination des hordes franques et deleurs établissements sur l’autre rive du fleuve, a délivré la Gauledes craintes que lui inspirait cette invasion barbare toujoursmenaçante. Les Franks, retirés maintenant au fond des forêts de laGermanie, attendent peut-être une occasion favorable pour fondre denouveau sur la Gaule. Je reprends donc ce récit d’autrefois aprèsdes années de douleur amère… De grands malheurs ont pesé sur mavie&|160;; j’ai vu se dérouler une épouvantable trame d’hypocrisieet de haine&|160;; cette trame, dont j’avais en soupçon dès lerécit précédent, a enveloppé ce que j’avais de plus cher au monde…Depuis lors, une tristesse incurable s’est emparée de mon âme… J’aiquitté les bords du Rhin pour la Bretagne&|160;; je suis établiavec ta seconde mère et toi, mon enfant, aux mêmes lieux où futjadis le berceau de notre famille, près des pierres sacrées de laforêt de Karnak, témoins du sacrifice héroïque de notre aïeuleHêna…

Hier encore, en revenant des champs avec toi,puisque de soldat je suis devenu laboureur comme nos pères, autemps de leur indépendance… hier encore je t’ai montré au bord d’unruisseau deux saules creux, si vieux… si vieux… (ils ont plus detrois cents ans&|160;!) qu’ils ne végètent presque plus… Tu mepriais d’attacher une corde de l’un à l’autre de ces deux arbrespour te balancer… Tu m’as vu avec étonnement m’attrister à tademande, et soudain rester pensif.

Je songeais que, par un rapprochement étrange,notre aïeul Sylvest, dont tu liras l’histoire, et sa sœur Siomaraavaient, comme toi, voulu, il y a près de trois siècles, attacher àces deux saules une corde pour servir à leurs jeux enfantins… Etces souvenirs, hélas&|160;! n’étaient pas les seuls que ces troncsséculaires éveillaient dans ma pensée&|160;; car je t’aidit&|160;:

–&|160;Regarde ces deux arbres avec tristesseet vénération, mon enfant&|160;: un de nos aïeux,Guillhern, fils de Joel, le brenn de la tribu deKarnak, est mort dans un supplice atroce, garrotté à l’un de cessaules&|160;; le fils de Guilhern, un adolescent un peu plus âgéque toi, nommé Sylvest (c’est de lui que je te parlais tout àl’heure), fut attaché à l’autre saule pour mourir du même suppliceque son père… un hasard inespéré l’a arraché à cette torture.

–&|160;Et quel était donc leur crime&|160;? –m’as-tu demandé.

–&|160;Le crime du père et de son fils étaitd’avoir voulu échapper à l’esclavage, afin de ne plus cultiver sousle fouet, le carcan au cou, la chaîne aux pieds, les champspaternels au profit des Romains, qui les en avaient dépouillés parviolence ensuite de la bataille de Vannes…

Ma réponse t’a surpris, mon enfant, toi, quias toujours vécu heureux et libre, toi, qui jusqu’ici n’as connud’autre douleur que le regret d’avoir perdu ta mère bien-aimée,dont tu n’as conservé qu’un vague souvenir&|160;; car tu étais âgéde quatre ans et deux mois à peine, lorsque peu de temps après lavictoire remportée sur les Franks des bords du Rhin……

J’ai interrompu mon récit, cher enfant&|160;;ma main s’est arrêtée, inondée des pleurs qui coulaient de mesyeux&|160;; puis je suis tombé dans l’un de ces accès de mornetristesse que je ne peux vaincre… lorsque je me rappelle lesterribles événements domestiques qui se sont passés après notrevictoire sur le Rhin&|160;; mais j’ai repris courage en songeant audevoir que je dois accomplir, afin d’obéir aux derniers vœux denotre aïeul Joel, qui vivait il y a près de trois siècles dans cesmêmes lieux où nous sommes aujourd’hui revenus, après lesvicissitudes sans nombre de notre famille.

Lorsque tu auras lu ces pages, mon enfant, tucomprendras la cause des accès de tristesse mortelle où tu me voissouvent plongé, malgré ta tendresse et celle de ta seconde mère,que je ne saurais jamais trop chérir… Oui, lorsque tu auras lu lesdernières et solennelles paroles de VICTORIA, la mère descamps, paroles effrayantes… tu comprendras que, si douloureuxque soit pour moi le passé, en ce qui touche ma famille, ce n’estpas seulement le passé qui m’attriste jusqu’à la mort, mais lesprévisions de l’avenir réservé peut-être à la Gaule par lamystérieuse volonté de Hésus… Ô mon enfant&|160;! ces appréhensionspleines d’angoisses, tu les partageras en lisant cette réflexionsage et profonde de notre aïeul Sylvest&|160;:

–&|160;Hélas&|160;! à chaque blessure dela patrie, la famille saigne…

Oui, car si elles se réalisent jamais, lesredoutables prophéties de Victoria, douée peut-être, comme tantd’autres de nos druidesses vénérées, de la science de l’avenir… sielles se réalisent, ces redoutables prophéties, malheur à laGaule&|160;! malheur à notre race&|160;! malheur à notrefamille&|160;! elle aura plus longtemps et plus cruellement àsouffrir de l’oppression de la Rome des évêques, qu’ellen’a souffert de l’oppression de la Rome des Césars et desempereurs&|160;!…

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Je reprends donc ce récit, mon enfant, aupoint où je l’ai laissé, il y a plusieurs années. Sans doute, jel’interromprai plus d’une fois encore…

*

**

Victorin, le soir de la bataille du Rhin,regagna Mayence avec sa mère, après l’avoir longuement entretenuedu résultat de la journée&|160;; il prétexta d’une grande fatigueet de sa légère blessure pour se retirer. Rentré chez lui, il sedésarma, se mit au bain&|160;; puis, enveloppé d’un manteau, il serendit chez les bohémiennes vers le milieu de la nuit.

–&|160;Cette femme te serafatale&|160;! – avais-je dit au général… Hélas&|160;! maprévision devait s’accomplir. À propos de ces créatures,rappelle-toi, mon enfant, cette circonstance, que j’ai connuedepuis, et tu apprécieras plus tard l’importance de cesouvenir&|160;:

«&|160;Ces bohémiennes, arrivées à Mayence lasurveille du jour où Tétrik était arrivé lui-même dans cette ville,venaient de Gascogne, pays qu’il gouvernait.&|160;»

Cette révélation, et bien d’autres, amenéespar la suite des temps, m’ont donné une connaissance si exacte decertains faits, que je pourrai te les raconter comme si j’en avaisété spectateur. Victorin quitta donc son logis au milieu de la nuitpour aller au rendez-vous où l’attendait Kidda, labohémienne&|160;; il la connaissait seulement depuis la veille.Elle avait fait sur ses sens une vive impression&|160;: il étaitjeune, beau spirituel, généreux&|160;; il venait de gagner le jourmême une glorieuse bataille&|160;; il savait la facilité de mœursde ces chanteuses vagabondes, il se croyait certain de posséderl’objet de son caprice&|160;; quelle fut sa surprise, son dépit,lorsque Kidda lui dit avec un apparent mélange de fermeté, detristesse et de passion contenue&|160;:

«&|160;– Je ne vous parlerai pas, Victorin, dema vertu, vous ririez de la vertu d’une chanteuse bohémienne&|160;;mais vous me croirez si je vous dis que, longtemps avant de vousvoir, votre glorieux nom était venu jusqu’à moi&|160;; votrerenommée de courage et de bonté avait fait battre mon cœur, ce cœurindigne de vous, puisque je suis une pauvre créature dégradée…Voyez-vous, Victorin, – ajouta-t-elle les larmes aux yeux, – sij’étais pure, vous auriez mon amour et ma vie&|160;; mais je suisflétrie, je ne mérite pas vos regards&|160;; je vous aime troppassionnément, je vous honore trop pour jamais vous offrir lesrestes d’une existence avilie par des hommes si peu dignes de vousêtre comparés…&|160;»

Cet hypocrite langage, loin de refroidirl’ardeur de Victorin, l’excita davantage&|160;; son caprice sensuelpour cette femme, irrité par ses refus, se changea bientôt en unepassion dévorante, insensée. Malgré ses protestations de tendresse,malgré ses prières, malgré ses larmes, car il pleurait aux pieds decette misérable, la bohémienne resta inexorable dans sa résolution.Le caractère de Victorin, jusqu’alors joyeux, avenant et ouvert,s’aigrit&|160;; il devint sombre, taciturne. Sa mère et moi, nousignorions alors les causes de ce changement&|160;; à nos pressantesquestions, le jeune général répondait que, frappé des symptômes dedésaffection manifestés par l’armée à son égard, il ne voulait pluss’exposer à une pareille défaveur, et que désormais sa vie seraaustère et retirée. Sauf pendant quelques heures consacrées chaquejour à sa mère, Victorin ne sortait plus de chez lui, fuyant lasociété de ses anciens compagnons de plaisir. Les soldats, frappésde ce brusque revirement dans sa conduite, virent dans cetteréforme salutaire le résultat de leurs observations, présentées enleur nom au jeune général par Douarnek avec une amicalefranchise&|160;; ils s’affectionnèrent à lui plus que jamais. J’aisu plus tard que ce malheureux, dans sa solitude volontaire, buvaitjusqu’à l’ivresse pour oublier sa fatale passion, allant cependantchaque soir chez la bohémienne, et la trouvant toujoursimpitoyable.

Un mois environ se passa de la sorte&|160;:Tétrik était resté à Mayence afin de tâcher de vaincre larépugnance de Victoria à faire acclamer son petit-fils commehéritier du pouvoir de son père&|160;; mais Victoria répondait augouverneur d’Aquitaine&|160;:

«&|160;– Ritha-Gaür, qui s’est fait une saiede la barbe des rois qu’il a rasés, a renversé, il y a dix siècles,la royauté en Gaule, les peuples étant las d’être transmis, eux etleur descendance, par droit d’héritage, à des rois rarement bons,presque toujours mauvais. Les Gaulois, de plus en plus éclairés parnos druides vénérés, ont sagement préféré choisir librement le chefqu’ils croyaient le plus digne de les gouverner&|160;; ils se sontainsi constitués en république. Mon petit-fils est un enfant auberceau&|160;; nul ne sait s’il aura un jour les qualitésnécessaires au gouvernement d’un grand peuple comme le nôtre.Reconnaître aujourd’hui cet enfant comme héritier du pouvoir de sonpère, ce serait rétablir une sorte de royauté. Or, ainsi queRitha-Gaür, moi, Victoria, je hais les royautés.&|160;»

Tétrik, espérant vaincre par sa persistance larésolution de la mère des camps, restait dans la ville (j’ai dumoins longtemps cru que tel était le seul but de son séjour àMayence), et s’étonnait non moins que nous de la transformation ducaractère de Victorin. Celui-ci, quoique plongé dans une mornetristesse, s’était toujours montré affectueux pour moi&|160;;plusieurs fois même je le vis sur le point de m’ouvrir son cœur etde me confier ce qu’il cachait à tous&|160;; craignant sans doutemes reproches, il retint ses aveux. Plus tard, ne venant plus chezmoi, comme par le passé, il évita même les occasions de merencontrer&|160;; ses traits, naguère si beaux, si ouverts,n’étaient plus reconnaissables&|160;; pâlis par la souffrance,creusés par les excès de l’ivresse solitaire à laquelle il selivrait, leur expression semblait de plus en plus sinistre&|160;;parfois une sorte d’égarement se trahissait dans la sombre fixitéde son regard.

Environ cinq semaines après la grande victoiredu Rhin, Victorin redevint assidu chez moi&|160;; seulement ilchoisit pour ses visites à ma femme et à Sampso les heures oùd’habitude j’allais chez Victoria pour écrire les lettres qu’elleme dictait. Ellèn accueillit le fils de ma sœur de lait avec sonaffabilité accoutumée. Je crus d’abord que, regrettant de s’êtreéloigné de moi sans motif et par caprice, il cherchait à amenerentre nous un rapprochement par l’intermédiaire de ma femme&|160;;car, malgré sa persistance à éviter ma rencontre, il ne parlait demoi à Ellèn qu’avec affection. Sampso assistait aux entretiens desa sœur et de Victorin. Une seule fois elle les laissa seuls&|160;;en rentrant, elle fut frappée de l’expression douloureuse de laphysionomie de ma femme et de l’embarras de Victorin, qui sortitaussitôt.

–&|160;Qu’as-tu, Ellèn&|160;? – lui ditSampso.

–&|160;Ma sœur, je t’en conjure, désormais neme laisse pas seule avec le fils de Victoria…

–&|160;Quelle est la cause de tontrouble&|160;?

–&|160;Fassent les dieux que je me soistrompée&|160;; mais à certains demi-mots de Victorin, àl’expression de son regard, j’ai cru deviner qu’il ressent pour moiun coupable amour… et pourtant il sait ma tendresse, mon dévouementpour Scanvoch&|160;!

–&|160;Ma sœur, – reprit Sampso, – les excèsde Victorin m’ont toujours révoltée&|160;; mais depuis quelquetemps il semble s’amender. Le sacrifice de ses goûts désordonnéslui coûte sans doute beaucoup, car chacun, tout en louant lechangement de conduite du jeune général, remarque sa profondetristesse… Je ne peux donc le croire capable de songer à déshonorerton mari, lui qui aime Victorin comme son fils, lui qui à la guerrelui a sauvé la vie… tu es dans l’erreur, Ellèn… non, une pareilleindignité est impossible…

–&|160;Puisses-tu dire vrai, Sampso&|160;;mais, je t’en conjure, si Victorin revient à la maison, ne melaisse pas seule avec lui, et quoi qu’il en soit, je veux tout direà Scanvoch.

–&|160;Prends garde, Ellèn… Si, comme je lecrois, tu te trompes, c’est jeter un soupçon affreux dans l’espritde ton mari&|160;; tu sais son attachement pour Victoria et pourson fils&|160;; juge du désespoir de Scanvoch à une tellerévélation&|160;!… Ellèn, suis mon conseil, reçois une fois encoreVictorin seul à seul, et si tu acquiers la certitude de ce que turedoutes, alors n’hésite plus… Révèle tout à Scanvoch, car s’il estimprudent à toi d’éveiller dans son esprit des soupçons peut-êtremal fondés, tu dois démasquer un infâme hypocrite, lorsque tu n’asplus de doute sur ses projets.

Ellèn promit à sa sœur d’écouter sesavis&|160;; mais de ce jour Victorin ne revint plus… Je n’ai connuces détails que plus tard. Ceci s’était passé durant les cinq ousix premières semaines qui suivirent la grande bataille du Rhin, ethuit jours avant les terribles événements qu’il me faut, hélas monenfant, te raconter…

Ce jour-là j’avais passé la première partie dela soirée auprès de Victoria, conférant avec elle d’une missiontrès-urgente pour laquelle je devais partir le soir même, et qui mepouvait retenir plusieurs jours. Victorin, quoiqu’il l’eût promis àsa mère, ne se rendit pas à cet entretien, dont il savait l’objet.Je ne m’étonnai pas de son absence&|160;; je te l’ai dit, depuisquelque temps, et sans qu’il m’eût été possible de pénétrer lacause de cette bizarrerie, il évitait les occasions de serencontrer avec moi. Victoria me dit d’une voix émue au moment oùje la quittais, à l’heure accoutumée&|160;:

–&|160;Les affections privées doivent se tairedevant les intérêts de l’État&|160;; j’ai longuement parlé avec toide la mission dont tu te charges, Scanvoch&|160;; maintenant, lamère te dira ses douleurs. Ce matin encore j’ai eu un tristeentretien avec mon fils&|160;; en vain je l’ai supplié de meconfier la cause du chagrin secret qui le dévore&|160;; il m’arépondu avec un sourire navrant&|160;:

«&|160;– Autrefois, ma mère, vous mereprochiez ma légèreté, mon goût trop ardent pour les plaisirs… cestemps sont loin déjà… je vis dans la retraite et la méditation. Mademeure, où retentissait jadis, pendant la nuit, le joyeux tumultedes chants et des festins aux flambeaux, est aujourd’hui solitaire,silencieuse et sombre… sombre comme moi-même… Nos scrupuleuxsoldats, édifiés de ma conversion, ne me reprochent plus, je crois,aujourd’hui d’aimer trop la joie, le vin et les maîtresses. Quevous faut-il de plus, ma mère&|160;?…

«&|160;– Il me faut de plus que tu paraissesheureux comme par le passé, – lui ai-je répondu sans pouvoirretenir mes larmes&|160;; – car tu souffres, tu souffres d’unepeine que j’ignore. La conscience d’une vie sage et réfléchie,comme doit l’être celle du chef d’un grand peuple, donne au visageune expression grave, mais sereine, tandis que ton visage est pâle,sinistre, sardonique comme celui d’un désespéré…&|160;»

–&|160;Que vous a répondu Victorin&|160;?

–&|160;Rien, il est retombé dans ce mornesilence où je le vois si souvent plongé, et dont il ne sort quepour jeter autour de lui des regards presque égarés… Alors je luiai présenté son enfant, que je tenais entre mes bras&|160;; il l’apris et l’a embrassé plusieurs fois avec tendresse&|160;; puis ill’a replacé dans son berceau, et s’est retiré brusquement sansprononcer une parole, sans doute pour me cacher ses larmes&|160;;car j’ai vu qu’il pleurait… Ah&|160;! Scanvoch, mon cœur se briseen songeant à l’avenir que je voyais si beau pour la Gaule, pourmon fils et pour moi…

J’ai tâché de consoler Victoria en cherchantinutilement avec elle la cause du mystérieux chagrin de sonfils&|160;; puis l’heure me pressant, car je devais voyager lanuit, afin d’accomplir ma mission le plus promptement possible,j’ai quitté ma sœur de lait pour rentrer chez moi et embrasser tamère et toi, mon enfant, avant de me mettre en route. J’ai trouvéEllèn et sa sœur assises auprès de ton berceau… En me voyant,Sampso s’écria&|160;:

–&|160;Vous arrivez à propos, Scanvoch, pourm’aider à convaincre Ellèn que sa faiblesse est sans excuse… voyezses larmes…

–&|160;Qu’as-tu, mon Ellèn&|160;? – lui dis-jeavec inquiétude, – d’où vient ton chagrin&|160;?

Elle baissa la tête, ne me répondit pas, etcontinua de pleurer.

–&|160;Elle n’ose vous avouer la cause de sonchagrin, Scanvoch&|160;: mais savez-vous pourquoi ma sœur se désoleainsi&|160;? C’est parce que vous partez…

–&|160;Quoi&|160;? – dis-je à Ellèn d’un tonde tendre reproche, – toi toujours si courageuse quand je partaispour la bataille, te voici craintive, éplorée, alors que jem’éloigne pour un voyage de quelques jours au plus, entrepris aumilieu de la Gaule, en pleine paix&|160;!… Ellèn… tes inquiétudesn’ont pas de motif.

–&|160;Voilà ce que je ne cesse de répéter àma sœur, – reprit Sampso. – Votre voyage ne vous expose à aucundanger, et si vous partez cette nuit, c’est que votre mission esturgente.

–&|160;Sans doute, et n’est-ce pas d’ailleursun véritable plaisir que de voyager, ainsi que je vais le faire,par une douce nuit d’été au milieu de notre beau pays, sitranquille aujourd’hui&|160;?

–&|160;Je sais tout cela, – reprit Ellèn d’unevoix altérée, – ma faiblesse est insensée&|160;; mais, malgré moi,ce voyage m’épouvante…

Puis, tendant vers moi ses mainssuppliantes&|160;:

–&|160;Scanvoch mon époux bien-aimé&|160;! nepars pas, je t’en conjure, ne pars pas…

–&|160;Ellèn, – lui dis-je tristement, – pourla première fois de ma vie je suis obligé de répondre à ton désirpar un refus…

–&|160;Je t’en supplie… reste près de moi.

–&|160;Je te sacrifierais tout, hormis mondevoir… La mission dont m’a chargé Victoria est importante… j’aipromis de la remplir, je tiendrai ma promesse…

–&|160;Pars donc, – me dit ma femme ensanglotant avec désespoir, – pars donc, et que ma destinées’accomplisse&|160;! tu l’auras voulu…

–&|160;Sampso, – ai-je dit le cœur navré, – dequelle destinée parle-t-elle&|160;?

–&|160;Hélas&|160;! ma sœur est accabléedepuis ce matin de noirs pressentiments&|160;; ils lui paraissent,ainsi qu’à moi, inexplicables, pourtant elle ne peut lesvaincre&|160;; elle se persuade qu’elle ne vous verra plus… ouqu’un grand malheur vous menace pendant votre voyage.

–&|160;Ellèn, ma femme bien-aimée, – lui ai-jedit en la serrant contre ma poitrine, – ignores-tu que, si courteque doive être notre séparation, il m’en coûte toujours dem’éloigner d’ici&|160;?… Veux-tu joindre à ce chagrin celui quej’aurai en te laissant ainsi désolée&|160;?

–&|160;Pardonne-moi, – me dit Ellèn en faisantun violent effort sur elle-même&|160;; – tu dis vrai, ma faiblesseest indigne de la femme d’un soldat… Tiens, vois je ne pleure plus,je suis calme… tes paroles me rassurent&|160;; j’ai honte de meslâches terreurs… Mais au nom de notre enfant qui dort là dans sonberceau, ne t’en vas pas irrité contre moi&|160;; que tes adieuxsoient bons et tendres comme toujours… j’ai besoin de cela,vois-tu… oui, j’ai besoin de cela pour retrouver le courage dont jemanque aujourd’hui sans savoir pourquoi.

Ma femme, malgré son apparente résignation,semblait tant souffrir de la contrainte qu’elle s’imposait, qu’unmoment, afin de rester auprès d’Ellèn, je songeai à prier Victoriade donner au capitaine Marion la mission dont je m’étaischargé&|160;; une réflexion me retint&|160;: le temps pressait,puisque je partais de nuit&|160;; il faudrait employer plusieursheures à mettre le capitaine Marion au courant d’une affaire àlaquelle il était resté jusqu’alors complètement étranger, et qui,pour réussir, devait être traitée avec une extrême célérité.Obéissant à mon devoir, et, il faut le dire aussi, convaincu de lavanité des craintes d’Ellèn, je ne cédai pas à son désir&|160;; jela serrai tendrement entre mes bras, et, la recommandant àl’excellente affection de Sampso, je suis parti à cheval.

Il était alors environ dix heures dusoir&|160;; un cavalier devait me servir d’escorte et de messagerpour le cas où j’aurais à écrire à Victoria pendant la route&|160;;choisi par le capitaine Marion, à qui j’avais demandé un homme sûret discret, ce cavalier m’attendait à l’une des portes deMayence&|160;; je l’ai bientôt rejoint&|160;; quoique la lune selevât tard, la nuit était pourtant assez claire, grâce aurayonnement des étoiles&|160;; j’ai remarqué, sans attacherd’importance à cette circonstance, que, malgré la douceur de lasaison, mon compagnon de voyage portait une grosse casaque dont lecapuchon se rabattait sur son casque, de sorte qu’en plein jourj’aurais eu même quelque difficulté à distinguer les traits de cethomme. Simple soldat comme moi, au lieu de chevaucher à mes côtés,il me laissa le dépasser sans m’adresser une parole&|160;; puis ilme suivit. En toute autre occasion, et enclin, comme tout Gaulois,à la causerie, je n’aurais pas accepté cette marque de déférenceexagérée, qui m’eût privé de l’entretien d’un compagnon pendant unlong trajet&|160;; mais, attristé par les adieux de ma femme, etsongeant, malgré moi, à mesure que je m’éloignais, aux sinistrespressentiments dont elle avait été agitée, je ne fus pas fâché derester seul avec mes réflexions durant une partie de la nuit&|160;;je m’éloignai donc de la ville suivi du cavalier, non moinssilencieux que moi…

Nous avions, sans échanger une parole,chevauché environ deux heures, car la lune, qui devait se leververs minuit, commençait de poindre derrière une colline bornantl’horizon. Nous nous trouvions à un carrefour où se croisaienttrois grandes routes tracées et exécutées par les Romains. J’avaisralenti l’allure de Tom-Bras, afin de reconnaître lechemin que je devais suivre, lorsque soudain mon compagnon devoyage, élevant la voix derrière moi, m’a crié&|160;:

–&|160;Scanvoch&|160;! reviens à toute bridesur tes pas… un grand crime se commet à cette heure dans tamaison&|160;!…

À ces mots je me retournai vivement sur maselle, et grâce à la demi-obscurité de la nuit je vis le cavalier,faisant faire à son cheval un bond énorme, franchir le talus de laroute et disparaître dans l’ombre d’un grand bois, dont nouslongions la lisière depuis quelque temps… Frappé de stupeur, jerestai quelques moments immobile, et lorsque, cédant à unecuriosité pleine d’angoisse, je voulus m’élancer à la poursuite ducavalier, afin d’avoir l’explication de ses paroles, il était troptard, la lune ne jetait pas encore assez de clarté pour qu’il mefût possible de m’aventurer à travers des bois que je neconnaissais pas&|160;; le cavalier avait d’ailleurs sur moi uneavance qui s’augmentait à chaque instant&|160;; prêtantattentivement l’oreille, j’entendis, au milieu du profond silencede la nuit, le galop rapide et déjà lointain du cheval de cethomme&|160;; il me parut reprendre par la forêt, et conséquemmentpar une voie plus courte, la direction de Mayence. Un momentj’hésitai dans ma résolution&|160;; mais, me rappelant lesinexplicables pressentiments de ma femme, et les rapprochantsurtout des paroles du cavalier, je regagnai la ville à toutebride…

–&|160;Si par un hasard inconcevable, – medisais-je, – l’avertissement auquel j’obéis est aussi mal fondé queles pressentiments d’Ellèn, avec lesquels il concorde pourtantd’une manière étrange, si mon alarme a été vaine, je prendrai aucamp un cheval frais pour recommencer mon voyage, qui n’aurad’ailleurs subi qu’un retard de trois heures.

J’excitai donc des talons et de la voix larapide allure de mon vigoureux Tom-Bras, et me dirigeaivers Mayence avec une folle vitesse. À mesure que je me rapprochaisdes lieux où j’avais laissé ma femme et mon enfant, les plus noirespensées venaient m’assaillir&|160;; quel pouvait être ce crime quise commettait dans ma maison&|160;? Était-ce à un ami&|160;?était-ce à un ennemi que je devais cette révélation&|160;? Parfoisil me semblait que la voix du cavalier ne m’était pas inconnue,sans qu’il me fût possible de me souvenir où je l’avais déjàentendue&|160;; mais ce qui redoublait surtout mon anxiété, c’étaitce mystérieux accord entre le malheur dont on venait de me menaceret les pressentiments d’Ellèn. La lune, s’étant levée, facilitaitla précipitation de ma course en éclairant la route&|160;; lesarbres, les champs, les maisons, disparaissaient derrière moi avecune rapidité vertigineuse. Je mis moins d’une heure à parcourircette même route, parcourue naguère par moi en deux heures&|160;;j’atteignis enfin les portes de Mayence… Je sentaisTom-Bras faiblir entre mes jambes, non par faute d’ardeuret de courage, mais parce que ses forces étaient à bout. Avisant unsoldat en faction, je lui dis&|160;:

–&|160;As-tu vu un cavalier rentrer cette nuitdans la ville&|160;?

–&|160;Il y a un quart d’heure à peine, – merépondit le soldat, – un cavalier, vêtu d’une casaque à capuchon, apassé au galop devant cette porte&|160;; il se dirigeait vers lecamp.

–&|160;C’est lui, – ai-je pensé en reprenantma course, au risque de voir Tom-Bras expirer sous moi. – Plus dedoute, mon compagnon de voyage m’aura devancé par le chemin de laforêt&|160;; mais pourquoi se rend-il au camp, au lieu d’entrerdans la ville&|160;?

Quelques instants après j’arrivais devant mamaison&|160;: je sautai à bas de mon cheval, qui hennit enreconnaissant notre logis. Je courus à la porte, j’y frappai àgrands coups… personne ne vint m’ouvrir, mais j’entendis des crisétouffés&|160;; je heurtai de nouveau, et tout aussi vainement,avec le pommeau de mon épée&|160;; les cris redoublèrent&|160;; ilme sembla reconnaître la voix de Sampso… J’essayai de briser laporte… impossible… Soudain la fenêtre de la chambre de ma femmes’ouvre, j’y cours l’épée à la main. Au moment où j’arrive devantcette croisée, on poussait du dedans les volets qui la fermaient.Je m’élance à travers ce passage, je me trouve ainsi face à faceavec un homme… L’obscurité ne me permit pas de reconnaître sestraits&|160;; il fuyait de la chambre d’Ellèn, dont les crisdéchirants parvinrent jusqu’à moi. Saisir cet homme à la gorge aumoment où il mettait le pied sur l’appui de la fenêtre pours’échapper, le repousser dans la chambre pleine de ténèbres, où jeme précipite avec lui, le frapper plusieurs fois de mon épée avecfureur, en criant&|160;: «&|160;Ellèn&|160;! me voici…&|160;» toutcela se passa avec la rapidité de la pensée. Je retirais mon épéedu corps étendu à mes pieds pour l’y replonger encore, car j’étaisfou de rage, lorsque deux bras m’étreignent avec une forceconvulsive… Je me crois attaqué par un autre adversaire&|160;: jetraverse de mon épée ce corps, qui dans l’obscurité se suspendait àmon cou, et aussitôt j’entends ces paroles prononcées d’une voixexpirante&|160;:

–&|160;Scanvoch… tu m’as tuée… merci, monbien-aimé… il m’est doux de mourir de ta main… je n’aurais pu vivreavec ma honte…

C’était la voix d’Ellèn&|160;!…

Ma femme était accourue dans sa muette terreurpour se mettre sous ma protection&|160;: ses bras, qui m’avaientd’abord enserré, se détachèrent brusquement de moi… je l’entendistomber sur le plancher… Je restai foudroyé… mon épée s’échappa demes mains, et pendant quelques instants un silence de mort se fitdans cette chambre complètement obscure, sauf une traînée de pâlelumière, jetée par la lune entre les deux volets à demi referméspar le vent… Soudain, ils s’ouvrirent complètement du dehors, et àla clarté lunaire, je vis une femme svelte, grande, vêtue d’unejupe rouge et d’un corset de toile d’argent, montée au dehors surl’appui de la fenêtre.

–&|160;Victorin, – dit-elle, – beau Tarquind’une nouvelle Lucrèce, quitte cette maison, la nuit s’avance. Jet’ai vu à minuit, l’heure convenue, entrer par la porte enl’absence du mari… Tu vas sortir de chez ta belle par la fenêtre,chemin des amants… tu as accompli ta promesse… maintenant je suis àtoi… Viens, mon char nous attend, fuyons…

–&|160;Victorin&|160;! – m’écriai-je avechorreur, me croyant le jouet d’un rêve épouvantable, – c’était lui…je l’ai tué&|160;!…

–&|160;Le mari&|160;! – reprit Kidda, labohémienne, en sautant en arrière… – C’est le diable qui l’aramené&|160;!…

Et elle disparut.

Quelques instants après j’entendis le bruitdes roues d’un char et le tintement du grelot de la mule quil’entraînait rapidement, tandis que, au loin, du côté de la portedu camp, s’élevait une rumeur lointaine et toujours croissante,comme celle d’une foule qui s’approche en tumulte. À ma premièrestupeur succéda une angoisse terrible, mêlée d’une dernièreespérance&|160;: Ellèn n’était peut-être pas morte… Je courus à laporte de la chambre, fermée en dedans&|160;; j’appelai Sampso àgrands cris&|160;; sa voix me répondit d’une pièce voisine&|160;;on l’y avait enfermée… Je la délivrai, m’écriant&|160;:

–&|160;J’ai frappé Ellèn dans l’obscurité… lablessure n’est peut-être pas mortelle&|160;; courez chezOmer, le druide…

–&|160;J’y cours, – me répondit Sampso sansm’interroger davantage.

Elle se précipita vers la porte de la maisonverrouillée à l’intérieur. Au moment, où elle l’ouvrait, je viss’avancer sur la place où était située ma maison, tout proche de laporte du camp, une foule de soldats&|160;: plusieurs portaient destorches, tous poussaient des cris menaçants au milieu desquelsrevenait sans cesse le nom de Victorin.

À la tête de ce rassemblement, j’ai reconnu levétéran Douarnek, brandissant son épée.

–&|160;Scanvoch, – me dit-il, – le bruit vientde se répandre dans le camp qu’un crime affreux a été commis dansta maison.

–&|160;Et le criminel est Victorin&|160;! –crièrent plusieurs voix qui couvrirent la mienne. – À mort,l’infâme&|160;!

–&|160;À mort, l’infâme&|160;! qui a faitviolence à la chaste épouse de son ami…

–&|160;Comme il a fait violence à l’hôtesse dela taverne des bords du Rhin…

–&|160;Ce n’était pas une calomnie&|160;!

–&|160;Le lâche hypocrite avait feint des’amender&|160;!

–&|160;Oui, pour commettre ce nouveauforfait.

–&|160;Déshonorer la femme d’un soldat&|160;!d’un des nôtres&|160;! de Scanvoch, qui aimait ce débauché commeson fils&|160;!…

–&|160;Et qui à la guerre lui avait sauvé lavie.

–&|160;À mort&|160;! à mort&|160;!…

Il m’avait été impossible de dominer de lavoix ces cris furieux… Sampso, désespérée, faisait de vains effortspour traverser la foule exaspérée.

–&|160;Par pitié&|160;! laissez-moipasser&|160;! – criait Sampso d’une voix suppliante&|160;; – jevais chercher un druide médecin… Ellèn respire encore… Sa blessurepeut n’être pas mortelle… Du secours&|160;!… du secours&|160;!…

Ces mots redoublèrent l’indignation et lafureur des soldats. Au lieu d’ouvrir leurs rangs à la sœur de mafemme, ils la repoussèrent en se ruant vers la porte, bientôt ainsiencombrée d’une foule impénétrable, frémissante de colère, et d’oùs’élevèrent de nouveaux cris…

–&|160;Malheur&|160;! malheur àVictorin&|160;!…

–&|160;Ce monstre a égorgé la femme deScanvoch après l’avoir violentée&|160;!…

–&|160;Elle meurt comme l’hôtesse de lataverne de l’île du Rhin.

–&|160;Victorin&|160;! – s’écria Douarnek, –nous t’avions pardonné, nous avions cru à ta foi de soldat&|160;;tu es l’un des chefs de la Gaule… tu es notre général… tun’échapperas pas à la peine de tes crimes&|160;! Plus nous t’avonsaimé, plus nous t’abhorrons&|160;!…

–&|160;Nous serons tes bourreaux&|160;!

–&|160;Nous t’avons glorifié… nous techâtierons&|160;!

–&|160;Un général tel que toi déshonore laGaule et l’armée&|160;!

–&|160;Il faut un exemple terrible&|160;!

–&|160;À mort, Victorin&|160;! àmort&|160;!…

–&|160;Impossible d’aller chercher dusecours&|160;; ma sœur est perdue, – me dit Sampso avec désespoir,pendant que je tâchais, mais toujours en vain, de me faire entendrede cette foule en délire, dont les mille cris couvraient mavoix.

–&|160;Je vais essayer de sortir par lafenêtre, – me dit Sampso.

Et elle s’élança vers la chambre mortuaire.Moi, faisant tous mes efforts pour empêcher les soldats furieuxcontre leur général d’envahir ma demeure, je criais&|160;:

–&|160;Retirez-vous… laissez-moi seul danscette maison de deuil… Justice est faite&|160;!… retirez-vous…

Le tumulte, toujours croissant, étouffa mesparoles&|160;; je vis revenir Sampso te portant dans ses bras, monenfant&|160;; elle me dit en sanglotant&|160;:

–&|160;Mon frère, plus d’espoir&|160;! Ellènest glacée… son cœur ne bat plus… elle est morte&|160;!…

–&|160;Morte&|160;! morte&|160;! Hésus, ayezpitié de moi&|160;! – ai-je murmuré en m’appuyant contre lamuraille du vestibule, car je me sentais défaillir.

Mais soudain je revins à moi et tressaillis detous mes membres, en entendant ces mots circuler parmi lessoldats&|160;:

–&|160;Voici Victoria&|160;! voici notremère&|160;!…

Et la foule, dégageant les abords de mamaison, reflua vers le milieu de la place pour aller au-devant dema sœur de lait. Tel était le respect que cette femme augusteinspirait à l’armée, que bientôt le silence succéda aux furieusesclameurs des soldats&|160;; ils comprirent la terrible position decette mère qui, attirée par des cris de justice et de vengeanceproférés contre son fils accusé d’un crime horrible, s’approchaitdans la majesté de sa douleur maternelle.

Mon cœur, à moi, se brisa… Victoria, ma sœurde lait… cette femme, pour qui ma vie n’avait été qu’un long jourde dévouement, Victoria allait trouver dans ma maison le cadavre deson fils tué par moi… qui l’avais vu naître… qui l’avais aimé commemon enfant&|160;!… Je voulus fuir… je n’en eus pas la force… Jerestai adossé à la muraille… regardant devant moi, incapable defaire un mouvement.

Soudain, la foule des soldats s’écarte, formeune sorte de haie de chaque côté d’un large passage, et je voiss’avancer lentement, à la clarté de la lune et des torches,Victoria, vêtue de sa longue robe noire, tenant son petit-filsentre ses bras[109]… Elle espérait sans doute apaiserl’exaspération des soldats en offrant à leurs yeux cette innocentecréature. Tétrik, le capitaine Marion et plusieurs officiers, quiavaient prévenu Victoria du tumulte et de ses causes, la suivaient.Ils parvinrent à calmer l’effervescence des troupes&|160;: lesilence devint solennel… La mère des camps n’était plus qu’àquelques pas de ma maison, lorsque Douarnek s’approcha d’elle, etlui dit en fléchissant le genou&|160;:

–&|160;Mère, ton fils a commis un grand crime…nous te plaignons… mais tu nous feras justice… nous voulonsjustice…

–&|160;Oui, oui, justice&|160;! – s’écrièrentles soldats, dont l’irritation, muette depuis quelques instants,éclata de nouveau avec une violence croissante en mille crisdivers&|160;: – Justice&|160;! ou nous nous la feronsnous-mêmes…

–&|160;Mort à l’infâme&|160;!

–&|160;Mort à celui qui a déshonoré la femmede son ami&|160;!

–&|160;Victorin est notre chef… son crimesera-t-il impuni&|160;?

–&|160;Si l’on nous refuse justice, nous nousla ferons nous-mêmes.

–&|160;Maudit soit le nom deVictorin&|160;!

–&|160;Oui, maudit… maudit… – répétèrent unefoule de voix menaçantes. – Maudit soit à jamais son nom&|160;!

Victoria, pâle, calme et imposante, s’était uninstant arrêtée devant Douarnek, qui fléchissait le genou en luiparlant… Mais lorsque les cris de&|160;: Mort à Victorin&|160;!maudit soit son nom&|160;! firent de nouveau explosion, ma sœur delait, dont le mâle et beau visage trahissait une angoisse mortelle,étendit les bras en présentant par un geste touchant son petit-filsaux soldats, comme si l’enfant eût demandé grâce et pitié pour sonpère[110].

Ce fut alors qu’éclatèrent avec plus deviolence ces cris&|160;:

–&|160;Mort à Victorin&|160;!… maudit soit sonnom&|160;!…

À ce moment j’ai vu mon compagnon de route,reconnaissable à sa casaque, dont le capuchon était toujoursrabaissé sur son visage, s’avancer d’un air menaçant vers Victoriaen criant&|160;:

–&|160;Oui, maudit soit le nom de Victorin…périsse à jamais sa race&|160;!…

Et cet homme arracha violemment l’enfant desbras de Victoria, le prit par les deux pieds, puis il le lança avecfurie sur les cailloux du chemin, où il lui brisa la tête[111]. Cet acte de férocité fut si brusque,si rapide, que lorsque Douarnek et plusieurs soldats indignés sejetèrent sur l’homme au capuchon, pour sauver l’enfant, cetteinnocente créature gisait sur le sol, la tête fracassée… J’entendisun cri déchirant poussé par Victoria, mais je ne pus l’apercevoirpendant quelques instants, les soldats l’ayant entourée, la croyantmenacée de quelque danger. J’appris ensuite qu’à la faveur dutumulte et de la nuit, l’auteur de ce meurtre horrible avaitéchappé… Les rangs des soldats s’étant ouverts de nouveau au milieud’un morne silence, j’ai revu, à quelques pas de ma maison,Victoria, le visage inondé de larmes, tenant entre ses bras lepetit corps inanimé du fils de Victorin. Alors du seuil de ma porteje dis à la foule muette et consternée&|160;:

–&|160;Vous demandez justice&|160;? Justiceest faite&|160;!… Moi, Scanvoch, j’ai tué Victorin&|160;: il estinnocent du meurtre de ma femme. Retirez-vous… laissez la mère descamps entrer dans ma maison pour y pleurer sur le corps de son filset de son petit-fils…

Victoria me dit alors d’une voix ferme ens’arrêtant au seuil de mon logis&|160;:

–&|160;Tu as tué mon fils pour venger tonoutrage&|160;?

–&|160;Oui, – ai-je répondu d’une voixétouffée&|160;; – oui, et dans l’obscurité j’ai aussi frappé mafemme…

–&|160;Viens, Scanvoch, viens fermer lespaupières d’Ellèn et de Victorin.

Et là elle entra chez moi au milieu dureligieux silence des soldats groupés au dehors&|160;; le capitaineMarion et Tétrik la suivirent&|160;; elle leur fit signe dedemeurer à la porte de la chambre mortuaire, où elle voulut resterseule avec moi et Sampso.

À la vue de ma femme, étendue morte sur leplancher, je me suis jeté à genoux en sanglotant, j’ai relevé sabelle tête, alors pâle et froide, j’ai clos ses paupières&|160;;puis, enlevant le corps entre mes bras, je l’ai placé sur sonlit&|160;; je me suis agenouillé, le front appuyé au chevet, etn’ai plus contenu mes gémissements… Je suis resté longtemps ainsi àpleurer, entendant les sanglots étouffés de Victoria. Enfin sa voixm’a rappelé à moi-même et à ce qu’elle devait aussi souffrir&|160;;je me suis retourné&|160;: je l’ai vue assise à terre auprès ducadavre de Victorin&|160;; sa tête reposait sur les genouxmaternels.

–&|160;Scanvoch, – me dit ma sœur de lait enécartant les cheveux qui couvraient le front glacé de Victorin, –mon fils n’est plus… je peux pleurer sur lui, malgré son crime… Levoilà donc mort&|160;! mort… à vingt-deux ans à peine&|160;!

–&|160;Mort… tué par moi… qui l’aimais commemon enfant&|160;!…

–&|160;Frère, tu as vengé ton honneur… je tepardonne et te plains…

–&|160;Hélas&|160;! j’ai frappé Victorin dansl’obscurité… je l’ai frappé en proie à un aveugle accès de rage… jel’ai frappé ignorant que ce fût lui&|160;! Hésus m’en esttémoin&|160;! Si j’avais reconnu votre fils, ô ma sœur&|160;! jel’aurais maudit, mais mon épée serait tombée à mes pieds…

Victoria m’a regardé silencieuse… mes parolesont paru la soulager d’un grand poids en lui apprenant que j’avaistué son fils sans le reconnaître&|160;; elle m’a tendu vivement lamain&|160;; j’y ai porté mes lèvres avec respect… Pendant quelquetemps nous sommes restés muets&|160;; puis elle a dit à la sœurd’Ellèn&|160;:

–&|160;Sampso, vous étiez ici cettenuit&|160;? Parlez, je vous prie… que s’est-il passé&|160;?…

–&|160;Il était minuit, – répondit Sampsod’une voix oppressée&|160;; – depuis deux heures Scanvoch nousavait quittées pour se mettre en route&|160;; je reposais iciauprès de ma sœur… j’ai entendu frapper à la porte de la maison…j’ai jeté un manteau sur mes épaules… je suis allée demander quiétait là&|160;: une voix de femme, à l’accent étranger, m’arépondu…

–&|160;Une voix de femme&|160;? – lui dis-jeavec un accent de surprise que partageait Victoria&|160;; – unevoix de femme vous a répondu, Sampso&|160;?

–&|160;Oui, c’était un piège&|160;; cette voixm’a dit&|160;: «&|160;Je viens de la part de Victoria donner àEllèn, femme de Scanvoch, parti depuis deux heures, un avistrès-important.&|160;»

Victoria et moi, à ces paroles de Sampso, nousavons échangé un regard d’étonnement croissant&|160;; elle acontinué&|160;:

–&|160;N’ayant aucune défiance contre lamessagère de Victoria, je lui ai ouvert… Aussitôt, au lieu d’unefemme, un homme s’est présenté devant moi, m’a repoussée violemmentdans le couloir d’entrée, et a verrouillé la porte en dedans… À laclarté de la lampe, que j’avais déposée à terre, j’ai reconnuVictorin… Il était pâle, effrayant… il pouvait à peine se soutenirsur ses jambes, tant il était ivre…

–&|160;Oh&|160;! le malheureux&|160;! lemalheureux&|160;! – me suis-je écrié&|160;; – il n’avait plus saraison&|160;! Sans cela jamais… oh&|160;! non, jamais… il n’eûtcommis pareil crime&|160;!…

–&|160;Continuez, Sampso, – lui dit Victoria,étouffant un soupir, – continuez…

–&|160;Sans m’adresser une parole, Victorinm’a montré l’entrée de la chambre que j’occupais, lorsque je nepartageais pas celle de ma sœur en l’absence de Scanvoch… Dans materreur j’ai tout deviné… j’ai crié à Ellèn&|160;: «&|160;Ma sœur,enferme-toi&|160;!&|160;» Puis de toutes mes forces, j’ai appelé ausecours… mes cris ont exaspéré Victorin&|160;; il s’est précipitésur moi et m’a jetée dans ma chambre… Au moment où il m’yenfermait, j’ai vu accourir Ellèn dans le couloir, pâle,épouvantée, demi-nue… J’ai entendu le bruit d’une lutte, les crisdéchirants de ma sœur appelant à son aide… et je n’ai plus rienentendu, plus rien… Je ne sais combien de temps s’était passé,lorsque l’on a frappé et appelé au dehors avec force… C’étaitScanvoch… J’ai répondu à sa voix du fond de ma chambre, dont je nepouvais sortir… Au bout de quelques instants ma porte s’estouverte… et j’ai vu Scanvoch…

–&|160;Et toi, – me dit Victoria, – commentes-tu revenu si brusquement ici&|160;?

–&|160;À quatre lieues de Mayence, l’on m’aaverti qu’un crime se commettait dans ma maison.

–&|160;Cet avertissement, qui te l’adonné&|160;?

–&|160;Un soldat, mon compagnon de voyage.

–&|160;Ce soldat, qui était-il&|160;? – me ditVictoria. – Comment avait-il connaissance de ce crime&|160;?

–&|160;Je l’ignore… il a disparu à travers laforêt en me donnant ce sinistre avis… Ce soldat, revenu ici avantmoi… ce soldat est le même qui, arrachant ton petit-fils d’entretes bras, l’a tué à tes pieds…

–&|160;Scanvoch, – reprit Victoria enfrémissant et portant ses deux mains à son front, – mon fils estmort… je ne veux ni l’accuser ni l’excuser… mais, crois-moi… cecrime cache quelque horrible mystère&|160;!…

–&|160;Écoutez, – lui dis-je me rappelantplusieurs circonstances dont le souvenir m’avait échappé dans lepremier égarement de ma douleur. – Arrivé devant la porte de mamaison, j’ai heurté&|160;; les cris lointains de Sampso m’ont seulsrépondu… Peu d’instants après, la fenêtre basse de la chambre de mafemme s’est ouverte, j’y ai couru&|160;: les volets s’écartaientpour livrer passage à un homme, tandis que Ellèn criait au secours…J’ai repoussé l’homme dans la chambre, alors noire comme une tombe,et j’ai, dans l’ombre, frappé votre fils. Presque aussitôt deuxbras m’ont étreint… Je me suis cru attaqué par un nouvelassaillant… J’ai encore frappé dans l’ombre… c’était Ellèn que jetuais…

Et je n’ai pu contenir mes sanglots.

–&|160;Frère, frère… – m’a dit Victoria, –c’est une terrible et fatale nuit que celle-ci…

–&|160;Écoutez encore… et surtout écoutezceci… – ai-je dit à ma sœur de lait, en surmontant mon émotion. –Au moment où je reconnaissais la voix expirante de ma femme, j’aivu à la clarté lunaire une femme debout sur l’appui de lacroisée…

–&|160;Une femme&|160;! – s’écriaVictoria.

–&|160;Celle-là peut-être dont la voix m’avaittrompée, – dit Sampso, – en m’annonçant un message de la mère descamps…

–&|160;Je le crois, – ai-je repris, – et cettefemme, sans doute complice du crime de Victorin, l’a appelé, luidisant qu’il fallait fuir… qu’elle était à lui, puisqu’il avaittenu sa promesse.

–&|160;Sa promesse&|160;? – reprit Victoria, –quelle promesse&|160;?

–&|160;Le déshonneur d’Ellèn&|160;!…

Ma sœur de lait tressaillit etajouta&|160;:

–&|160;Je te dis, Scanvoch, que ce crime estentouré d’un horrible mystère… Mais cette femme, quiétait-elle&|160;?

–&|160;Une des deux bohémiennes arrivées àMayence depuis quelque temps… Écoutez encore… La Bohémienne nerecevant pas de réponse de Victorin, et entendant au loin letumulte des soldats accourant furieux, la Bohémienne adisparu&|160;; et bientôt après, le bruit de son chariotm’apprenait sa fuite… Dans mon désespoir, je n’ai pas songé à lapoursuivre… Je venais de tuer Ellèn à côté du berceau de mon fils…Ellèn, ma pauvre et bien-aimée femme&|160;!…

En disant ces mots, je n’ai pu m’empêcher depleurer encore… Sampso et Victoria gardaient le silence.

–&|160;C’est un abîme&|160;! – reprit la mèredes camps, – un abîme où ma raison se perd… Le crime de mon filsest grand… son ivresse, loin de l’excuser, le rend plus honteuxencore… et cependant, Scanvoch, tu ne sais peut-être pas combien cemalheureux enfant t’aimait…

–&|160;Ne me dites pas cela, Victoria, – ai-jemurmuré en cachant mon visage entre mes mains, – ne me dites pascela… mon désespoir ne peut être plus affreux&|160;!…

–&|160;Ce n’est pas un reproche, mon frère, –a repris Victoria. – Moi, témoin du crime de mon fils, je l’auraistué de ma main, pour qu’il ne déshonorât pas plus longtemps et samère et la Gaule qui l’a choisi pour chef… Je te rappellel’affection de Victorin pour toi, parce que je crois que sans sonivresse, et je ne sais quelle machination ténébreuse, il n’eût pascommis ce forfait…

–&|160;Et moi, ma sœur, cette trame infernale,je crois la saisir…

–&|160;Toi&|160;?

–&|160;Avant la grande bataille du Rhin unecalomnie infâme a été répandue contre Victorin. L’armée s’éloignaitde lui… est-ce vrai&|160;?

–&|160;C’est vrai…

–&|160;La victoire de ton fils lui avaitramené l’affection des soldats… Voici qu’aujourd’hui cette anciennecalomnie devient une terrible réalité… Le crime de Victorin luicoûte la vie… ainsi qu’à son fils&|160;: sa race est éteinte, unnouveau chef doit être donné à la Gaule, est-ce vrai&|160;?

–&|160;Oui.

–&|160;Ce soldat inconnu, mon compagnon deroute, en me révélant cette nuit qu’un crime se commettait dans mamaison, ne savait-il pas que si je n’arrivais pas à temps pour tuerVictorin dans le premier accès de ma rage, il serait massacré parles troupes soulevées contre lui à la nouvelle de ceforfait&|160;?

–&|160;Et ce forfait, – dit Sampso, – commentl’armée l’a-t-elle connu sitôt, puisque personne encore n’avait pusortir de cette maison&|160;?…

La mère des camps, frappée de cette réflexionde Sampso, me regarda. Je continuai&|160;:

–&|160;Quel est l’homme, Victoria, qui,arrachant de vos bras votre petit-fils, l’a tué à vos pieds&|160;?Encore ce soldat inconnu&|160;!

–&|160;C’est vrai… – répondit Victoriapensive, – c’est vrai…

–&|160;Ce soldat a-t-il cédé à un emportementde fureur aveugle contre cet innocent enfant&|160;? Non… Il a doncété l’instrument d’une ambition aussi ténébreuse que féroce… Unseul homme avait intérêt au double meurtre qui vient d’éteindrevotre race, ma sœur… car votre race éteinte, la Gaule doit choisirun nouveau chef… Et l’homme que je soupçonne, l’homme que j’accuseveut depuis longtemps gouverner la Gaule&|160;!…

–&|160;Son nom&|160;! – s’écria Victoria enattachant sur moi un regard plein d’angoisse, – le nom de cet hommeque tu soupçonnes, que tu accuses&|160;?…

–&|160;Son nom est Tétrik, oui, Tétrik,gouverneur de Gascogne, et votre parent, ma sœur…

Pour la première fois, Victoria, depuis que jelui avais exprimé mes doutes sur son parent, sembla lespartager&|160;; elle jeta les yeux sur son fils avec une expressionde pitié douloureuse, baisa de nouveau et à plusieurs reprises sonfront glacé&|160;; puis, après quelques instants de réflexionprofonde, elle prit une résolution suprême, se releva, et me ditd’une voix ferme&|160;:

–&|160;Où est Tétrik&|160;?

–&|160;Il attend au dehors avec le capitaineMarion.

–&|160;Qu’ils viennent tous deux.

–&|160;Quoi&|160;! vous voulez&|160;?…

–&|160;Je veux qu’ils viennent tous deux àl’instant.

–&|160;Ici… dans cette chambremortuaire&|160;?

–&|160;Ici, dans cette chambre mortuaire… Oui,ici, Scanvoch, devant les restes inanimés de ta femme, de mon filset de son enfant. Si cet homme a noué cette ténébreuse et horribletrame, cet homme, fût-il un démon d’hypocrisie et de férocité, setrahira par son trouble à la vue de ses victimes… à la vue d’unemère entre les corps de son fils et de son petit-fils… à la vued’un époux près du corps de sa femme&|160;! Va, mon frère, qu’ilsviennent… qu’ils viennent… Il faut aussi retrouver à tout prix cesoldat inconnu, ton compagnon de route.

–&|160;J’y songe… – ajoutai-je, frappé d’unsouvenir soudain, – c’est le capitaine Marion qui a choisi cecavalier dont j’étais escorté… il le connaît.

–&|160;Nous interrogerons le capitaine… Va,mon frère, qu’ils viennent… qu’ils viennent&|160;!…

J’obéis à Victoria… J’appelai Tétrik etMarion&|160;; ils accoururent.

J’eus le courage, malgré ma douleur,d’observer attentivement la physionomie du gouverneur de Gascogne…Dès qu’il entra, le premier objet qui parut frapper ses regards futle cadavre de Victorin… Les traits de Tétrik prirent aussitôt uneexpression déchirante, ses larmes coulèrent à flots, et se jetant àgenoux auprès du corps en joignant les mains, il s’écria d’une voixentrecoupée&|160;:

–&|160;Mort à la fleur de son âge… mort… luisi vaillant… si généreux&|160;! lui, l’espoir, la forte épée de laGaule… Ah&|160;! j’oublie les égarements de cet infortuné devantl’affreux malheur qui frappe mon pays… Par ta mort&|160;! Victorin…oh&|160;! Victorin…

Tétrik ne put continuer, les sanglotsétouffèrent sa voix. À genoux et affaissé sur lui-même, le visagecaché entre ses deux mains, pleurant à chaudes larmes, il restaitcomme écrasé de douleur auprès du corps de Victorin.

Le capitaine Marion, debout et immobile auseuil de la porte, semblait en proie à une profonde émotionintérieure&|160;; il n’éclatait pas en gémissements, il ne versaitpas de larmes, mais il ne cessait de contempler avec une expressionnavrante le corps du petit-fils de Victoria, étendu sur le berceaude mon fils, à moi&|160;; puis j’entendis seulement Marion diretout bas, en regardant tour à tour l’innocente victime etVictoria&|160;:

–&|160;Quel malheur&|160;!… Ah&|160;! lepauvre enfant&|160;!… ah&|160;! la pauvre mère&|160;!…

S’avançant ensuite de quelques pas, lecapitaine ajouta d’une voix brève et entrecoupée&|160;:

–&|160;Victoria, vous êtes très à plaindre, etje vous plains… Victorin vous chérissait… c’était un dignefils&|160;! je l’aimais aussi. J’ai la barbe grise, et je meplaisais à servir sous ce jeune homme. Je le sentais mongénéral&|160;; c’était le premier capitaine de notre temps… aucund’entre nous ne le remplacera&|160;; il n’avait que deuxvices&|160;: le goût du vin, et surtout sa peste de luxure&|160;;je l’ai souvent beaucoup querellé là-dessus… j’avais raison, vousle voyez… Enfin, il n’y a plus à le quereller maintenant… C’était,au fond, un brave cœur&|160;! oui, oh&|160;! oui, un brave cœur… Jene peux vous en dire davantage, Victoria&|160;; d’ailleurs, à quoibon&|160;? On ne console pas une mère… Ne me croyez pas insensibleparce que je ne pleure point… On pleure quand on le peut&|160;;mais enfin je vous assure que je vous plains, que je vous plains dufond de mon âme… J’aurais perdu mon ami Eustache, que je ne seraisni plus affligé, ni plus abattu…

Et se reculant de quelques pas, Marion jeta denouveau, et tour à tour, les yeux sur Victoria et sur le corps deson petit-fils en répétant&|160;:

–&|160;Ah&|160;! le pauvre enfant&|160;!ah&|160;! la pauvre mère&|160;!

Tétrik, toujours agenouillé auprès deVictorin, ne cessait de sangloter, de gémir. Aussi expansive quecelle du capitaine Marion semblait contenue, sa douleur semblaitsincère. Cependant mes soupçons résistaient à cette épreuve, et masœur de lait partageait mes doutes. Elle fit de nouveau un violenteffort sur elle-même, et dit&|160;:

–&|160;Tétrik, écoutez-moi.

Le gouverneur de Gascogne ne parut pasentendre la voix de sa parente.

–&|160;Tétrik, – reprit Victoria en sebaissant pour toucher son parent à l’épaule, – je vous parle,répondez-moi.

–&|160;Qui me parle&|160;? – s’écria legouverneur d’un air égaré. – Que me veut-on&|160;? Oùsuis-je&|160;?…

Puis, levant les yeux sur ma sœur de lait, ils’écria&|160;:

–&|160;Vous ici…, ici, Victoria&|160;?… Oui,tout à l’heure je vous accompagnais… je ne me le rappelais plus…Excusez-moi, j’ai la tête perdue… Hélas&|160;! je suis père… j’aiun fils presque de l’âge de cet infortuné&|160;; mieux que personneje compatis à votre désespoir, Victoria.

–&|160;Le temps presse et le moment est grave,– reprit ma sœur de lait d’une voix solennelle, en attachant surTétrik un regard pénétrant, afin de lire au plus profond de lapensée de cet homme. – La douleur privée doit se taire devantl’intérêt public… Il me reste toute ma vie pour pleurer mon fils etmon petit-fils… Nous n’avons que quelques heures pour songer auremplacement du chef de la Gaule et du général de son armée…

–&|160;Quoi&|160;!… – s’écria Tétrik, – dansun tel moment… vous voulez…

–&|160;Je veux qu’avant la fin de la nuit,moi, le capitaine Marion et vous, Tétrik, vous, mon parent, vous,l’un de mes plus fidèles amis, vous, si dévoué à la Gaule, vous quiregrettez si amèrement, si sincèrement Victorin, nous cherchionstous trois, dans notre sagesse, quel homme nous devons proposerdemain matin à l’armée comme successeur de mon fils.

–&|160;Victoria, vous êtes une femmehéroïque&|160;! – s’écria Tétrik en joignant les mains avecadmiration. – Vous égalez par votre courage, par votre patriotisme,les femmes les plus augustes dont s’honore l’histoire dumonde&|160;!…

–&|160;Quel est votre avis, Tétrik, sur lesuccesseur de Victorin&|160;?… Le capitaine Marion et moi, nousparlerons après vous, – reprit la mère des camps, sans paraîtreentendre les louanges du gouverneur de Gascogne. – Oui, quel hommecroyez-vous capable de remplacer mon fils… à la gloire et àl’avantage de la Gaule&|160;?

–&|160;Comment pourrais-je vous donner monavis&|160;? – reprit Tétrik avec accablement. – Moi, vousconseiller sur un sujet aussi grave, lorsque j’ai le cœur brisé, laraison troublée par la douleur… est-ce donc possible&|160;?

–&|160;Cela est possible, puisque me voici,moi… entre le corps de mon fils et celui de mon petit-fils, prête àdonner mon avis…

–&|160;Vous l’exigez, Victoria&|160;?… jeparlerai, si je puis toutefois rassembler deux idées… Il faudrait,selon moi, pour gouverner la Gaule, un homme sage, ferme, éclairé,plus enclin à la paix qu’à la guerre… maintenant surtout que nousn’avons plus à redouter le voisinage des Franks, grâce à l’épée dece jeune héros, que j’aimais et que je regretteraiéternellement…

Le gouverneur s’interrompit pour donner denouveau cours à ses larmes.

–&|160;Nous pleurerons plus tard… – repritVictoria. – La vie est longue… mais cette nuit s’avance…

Tétrik continua, en essuyant sesyeux&|160;:

–&|160;Il me semble donc que le successeur denotre Victorin doit être un homme surtout recommandable par son bonsens, sa ferme raison et par son dévouement longuement éprouvé auservice de notre bien-aimée patrie… Or, si je ne me trompe, le seulqui réunisse ces excellentes qualités, c’est le capitaine Marionque voici…

–&|160;Moi&|160;? – s’écria le capitaine enlevant au plafond ses deux mains énormes, – moi&|160;! chef de laGaule… Le chagrin vous rend donc fou… Moi&|160;! chef de laGaule&|160;!…

–&|160;Capitaine Marion, – repritdouloureusement Tétrik, – certes, la mort affreuse de Victorin etde son innocent enfant jette dans mon cœur le trouble et ladésolation&|160;; mais je crois parler en ce moment, non pas enfou, mais en sage… et Victoria partagera mon avis. Sans jouir del’éclatante renommée militaire de notre Victorin, à jamaisregretté… vous avez mérité, capitaine Marion, la confiance etl’affection des troupes par vos bons et nombreux services. Ancienouvrier forgeron, vous avez quitté le marteau pour l’épée&|160;;les soldats verront en vous un de leurs égaux devenu leur chef parsa vaillance et leur libre choix&|160;; ils s’affectionneront àvous davantage encore, sachant surtout que, parvenu aux gradeséminents, vous n’avez jamais oublié votre amitié pour votre anciencamarade d’enclume.

–&|160;Oublier mon ami Eustache&|160;! – ditMarion&|160;; – oh&|160;! jamais&|160;!… non, jamais&|160;!…

–&|160;L’austérité de vos mœurs est connue, –reprit Tétrik, – votre excellent bon sens, votre droiture, votrefroide raison sont, selon mon pauvre jugement, un sûr garant devotre avenir… Vous mettez en pratique cette sage pensée deVictoria, qu’à cette heure le temps de guerres stériles est fini,et que le moment est venu de songer à la paix féconde… Un derniermot, capitaine, – ajouta Tétrik, voyant que Marion allaitl’interrompre. – J’en conviens, la tâche est lourde, elle doiteffrayer votre modestie&|160;; mais cette femme héroïque, qui, dansce moment terrible, oublie son désespoir maternel pour ne songerqu’au salut de notre bien-aimée patrie, Victoria, j’en suiscertain, en vous présentant aux soldats comme successeur de sonfils, et certaine de vous faire accepter par eux, prendral’engagement de vous aider de ses précieux conseils, de mêmequ’elle inspirait les meilleures résolutions de son valeureux fils…Et maintenant, capitaine Marion, si ma faible voix peut êtreécoutée de vous, je vous adjure… je vous supplie, au nom du salutde la Gaule, d’accepter le pouvoir. Victoria se joint à moi pourvous demander cette nouvelle preuve de dévouement à notre glorieuxpays&|160;!

–&|160;Tétrik, – reprit Marion d’un ton grave,– vous avez supérieurement défini l’homme qu’il faudrait pourgouverner la Gaule&|160;; il n’y a qu’une chose à changer danscette peinture, c’est le nom du portrait… Au lieu de mon nom,mettez-y le vôtre… tout sera bien… et tout sera fait…

–&|160;Moi&|160;! – s’écria Tétrik, – moi,chef de la Gaule&|160;! Moi, qui de ma vie n’ai tenul’épée&|160;!

–&|160;Victoria l’a dit, – reprit Marion, – letemps de la guerre est fini, le temps de la paix est venu&|160;; entemps de guerre, il faut des hommes de guerre… en temps de paix,des hommes de paix… Vous êtes de ceux-là, Tétrik… c’est à vous degouverner… N’est-ce point votre avis, Victoria&|160;?

–&|160;Tétrik, par la manière dont il agouverné la Gascogne, a montré comment il gouvernerait la Gaule, –répondit ma sœur de lait&|160;; – je me joins donc à vous,capitaine, pour prier… mon parent… mon ami… de remplacer monfils…

–&|160;Que vous avais-je dit, Tétrik&|160;? –reprit Marion en s’adressant au gouverneur. – Oserez-vous refusermaintenant&|160;?

–&|160;Écoutez-moi, Victoria, écoutez-moi,capitaine, écoutez aussi, Scanvoch, – reprit le gouverneur en setournant vers moi, – oui, vous aussi, écoutez-moi, Scanvoch, vousnon moins malheureux en ce jour que la mère de Victorin… vous qui,dans l’ombrageuse défiance de votre amitié pour cette femmeauguste, avez douté de moi, croyez tous à mes paroles… Je suis àjamais frappé… là, au cœur, par les événements de cette nuitterrible&|160;; ils nous ont à la fois ravi, dans la personne denotre infortuné Victorin et de son innocent enfant, le présent etl’avenir de la Gaule… C’était pour assurer, pour affermir cetavenir, en engageant Victoria à proposer aux troupes son petit-filscomme futur héritier de Victorin, que j’étais, elle le sait, venu àMayence… Mes espérances sont détruites… un deuil éternel lesremplace…

Le gouverneur, s’étant un moment interrompupour donner cours à ses larmes intarissables, poursuivitainsi&|160;:

–&|160;Ma résolution est prise… Non-seulementje refuse le pouvoir que l’on m’offre, mais je renonce augouvernement de Gascogne… Le peu de jours que les dieux m’accordentencore à vivre s’écouleront désormais auprès de mon fils dans laretraite et la douleur. En d’autres temps j’aurais pu rendrequelques services au pays, mais tout est fini pour moi…J’emporterai dans ma solitude de moins cruels regrets en sachantl’avenir de mon pays entre des mains aussi dignes que les vôtres,capitaine Marion… en sachant enfin que Victoria, le divin génie dela Gaule, veillera toujours sur elle… Maintenant, Scanvoch, –ajouta le gouverneur de Gascogne en se tournant vers moi, – ai-jedétruit vos soupçons&|160;? me croyez-vous encore unambitieux&|160;? Mon langage, mes actes, sont-ils ceux d’unperfide&|160;? d’un traître&|160;? Hélas&|160;! hélas&|160;! je nepensais pas que les affreux malheurs de cette nuit me donneraientsitôt l’occasion de me justifier…

–&|160;Tétrik, – dit Victoria en tendant lamain à son parent, – si j’avais pu douter de votre loyauté, jereconnaîtrais à cette heure combien mon erreur était grande…

–&|160;Je l’avoue, mes soupçons n’étaient pasfondés, – ai-je ajouté à mon tour&|160;; car, après tout ce que jevenais de voir et d’entendre, je fus convaincu, comme Victoria, del’innocence de son parent…

Cependant, songeant toujours au mystère dontles événements de la nuit restaient enveloppés, je dis à Marion,qui, muet et pensif, semblait consterné des offres qu’on luifaisait&|160;:

–&|160;Capitaine, hier, dans la journée, jevous ai demandé un homme discret et sûr pour me servird’escorte.

–&|160;C’est vrai.

–&|160;Vous savez le nom du soldat désigné parvous pour ce service&|160;?

–&|160;Ce n’est pas moi qui l’ai choisi…j’ignore son nom.

–&|160;Qui donc a fait ce choix&|160;? –demanda Victoria.

–&|160;Mon ami Eustache connaît chaque soldatmieux que moi&|160;; je l’ai chargé de me trouver un homme sûr, etde lui donner l’ordre de se rendre, la nuit venue, à la porte de laville, où il attendrait le cavalier qu’il devait accompagner.

–&|160;Et depuis, – ai-je dit au capitaine, –vous n’avez pas revu votre ami Eustache&|160;?

–&|160;Non&|160;; il est de garde auxavant-postes du camp depuis hier soir, et il ne sera relevé deservice que ce matin.

–&|160;On pourra du moins savoir par cet hommele nom du cavalier qui escortait Scanvoch, – reprit Victoria. – Jevous dirai plus tard, Tétrik, l’importance que j’attache à cerenseignement, et vous me conseillerez…

–&|160;Vous m’excuserez, Victoria, de ne pasme rendre à votre désir, – reprit le gouverneur en soupirant. –Dans une heure, au point du jour, j’aurai quitté Mayence… la vue deces lieux m’est trop cruelle… Je possède une humble retraite enGascogne, c’est là que je vais aller ensevelir ma vie, en compagniede mon fils, car il est désormais la seule consolation qui mereste…

–&|160;Mon ami, – reprit Victoria d’un ton dedouloureux reproche, – vous m’abandonneriez dans un pareilmoment&|160;?… L’aspect de ces lieux vous est cruel, dites-vous, età moi… ces lieux ne me rappelleront-ils pas chaque jour d’affreuxsouvenirs&|160;? Pourtant je ne quitterai Mayence que lorsque lecapitaine Marion n’aura plus besoin de mes conseils, s’il croitdevoir m’en demander dans les premiers temps de songouvernement.

–&|160;Victoria, – reprit Marion d’un accentrésolu, – pendant cet entretien, où l’on a disposé de moi, je n’airien dit&|160;; je suis peu parleur, et cette nuit j’ai le cœurtrès-gros&|160;; j’ai donc peu parlé, mais j’ai beaucoup réfléchi…Mes réflexions, les voici&|160;: J’aime le métier des armes, jesais exécuter les ordres d’un général, je ne suis pas malhabile àcommander aux troupes qu’on me confie&|160;; je sais, au besoin,concevoir un plan d’attaque, comme celui qui a complété la grandevictoire de Victorin, en détruisant le camp et la réserve desFranks… C’est vous dire, Victoria, que je ne me crois pas plus sotqu’un autre… En raison de quoi, j’ai le bon sens de comprendre queje suis incapable de gouverner la Gaule…

–&|160;Cependant, capitaine Marion, – repritTétrik, – j’en atteste Victoria, cette tâche n’est pas au-dessus devos forces, et je…

–&|160;Oh&|160;! quant à ma force, elle estconnue, – reprit Marion en interrompant le gouverneur. – Amenez-moiun bœuf, je le porterai sur mon dos, ou je l’assommerai d’un coupde poing&|160;; mais des épaules carrées ne vous font pas le chefd’un grand peuple… Non, non…, je suis robuste, soit&|160;; mais lefardeau est trop lourd… Donc, Victoria, ne me chargez point d’untel poids, je faiblirais dessous… et la Gaule faiblirait à son toursous ma défaillance… Et puis, enfin, il faut tout dire, j’aime,après mon service, à rentrer chez moi pour vider un pot de cervoiseen compagnie de mon ami Eustache, en causant de notre ancien métierde forgeron, ou en nous amusant à fourbir nos armes en finsarmuriers… Tel je suis, Victoria, tel j’ai toujours été… tel jeveux demeurer…

–&|160;Et ce sont là des hommes&|160;! ôHésus&|160;!… – s’écria la mère des camps avec indignation. – Moi,femme… moi, mère… j’ai vu mourir cette nuit mon fils et monpetit-fils… j’ai le courage de contenir ma douleur… et ce soldat, àqui l’on offre le poste le plus glorieux qui puisse illustrer unhomme, ose répondre par un refus, prétextant de son goût pour lacervoise et le fourbissement des armures&|160;!… Ah&|160;!malheur&|160;! malheur à la Gaule&|160;! si ceux-là qu’elle regardecomme ses plus valeureux enfants l’abandonnent aussilâchement&|160;!…

Les reproches de la mère des campsimpressionnèrent le capitaine Marion&|160;; il baissa la tête d’unair confus, garda pendant quelques instants le silence&|160;; puisil reprit&|160;:

–&|160;Victoria, il n’y a ici qu’une âmeforte&|160;; c’est la vôtre… Vous me donnez honte de moi-même…Allons, – ajouta-t-il avec un soupir, – allons… vous le voulez…j’accepte… Mais les dieux m’en sont témoins… j’accepte par devoiret à mon cœur défendant&|160;; si je commets des âneries comme chefde la Gaule, on sera mal venu à me le reprocher… J’accepte donc,Victoria, sauf deux conditions sans lesquelles rien n’est fait.

–&|160;Quelles sont ces conditions&|160;? –demanda Tétrik.

–&|160;Voici la première, – repritMarion&|160;: – la mère des camps continuera de rester à Mayence etme donnera ses conseils… Je suis aussi neuf à mon nouveau métierqu’un apprenti forgeron mettant pour la première fois le fer aubrasier, et je crains de me brûler les doigts…

–&|160;Je vous l’ai promis, Marion, – repritma sœur de lait&|160;; – je resterai ici tant que ma présence etmes conseils vous seront nécessaires…

–&|160;Victoria, si votre esprit se retiraitde moi, je serais un corps sans âme… Aussi, je vous remercie dufond du cœur. La promesse que vous me faites là doit vous coûterbeaucoup, pauvre femme… Pourtant, – ajouta le capitaine avec sabonhomie habituelle, – n’allez pas me croire assez sottementglorieux pour m’imaginer que c’est à ce bon gros taureau de guerre,nommé Marion, que Victoria la Grande fait ce sacrifice, d’oublierses chagrins pour le guider… Non, non… c’est à notre vieille Gauleque Victoria le fait, ce sacrifice&|160;; et, en bon fils, je suisaussi reconnaissant du bien que l’on veut à ma vieille mère ques’il s’agissait de moi-même…

–&|160;Noblement dit, noblement pensé, Marion,– reprit Victoria, touchée de ces paroles du capitaine&|160;; –mais votre droiture, votre bon sens, vous mettront bientôt à mêmede vous passer de mes conseils, et alors, – ajouta-t-elle avec unaccent de douleur profonde et contenue, – je pourrai, comme vous,Tétrik, aller m’ensevelir dans quelque solitude avec mesregrets…

–&|160;Hélas&|160;! – reprit le gouverneur, –pleurer en paix est la seule consolation des pertes irréparables…Mais, – ajouta-t-il en s’adressant au capitaine, – vous aviez parléde deux conditions&|160;; Victoria accepte la première, quelle estla seconde&|160;?

–&|160;Oh&|160;! la seconde… – et le capitainesecoua la tête, – la seconde est pour moi aussi importante que lapremière…

–&|160;Enfin, quelle est-elle&|160;? – demandama sœur de lait. – Expliquez-vous, Marion.

–&|160;Je ne sais, – reprit le bon capitained’un air naïf et embarrassé, – je ne sais si je vous ai parlé demon ami Eustache&|160;?

–&|160;Oui, et plus d’une fois, – réponditTétrik. – Mais qu’a de commun votre ami Eustache avec vos nouvellesfonctions&|160;?

–&|160;Comment&|160;! – s’écria Marion, – vousme demandez ce que mon ami Eustache a de commun avec moi&|160;?…Alors demandez ce que la garde de l’épée a de commun avec la lame,le marteau avec son manche, le soufflet avec la forge…

–&|160;Vous êtes enfin liés l’un à l’autred’une ancienne et étroite amitié, nous le savons, – repritVictoria. – Désirez-vous, capitaine, accorder quelque faveur àvotre ami&|160;?

–&|160;Je ne consentirais jamais à me séparerde lui&|160;; il n’est pas gai, il est toujours maussade, etsouvent hargneux&|160;; mais il m’aime autant que je l’aime, etnous ne pouvons nous passer l’un de l’autre… Or, l’on trouverapeut-être surprenant que le chef de la Gaule ait pour ami intime etpour commensal un soldat, un ancien ouvrier forgeron… Mais, je vousl’ai dit, Victoria, s’il faut me séparer de mon ami Eustache, rienn’est fait… je refuse… Son amitié seule peut me rendre le fardeausupportable.

–&|160;Scanvoch, mon frère de lait, restésimple cavalier de l’armée, n’est-il pas mon ami&|160;? – ditVictoria. – Personne ne s’étonne d’une amitié qui nous honore tousdeux. Il en sera ainsi, capitaine Marion, de votre amitié pourvotre ancien compagnon de forge.

–&|160;Et votre élévation, capitaine Marion,doublera votre mutuelle affection, – dit Tétrik&|160;; – car dansson tendre attachement, votre ami jouira peut-être de votreélévation plus que vous-même.

–&|160;Je ne crois pas que mon ami Eustache seréjouisse fort de mon élévation, – reprit Marion&|160;; – Eustachen’est point glorieux, tant s’en faut&|160;; il aime en moi sonancien camarade d’enclume, et non le capitaine&|160;; il sesouciera peu de ma nouvelle dignité… Seulement, Victoria,rappelez-vous toujours ceci&|160;: De même que vous me ditesaujourd’hui&|160;: «&|160;Marion, vous êtes nécessaire…&|160;» nevous contraignez jamais, je vous en conjure, pour me dire&|160;:«&|160;Marion, allez-vous-en, vous n’êtes plus bon à rien&|160;; unautre remplira mieux la place que vous…&|160;» Je comprendrai àdemi-mot, et bien allègrement je retournerai bras dessus brasdessous, avec mon ami Eustache, à notre pot de cervoise et à nosarmures&|160;; mais tant que vous me direz&|160;: «&|160;Marion, ona besoin de vous,&|160;» je resterai chef de la Gaule, – et ilétouffa un dernier soupir, – puisque chef je suis…

–&|160;Et chef vous resterez longtemps, à lagloire de la Gaule, – reprit Tétrik. – Croyez-moi, capitaine, vousvous ignorez vous-même&|160;; votre modestie vous aveugle&|160;;mais ce matin, lorsque Victoria va vous proposer aux soldats commechef et général, les acclamations de toute l’armée vous apprendrontenfin vos mérites.

–&|160;Le plus étonné de mes mérites, ce seramoi, – reprit naïvement le bon capitaine. – Enfin, j’ai promis,c’est promis… comptez sur moi, Victoria, vous avez ma parole. Je meretire… je vais maintenant aller attendre mon ami Eustache… Voicil’aube, il va revenir des avant-postes, où il est de garde depuishier soir, et il serait inquiet de ne point me trouver cematin.

–&|160;N’oubliez pas, capitaine, – lui ai-jedit, – de demander à votre ami le nom du soldat qu’il avait choisipour m’accompagner.

–&|160;J’y songerai, Scanvoch.

–&|160;Et maintenant, adieu… – dit d’une voixétouffée le gouverneur à Victoria, – adieu… Le soleil va bientôtparaître… Chaque instant que je passe ici est pour moi unsupplice…

–&|160;Ne resterez-vous pas du moins à Mayencejusqu’à ce que les cendres de mes deux enfants soient rendues à laterre&|160;? – dit Victoria au gouverneur. – N’accorderez-vous pasce religieux hommage à la mémoire de ceux-là qui viennent de nousaller précéder dans ces mondes inconnus où nous irons les retrouverun jour&|160;?… Fasse Hésus que ce jour arrive bientôt pourmoi&|160;!

–&|160;Ah&|160;! notre foi druidique seratoujours la consolation des fortes âmes et le soutien des faibles,– reprit Tétrik. – Hélas&|160;! sans la certitude de rejoindre unjour ceux que nous avons aimés, combien leur mort nous serait plusaffreuse&|160;!… Croyez-moi, Victoria, je reverrai avant vousceux-là que nous pleurons&|160;; et, selon votre désir, je leurrendrai aujourd’hui, avant mon départ un dernier et religieuxhommage.

Tétrik et le capitaine Marion nous laissèrentseuls, Victoria, Sampso et moi.

Ne contraignant plus nos larmes, nous avons,dans un pieux et muet recueillement, paré Ellèn de ses habits demariage, pendant que, cédant au sommeil, tu dormais dans tonberceau, mon enfant.

Victoria, pour s’occuper des plus grandsintérêts de la Gaule, avait héroïquement contenu sa douleur&|160;;elle lui donna un libre cours après le départ de Tétrik et deMarion&|160;; elle voulut laver elle-même les blessures de son filset de son petit-fils&|160;; et de ses mains maternelles, elle lesensevelit dans un même linceul. Deux bûchers furent dressés sur lesbords du Rhin&|160;: l’un destiné à Victorin et son enfant, etl’autre à ma femme Ellèn.

Vers le milieu du jour, deux chariots deguerre, couverts de feuillage, et accompagnés de plusieurs de nosdruides et de nos druidesses vénérées, se rendirent à ma maison. Lecorps de ma femme Ellèn fut déposé dans l’un des chariots, et dansl’autre furent placés les restes de Victorin et de son fils.

–&|160;Scanvoch, – me dit Victoria, – jesuivrai à pied le char où repose ta bien-aimée femme. Soismiséricordieux, mon frère… suis le char où sont déposés les restesde mon fils et de mon petit-fils. Aux yeux de tous, toi, l’épouxoutragé, tu pardonneras ainsi à la mémoire de Victorin… Et moiaussi, aux yeux de tous, je te pardonnerai, comme mère, la mort,hélas&|160;! trop méritée de mon fils…

J’ai compris ce qu’il y avait de touchant danscette mutuelle pensée de miséricorde et de pardon. Le vœu de masœur de lait a été accompli. Une députation des cohortes et deslégions accompagna ce deuil… Je le suivis avec Victoria, Sampso,Tétrik et Marion. Les premiers officiers du camp se joignirent ànous. Nous marchions au milieu d’un morne silence. La premièreexaltation contre Victorin passée, l’armée se souvint de sabravoure, de sa bonté, de sa franchise&|160;; tous, me voyant, moi,victime d’un outrage qui me coûtait la vie d’Ellèn, donner un telgage de pardon à Victorin, en suivant le char où il reposait&|160;;tous, voyant sa mère suivre le char où reposait Ellèn, tousn’eurent plus que des paroles de pardon et de pitié pour la mémoiredu jeune général.

Le convoi funèbre approchait des bords dufleuve, où se dressaient les deux bûchers, lorsque Douarnek, quimarchait à la tête d’une députation des cohortes, profita d’unmoment de halte, s’approcha de moi, et me dit tristement&|160;:

–&|160;Scanvoch, je te plains… Donnel’assurance à Victoria, ta sœur, que nous autres soldats, nous nenous souvenons plus que de la vaillance de son glorieux fils… Il aété si longtemps aussi notre fils bien-aimé à nous… Pourquoifaut-il qu’il ait méprisé les franches et sages paroles que je luiai portées au nom de notre armée, le soir de la grande bataille duRhin… Si Victorin, suivant nos conseils, s’était amendé, tant demalheurs ne seraient pas arrivés…

–&|160;Ce que tu me dis consolera Victoriadans sa douleur, – ai-je répondu à Douarnek. – Mais sais-tu cequ’est devenu ce soldat, vêtu d’une casaque à capuchon, qui a eu labarbarie de tuer le petit-fils de Victoria&|160;?

–&|160;Ni moi, ni ceux qui m’entouraient aumoment où cet abominable crime a été commis, nous n’avons purejoindre ce scélérat, que ne désavoueraient pas les écorcheursfranks&|160;; il nous a échappé à la faveur du tumulte et del’obscurité. Il se sera sauvé du côté des avant-postes du camp, oùil a, grâce aux dieux, reçu le prix de son forfait.

–&|160;Il est mort&|160;!…

–&|160;Tu connais peut-être Eustache, cetancien ouvrier forgeron, l’ami du brave capitaine Marion&|160;?

–&|160;Oui.

–&|160;Il était de garde cette nuit auxavant-postes… Il paraît qu’Eustache a quelque amourette en ville…Excuse-moi, Scanvoch, de t’entretenir de telles choses en un momentsi triste, mais tu m’interroges, je te réponds…

–&|160;Poursuis, ami Douarnek.

–&|160;Eustache, donc, au lieu de rester à sonposte, a, malgré la consigne, passé une partie de la nuit àMayence… Il s’en revenait, une heure avant l’aube, espérant,m’a-t-il dit, que son absence n’aurait pas été remarquée, lorsqu’ila rencontré, non loin des postes, sur les bords du Rhin, l’homme àla casaque haletant et fuyant&|160;: – Où cours-tu ainsi&|160;? luidit-il. – Ces brutes me poursuivent, reprit-il&|160;; parce quej’ai brisé la tête du petit-fils de Victoria sur les cailloux, ilsveulent me tuer. – C’est justice, car tu mérites la mort, – arépondu Eustache indigné, en perçant de son épée cet infâmemeurtrier. De sorte que l’on a retrouvé ce matin, sur la grève, soncadavre couvert de sa casaque.

La mort de ce soldat détruisait mon dernierespoir de découvrir le mystère dont était enveloppée cette funestenuit.

Les restes d’Ellèn, de Victorin et de son filsfurent déposés sur les bûchers, au bruit des chants des bardes etdes druides… La flamme immense s’éleva vers le ciel, et lorsque leschants cessèrent, l’on ne vit plus rien qu’un peu de poussière…

La cendre du bûcher de Victorin et de son filsfut pieusement recueillie par Victoria dans une urned’airain&|160;; elle fut placée sous un marbre tumulaire avec cettesimple et touchante inscription&|160;:

Ici reposent les deux Victorin&|160;![112]

Le soir de ce jour, où les deux bohémiennes deHongrie avaient disparu, Tétrik quitta Mayence après avoir échangéavec Victoria les plus touchants adieux. Le capitaine Marion,présenté aux troupes par la mère des camps, fut acclamé chef de laGaule et général de l’armée. Ce choix n’avait rien de surprenant,et d’ailleurs, proposé par Victoria, dont l’influence avait pourainsi dire encore augmenté depuis la mort de son fils et de sonpetit-fils, il devait être accepté. La bravoure, le bon sens, lasagesse de Marion, étaient d’ailleurs depuis longtemps connus etaimés des soldats. Le nouveau général, après son acclamation,prononça ces paroles que j’ai vues plus tard reproduites par unhistorien contemporain[113]&|160;:

«&|160;Camarades, je sais que l’on peutm’objecter le métier que j’ai fait dans ma jeunesse&|160;: me blâmequi voudra&|160;; oui, qu’on me reproche tant qu’on voudra d’avoirété forgeron, pourvu que l’ennemi reconnaisse que j’ai forgé poursa ruine&|160;; mais, à votre tour, mes bons camarades, n’oubliezjamais que le chef que vous venez de choisir n’a su et ne saurajamais tenir que l’épée.&|160;»

*

**

Marion, doué d’un rare bon sens, d’un espritdroit et ferme, recherchant sans cesse les conseils de Victoria,gouverna sagement, et s’attacha l’armée, jusqu’au jour où, deuxmois après son acclamation, il fut victime d’un crime horrible. Lescirconstances de ce crime, il me faut te les raconter, mon enfant,car elles se rattachent à la trame sanglante qui devait un jourenvelopper presque tous ceux que j’aimais et que je vénérais.

Deux mois s’étaient donc écoulés depuis lafuneste nuit où ma femme Ellèn, Victorin et son fils, avaient perdula vie. Le séjour de ma maison m’était devenu insupportable&|160;;de trop cruels souvenirs s’y rattachaient. Victoria me demanda devenir demeurer chez elle avec Sampso, qui te servait de mère.

–&|160;Me voici maintenant seule au monde, etséparée de mon fils et de mon petit-fils jusqu’à la fin de mesjours… – me dit ma sœur de lait. – Tu le sais, Scanvoch, toutes lesaffections de ma vie se concentraient sur ces deux êtres si chers àmon cœur&|160;; ne me laisse pas seule… Toi, ton fils et Sampso,venez habiter avec moi&|160;; vous m’aiderez à porter le poids demes chagrins…

J’hésitai d’abord à accepter l’offre deVictoria… Par une fatalité terrible, j’avais tué son fils&|160;;elle savait, il est vrai, que malgré la grandeur de l’outrage deVictorin, j’aurais épargné sa vie, si je l’avais reconnu&|160;;elle savait, elle voyait les regrets que me causait ce meurtreinvolontaire et cependant légitime… mais enfin, affreux souvenirpour elle, j’avais tué son fils… et je craignais que malgré son vœude m’avoir près d’elle, que malgré la force et l’équité de son âme,ma présence désirée dans le premier moment de sa douleur ne luidevînt bientôt cruelle et à charge&|160;; mais je dus céder auxinstances de Victoria&|160;; et plus tard Sampso me disaitsouvent&|160;:

–&|160;Hélas&|160;! Scanvoch, en vousentendant sans cesse parler si tendrement de Victorin avec sa mère,qui à son tour vous parle d’Ellèn, ma pauvre sœur, en termes sitouchants, je comprends et j’admire, ainsi que tous ceux qui vousconnaissent, ce qui d’abord m’avait semblé impossible, votrerapprochement à vous, les deux survivants de ces victimes de lafatalité…

Lorsque Victoria surmontait sa douleur pours’entretenir avec moi des intérêts du pays, elle s’applaudissaitd’avoir pu décider le capitaine Marion à accepter le poste éminentdont il se montrait de plus en plus digne&|160;; elle écrivitplusieurs fois en ce sens à Tétrik. Il avait quitté le gouvernementde la province de Gascogne pour se retirer avec son fils, alors âgéde vingt ans environ, dans une maison qu’il possédait près deBordeaux, cherchant, disait-il, dans la poésie une sorte dedistraction aux chagrins que lui causait la mort de Victorin et deson fils. Il avait composé des vers sur ces cruelsévénements&|160;; rien de plus touchant en effet, qu’une ode écritepar Tétrik à ce sujet sous ce titre&|160;: les DeuxVictorin, et envoyée par lui à Victoria. Les lettres qu’il luiadressa pendant les deux premiers mois du gouvernement de Marionfurent aussi empreintes d’une profonde tristesse&|160;; ellesexprimaient d’une façon à la fois si simple, si délicate, siattendrissante, son affection et ses regrets, que l’attachement dema sœur de lait pour son parent s’augmenta de jour en jour.Moi-même je partageai la confiance aveugle qu’elle ressentait pourlui, oubliant ainsi mes soupçons par deux fois éveillés contreTétrik, et d’ailleurs ces soupçons avaient dû tomber devant laréponse d’Eustache, interrogé par moi sur ce soldat, mon mystérieuxcompagnon de voyage, et l’auteur du meurtre du petit-fils deVictoria.

–&|160;Chargé par le capitaine Marion de luidésigner, pour votre escorte, un homme sûr, – m’avait réponduEustache, – je choisis un cavalier nommé Bertal&|160;; il reçutl’ordre d’aller vous attendre à la porte de Mayence. La nuit venue,je quittai, malgré la consigne, l’avant-poste du camp pour merendre secrètement à la ville. Je me dirigeais de ce côté, lorsque,sur les bords du fleuve, j’ai rencontré ce soldat à cheval&|160;;il allait vous rejoindre&|160;; je lui ai demandé de garder lesilence sur notre rencontre, s’il trouvait en chemin quelquecamarade&|160;; il a promis de se taire&|160;; je l’ai quitté. Lelendemain, longeant le fleuve, je revenais de Mayence, où j’avaispassé une partie de la nuit, j’ai vu Bertal accourir à moi&|160;;il était à pied, il fuyait éperdu la juste fureur de nos camarades.Apprenant par lui-même l’horrible crime dont il osait se glorifier,je l’ai tué… Voilà tout ce que je sais de ce misérable…

Loin de s’éclaircir, le mystère quienveloppait cette nuit sinistre s’obscurcit encore. Les bohémiennesavaient disparu, et tous les renseignements pris sur Bertal, moncompagnon de route, et plus tard l’auteur d’un crime horrible, lemeurtre d’un enfant, s’accordèrent cependant à représenter cethomme comme un brave et honnête soldat, incapable de l’acte affreuxdont on l’accusait, et que l’on ne peut expliquer que par l’ivresseou une folie furieuse.

Ainsi donc, mon enfant, je te l’ai dit, Mariongouvernait depuis deux mois la Gaule à la satisfaction de tous. Unsoir, peu de temps avant le coucher du soleil, espérant trouverquelque distraction à mes chagrins, j’étais allé me promener dansun bois, à peu de distance de Mayence. Je marchais depuis longtempsmachinalement devant moi, cherchant le silence et l’obscurité,m’enfonçant de plus en plus dans ce bois, lorsque mes pas heurtantun objet que je n’avais pas aperçu, je trébuchai, et fus ainsi tiréde ma triste rêverie… Je vis à mes pieds un casque dont la visièreet le garde-cou étaient également relevés&|160;; je reconnusaussitôt le casque de Marion, le sien seul ayant cette formeparticulière. J’examinai plus attentivement le terrain à la clartédes derniers rayons du soleil qui traversaient difficilement lafeuillée des arbres, je remarquai sur l’herbe des traces de sang,je les suivis&|160;; elles me conduisirent à un épais fourré oùj’entrai.

Là, étendu sur des branches d’arbre, pliées oubrisées par sa chute, je vis Marion, tête nue et baigné dans sonsang. Je le croyais évanoui, inanimé, je me trompais… car en mebaissant vers lui pour le relever et essayer de le secourir, jerencontrai son regard fixe, encore assez clair, quoique déjà un peuterni par les approches de la mort.

–&|160;Va-t’en&|160;! – me dit Marion aveccolère et d’une voix oppressée. – Je me traîne ici pour mourirtranquille… et je suis relancé jusque dans ce taillis… Va-t’en,Scanvoch, laisse-moi…

–&|160;Te laisser&|160;! – m’écriai-je en leregardant avec stupeur et voyant sa saie rougie de sang, surlaquelle il tenait ses deux mains croisées et appuyées un peuau-dessous du cœur&|160;; – te laisser… lorsque ton sang inonde teshabits, et que ta blessure est mortelle peut-être…

–&|160;Oh&|160;! peut-être… – reprit Marionavec un sourire sardonique&|160;; – elle est bel et bien mortelle,grâce aux dieux&|160;!

–&|160;Je cours à la ville&|160;! –m’écriai-je, sans me rendre compte de la distance que je venais deparcourir, absorbé dans mon chagrin. – Je retourne chercher dusecours…

–&|160;Ah&|160;! ah&|160;! ah&|160;!… courir àla ville, et nous en sommes à deux lieues, – reprit Marion avec unnouvel éclat de rire douloureux. – Je ne crains pas tes secours,Scanvoch… je serai mort avant un quart d’heure… Mais, au nom duciel&|160;! qui t’a amené&|160;? va-t’en…

–&|160;Tu veux mourir… tu t’es donc frappétoi-même de ton épée&|160;?

–&|160;Tu l’as dit.

–&|160;Non, tu me trompes… ton épée est à toncôté… dans son fourreau…

–&|160;Que t’importe&|160;?va-t’en&|160;!…

–&|160;Tu as été frappé par un meurtrier, –ai-je repris en courant ramasser une épée sanglante encore, que jevenais d’apercevoir à peu de distance. – voici l’arme dont on s’estservi contre toi.

–&|160;Je me suis battu en loyal combat…laisse-moi…

–&|160;Tu ne t’es pas battu, tu ne t’es pasfrappé toi-même. Ton épée, je le répète, est à ton côté, dans sonfourreau… Non, non, tu es tombé sous les coups d’un lâchemeurtrier… Marion, laisse-moi visiter ta plaie&|160;; tout soldatest un peu médecin… il suffirait peut-être d’arrêter le sang…

–&|160;Arrêter le sang&|160;! – cria Marion enme jetant un regard furieux. – Viens un peu essayer d’arrêter monsang, et tu verras comme je te recevrai…

–&|160;Je tenterai de te sauver, – lui dis-je,– et malgré toi, s’il le faut…

En parlant ainsi, je m’étais approché deMarion, toujours étendu sur le dos&|160;; mais au moment où je mebaissais vers lui, il replia ses deux genoux sur son ventre, puisil me lança si violemment ses deux pieds dans la poitrine, que jefus renversé sur l’herbe, tant était grande encore la force de cetHercule expirant.

–&|160;Voudras-tu encore me secourir malgrémoi&|160;? – me dit Marion pendant que je me relevais, non pasirrité, mais désolé de sa brutalité&|160;; car, aurais-je eu ledessus dans cette triste lutte, il me fallait renoncer à venir enaide à Marion.

–&|160;Meurs donc, – lui ai-je dit, – puisquetu le veux… meurs donc, puisque tu oublies que la Gaule a besoin detes services&|160;; mais ta mort sera vengée… on découvrira le nomde ton meurtrier…

–&|160;Il n’y a pas eu de meurtrier… je mesuis frappé moi-même…

–&|160;Cette épée appartient à quelqu’un, –ai-je dit en ramassant l’arme et en l’examinant plusattentivement&|160;; je crus voir à travers le sang dont elle étaitcouverte quelques caractères gravés sur la lame&|160;; pour m’enassurer, je l’essuyai avec des feuilles d’arbre pendant que Marions’écriait&|160;:

–&|160;Laisseras-tu cette épée&|160;?… Nefrotte pas ainsi la lame de cette épée… Oh&|160;! les forces memanquent pour me lever et aller t’arracher cette arme des mains…Malédiction sur toi, qui viens ainsi troubler mes derniersmoments&|160;!… Ah&|160;! c’est le diable qui t’envoie&|160;!

–&|160;Ce sont les dieux qui m’envoient&|160;!– me suis-je écrié frappé d’horreur. – C’est Hésus qui m’envoiepour la punition du plus affreux des crimes… Un ami&|160;!… tuerson ami&|160;!…

–&|160;Tu mens… tu mens…

–&|160;C’est Eustache qui t’afrappé&|160;!

–&|160;Tu mens&|160;!… Oh&|160;! pourquoifaut-il que je sois si défaillant… J’étoufferais ces paroles dansta gorge maudite&|160;!…

–&|160;Tu as été frappé par cette épée, don deton amitié à cet infâme meurtrier…

–&|160;C’est faux&|160;!…

–&|160;Marion a forgé cette épée pour soncher ami Eustache… tels sont les mots gravés sur la lame decette arme, – lui ai-je dit en lui montrant du doigt cetteinscription creusée dans l’acier.

–&|160;Cette inscription ne prouve rien… –reprit Marion avec angoisse. – Celui qui m’a frappé avait dérobél’épée de mon ami Eustache, voilà tout…

–&|160;Tu excuses encore cet homme… Oh&|160;!il n’y aura pas de supplice assez cruel pour cemeurtrier&|160;!…

–&|160;Écoute, Scanvoch, – reprit Marion d’unevoix affaiblie et suppliante, – je vais mourir… l’on ne refuse rienà la prière d’un mourant…

–&|160;Oh&|160;! parle, parle, bon et bravesoldat… Puisque, pour le malheur de la Gaule, la fatalité m’empêchede te secourir, parle, j’exécuterai tes dernières volontés…

–&|160;Scanvoch, le serment que l’on se faitentre soldats, au moment de la mort… est sacré, n’est-cepas&|160;?

–&|160;Oui…

–&|160;Jure-moi… de ne dire à personne que tuas trouvé ici l’épée de mon ami Eustache…

–&|160;Toi, sa victime… tu veux lesauver&|160;?…

–&|160;Promets-moi ce que je te demande…

–&|160;Arracher ce monstre à un supplicemérité… Jamais…

–&|160;Scanvoch… je t’en supplie…

–&|160;Jamais…

–&|160;Sois donc maudit&|160;! toi, quidis&|160;: Non, à la prière d’un mourant, à la prière d’un soldat…qui pleure… car, tu le vois… est-ce agonie, faiblesse… je nesais&|160;; mais je pleure…

Et de grosses larmes coulaient sur son visagedéjà livide.

–&|160;Bon Marion&|160;! ta mansuétude menavre… toi, implorer la grâce de ton meurtrier&|160;!…

–&|160;Qui s’intéresserait maintenant… à cemalheureux… si ce n’est moi&|160;? – me répondit-il avec uneexpression d’ineffable miséricorde.

–&|160;Oh&|160;! Marion, ces paroles sontdignes du jeune maître de Nazareth que mon aïeule Geneviève a vumourir à Jérusalem&|160;!

–&|160;Ami Scanvoch… merci… tu ne diras rien…je compte sur ta promesse…

–&|160;Non&|160;! non&|160;! ta célestecommisération rend le crime plus horrible encore… Pas de pitié pourle monstre qui a tué son ami… un ami tel que toi&|160;!

–&|160;Va-t’en&|160;! – murmura Marion ensanglotant&|160;; – c’est toi qui rends mes derniers momentsaffreux&|160;! Eustache n’a tué que mon corps… toi, sans pitié pourmon agonie, tu tortures mon âme. Va-t’en&|160;!…

–&|160;Ton désespoir me navre… et pourtant,écoute-moi… Tout me dit que ce n’est pas seulement l’ami, le vieilami que ce meurtrier a frappé en toi…

–&|160;Depuis vingt-trois ans… nous ne nousétions pas quittés, Eustache et moi… – reprit le bon Marion engémissant. – Amis depuis vingt-trois ans&|160;!…

–&|160;Non, ce n’est pas seulement l’ami quece monstre a frappé en toi, c’est aussi, c’est surtout peut-être lechef de la Gaule, le général de l’armée… La cause mystérieuse de cecrime intéresse peut-être l’avenir du pays… Il faut qu’elle soitrecherchée, découverte…

–&|160;Scanvoch, tu ne connais pas Eustache…Il se souciait bien, ma foi, que je sois ou non chef de la Gaule etgénéral… Et puis, qu’est-ce que cela me fait… à cette heure où jevais aller vivre ailleurs&|160;?… Seulement, accorde-moi cettedernière demande… ne dénonce pas mon ami Eustache…

–&|160;Soit… je te garderai le secret, mais àune condition…

–&|160;Dis-la vite…

–&|160;Tu m’apprendras comment ce crime s’estcommis…

–&|160;As-tu bien le cœur de marchander ainsi…le repos à… un mourant…

–&|160;Il y va peut-être du salut de la Gaule,te dis-je&|160;! Tout me donne à penser que ta mort se rattache àune trame infernale, dont les premières victimes ont été Victorinet son fils… Voilà pourquoi les détails que je te demande sont siimportants…

–&|160;Scanvoch… tout à l’heure je distinguaista figure… la couleur de tes vêtements… maintenant, je ne vois plusdevant moi qu’une forme… vague… Hâte-toi… hâte-toi…

–&|160;Réponds… Comment le crime s’est-ilcommis&|160;? et par Hésus&|160;! je te jure de garder le secret…sinon… non…

–&|160;Scanvoch…

–&|160;Un mot encore… Eustache connaissait-ilTétrik&|160;?

–&|160;Jamais Eustache ne lui a seulementadressé… la parole…

–&|160;En es-tu certain&|160;?

–&|160;Eustache me l’a dit… il éprouvait même…sans savoir pourquoi, de l’éloignement pour le gouverneur… Cela nem’a pas surpris… Eustache n’aimait que moi…

–&|160;Lui&|160;?… Et il t’a tué&|160;!…Parle, et je te le jure par Hésus&|160;! je te garde le secret…sinon… non…

–&|160;Je parlerai… mais ton silence sur cettechose ne me suffit pas. Vingt fois j’ai proposé à mon ami Eustachede partager ma bourse avec lui… il a répondu à mes offres par desinjures… Ah&|160;! ce n’est pas une âme vénale… que la sienne… iln’a pas d’argent… comment pourra-t-il fuir&|160;?…

–&|160;Je favoriserai sa fuite… j’aurai hâtede délivrer le camp et la ville de la présence d’un pareilmonstre&|160;!

–&|160;Un monstre&|160;! – murmura Marion d’unton de douloureux reproche. – Tu n’as que ce mot-là à la bouche… unmonstre&|160;!…

–&|160;Comment, et à propos de quoi t’a-t-ilfrappé&|160;?

–&|160;Depuis mon acclamation comme chef…nous…

Mais, s’interrompant, Marion ajouta&|160;:

–&|160;Tu me jures de favoriser la fuited’Eustache&|160;?

–&|160;Par Hésus, je te le jure&|160;! Maisachève…

–&|160;Depuis mon acclamation comme chef de laGaule… et général (ah&|160;! combien j’avais donc raison… derefuser cette peste d’élévation… c’était sûrement unpressentiment…) mon ami Eustache était devenu encore plus hargneux,plus bourru… que d’habitude… il craignait, la pauvre âme… que monélévation ne me rendît fier… Moi, fier…

Puis, s’interrompant encore, Marion ajouta enagitant çà et là ses mains autour de lui…

–&|160;Scanvoch, où es-tu&|160;?

–&|160;Là, – lui ai-je dit en pressant entreles miennes sa main déjà froide. – Je suis là, près de toi…

–&|160;Je ne te vois plus… – Et sa voixs’affaiblissait de moment en moment. – Soulève-moi… appuie-moi ledos contre un arbre… le cœur me tourne… j’étouffe…

J’ai fait, non sans peine, ce que me demandaitMarion, tant son corps d’Hercule était pesant&|160;; je suisparvenu à l’adosser à un arbre. Il a ainsi continué d’une voix deplus en plus défaillante&|160;:

–&|160;À mesure que la chagrine humeur de monami Eustache augmentait… je tâchais de lui être encore plus amicalqu’autrefois… Je comprenais sa défiance… déjà, lorsque j’étaiscapitaine, il ne pouvait s’accoutumer à me traiter en anciencamarade d’enclume… Général et chef de la Gaule, il me crut unpotentat… Il se montrait donc de plus en plus hargneux et sombre…Moi, toujours certain de ne pas le désaimer, au contraire… je riaisà cœur joie de ces hargneries… je riais… c’était à tort, ilsouffrait… Enfin, aujourd’hui, il m’a dit&|160;: «&|160;Marion, ily a longtemps que nous ne nous sommes promenés ensemble… viens-tudans le bois hors de la ville&|160;?&|160;» J’avais à conférer avecVictoria&|160;; mais dans la crainte de fâcher mon ami Eustache,j’écris à la mère des camps… afin de m’excuser… puis lui et moinous partons bras dessus bras dessous pour la promenade… Cela merappelait nos courses d’apprentis forgerons dans la forêt deChartres… où nous allions dénicher des pies-grièches… J’étais toutcontent, et malgré ma barbe grise, et comme personne ne nousvoyait, je m’évertuais à des singeries pour dérider Eustache&|160;:j’imitais, comme dans notre jeune temps, le cri des pies-grièchesen soufflant dans une feuille d’arbre placée entre mes lèvres, etd’autres singeries encore… car… voilà qui est singulier, jamais jen’avais été plus gai qu’aujourd’hui… Eustache, au contraire, ne sedéridait point… Nous étions à quelques pas d’ici, lui derrière moi…il m’appelle… je me retourne… et tu vas voir, Scanvoch, qu’il n’y apas eu de sa part méchanceté, mais folie… pure folie… Au moment oùje me retourne, il se jette sur moi l’épée à la main, me la plongedans le côté en me disant&|160;: «&|160;La reconnais-tu cetteépée&|160;? toi qui l’as forgée&|160;?&|160;»[114] Très-surpris, je l’avoue, je tombesur le coup… en disant à mon ami Eustache&|160;: «&|160;À qui enas-tu&|160;?… Au moins on s’explique… t’ai-je chagriné sans levouloir&|160;?…&|160;» Mais je parlais aux arbres… le pauvre fouavait disparu… laissant son épée près de moi, autre signe de folie…puisque cette arme, remarque ceci… Scanvoch, puisque… cette armeportait sur la lame&|160;: Cette épée a été forgée par Marion…pour… son cher ami… Eustache…

Telles ont été les dernières parolesintelligibles de ce bon et brave soldat. Quelques instants après,il expirait en prononçant des mots incohérents, parmi lesquelsrevenaient souvent ceux-ci&|160;:

–&|160;Eustache… fuite… sauve-le…

Lorsque Marion eut rendu le dernier soupir,j’ai, en hâte, regagné Mayence pour tout raconter à Victoria, sanslui cacher que je soupçonnais de nouveau Tétrik de n’être pasétranger à cette trame, qui, ayant déjà enveloppé Victorin, sonfils et Marion, laissait vacant le gouvernement de la Gaule. Masœur de lait, quoique désolée de la mort de Marion, combattit mesdéfiances au sujet de Tétrik&|160;; elle me rappela que moi-même,plus de trois mois avant ce meurtre, frappé de l’expression dehaine et d’envie qui se trahissait sur la physionomie et dans lesparoles de l’ancien compagnon de forge du capitaine, je lui avaisdit à elle, Victoria, devant Tétrik, – «&|160;que Marion devaitêtre bien aveuglé par l’affection pour ne pas reconnaître que sonami était dévoré d’une implacable jalousie.&|160;» En un mot,Victoria partageait cette croyance du bon Marion&|160;: que lecrime dont il venait d’être victime n’avait d’autre cause que lahaineuse envie d’Eustache, poussée jusqu’au délire par la récenteélévation de son ami&|160;; puis enfin, singulier hasard, ma sœurde lait recevait ce jour-là même de Tétrik, alors en route pourl’Italie, une lettre dans laquelle il lui apprenait que, sa santédépérissant de plus en plus, les médecins n’avaient vu pour luiqu’une chance de salut&|160;: un voyage dans un paysméridional&|160;; il se rendait donc à Rome avec son fils.

Ces faits, la conduite de Tétrik depuis lamort de Victorin, ses lettres touchantes et les raisonsirréfutables, je l’avoue, que me donnait Victoria, détruisirentencore une fois ma défiance à l’égard de l’ancien gouverneur deGascogne&|160;; je me persuadai aussi, chose d’ailleursrigoureusement croyable d’après les antécédents d’Eustache, quel’horrible meurtre dont il s’était rendu coupable n’avait eud’autre motif qu’une jalousie féroce, exaltée jusqu’à la foliefurieuse par la récente et haute fortune de son ami.

J’ai tenu la promesse faite au bon et braveMarion à sa dernière heure. Sa mort a été attribuée à un meurtrierinconnu, mais non pas à Eustache. J’avais rapporté son épée àVictoria&|160;; aucun soupçon ne plana donc sur ce scélérat, qui nereparut jamais ni à Mayence ni au camp. Les restes de Marion,pleuré par l’armée entière, reçurent les pompeux honneursmilitaires dus au général et au chef de la Gaule.

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