L’Esprit Souterrain

Chapitre 9

 

Messieurs, – je plaisante, ettrès-maladroitement, mais tout n’est pas plaisant dans maplaisanterie. Je serre les dents peut-être… Messieurs !plusieurs mystères m’inquiètent : expliquez-les-moi !Vous voulez transformer l’homme, selon les exigences de la scienceet du bon sens. Mais comment savez-vous qu’on puisse transformerl’homme, et qu’on le doive ?Comment savez-vous quecette transformation soit utile à l’homme ? C’est unesupposition gratuite. C’est logique, mais ce n’est pas humain. –Vous pensez que je suis fou ?…

L’homme aime à construire, c’estcertain : mais pourquoi aime-t-il aussi à détruire ? Neserait-ce pas qu’il a une horreur instinctive d’atteindre le but,d’achever ses constructions ? Peut-être n’arrive-t-il àconstruire que de loin, en projet ; peut-être aussi seplaît-il à faire des maisons pour ne pas les habiter, lesabandonnant ensuite aux fourmis et aux bêtes familières. Lesfourmis ont d’autres goûts que les hommes. Elles bâtissent pourl’éternité leurs fourmilières, c’est le but de toute leur existenceet leur unique idéal, ce qui fait grand honneur à leur constancecomme à leur esprit positif. L’homme, au contraire, esprit léger,est un perpétuel joueur d’échecs : il aime les moyens plus quele but, et, qui sait ? n’est-ce pas le but, les moyens ?La vie humaine ne consiste-t-elle pas plutôt en un certainmouvement vers un certain but ; qu’est ce but lui-même ?et ce but, il va sans dire, ne peut être qu’une formule, 2 fois 2font 4, et ce 2 fois 2 font 4 n’est déjà plus la vie, messieurs,c’est le commencement de la mort. Supposons que l’homme consacretoute sa vie à chercher cette formule ; il traverse desocéans, il s’expose à tous les dangers, il sacrifie sa vie à cetterecherche : mais y parvenir, y réellement parvenir, je vousassure qu’il en a horreur. Il sent bien que quand il aura trouvé,il n’aura plus rien à chercher. Les ouvriers, quand ilsont achevé leur travail, reçoivent leur argent, s’en vont aucabaret et de là au violon : voilà de l’occupation pour toutela semaine. Mais l’homme, où ira-t-il ? Atteindre à laformule, quelle dérision ! En un mot, l’homme est une risiblemachine ; il transpire le calembour. Je conviens que 2 fois 2font 4 est une bien jolie chose ; mais, au fond, 2 fois 2 font5 n’est pas mal non plus…

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