Poèmes

Le blé

N’est-ce pas l’homme aussi qui a créé leblé ? Les productions que l’on appelle naturelles ne sont paspour la plupart – celles du moins qui servent aux besoins del’homme – l’œuvre spontanée de la nature. Ni le blé, ni la vignen’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des géniesinconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque graminée ouquelque cep sauvage. C’est l’homme qui a deviné, dans je ne saisquelle pauvre graine tremblant au vent des prairies, le trésorfutur du froment. C’est l’homme qui a obligé la sève de la terre àcondenser sa fine et savoureuse substance dans le grain de blé ou àgonfler le grain de raisin. Les hommes oublieux opposentaujourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel au vin artificiel,les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n’y apas de vin naturel. Le pain et le vin sont un produit du génie del’homme. La nature elle-même est un merveilleux artifice humain.Sully-Prudhomme a surfait l’œuvre du soleil dans son versmagnifique :

Soleil, père des blés, qui sont pères desraces !

L’union de la terre et du soleil n’eût passuffi à engendrer le blé. Il y a fallu l’intervention de l’homme,de sa pensée inquiète et de sa volonté patiente. Les anciens lesavaient lorsqu’ils attribuaient à des dieux, image glorieuse del’homme, l’invention de la vigne et du blé. Mais, depuis silongtemps, les paysans voient les moissons succéder aux moissons etles blés sortir de la semence que donnèrent les blés ; lacréation de l’homme s’est si bien incorporée à la terre, elledéborde si largement sur les coteaux et les plaines que lespaysans, tombés à la routine, prennent pour un don des forcesnaturelles l’antique chef-d’œuvre du génie humain.

Et comment, en effet, sans un effort del’esprit, s’imaginer de façon vivante que cette grande mer des blésqui, depuis des milliers d’années roule ses vagues, se couchant,dorée et chaude en juin, pour redresser en mars son flot verdissantet frais, gonflé encore peu à peu en une magnifique crue d’or,comment s’imaginer que cette grande mer, dont les saisons règlentle flux et le reflux, a sa source lointaine dans l’esprit del’homme ?

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