Poèmes

Le nuage et l’oiseau

Lorsque nous suivons des yeux l’oiseau qui,dans l’espace, plane ou bat des ailes, tourne, monte et redescend,ce n’est pas là, pour nous, une vision inerte. Nous sentons, à jene sais quel frémissement et quel élan intérieur, que nous sommesavec l’oiseau. L’image de son mouvement éveille en nous, à quelquedegré, son mouvement même. Je dis en nous, mais ce n’est pas dansnotre organisme. Il est bien vrai qu’il pourrait, dans une certainemesure, mimer le mouvement de l’oiseau. Il y a entre tous les êtresde gauches analogies : nous pourrions battre des bras quand ilbat des ailes, nous hausser sur la pointe des pieds et tendre detout notre corps vers les hauteurs de l’espace, pour nous éleveravec lui…

Il est littéralement exact de dire que notreâme vole avec le nuage ou avec l’oiseau. Il ne faut pas dire, avecde faux poètes qui gâtent tout, qu’elle devient l’oiseau, le nuage,car cette expression forcée, au lieu d’abolir tout à fait, commeelle y prétend, notre propre individualité organique, en réveillemaladroitement le souvenir. L’âme ne pourrait devenir oiseau qu’àla condition de jouer, dans le corps de l’oiseau, le rôle qu’ellejoue dans son propre corps. Ainsi, elle ne serait affranchie de sonpropre organisme que pour être liée et limitée à un organismeétranger. Ce qui fait justement la joie des contemplationspoétiques, c’est cette liberté vague de l’âme qui se mêle à touteactivité et ne s’emprisonne dans aucune. Entre le mouvementcérébral qu’éveille en nous la vue des nuages flottants et cettevision elle-même, il y a évidemment une étroite correspondance, parlaquelle notre âme est comme mêlée aux nuages. Le mouvement mêmedes nuages ne prend, pour nous, un sens, de la vie, qu’à lacondition que notre âme s’y unisse et y répande, en secret, sonpropre mouvement. On peut donc dire, en ce sens, que c’est lemouvement de notre âme qui fait le mouvement du nuage, comme ilfait le mouvement de notre corps. Mais il n’y a pas un rapportorganique grossier. C’est dans la sphère purement cérébrale quetoutes ces relations se nouent ; et dire que l’âme devientnuage, c’est réveiller l’organisme qui dormait, c’est faireévanouir le charme délicat d’une liberté indéfinie. Mais il restevrai que le moi n’est plus circonscrit à son propre organisme, quele cerveau, dans l’ordre même du mouvement, est beaucoup plus vasteque notre corps, et contient des richesses que le corps ne suffitpoint à manifester. Ainsi nous voyons peu à peu le moi s’élargir etdéplacer son centre de l’organisme individuel, où il est d’abordcomme enfermé, vers la liberté immense du monde.

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