Rocambole – La corde du pendu – Tome I

XI

Revenons maintenant à Marmouset, que nousavons laissé avec Shoking et Vanda à la porte d’une maison de Carlstreet.

Marmouset, qui avait montré l’inscription quiétait sur la porte.

Farlane & C°.

Marmouset, disons-nous, regarda ses deuxcompagnons.

– Puisque vous ne comprenez pas encore,dit-il, écoutez-moi.

– Parlez, dit Vanda, toujoursanxieuse.

– Cette maison, je vous l’ai dit, doitêtre, si je ne me trompe, juste au-dessus de la galeriesouterraine, et entre les deux éboulements que nous avonsconstatés.

– Eh bien ? fit Vanda.

– Eh bien ! reprit Marmouset, elleappartient à un fénian, ce qui est un grand point.

– Comment ?

– Attendez. Évidemment, cette maison aune cave, et quand nous serons descendus dans cette cave, noustrouverons un trou qui nous permettra d’arriver sous lagalerie.

– Et de délivrer l’homme gris, ditShoking.

– Oui, tout cela est fort bien, ditVanda, mais êtes-vous sûr, Marmouset… ?

– Que la maison est verticalementau-dessus de la galerie souterraine ?

– Oui.

– J’en suis sûr.

– Comment pouvez-vous lesavoir ?

Marmouset eut un sourire.

– Vous savez bien, dit-il, que j’ai faitdes études d’ingénieur et que je passe même pour très fort enmathématiques.

– Ah ! c’est juste.

– J’ai calculé la distance, la situationde la maison par rapport à la galerie, et je crois mes calculsexacts.

– Dieu le veuille !

– Je crois même pouvoir affirmer que nousaurons un trou de quinze à dix-huit pieds de profondeur àpercer.

– Alors, dit Shoking, il s’agit d’entrerdans la maison et de s’adresser tout de suite à master Farlane.

– Non, dit Marmouset.

– Et pourquoi cela ? fit Vanda.

– Parce que Farlane ne nous connaît pas,que nous ne sommes pas fénians et ne pouvons lui faire le signemystérieux que les fénians ont accepté comme signe deralliement.

– Alors ?

– Alors, dit Marmouset, Shoking varetourner dans Farringdon street.

– Bon ! fit Shoking.

– Et il préviendra le chef fénian, quis’empressera de le suivre et viendra ici nous mettre en rapportavec M. Farlane.

– J’y cours, dit Shoking.

– Et nous vous attendons ici, ditMarmouset.

Shoking partit.

Vanda et Marmouset demeurèrent dans la rue,immobiles, les yeux fixés sur cette maison dont la porte étaitclose, mais qui s’ouvrirait devant eux aussitôt que le chef fénianarriverait.

Ils n’attendirent pas longtemps.

Shoking avait de bonnes jambes et, àl’occasion, il savait les pendre à son cou.

Un quart d’heure après, il était deretour.

Le chef fénian l’accompagnait.

Shoking avait sans doute mis celui-ci aucourant, car ils arrivèrent tous les deux avec des outils propres àcreuser la terre et à faire, au besoin, une tranchée dans leroc.

Le chef fénian salua Vanda et Marmouset.

Puis, au lieu de soulever le marteau, il semit à tambouriner sur la porte avec ses doigts, d’une façon touteparticulière.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Rien ne bougeait dans la maison, et aucunelumière n’apparaissait.

– On dort bien là dedans, fit Marmousetqui s’impatientait.

– Patience ! dit le chef fénian.

Il tambourina une seconde fois, mais d’unefaçon toute différente de la première.

Ni bruit, ni lumière.

– Mais cette maison est doncdéserte ? exclama Vanda.

– Non, répondit le chef fénian.

Et il tambourina une troisième fois, ettoujours sur un rythme différent.

Soudain une lumière apparut au-dessus del’imposte de la porte.

Puis on entendit un pas lent et mesuré àl’intérieur du corridor.

Et enfin la porte s’ouvrit.

Marmouset et Vanda virent alors un homme depetite taille, mais trapu, vigoureux, la tête enfoncée dans lesépaules, portant des cheveux et une barbe incultes de couleurrousse, qui arrivait à demi vêtu et portait une lanterne à lamain.

C’était master Farlane.

Le chef lui fit un signe rapide.

Farlane répondit par le même signe, et sonregard, soupçonneux d’abord quand il avait aperçu Marmouset etVanda, se rasséréna aussitôt.

Tous les quatre entrèrent dans la maison etFarlane ferma la porte.

Puis il regarda le chef fénian.

– Eh bien ! dit-il, l’explosiona-t-elle donné un bon résultat ?

Comme il faisait cette question en patoisirlandais Vanda, Marmouset et même Shoking ne comprirent pas.

– Non, dit le chef fénian.

– Cependant, reprit Farlane, j’ai cru quela moitié de Londres s’écroulait.

– Ta maison a-t-elle étésecouée ?…

– Comme par un tremblement de terre.

– Vraiment ?

– Et j’aurais des crevasses dans mescaves que cela ne m’étonnerait pas.

– C’est précisément pour descendre dansles caves que nous venons.

Farlane regarda curieusement lesvisiteurs.

– Nous t’expliquerons tout cela, dit lechef, mais descendons dans les caves d’abord.

– Que voulez-vous faire de cesoutils ?

– Tu le verras.

Bien qu’il fût un haut dignitaire dans lefénianisme, Farlane était sans doute le subordonné de celui queShoking était allé chercher dans Farringdon street, car iln’insista point et ne fit aucune nouvelle question.

Mais il ouvrit une porte du vestibule, et,cette porte ouverte, Marmouset et Vanda, qui marchaient derrièrelui, aperçurent l’escalier qui descendait dans les caves.

Le chef fénian fermait la marche.

On descendit une vingtaine de marchesenviron.

Puis on se trouva en face d’une nouvelleporte.

Cette porte donnait sur une longue galerieassez étroite.

Une bouffée d’air frappa Marmouset et Vanda auvisage.

En même temps, ils aperçurent une doublerangée de tonneaux.

Alors le chef fénian dit àMarmouset :

– À présent, orientez-vous, et voyez sivos calculs sont exacts.

Marmouset prit la lanterne que portaitFarlane.

– Attendez-moi ici, dit-il.

Et il s’avança tout seul dams la directiond’où venait l’air humide et froid.

La galerie descendait insensiblement endécrivant une ligne courbe.

Au bout de quelques pas, Marmouset vit unelueur blanchâtre dans l’éloignement. Il chemina encore et reconnutqu’il apercevait les premières lueurs du matin et que la caveaboutissait à la Tamise.

Le fleuve était alors dans toute sacroissance, et la marée qui venait du large le repoussait vers lesponts de Londres.

– C’est bien ce que je pensais, se ditMarmouset.

Et il revint sur ses pas.

Vanda, les deux fénians et Shoking étaientdemeurés au seuil de la porte.

Mais cette porte ouvrait au milieu de lagalerie, et la galerie se prolongeait au nord.

– Par ici, dit Marmouset.

Et, marchant toujours le premier, il arrivajusqu’à un endroit où le sol était tout crevassé.

– J’en étais sûr, dit Farlane, c’estl’explosion.

Marmouset posa la lanterne au bord de lacrevasse et s’aventura dans ce gouffre dont il ne pouvait sonder laprofondeur. Heureusement ses pieds rencontrèrent un pointd’appui.

– Passez-moi la lanterne, dit-ilalors.

Et il leva les mains au-dessus de sa tête.

On lui donna la lanterne et il disparut.

Vanda et ses compagnons se trouvèrent alorsdans les ténèbres.

Mais cinq minutes après la lumière reparut etMarmouset revint. Son visage était radieux.

– Le maître est sauvé ! dit-il.

– Sauvé ! s’écria Vanda.

– En êtes-vous bien sûr ? demandaShoking.

– Sauvés tous les deux, lui etMilon ! dit Marmouset.

– Mais où sont-ils ?

– Ils ont passé par ici.

– Qu’en savez-vous ? demanda encoreShoking.

– Oh ! dit Marmouset, suivez-moi,vous allez voir.

Et rasant le sol avec sa lanterne, il sedirigea vers la fenêtre qui donnait sur la rivière.

Le sol était humide par places.

– Tenez ! tenez ! ditMarmouset.

Et il montra l’empreinte des deux piedshumides.

On arriva ainsi jusqu’à la fenêtre.

Le fleuve grondait en bas.

– Comprenez-vous, maintenant ? ditMarmouset.

Et il étendit la main vers les flotsbouillonnants de la Tamise et ajouta :

– Vous savez s’ils sont bons nageurs tousles deux, n’est-ce pas ?

Vanda était tombée à genoux et remerciaitDieu !

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