Rocambole – La corde du pendu – Tome I

Journal d’un fou de Bedlam XVIII

Sir Evandale revint dans la chambre de lordWilliam.

La bougie brûlait encore.

Le jeune gentilhomme s’assit dans le fauteuiloù il s’était endormi quelques heures auparavant.

– À présent, pensa-t-il, peu m’importe deredormir et même le plus longtemps possible.

J’aime autant que sir Archibald et sa filles’éveillent avant moi.

En effet, si sûr de lui qu’il pût être, sirEvandale redoutait quelque peu le réveil de ces personnages que labaguette d’une fée avait tout à coup privés de sentiment.

Qu’arriverait-il quand on constaterait quelord William ou plutôt l’homme qui lui avait été substitué étaitmort ?

Sir Evandale ne tarda pas à se rendormir sousl’influence des émanations narcotiques de la bougie.

Mais, la bougie éteinte, l’atmosphère sedégagea peu à peu, et sir Archibald, au bout d’une heure, s’éveillaà demi.

Seulement il suffoquait, il manquaitd’air.

L’odeur fétide avait survécu à la bougie.

Sir Archibald fit un violent effort, se levaen chancelant, se traîna vers l’une des croisées et donna un coupde poing au travers des carreaux.

Une vitre vola en éclats.

En même temps, une bouffée d’air pur entradans la chambre.

Ce fut instantané et magique.

Miss Anna s’éveilla, le valet de chambreaussi.

Seul, sir Evandale dormait encore.

Un demi-jour régnait dans la chambre.

Les premières clartés de l’aube luttaient avecla clarté d’une veilleuse placée sous un verre dépoli.

Miss Anna, stupéfaite, regardait son père.

Sir Archibald alla ouvrir les deuxfenêtres.

Puis il revint vers sa fille.

Mais celle-ci jeta un cri terrible.

Une main sortait du lit.

Elle avait pris cette main et l’avait rejetéeaussitôt.

Cette main était glacée.

Sir Archibald se pencha sur le cadavre.

– Mort ! dit-il avec stupeur.

Le cri de miss Anna avait éveillé sirEvandale.

Il se leva, étira les bras, promena un regardstupide autour de lui et murmura :

– Que se passe-t-il donc ?

– Votre frère est mort, dit sirArchibald. Il est mort pendant que nous dormions…

**

*

Il se trouve toujours, à point nommé, unmédecin pour expliquer à sa manière les choses les moinsexplicables.

Une heure après l’étrange réveil des hôtes duchâteau, une des célébrités médicales qu’on avait appelées par letélégraphe arriva de Londres.

Ce prince de la science n’hésita pas àdéclarer que le jeune lord Pembleton avait succombé à unempoisonnement particulier auquel il donna un nom latin.

Et il prétendit que le sommeil qui s’étaitemparé des personnes qui se trouvaient dans la chambre était dû auxexhalaisons morbides que lord William exhalait même de son vivant,la décomposition ayant précédé la mort.

Sir Evandale témoigna la plus violentedouleur.

Il se frappait la tête contre le mur ; ilvoulait mourir à son tour. On eut toutes les peines du monde à lecalmer.

Et le soir de ce jour, allant dans lacampagne, à moitié fou, en apparence du moins, il arriva sur unpetit monticule que contournait la grande route.

Un spectacle bizarre attira ses regards.

Une troupe d’hommes enchaînés gravissaitpéniblement la colline.

Devant elle, marchait le lieutenant Percy etle garde-chiourme John.

Derrière venait un mulet, sur lequel on avaitcouché un pauvre idiot qui n’avait plus visage humain.

Sir Evandale tressaillit.

Un pâtre, assis à quelques pas, vint auprès dela route pour voir les galériens de plus près.

Et, regardant sir Evandale, il luidit :

– Ce sont des galériens, ils sont bienmalheureux ; mais le plus malheureux de tous, ce n’est pasceux qui marchent, milord, c’est celui qu’on a couché sur le mulet,car il est fou.

Sir Evandale jeta une pièce d’or au pâtre etprit la fuite.

Et comme il descendait la colline, une voixrailleuse lui cria :

– Milord, j’ai tenu une partie de mespromesses…

Sir Evandale se retourna.

Il vit un homme accroupi derrière unebroussaille, un homme qui, lui aussi, avait vu passer lesgalériens.

Cet homme, c’était Nizam.

Et comme le jeune homme, pâle et la sueur enfront, demeurait cloué au sol, Nizam bondit jusqu’à lui.

– Tu es lord aujourd’hui, dit-il, danssix mois tu auras épousé miss Anna.

Et Nizam disparut encore.

**

*

Six mois après, en effet, miss Anna, presséepar son père, quitta le deuil de son fiancé lord William.

Sir Archibald tenait à marier sa fille à unlord.

Elle devint lady Evandale.

Le jour même, un homme qui était arrivé troptard pour les funérailles de son maître, déclara à lord Evandalequ’il quittait son service.

Cet homme, c’était Tom.

Tom ne voulait pas servir le fils ducrime.

Tom pleurait toujours lord William.

Le même soir, lord Evandale, après avoirconduit sa jeune femme dans la chambre nuptiale, descenditfurtivement dans le parc.

Nizam, le faux Indien, Nizam qui s’étaitappelé sir George Pembleton autrefois, avait donné rendez-vous àson fils pour le féliciter.

Le rendez-vous était au pied même de cet arbreoù Nizam avait attendu tant de fois sir Evandale.

Et sir Evandale devenu lord s’y rendit.

La lune éclairait le paysage.

Comme il approchait, lord Evandale aperçutNizam.

Mais Nizam n’était point debout comme àl’ordinaire.

Nizam était couché.

Et Nizam paraissait dormir.

Lord Evandale l’appela.

Nizam ne répondit point.

Alors le jeune homme s’approcha et poussa uncri d’horreur.

Nizam était mort.

Nizam avait encore un couteau planté dans lecœur.

Et lord Evandale, ayant arraché l’armemeurtrière de la plaie béante, la reconnut.

C’était le couteau de chasse de Tom, le maride Betzy.

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