Rocambole – La corde du pendu – Tome I

XV

Une fois dans la cave, l’abbé Samuel prit lalanterne des mains du publicain.

– Nous n’avons plus besoin de toi,dit-il.

– Je puis remonter ?

– Oui.

– Vous n’attendez personne ?

– Personne absolument.

Le publicain gravit de nouveau les degrés del’échelle, laissant Shoking, Marmouset et l’abbé Samuel dans lacave.

Alors le fénian promena sa main sur la paroihumide de la muraille, cherchant un ressort sans doute.

Et tout à coup une porte, si habilementdissimulée qu’on la confondait avec le mur, s’ouvrit.

– Voilà notre chemin, dit le prêtre.

La porte démasquait un étroit corridorsouterrain.

Tous trois s’y engagèrent l’un aprèsl’autre.

Marmouset cheminait le dernier, tandis quel’abbé Samuel éclairait la marche avec la lanterne qu’il avaitprise au publicain.

Le souterrain était comme un boyau d’égout, seprolongeait sur un parcours de trente mètres environ et aboutissaità un petit escalier de six marches.

Cet escalier aboutissait lui-même à une portequi était simplement poussée, car elle céda sous la main de l’abbéSamuel.

Alors le prêtre éteignit la lanterne.

– Que faites-vous donc ? demandaMarmouset.

– Je suis prudent.

– Mais où sommes-nous donc ici ?

– Dans un caveau de famille.

– Ah ! vraiment ?

– Tenez, dit encore l’abbé Samuel,maintenant que la lanterne est éteinte, regardez devant vous.

– Bon !

– N’apercevez-vous rien ?

– Il me semble que je vois un coin duciel, au travers d’une fenêtre.

– Non pas d’une fenêtre, mais d’uneporte.

En effet, le caveau dans lequel ils venaientde pénétrer par ce singulier chemin avait une porte qui donnait surle cimetière.

L’abbé Samuel tira un verrou et cette portes’ouvrit.

– Je sais où est la tombe, dit encore leprêtre irlandais.

Et il sortit le premier du caveau.

La nuit était noire et le brouillardépais.

– Suivez-moi, dit encore l’abbé Samuel,et marchez avec précaution ; il ne faut pas, autant quepossible, marcher sur les tombes, c’est une profanation.

Malgré l’obscurité, le prêtre s’orientaitassez bien.

– Ah ! dit Marmouset tout bas, voussavez où est la tombe ?

– Oui, je me rappelle avoir remarqué lacroix de fer et l’inscription.

– Saviez-vous aussi qu’elle contenait despapiers ?

– Non ; et cependant…

– Cependant ? fit Marmouset.

– Je sais vaguement ce que renferment cespapiers ?

– Ah !

– Il y a trois mois, poursuivit l’abbéSamuel, un homme vint un jour à l’église Saint-George et demanda àme parler.

– Quel était cet homme ?

– C’était Tom, le mari de Betzy.

– Il n’était donc point encore enprison ?

– Non. Tom me raconta son histoire et mesupplia de m’intéresser à lui.

Je pouvais tout, me disait-il, et si jeprenais sa cause en main, il la considérait comme gagnée.

Malheureusement Tom était Écossais,protestant, et non affilié au fénianisme.

J’étais sûr d’avance que nos frèresrefuseraient de le servir et je le lui dis.

Il ne voulut pas en entendre davantage et s’enalla, en me faisant de la main un geste d’adieu désespéré.

Deux jours après, Tom assassinait lordEvandale.

– Mais, dit Marmouset, ne lui aviez-vousdonc pas parlé de l’homme gris ?

– En aucune façon.

– Alors, comment l’homme gris a-t-il pusavoir ?

– Ils se sont vus à Newgate.

– Ah ! c’est juste.

Et Marmouset ajouta en manièred’aparté :

– Je reconnais bien là le maître et sanature chevaleresque : pour que Rocambole ait acceptél’héritage de Tom le supplicié, il faut que cette cause soitjuste.

L’abbé Samuel s’arrêta.

– C’est ici, dit-il.

La nuit était trop noire pour qu’on pûtdéchiffrer l’inscription, mais on voyait fort distinctement lacroix de fer.

– J’ai un briquet dans ma poche, ditShoking.

– À quoi bon ?

– Pour bien voir si c’est le nom qu’a ditBetzy qui est écrit là-dessus.

– Inutile. Je suis sûr que cette tombeest celle qu’elle a désignée.

C’était une simple pierre couchée dansl’herbe.

– Nous n’avons pas d’outils pour lasoulever, dit Marmouset.

– Nous n’en avons pas besoin, réponditl’abbé Samuel.

– Ah ! vous croyez ?

– Voyez plutôt.

Et le prêtre prit la pierre à deux mains et lasouleva facilement, tant elle était légère.

La pierre recouvrait une fosse dont les paroisétaient en maçonnerie.

Au fond de la fosse, on apercevait unebière.

Shoking ne put se défendre d’un mouvementd’effroi.

– Tu as peur ? dit Marmouset.

– Un peu, répondit Shoking.

– Pourquoi ?

– Parce que bien certainement les papierssont dans la bière.

– C’est probable.

– Oh ! dit Shoking qui se trouva enprésence d’un cadavre, ce n’est pas drôle.

Marmouset descendit dans la fosse.

Il n’y voyait guère, mais le toucher suppléaitpour lui à la vue.

Il promena ses mains sur le cercueil etrencontra une vis, puis deux, puis quatre.

À Londres, on ne cloue pas les cercueils, onles visse.

Alors Marmouset tira de sa poche un couteau àplusieurs lames.

L’une de ces lames était ronde par le bout etpouvait, au besoin, servir de tournevis.

Shoking se tenait un peu à l’écart.

L’abbé Samuel, debout au bord de la fosse,prêtait l’oreille au moindre bruit.

Le cimetière n’avait pourtant pas de gardien,non plus que l’église qui se trouvait au milieu, mais plusieursmaisons du voisinage prenaient vue sur lui ; et puis ilpouvait se faire que quelque fénian eût fantaisie d’y pénétrer parle même chemin.

Heureusement l’opération ne fut paslongue.

En moins de dix minutes Marmouset eut enlevéles quatre vis du cercueil.

– C’est fait, dit-il.

Shoking recula encore et détourna la tête.

Marmouset souleva alors le couvercle ducercueil.

– Ah ! dit-il, tu peux revenir,Shoking.

– Hein ? fit Shoking d’une voixtremblante.

– Le cercueil est vide.

– Vide ?

L’abbé Samuel et Shoking s’étaient penchés aubord de la fosse.

– Pas de cadavre ! dit encoreMarmouset.

– Et pas de papiers ?

– Ah ! si, je crois que c’estça.

Et Marmouset trouva, en effet, dans un coin ducercueil veuf de son cadavre, un paquet recouvert avec de la toilecirée et fermé par cinq cachets de cire noire.

Et il jeta le paquet à l’abbé Samuel.

Puis il replaça le couvercle.

Et sautant ensuite hors de la fosse, il aidal’abbé Samuel à remettre en place la pierre et la croix de fer.

L’abbé Samuel se remit à guider la marche.

Quelques minutes après, ils étaient dans lepublic-house, gagnaient le dehors et se dirigeaient rapidement versAdam street.

Quand ils arrivèrent chez Betzy, la pauvrefemme agonisait.

Un dernier éclair de vie s’alluma dans son œilen voyant reparaître l’abbé Samuel.

– Voici les papiers, dit le prêtre.

– Oui, murmura-t-elle d’une voix éteinte,c’est bien cela. Ah ! je peux mourir maintenant.

Ce furent ses dernières paroles.

Sa respiration s’embarrassa, ses yeux sevitrèrent, elle eut quelques mouvements convulsifs.

Puis un dernier souffle s’exhala de sapoitrine.

Betzy-Justice était morte, tandis que leprêtre catholique lui donnait l’absolution.

Et les trois hommes et Vanda passèrent la nuitauprès du cadavre de Betzy-Justice.

Et Marmouset, ayant ouvert le paquet de toilecirée, y trouva un volumineux manuscrit en anglais et portant letitre bizarre :

Journal d’un fou de Bedlam.

Et Marmouset fit, à haute voix, la lecture dumanuscrit.

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