Rocambole – La corde du pendu – Tome I

IX

Milon était brave, on le sait.

Mais Milon était comme tous les esprits un peuétroits, il n’affrontait volontiers que les périls dont il serendait compte.

Il avait peur de l’inconnu.

Qu’était-ce que ces deux points lumineux quibrillaient dans les ténèbres ?

Milon se le demandait, et c’est pour celaqu’il avait peur.

Rocambole se leva et fit quelques pas enavant.

Les deux points lumineux ne changèrent pointde place.

Alors Rocambole frappa deux coups dans samain.

Soudain, les deux points lumineuxdisparurent.

– Imbécile ! dit alorsRocambole.

– Hein ? fit Milon qui sentaitdiminuer son oppression.

– Sais-tu ce que c’est ?

– Non.

– C’est un chat.

– Suis-je bête ! dit Milon.

– Et, puisqu’un chat a pénétré ici, ditRocambole, c’est qu’il y a une issue quelconque.

– Vous croyez ?

– Dame ! et une issue par laquellenous pourrons sortir, nous.

– À moins, dit Milon, que le chat n’aitété emprisonné au même temps que nous.

– C’est impossible.

– Pourquoi ? demanda encoreMilon.

– Mais parce que nous l’aurions vu plustôt.

– Ah ! c’est juste.

– Et puis, reprit Rocambole, commentveux-tu que ce chat se fût trouvé dans les souterrains ?

– Nous y sommes bien, nous !

– Oui, parce que nous avons trouvél’entrée qui était murée depuis de longues années.

– Alors…

– Alors je vais l’expliquer ce qui a dûse passer.

– Voyons ? fit Milon.

– Ce chat était dans quelque caveau-dessus de nous, lors de l’explosion.

– Bon !

– L’explosion a dû amener quelquecrevasse, quelque effondrement qui lui a permis d’arriverjusqu’ici, à la suite sans doute du violent effroi qu’il auraéprouvé.

– Ah ! c’est possible.

– Donc, reprit Rocambole, nous allonsbien voir si nous ne pourrions pas nous en aller par où il estvenu.

Et sur ces mots, le maître ralluma latorche.

– À présent, cherchons, dit-il.

Et il se mit à explorer leur étroiteprison.

Deux blocs, on le sait, fermaient lagalerie.

Rocambole se dirigea vers celui qui étaittombé derrière eux.

C’était dans cette direction que les deuxpoints lumineux avaient disparu.

Le roc offrait une sorte de saillie surlaquelle le chat s’était sans doute arrêté.

Rocambole monta sur cette saillie, puis illeva la tête.

Alors il vit un trou béant dans la voûte de lagalerie.

– Monte, dit-il à Milon.

Milon arriva sur la saillie.

– Prends la torche, dit encore Rocambole.Tu me la passeras tout à l’heure.

Et il grimpa sur les épaules du colosse avecla légèreté d’un clown, et la moitié de son corps disparut dans letrou.

– À présent, passe-moi la torche, dit-ilencore.

Milon obéit.

Rocambole regarda alors au-dessus de sa tête,puis devant lui.

Il avait devant lui une nouvelle excavationqui se prolongeait dans le même sens que la galerie.

– Tiens-toi bien ! cria-t-il àMilon.

Et il jeta sa torche devant lui.

Puis, s’accrochant à une saillie du rocher, ildonna un coup de talon sur les épaules de Milon, afin de prendreson élan.

Et alors il se trouva dans l’excavationsupérieure.

La torche ne s’était point éteinte entombant.

Rocambole la ramassa.

– Attends-moi, dit-il à Milon, je vais àla découverte.

Et il s’avança, marchant avec précaution etregardant à ses pieds.

Une seconde d’examen lui suffit pour voir oùil était.

Il se trouvait dans une de ces longues cavesque les brasseurs de Londres possèdent au bord de la Tamise.

Le sol de cette cave s’était effondré aumoment de l’explosion, et cette crevasse, par laquelle Rocambolevenait de passer, n’existait certainement pas auparavant.

Il était même probable que le brasseur à quiappartenait cette cave ne se doutait pas qu’elle reposait elle-mêmesur un souterrain.

Rocambole revint sur ses pas.

Puis il s’assit au bord de la crevasse etlaissa pendre ses jambes.

– Sers-toi de mon pied, dit-il à Milon,et monte.

Le géant, qui était demeuré immobile sur lasaillie du rocher, se cramponna à une des jambes de Rocambole, etcelui-ci le hissa, déployant cette force musculaire qu’il cachaitsous son apparence délicate et presque frêle.

Alors, une fois que Milon fut auprès de lui,Rocambole lui dit :

– Maintenant, allons en avant, nousfinirons bien par trouver une porte.

La cave formait un boyau étroit. Au bout dequelques pas, ils trouvèrent une rangée de tonneaux.

– Marchons toujours, dit Rocambole.

– Attendez, fit Milon.

– Qu’est-ce ?

– J’entends un bruit sourd…

Rocambole s’arrêta.

– Oui, dit-il, c’est la Tamise.

Et ils avancèrent encore, marchant entre deuxrangées de tonneaux ; bientôt ils respirèrent un air plus vif,et ils comprirent que cet air venait du dehors.

Le mur décrivait une légère courbe.

Tout à coup Rocambole vit luire devant lui unelueur indécise et blafarde.

– Je vois le ciel, dit-il, ou tout aumoins le brouillard.

Ils avancèrent encore.

Alors Rocambole éteignit la torche.

– Que faites-vous maître ? demandaMilon.

– Je suis prudent, réponditRocambole.

– Ah !

– Nous sommes dans une cave qui sertd’entrepôt.

– Bon !

– Et cette cave a une porte qui estouverte et que tu vois devant nous à trente pas, et à traverslaquelle on entrevoit le ciel.

– Eh bien ?

– Eh bien ! nous n’avons plus besoinde torche, et il est inutile qu’on nous aperçoive du dehors.

– C’est juste.

Rocambole marchait toujours.

Enfin ils arrivèrent à cette porte, dont lesdeux battants étaient ouverts.

Quelques lumières brillaient çà et là àtravers le brouillard.

La Tamise grondait en bas.

Rocambole s’arrêta au seuil de la porte etdit :

– Cette porte est une fenêtre.

– Tiens ! c’est vrai, dit Milon.

En effet, on apercevait le sol à vingt piedsau-dessous et au delà de la Tamise.

La porte de la cave était, en effet, unefenêtre qui se trouvait à la hauteur du premier étage d’une maisondont les assises étaient au niveau du lit de la rivière.

La Cité de Londres n’a pas de quais.

À la marée basse, la Tamise laisse en seretirant un espace à découvert, dont la largeur varie entre dix etquinze pieds.

À la marée haute, elle couvre cet espace etvient battre les murs des maisons, converties pour la plupart enentrepôts.

– Que faire ? dit Milon.

– Si tu veux te rompre le cou, tu n’asqu’à sauter d’ici.

– Mais, dit le colosse, en cherchantbien, peut-être trouverions-nous une corde.

– À quoi bon ? dit Rocambole.

– Mais…

– Quelle heure est-il ?

Milon avait sa montre, une belle montre àrépétition. Il la fit sonner.

– Trois heures du matin, dit-il.

– Eh bien ! dans une heure, ditRocambole, la marée sera montée.

– Vous croyez ?

– Elle baignera le pied de la maison, etalors nous nous jetterons à la nage.

Milon soupira.

Cette dernière heure qui le séparait de laliberté lui paraissait longue.

Rocambole se prit à sourire.

– Tout à l’heure, dit-il, nous étionsemprisonnés dans un souterrain avec la perspective de mourir defaim. À présent, nous touchons à la liberté, nous aspirons le grandair, et tu n’es pas content.

– Vous avez raison, maître, dit Milon. Jesuis une brute !

– Et pour que le temps ne te paraisse pastrop long, reprit Rocambole, je vais continuer mon histoire.

– Vous allez me dire le secret du mari deBetzy-Justice ?

– Non, pas encore.

– Ah !

– Je vais d’abord te raconter sonexécution.

– Vous y avez donc assisté ?

– Sans doute.

Et Rocambole s’assit au bord de cette croiséequi ouvrait sur la Tamise, laquelle refoulée par la marée,commençait à monter…

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