Rocambole – La corde du pendu – Tome I

XII

Huit jours s’étaient écoulés.

Nous eussions retrouvé Vanda et Marmouset aupremier étage d’une maison de Saint-George street, dans le Wapping.Il était presque nuit et Londres allumait ses réverbères.

Vanda et Marmouset causaient à mi-voix, assisauprès de la fenêtre, jetant de temps à autre un regard dans la rueet paraissant attendre quelqu’un.

– Enfin, disait Vanda, toutes nosrecherches, tous nos efforts ont été inutiles depuis huit jours.Qu’est devenu Rocambole ? Oh ! il est mort, sansdoute.

– Cela est impossible, dit Marmouset. SiMilon et lui s’étaient noyés, on aurait repêché leurs cadavres.

– Qui sait ?

– J’ai vu tous les noyés qu’on a retirésdu fleuve, et puis, dit Marmouset, vous savez bien qu’ils sont bonsnageurs tous les deux.

– Que sont-ils donc devenus ?

– Mystère ! dit Marmouset.

– Les fénians ont cherché l’homme grispartout.

– Je ne dis pas non.

– Miss Ellen, qui est venue ce matinencore, nous a affirmé que la police anglaise ne l’avait pasrepris. Mais miss Ellen en est-elle sûre ?

– Oui, certes, dit Marmouset.

– Comment ?

– Elle a fait sa paix avec lord Palmure,son père.

– Bien. Mais…

– Lord Palmure s’intéresse maintenant àl’homme gris autant qu’il le haïssait, et lord Palmure est paird’Angleterre, et il a le droit de se faire ouvrir les prisons et devoir les prisonniers qu’elles contiennent.

– Ce que vous dites là, Marmouset,devrait me rassurer, et cependant…

– Cependant vos alarmes sont pluspoignantes que jamais ?

– Oui.

– Pourquoi ?

– Parce que je songe au révérendPatterson, le plus implacable ennemi de l’homme gris.

Marmouset haussa les épaules.

– Patterson n’est pas de force avecRocambole, dit-il.

– Enfin, murmura Vanda, comment Rocambolen’a-t-il pas cherché à nous rejoindre ? Nous croit-il doncensevelis dans le souterrain ?

Marmouset ne répondit pas tout d’abord.

Puis soudain, relevant la tête :

– Ma chère amie, dit-il, le maître apeut-être quitté Londres, mais nous, nous sommes biencoupables.

– Coupables ? fit Vanda étonnée.

– Nous avons manqué de mémoire.

– Comment cela ?

– Ne vous souvenez-vous donc pas qu’aumoment où il allait mettre le feu au baril de poudre, Rocambolenous dit : « Il faut tout prévoir. Il est possible que jesuccombe, il est possible que nous soyons tout à l’heure à jamaisséparés, et alors vous continuerez mon œuvre… »

– Oui, dit Vanda, le maître nous ditcela, en effet, et il nous enjoignit, s’il périssait, d’aller dansRothnite, de l’autre côté du tunnel, et d’y rechercher une vieillefemme du nom de Betzy-Justice.

– Précisément. Eh bien ! nous n’enavons rien fait.

– Parce que nous espérions, parce quenous espérons encore que le maître n’est pas mort.

– Soit, mais c’est par là que nousaurions dû commencer nos recherches, néanmoins.

– Pourquoi ?

– Parce que le maître est sans doute déjàallé chez cette femme.

– Ah ! dit Vanda, si vous pouviezdire vrai ?

– Qui sait ?

– Mais alors, partons, partons tout desuite !

– Non, il faut attendre maintenant.

– Attendre quoi ?

– La visite de Farlane, qui doit venirnous rendre compte des recherches continuées par les fénians.

Et comme Marmouset disait cela, il eut ungeste de satisfaction.

– Tenez, fit-il, le voilà !

– Farlane ?

– Oui, il traverse la rue.

– Seul ?

– Non, il est avec Shoking.

En effet, peu après ses pas retentirent dansl’escalier, puis on frappa à la porte et Marmouset courutouvrir.

Farlane le fénian et notre vieil ami Shokingentrèrent. Tous deux avaient la mine triste, abattue.

– Eh bien ? fit Marmouset.

– Rien, dit Farlane.

– Absolument rien ! murmuraShoking.

– C’est que nous finissons par où nousaurions dû commencer, dit Marmouset.

– Que voulez-vous dire ? fitShoking.

– Sais-tu où est Adam street ?

– Certainement, répondit Shoking, c’estdans Rothnite.

– Eh bien ! va nous chercher uncab.

Shoking ne se le fit pas répéter, etdégringola l’escalier en courant.

Vanda avait jeté un châle sur ses épaules.

Pendant ce temps, Marmouset, disait àFarlane :

– Attendez à demain pour mettre denouveau les hommes dont vous disposez en campagne.

– Pourquoi ? demanda le fénian.

– Parce que demain peut-être aurons-nousun point de départ certain pour continuer nos recherches.

– Comme il vous plaira, dit Farlane avecun flegme tout britannique.

Cinq minutes après, Shoking revint.

– Le cab est en bas, dit-il.

Marmouset tendit la main au fénian.

– À demain ! dit-il.

– À demain de bonne heure ! réponditFarlane.

Et il s’en alla.

– Allons vite, dit alors Marmouset.

– Est-ce que vous ne m’emmenez pas avecvous ? demanda Shoking.

– Viens si tu veux.

Vanda et Marmouset montèrent dans le cab.

Shoking monta à côté du cabman, et celui-cirendit la main à son cheval.

Le cab descendit rapidement Saint-Georgestreet, passa auprès de la tour de Londres, entra dans Thamesstreet, gagna le pont de Londres, arriva sur la rive droite et sedirigea vers Rothnite. Arrivé près de Rothnite-Church, c’est-à-direà l’église de Rothnite, Marmouset cria au cabman d’arrêter.

Puis il mit pied à terre.

Shoking avait déjà ouvert la portière.

Marmouset lui dit :

– Nous sommes dans un quartier misérable,aux rues étroites. Il est inutile de poursuivre notre chemin envoiture et d’éveiller l’attention.

Et Marmouset paya le cabman et le renvoya.

Puis tous trois continuèrent leur chemin àpied.

D’ailleurs, Adam street, une pauvre ruelleentre toutes, était à deux pas.

Marmouset se souvenait du numéro que lui avaitdonné Rocambole, et il se trouva bientôt au seuil de la maisondésignée.

C’était une pauvre maison à trois étages, demorne apparence.

On y entrait par une allée étroite et sombre,dans le milieu de laquelle était percé un judas qui donnait dans laboutique d’un marchand de poissons.

Celui-ci, entendant marcher, mit la tête à cejudas.

– Où allez-vous ? demanda-t-il.

– N’est-ce pas ici que demeureBetzy-Justice ? fit Marmouset.

– Oui, au troisième. Il n’y a qu’uneporte.

– Savez-vous si elle est chezelle ?

– Oh ! certainement. Elle est au litdepuis le jour où on a pendu son mari.

Ils montèrent.

Marmouset frappa. La clef était sur laporte.

– Entrez ! dit une voix affaiblie del’intérieur.

Betzy-Justice était étendue sur un grabat etdans un état de faiblesse extrême.

À la vue de ces trois inconnus elle jeta uncri d’effroi.

– Ah ! dit-elle, est-ce que vousvenez me chercher, moi aussi, pour me mettre en prison comme monpauvre Tom, et me pendre ensuite comme vous l’avez pendu ?Oh ! ce ne serait pas la peine, dit-elle, car je vaismourir !

– Ma chère, répondit Marmouset, nous nesommes pas des gens de la justice, mais des amis.

– Ah ! ne me trompez-vouspoint ? dit la vieille.

Et elle écarta de ses doigts amaigris labroussaille de cheveux gris qui lui couvrait le front.

– Ne me trompez-vous point ?répéta-t-elle.

– Non, nous sommes les amis de l’hommegris.

Ce nom arracha un cri de joie à lavieille.

– De l’homme gris ! dit-elle,l’homme gris ?

– Oui.

– Il n’est donc plus en prison ?

À cette question, Marmouset et Vanda seregardèrent avec une morne stupeur.

Leur dernière espérance s’évanouissait.

Betzy-Justice n’avait pas vu l’homme gris, etil y avait huit jours que l’homme gris et Milon avaient quitté lesouterrain de Newgate.

– Ah ! s’écria Vanda avec un sanglotdans la voix, je vous le disais bien, il est mort !

Betzy se dressa sur son lit demisère :

– Qui donc est mort ?s’écria-t-elle.

Et elle attacha sur les trois personnes sesyeux enflammés par la fièvre et les larmes.

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