Roger-la-Honte

Chapitre 3

 

 

D’ordinaire, Suzanne passait ses journées, parce gai soleil, à courir dans le jardin après les papillons, àcueillir des bouquets pour la salle à manger, à arroser les fleurs,les salades et les plates-bandes rouges de fraises, avec le cocher,qui s’occupait de jardinage. Elle était la joie de la maison,qu’elle emplissait de rires et de chansons.

Depuis deux jours elle avait voulu rester dansla chambre de sa mère, n’essayant même pas de se distraire avec sesjouets, ni d’habiller ses poupées, ni d’étudier sa leçon aupiano.

M. Lacroix avait accompagné Henriettejusqu’à la villa, et il était monté avec elle.

Au salon, où il resta, elle dit d’une voixbrève :

– Ainsi, vous voulez parler àSuzanne ? Vous voulez l’interroger ?

– Il le faut. Je dois arriver à lavérité, dans l’intérêt de la justice…

– Mais savez-vous bien que si mon mari,contre toute vraisemblance, était coupable, ce serait horrible ceque vous allez faire là… obliger une fille, une enfant, à accuserson père !…

– Ma joie serait grande de trouvermonsieur Laroque innocent. Et si j’interroge votre fille, ce n’estpas dans l’espoir – ce serait affreux, comme vous le dites –qu’elle accusera son père, mais c’est avec le secret désir que sadéposition l’innocentera.

Elle baissa la tête, découragée, et,lentement, se dirigea vers sa chambre…

Suzanne était là, debout, qui avait toutentendu. Elle tendit les bras à sa mère. Celle-ci la serra contresa poitrine, dans une étreinte convulsive. Et, en la couvrant debaisers, elle lui redit encore tout bas, à l’oreille :

– Souviens-toi !…Souviens-toi !…

Elles rentrèrent toutes deux au salon.

– Va, dit la mère à l’enfant, en luimontrant le commissaire, va auprès de ce monsieur, qui veut teparler, et réponds bien à ce qu’il te demandera.

Suzanne avança sans timidité et vint se placerentre les genoux de M. Lacroix, qui l’entoura de ses bras etlui mit un baiser sur le front.

– Elle ne dira rien. Elle a sa leçonfaite… murmura le magistrat.

– Te rappelles-tu ce que tu as faitavant-hier soir, ma chère petite ?

L’enfant réfléchit un peu ; elle étaitfort pâle et avait les yeux très fatigués ; mais son attitudene marquait aucune timidité, aucune irrésolution. Elle réponditd’une voix ferme :

– Mais oui, Monsieur, je me rappelleparfaitement.

– Et veux-tu me dire ce que tu asfait ?

– J’ai joué au jardin très tard ;j’ai arrosé les fleurs ; j’ai cueilli des fraises, puis j’aifait un gros bouquet de roses, que j’ai mis sur la table de lasalle à manger ; j’ai joué avec une grande poupée que ma mèrem’avait donnée le matin, parce que c’était l’anniversaire de manaissance… – j’ai eu sept ans avant-hier, Monsieur… – je l’aidéshabillée, ma poupée, je lui ai refait, avec ma mère, une bellerobe de satin bleu, et je lui ai arrangé aussi un chapeau… Voilà,Monsieur…

– Mais le soir, mon enfant, tout à faitdans la soirée ?

– Je n’ai rien fait. Je suis restée prèsde ma mère, qui m’a fait répéter mon compliment pour papa… mais jene le lui ai dit que le lendemain, parce que… papa est revenu tard…et je me suis couchée dans le lit de ma mère… avant son retour…

– Tu oublies beaucoup de choses.

– Peut-être bien… Quoi donc ?

– Tu t’es couchée très tard… beaucoupplus tard qu’à l’ordinaire…

– C’est vrai… et pourtant, je nem’endormais pas…

– Sais-tu l’heure qu’il était ?

– Je ne sais pas, non, Monsieur, mère ledira peut-être…

– Mais avant de te mettre au lit, tuétais au balcon ?

– Avec maman, oui, Monsieur.

– Et du balcon, qu’est-ce que tu as vudans la rue ?

– Rien.

– Tu n’as pas vu un homme, celui-là mêmeque tu attendais, ton père ? Tu ne l’as pas vu entrer dans lamaison du voisin ?…

La voix de Suzanne se fit un peu plustremblante.

– Non, Monsieur, je ne sais pas ce quevous voulez dire !…

– Souviens-toi bien, mon enfant ; tuas même appelé ton père, en battant des mains, parce que tu étaisheureuse de le revoir… Et tu sais bien que tu as dit aussi :« Tiens, père qui va chez le voisin !… » Et uninstant après, tu as entendu un coup de feu : Pan ! qui adû te faire beaucoup de peur ? Voyons, raconte-moi la vérité,mon enfant…

– Mais, Monsieur, je ne me souviens pasd’avoir dit tout cela.

– C’est un mensonge… et ce n’est pas beaude mentir… On a dû te dire cela souvent… Quand tu étais plus petiteet que tu mentais… on a dû te punir… te mettre en pénitence… Et sije disais à ta mère de te punir… de t’enfermer toute seule dans unechambre noire ?

– Mère ne me punit jamais que lorsque jel’ai mérité, Monsieur.

Et la courageuse enfant regardait sa mère avecune tendresse infinie.

Henriette s’était assise auprès de la fenêtre.Lacroix lui tournait le dos, et, comme il avait pris Suzanne surses genoux, l’enfant, tout en répondant à ses questions, pouvaitvoir sa mère.

Celle-ci dévorait sa fille de son regardanxieux. Elle sentait bien qu’elle vivait toute sa vie, en cesquelques secondes… Elle écoutait parler Suzanne… ne respirant pas…et contraignant les convulsions de son cœur de ses deux mainscrispées.

– Madame, dit tout à coup Lacroix, jevous serais bien obligé de me laisser un moment seul avec votrefille…

– Quoi, Monsieur, vous voulez ?…

– Oui, Madame…

Elle se dressa, chancelante. En passant prèsde sa fille, elle se pencha et lui mit un baiser dans les cheveux.Elle lui dit encore son éternel mot, son éternelle prière :« Souviens-toi ! »

Puis, marchant en se tenant debout par je nesais quelle force instinctive – car elle ne sentait plus ses jambes– elle traversa le salon, sans plus se retourner, et rentra dans sachambre.

Lacroix restait seul avec Suzanne.

Il vint se rasseoir où il était tout à l’heureet l’attira de nouveau sur ses genoux ; mais l’enfant résistaet se tint debout près de lui.

L’expression du regard avait changé. Il yavait maintenant de la crainte. Sa mère partie, elle avait peur. Etses grands yeux effarés ne quittaient pas la porte de la chambre,derrière laquelle elle venait de voir disparaître Henriette…

– En t’obstinant à ne rien dire, monenfant, reprit M. Lacroix, tu peux faire beaucoup de mal à tonpère… Pourquoi ne me dis-tu pas la vérité ?… Tu vois,cependant, que je la connais ?… Victoire m’a tout raconté… Ceque Victoire m’a dit, pourquoi ne me le répètes-tu pas ? Quit’en empêche ? Qui crains-tu ?

– J’ignore ce que vous voulez de moi etpourquoi vous m’adressez toutes ces questions… Je ne puis vous direce que je ne sais pas… Faites venir mère et dites à mère dem’interroger…

Il essaya encore de la mettre sur ses genoux,mais elle se raidit.

– Il y avait un homme, âgé et sansdéfense, car il n’était pas robuste, qui demeurait là, dans cettemaison qui fait face à la vôtre. On l’a tué, ce pauvre homme. Ettout le monde me dit que tu as vu celui qui l’a tué. Or, c’est untrès grand crime, vois-tu, cela… et qui mérite une punition… Sil’on avait tué ta mère, ne voudrais-tu pas qu’on punît celui quil’a tuée ?

Suzanne se retenait pour ne pas pleurer.

Le commissaire de police s’en aperçut.

Il sentait fondre, pour ainsi dire, sous samain, cette énergie dont Suzanne, jusqu’à ce moment, avait faitpreuve.

Elle fit un brusque mouvement pour se dégager,s’éloigner de cet homme, courir vers sa mère.

Il ne voulut pas lui laisser le temps de seremettre…

– Tu le connais donc, que tu ne veux riendire ? Car autrement, tu parlerais. Et si tu le connais, si tute tais, c’est qu’il est de tes amis. Alors, qui cela peut-ilêtre ?

Elle avait les yeux gonflés de larmes. Elle nepleurait pas encore, mais les sanglots lui montaient à la gorge, etcomme ses sanglots l’étouffaient, son visage, tout à l’heure siblanc, se colorait de plaques roses, par places, et ses yeuxs’enflammaient.

– Ainsi, je me trompe ? Il n’est pasde tes amis ?… Alors, si tu ne le connais pas… si c’est unhomme que tu n’as jamais vu… pourquoi gardes-tu le silence ?…Il faut me le dire, mon enfant… Du moment que tu ne l’aimes pas,celui qui a tué le vieux Larouette, du moment qu’il n’est pas detes amis, pourquoi te retiens-tu de parler ?

– Oh ! Monsieur !Monsieur ! fit l’enfant.

Et elle ne put dire que cela. Ses larmescoulaient. Elle éclatait en sanglots. Son corps frêle était tordupar des spasmes nerveux…

– Est-ce ta mère qui t’a ordonné lesilence ? Oui, n’est-ce pas ? Ta mère a eu tort ;mais si cela est vrai, je ne demande plus rien, car je comprendsque tu ne veuilles pas désobéir à ta mère. Réponds seulement àceci, et je te tiens quitte de tout : « Est-il vrai queta mère t’a fait promettre de ne rien dire ? »

Ses sanglots seuls et ses torrents de larmesrépondaient.

– Écoute, chère petite, je serai francavec toi. Je ne veux pas de mal à ton père, n’est-ce pas ?…Dis-moi que tu l’aimes ?…

Mais elle était incapable de parler.

– Tu l’aimes, j’en suis sûr. Ehbien ! il y a de vilaines gens qui prétendent que c’est luiqui a pénétré, dans la nuit d’avant-hier, chez votre voisinLarouette, pour le tuer et lui prendre son argent. Si cela étaitprouvé, tu ne reverrais plus ton père… Mais ci cela est faux, tonpère te sera rendu bientôt et tu pourras toujours l’embrasser, lecaresser, grimper sur ses genoux, lui tirer la barbe, et chercherdans ses poches les jouets qu’il te rapporte de Paris… Tum’écoutes ?…

– Oui… oui, Monsieur ! dit-elleentre ses sanglots.

– Il dépend de toi que ton père reviennetout de suite… Tu as vu l’homme qui a tué Larouette… Si c’est tonpère… ne me le dis pas, mon enfant… si ce n’est pas lui, ne crainspas de parler…

– Je ne sais rien, Monsieur… je n’ai rienvu… pourquoi me faites-vous tant de chagrin ?

Le commissaire de police la regarda longtempsen silence. Il lui tenait les deux mains et l’avait éloignée un peude lui pour la mieux voir…

Les larmes descendaient en ruisseauxintarissables le long du visage de la fillette, s’arrêtaient, aucoin des lèvres, puis tombaient.

Elle pleurait debout, la tête droite, sanssonger à se cacher…

M. Lacroix était très troublé.

Tout à coup, avec une sorte de geste decolère, il attira l’enfant, lui prit le front dans ses deux mainset l’embrassa sur les yeux, comme pour y refouler les larmes qu’ilavait fait verser.

– Je t’ai causé du chagrin, et je t’endemande pardon, chère enfant ! dit-il à mi-voix… Va retrouverta mère !

Et Suzanne, pleurant toujours, mais sortantvictorieuse de cette lutte poignante, alla rejoindre Henriette danssa chambre.

À ce moment, on frappa au salon. Deux hommesentrèrent. C’étaient Tristot et Pivolot.

Ils venaient apprendre à Lacroix, qui leuravait donné rendez-vous à Ville-d’Avray, que, le matin même, RogerLaroque avait été arrêté dans son bureau de la rue Saint-Maur etinterné séance tenante par un commissaire aux délégationsjudiciaires.

Profitant de la présence des deux agents à lavilla Montalais, le commissaire procéda à une perquisition dans lecabinet de Laroque et dans sa chambre à coucher.

Cette perquisition ne fut pas inutile, carelle amena la découverte, dans un placard d’une petite pièceservant de cabinet de toilette, des vêtements dont Laroque étaitcouvert, la nuit du crime.

Tristot et Pivolot, mis en campagne depuis laveille, savaient comment Roger Laroque était vêtu le jour où futassassiné Larouette et reconnurent les vêtements sans hésiter.

Du reste, Lacroix interrogea aussitôtMme Laroque.

– Ce pardessus, ce pantalon, cetteredingote et ce chapeau sont bien ceux que votre mari portaitavant-hier ?

– Oui, Monsieur, je les reconnais.

– Votre mari vous a-t-il expliquépourquoi son pardessus était ainsi fripé… son pantalon déchiré… sonchapeau bossué ?

Elle fit un signe négatif.

– Avez-vous, demanda M. Lacroix, lesclés du secrétaire et des tiroirs du bureau ?

– Je les ai, oui, Monsieur.

– Voulez-vous me les prêter ?…

– Les voici, Monsieur.

Les trois hommes fouillèrent les tiroirs. Ilss’emparèrent de quelques valeurs, actions ou obligations, titres derentes et billets de banque…

Dans un des tiroirs du bureau, M. Lacroixtrouva un revolver.

– Oh ! oh ! murmura-t-il… voiciquelque chose d’intéressant.

C’était une arme de petit calibre, un revolverde poche, à poignée d’ivoire, et assez richement damasquiné.

Cette arme, Henriette l’avait vue, quelquesminutes après l’assassinat de Larouette, entre les mains de sonmari…

M. Lacroix avait fait jouer la batterie,et il remarqua qu’un coup avait été tiré ; une cartouchemanquait ; il n’en restait que cinq sur six. En même temps, lecanon, encrassé, prouvait que l’on avait tiré tout récemment.

M. Lacroix retira une des cartouches, et,avec son canif, en fit sauter la balle ; celle-ci était de lamême grosseur que la balle extraite par le médecin de la poitrinede Larouette.

« S’il m’était resté un doute, voilà quime convaincrait », se disait-il.

Et il glissa le revolver dans sa poche.

La suite de la perquisition ne fit riendécouvrir d’intéressant.

Sur le point de partir, M. Lacroix dit àMme Laroque :

– Nous serons obligés de revenir ce soir,vers dix ou onze heures, pour une expérience que je veuxfaire ; ayez l’obligeance de nous attendre.

Henriette inclina le front sans répondre. Ellese laissait aller, à présent, sans force et sans résistance, autorrent qui l’emportait.

Vers onze heures du soir, en effet, Lacroixrevint, accompagné par Tristot et Pivolot qui restèrent en bas.

M. Lacroix monta. Au salon, ildit :

– Je vous demanderai la permission,Madame, de pénétrer dans votre chambre… Oh ! pour quelquesminutes seulement…

– Que voulez-vous donc faire ?

– Vous allez le voir. Excusez-moi de monimportunité et de mon indiscrétion… il ne s’agit que d’uneexpérience…

Et il entra dans la chambre et alla ouvrir lafenêtre et passa sur le balcon.

En face, la maison de Larouette, morne etdéserte depuis l’assassinat, parut s’animer tout à coup etvivre.

Devant la fenêtre ouverte de la victime, uneombre s’agita. La lumière d’une bougie, placée sur la table,éclaira soudain la scène, tout le théâtre du crime.

Lacroix, alors, vint prendre Suzanne par lamain.

– Maman, maman, dit-elle, je ne veux pas,je ne veux pas.

Henriette, machinalement, s’était approchée dubalcon, ne devinant pas ce que voulait faire M. Lacroix. Mais,brusquement, ayant vu, elle comprit ; elle laissa échapper uncri d’horreur.

– Non, vous ne ferez pas cela, dit lamalheureuse femme, en se jetant entre Suzanne et M. Lacroix,ce serait atroce, ce serait odieux… et cela ne vous est pas permis…C’est assez de nous torturer depuis deux jours, comme vous lefaites… Vous êtes chez moi, dans ma chambre, et j’ai le droit devous chasser… Allez-vous-en… Allez-vous-en !…

Elle était dans une agitation voisine de lafolie. Elle se reculait devant Lacroix, serrant Suzanne contreelle, cachant dans sa robe le visage terrifié de l’enfant…

– Mais, Madame, réfléchissez, disaitLacroix…

– Je vous ai dit que ma fille étaitmalade. Il faut avoir pitié d’elle… une trop forte émotion pourraitla tuer, tellement elle est impressionnable et nerveuse… Ayez pitiéd’elle, Monsieur… Enfin, que voulez-vous donc obtenir ?… Quevoulez-vous de moi ?… Qu’avons-nous fait ?…Qu’espérez-vous ?… Pourquoi, depuis deux jours, êtes-vousentré de force dans notre vie et ne nous laissez-vous plus uninstant de repos ?… Un crime s’est commis près de nous… Est-cedonc la faute de ma pauvre petite fille ?… Est-ce donc mafaute, à moi ?… Vous outrepassez votre devoir… Votre zèle vousemporte trop loin… La chambre d’une femme devrait vous être sacrée…et ce qui devrait vous être plus sacré encore, c’est l’innocence decette enfant, ce sont ses terreurs, ce sont ses larmes…Allez-vous-en, vous dis-je… J’ai le droit de vous ordonner departir, et je ne veux pas que vous restiez ici plus longtemps.

Un mot très froid du commissaire de police larappela à la raison.

– Puisque, votre fille et vous, vousprétendez n’avoir rien vu du meurtre de Larouette, commentdevinez-vous que nous voulons reconstituer la scène ducrime ?…

Elle se tut, baissant le dos. Puis, après unmoment, d’une voix faible et suppliante :

– De grâce, Monsieur… par pitié,laissez-nous.

Lacroix avait pris doucement Suzanne par lamain. Il disait :

– Puisqu’elle n’a rien vu, d’où vient safrayeur ?… Et pourquoi ne veut-elle pas monter avec moi sur lebalcon ?…

Suzanne, tout à coup, s’éloigna de sa mère etla regarda en face. Et ce regard consolait la pauvre femme etdisait clairement :

– Ne crains rien. Je te comprends. Jesuis forte !…

Et elle se laissa entraîner sur le balcon.

En face, dans la petite chambre meubléed’acajou, comme au soir du crime, un homme était assis devant sonsecrétaire ouvert, et faisant mine de compulser des papiers. Cethomme, qui occupait la place de Larouette, c’était l’un desagents : Tristot. Derrière lui, sur la table qui occupait lemilieu de la pièce, une bougie brûlait dans un chandelier defaïence, la même bougie qui avait éclairé le crime.

Lacroix toucha du doigt l’épaule deSuzanne.

– Regarde, mon enfant, dit-il… et, si tuas vu, tu te souviendras !…

Soudain, apparut dans la rue un homme de hautetaille, coiffé d’un chapeau haut de forme, de couleur grise, bordéd’un large ruban noir – la lune permettait de distinguer ces choses–, et vêtu d’un pardessus gris à pèlerine.

Cet homme, c’était l’autre agent,Pivolot ; le vêtement et le chapeau étaient ceux de RogerLaroque, le soir du crime.

Il traversa les marronniers et pénétra chezLarouette. Un instant après, il entrait doucement dans la chambreoù Tristot travaillait, sans défiance à son secrétaire.

Mais, tout à coup, Pivolot ayant remué unechaise, Tristot se retourna, l’aperçut, et les deux agents firentmine de se jeter l’un sur l’autre, car d’après la déposition dumédecin, la posture du cadavre, l’état des lieux, Lacroix n’avaitpas eu de peine à reconstituer la scène du meurtre.

Et l’on voit qu’il ne s’était pas trompé.

– On distingue parfaitement, murmura lecommissaire de police. Il est évident, pour moi, qu’une personneplacée ici, au moment de l’assassinat, devait ne perdre aucundétail. Or, comme madame Laroque et sa fille se trouvaient –Victoire l’affirme – sur le balcon, il est facile de conclurequ’elles ont tout vu…

Il avait tenu, tout le temps de cette scène,Suzanne par la main. Il espérait surprendre un tressaillement – àl’apparition, surtout, de l’agent vêtu des habits de son père. Maisla main brûlante de l’enfant était restée inerte dans lasienne.

Il se pencha sur elle et la regarda de trèsprès. Alors, il vit qu’elle avait les yeux si obstinément fermés,et avec tant de force, que les paupières formaient sur eux millerides.

Elle avait voulu ne rien voir, et elle n’avaitrien vu !

– Sublime enfant ! murmura lemagistrat, elle m’a vaincu…

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