Scènes de la vie de jeunesse

III

Pendant qu’Ulric de Rouvres se rend aurendez-vous que lui avait assigné Tristan, nous donnerons auxlecteurs quelques explications sur les événements qui avaientdéterminé son suicide, si singulièrement avorté.

Entré de bonne heure dans la vie, car il avaitété mis en possession de sa fortune avant d’avoir atteint samajorité, Ulric, ébloui d’abord par le soleil levant de savingtième année, et étourdi par le bruit que faisait ce monde où ilétait appelé à vivre, hésita un moment ; et, comme un voyageurqui, mettant pour la première fois le pied sur un sol inconnu,craint de s’y égarer, il demanda un guide.

Il s’en présenta cinquante pour un ; car,ainsi qu’aux barrières des villes qui renferment des curiosités, ontrouve aux portes du monde une foule de cicérones qui viennentbruyamment vous offrir leurs services.

Ulric, ivre de liberté, voulut tout voir ettout savoir ; nature ardente, curieuse et impatiente, ilaurait désiré pouvoir, dans une seule coupe et d’un seul coup,boire toutes les jouissances et tous les plaisirs.

Il vit et il apprit rapidement ; et, àvingt-quatre ans l’expérience lui avait signé son diplômed’homme.

L’esprit plein d’une science amère, le cœurchangé en un cercueil qui renfermait les cendres de sa jeunesse, etl’âme encore tourmentée par d’insatiables désirs, il quitta cemonde où, quatre années auparavant, il était entré l’œil souriantet le front levé, en lui jetant la malédiction désolée des filsd’Obermann et de René ; et sinistre et lamentable, il s’enretourna grossir le nombre de ceux qui épanchent sur toutes chosesleurs doutes amers ou leurs audacieuses négations.

La brutale disparition d’Ulric fut accueilliedans la société par une banale accusation de misanthropie ; etau bout de huit jours, on n’en parlait plus.

De toutes ses anciennes connaissancesd’autrefois, Tristan fut le seul avec qui Ulric conserva quelquesrelations. Un jour il vint le voir, et lui tint des discours qui nelaissèrent point de doute à Tristan sur les idées de suicide quigermaient déjà dans son esprit.

– À vingt-quatre ans, c’est bien tôt,répondit Tristan ; en tout cas vous me permettrez de ne pasvous accompagner.

– Ah ! c’est donc vrai ce qu’onm’avait dit sur vous ? Vous êtes atteint du mal du siècle,vous aurez trop lu Faust et les esprits chagrins qui sontvenus à sa suite. C’est plutôt l’influence de ces gens-là que toutle reste qui vous amène au bord de ce moyen extrême. Vous vouscroyez mort, vous n’êtes qu’engourdi, mon cher ! Quand on atrop couru on est fatigué, cela est naturel. Vous êtes dans uneépoque de repos ; mais, demain ou après, vous jetterez par lafenêtre votre résolution funeste et vos pistolets anglais, ou vousen ferez cadeau à un pauvre diable de poète incompris, qui n’aurapour se guérir des misères de ce monde que le moyen extrême de s’enaller dans l’autre.

J’ai été comme vous ; plus d’une foisj’ai mis la clef dans la serrure de cette porte qui donne surl’inconnu ; mais je suis revenu sur mes pas, et j’espère quevous ferez comme moi. Vous me répondrez que vous n’avez plus nicœur ni âme, et qu’il vous est impossible de croire à rien.D’abord, on a toujours un cœur ; et pourvu qu’il accomplissesa fonction de balancier, on n’a pas besoin de lui en demanderdavantage. Quant à ce qui est de l’âme, c’est un mot pourl’explication duquel on a écrit dans toutes les langues un millionde volumes, ce qui fait qu’on est moins fixé que jamais sur sonexistence et sa signification. L’âme est une rime àflamme, voilà ce qu’il y a de plus évident jusqu’ici.

Pour ce qui touche les croyances, il en est detellement naturelles qu’on ne peut jamais les perdre ; on nepeut nier ce qu’on voit, ce qu’on touche et ce qu’on entend. Àdéfaut de sentiments, on a toujours des sensations ; et c’estn’être point mort que de posséder de bons yeux pour voir le soleil,des oreilles pour entendre la musique, et des mains pour les passeramoureusement dans la chevelure parfumée d’une femme, qui, à défautde ces vertus idéales que réclament les jeunes gens de l’écoleromantique allemande, a au moins les qualités positives etplastiques de sa beauté. Vous avez fini votre temps de poésie etperdu les ailes qui vous emportaient dans les olympes del’imagination ; mais il vous reste des pieds pour marcherencore un bon bout de temps dans une prose substantielle etnourrissante ; et ce qui vous reste à faire est le meilleur duchemin.

Mais en voyant que ces railleries, qui luiétaient familières, à lui poète du matérialisme et apôtre duscepticisme, semblaient provoquer Ulric au lieu de le calmer,Tristan quitta subitement le ton qu’il avait pris d’abord, et lesermonna avec une éloquence onctueuse, persuasive et presquepaternelle, qui eut, du moins un instant, pour résultat de le fairerenoncer à son dessein de suicide.

Cependant, à compter de ce jour, Ulric nerevint plus voir Tristan, qui, malgré tous les soins qu’il pritpour le découvrir, fut longtemps sans savoir ce qu’il étaitdevenu.

Un jour Tristan faisait, en compagnie dequelques amis, une partie de cheval dans une campagne des environsde Paris. Ce fut là que le hasard lui fit rencontrer Ulric, aprèssix mois de disparition. Ulric n’était pas seul ; il donnaitle bras à une jeune fille de dix-huit à vingt ans, ayant le costumedes ouvrières. Ulric aussi, Ulric, qui jadis avait donné dans lemonde l’initiative de l’élégance ; Ulric, qui avait étépendant un temps le thermomètre des variations de la mode et dontles innovations, si audacieuses qu’elles fussent, étaient toujoursacceptées ; qui, s’il lui avait pris un jour l’idée de mettredes gants rouges, en aurait fait porter à tout le JockeyClub, Ulric était vêtu d’habits coupés sur les modèles trouvéssans doute dans les Herculanums de mauvais goût. Il étaitméconnaissable. Cependant Tristan le reconnut au premier regard etallait s’approcher de lui pour lui parler, quand Ulric lui fitsigne de ne pas l’aborder.

– Quel est ce mystère ? murmuraTristan en s’éloignant.

En voici l’explication :

Dans les naïfs récits des romanciers et despoètes du moyen âge, on rencontre beaucoup d’aventures de princeset de chevaliers mélancoliques qui, fuyant les cours et leschâteaux, se mettent un jour à courir le pays, cachant leurnaissance et leur fortune, et, déguisés en pauvres trouvères, s’envont, la guitare en main, chanter l’amour, et, parmi toutes lesfemmes, en cherchent une qui les aime pour eux-mêmes. Ilsdonnent un soupir pour un sourire, et s’arrêtent aussi volontierssous l’humble fenêtre des vassales que sous le balcon armorié deschâtelaines.

Enfant de ce siècle, Ulric de Rouvres, quicomptait peut-être des aïeux parmi ces héros, demi-poètes,demi-paladins, dont sont peuplées les vieilles légendes, semblaitvouloir continuer la tradition de ces temps barbares au milieu desmœurs civilisées de notre époque.

Voici ce qu’Ulric avait fait pour romprecomplètement avec un monde où pendant quatre années lesdélicatesses trop exagérées de sa nature avaient été constammentfroissées.

Après avoir réalisé toute sa fortune en rentessur l’État, il en déposa l’inscription entre les mains d’un notairequi fut chargé d’utiliser les intérêts comme il l’entendrait. Sonmobilier, qui était le dernier mot du luxe et de l’élégancemodernes, ses équipages et ses chevaux, dont quelques-uns étaientcités dans l’aristocratie hippique, furent vendus aux enchères, etles sommes que produisirent ces ventes diverses déposées chez lenotaire qui avait la gestion de sa fortune. Ulric garda deux centsfrancs seulement.

Huit jours après, les personnes qui vinrent ledemander à son logement de la Chaussée d’Antin apprirent qu’ilétait parti sans laisser d’adresse.

Sous le nom de Marc Gilbert, Ulric avait étése loger dans une des plus sombres rues du quartier Saint-Marceau.La maison où il habitait était une espèce de caserne populaire oùdu matin au soir retentissait le bruit de trois cents métiers.

Habitué au confortable recherché au milieuduquel il avait toujours vécu, Ulric passa sans transition del’extrême opulence au dénuement extrême. Sa chambre était un de cestaudis humides et obscurs dans lesquels le soleil n’ose pasaventurer un rayon, comme s’il craignait de rester prisonnier dansces cachots aériens. Le mobilier qui garnissait cette chambre étaitcelui du plus pauvre artisan.

Ce fut là qu’Ulric vint se réfugier, ce fut làqu’il essaya de se retremper dans une autre existence. En voyantses voisins, les ouvriers, partir le matin pour l’atelier lachanson aux lèvres, en les voyant rentrer le soir ployés en deuxpar la fatigue du labeur, mais ayant sur le visage encore trempé desueur ce reflet de contentement pacifique qu’imprimel’accomplissement d’un devoir, Ulric s’était dit :

– Ceci est le vrai peuple, le peuplehonnête, qui travaille et pétrit de sa main laborieuse le painqu’il mange le soir. C’est là, ou jamais, que je trouverai l’hommeavec ses bons instincts. C’est là, ou jamais, que je pourrai guérircette invincible tristesse qui m’a suivi dans cette mansarde, oùj’ai retrouvé le spectre du dégoût assis au pied de mon lit.

Son plan était tout tracé, et il le mitsur-le-champ à exécution. Huit jours après, Ulric, sous le nom deMarc Gilbert, avait revêtu le sarreau plébéien, et entrait commeapprenti dans un grand atelier du voisinage. Au bout de six mois,il savait assez son métier pour être employé comme ouvrier. Àdessein il avait choisi dans l’industrie une des professions lesplus fatigantes et exigeant plutôt la force que l’intelligence. Ils’était fait mécanique vivante, outil de chair et d’os. Et, envoyant ses doigts glorieusement mutilés par les saintes cicatricesdu travail, c’est à peine s’il se reconnaissait lui-même dans lerobuste Marc Gilbert, lui, l’élégant Ulric de Rouvres, dont la mainaristocratique aurait jadis pu mettre, sans le rompre, le gant dela princesse Borghèse.

Cependant, malgré le rude labeur quotidienauquel il s’était voué, au milieu même de son atelier, et sibruyantes qu’elles fussent, les clameurs qui l’environnaient nepouvaient assourdir le chœur de voix désolées qui parlaientincessamment à son esprit.

Lorsqu’il rentrait le soir dans sa chambre,après une laborieuse journée, Ulric ne pouvait même pas trouver celourd sommeil qui habite les grabats des prolétaires. L’insomnies’asseyait à son chevet ; et, quoi qu’il fît pour l’endétourner, son esprit descendait au fond d’une rêverie dont l’abîmese creusait chaque jour plus profondément, et d’où il ressortaittoujours avec une amertume de plus et une espérance de moins.

Ulric avait au cœur cette lèpre mortelle quiest l’amour du bien et du bon, la haine du faux et del’injuste ; mais une étrange fatalité, qui semblait marcherdans ses pas, avait toujours donné un démenti à ses instincts etraillé la poésie de ses aspirations. Tout ce qu’il avait touché luiavait laissé quelque fange aux mains, tout ce qu’il avait connu luiavait gravé un mépris ou un dégoût dans l’esprit, et, comme cessoldats qui comptent chaque combat par une blessure, chacun de sesamours se comptait par une trahison.

Aussi, pendant ses heures de solitude, etquand il déroulait devant sa pensée le panorama de sa vie passée,ne pouvait-il s’empêcher de pousser des plaintes sinistres.

On est majeur à tout âge pour lespassions ; mais le plus grand malheur qui puisse arriver à unhomme est sans contredit une majorité précoce. Celui qui vit tropjeune vit généralement trop vite ; et les privilégiés sontceux-là qui, pareils aux écoliers, peuvent prendre le long cheminet n’arriver que le plus tard possible au but où la raison enseignela science de la vie. Mais chacun porte en soi son destin. Il estdes êtres chez qui les facultés se développent avant l’heure, etqui, se hâtant d’aller demander à la réalité ses logiques démentis,toujours pleins de désenchantements, se déchirent aux épines de lavérité, à l’âge où l’on commence à peine à respirer l’enivrantparfum des mensonges.

Lorsqu’on rencontre quelques-uns de cesmalheureux mutilés par l’expérience, il faut les accueillir avecune pitié secourable ; on ne peut interdire la plainte auxblessés, et l’ironie et le blasphème d’un sceptique de vingt ans nesont bien souvent que le râle de sa dernière illusion.

Le motif qui avait amené Ulric à quitter lemonde pour venir se réfugier dans la vie des prolétaires étaitmoins une excentricité romanesque qu’une tentative trèssérieusement méditée, et sans doute inspirée par une espèce dephilosophie mystique particulière aux esprits tourmentés par lesfièvres de l’inconnu.

Spectateur épouvanté et victime souffrante dela corruption et de la fausseté qui règnent dans les relations dumonde ; trompé à chaque pas qu’il y faisait, comme ce voyageurqui, en traversant une contrée maudite, sentait se transformer soussa dent, en cendre infecte ou en fiel amer, les fruits magnifiquesqui avaient tenté son regard et excité son envie, Ulric voyait,dans cette corruption et cette fausseté même, un faitprovidentiel.

– Il est juste, pensait-il, que ceux qui,en arrivant dans la vie, y sont accueillis par le sourire doré dela fortune et trouvent dans leurs langes, brodés par la main desfées protectrices, les talismans enchantés qui leur assurentd’avance toutes les jouissances et toutes les félicités qu’on peutéchanger contre l’or ; il est peut-être juste que cesprivilégiés, fatalement condamnés au plaisir, soient déshérités dubonheur, la seule chose qui ne s’achète pas et ne soit pointhéréditaire.

« Leur destin leur a dit ennaissant : Toi, tu vivras parmi les puissants, dans cettemoitié du monde qui fait l’éternelle envie de l’autre moitié. Tuauras la fortune et le rang. Enfant, tous tes caprices seront deslois ; jeune homme, tous les plaisirs feront cortège à tajeunesse, et chacune de tes fantaisies viendra s’épanouir en fleurau premier appel de ton désir ; homme, toutes les routesseront ouvertes à ton ambition. Tu seras enfin ce qu’on appelle unheureux du monde. Mais ton bonheur n’aura que des apparences, etchacune de tes joies sera doublée d’une déception ; car tu vasvivre dans une société où la corruption est presque une nécessitéd’existence, et la perfidie une arme de défense personnelle qu’ondoit toujours avoir à la main comme un soldat son épée. »

C’est ainsi qu’Ulric avait raisonnéintérieurement, et cette singulière philosophie l’avait conduit àrêver cette singulière espérance.

« En revanche, ajoutait-il, ceux-là quinaissent abandonnés de la fortune, les malheureux qui n’ont d’autreprotection qu’eux-mêmes et traversent la vie attelés à la glèbe dutravail, ceux-là du moins, au milieu de la dure existence que leurimpose leur destin, doivent conserver les bons instincts dont ilssont doués nativement. La bonne foi, la reconnaissance, toutes lesnobles qualités humaines doivent croître dans les sillons qu’arrosela sueur du travail. L’ouvrier doit pratiquer avec la rudesse deses mœurs la fraternité ; ne possédant rien, il ne connaîtpoint les haines que déterminent les rivalités d’intérêt ; sessympathies et ses amitiés sont spontanées et sincères, et commecelles du monde, n’ont pas seulement la durée d’une paire de gantsou d’un bouquet de bal. Ses amours ignorent les honteux alliagesdont sont composés les amours du monde, amours faits d’ambition,d’orgueil, de haine même quelquefois, mais jamais d’amour.L’ignorance du peuple est une sauvegarde contre le mal, car le malest un résultat du savoir. On fait le bien avec le cœurseulement ; le mal exige la collaboration de l’esprit et de laraison. »

Mais cette suprême espérance, à laquelle Ulrics’était obstinément attaché, ne survécut pas à sa tentative. Aprèsavoir pendant six mois vécu au milieu des hommes de labeur, l’étudeet le contact des mœurs de ce monde nouveau pour lui laissa Ulricencore plus désolé ; et son expérience l’amena à cetteconclusion absolue que le bien et le bon n’existaient pas, oun’existaient qu’à l’état d’instincts dont l’application et ledéveloppement n’étaient pas possibles.

Dans les classes élevées de la société, parmile monde des cravates blanches et des habits noirs, il avaitrencontré toute la hideuse famille des vices humains, mais ilsétaient du moins correctement vêtus, parlaient le beau langagepromulgué par décrets académiques, et n’agissaient point une seulefois sans consulter le code des convenances. Il avait souvent, dansun salon, serré avec joie la main droite d’un homme qui letrahissait de la main gauche, mais cette main étaitirréprochablement gantée. Souvent il avait cru au sourire de cestrahisons vivantes qu’on appelle des femmes ; il s’étaitlaissé émouvoir par les solo de sensibilité qu’elles exécutent enpublic après les avoir longuement étudiés, comme on fait d’unesonate de piano ou d’un air d’opéra, et il avait été dupe ;mais, du moins, ces femmes qui le trompaient étaient vêtues de soieet de velours ; les perles et les diamants, arrachés aumystérieux écrin de la nature, luttaient de feux et d’éclairs avecles flammes de leurs regards et resplendissaient sur leur frontcomme une constellation d’étoiles terrestres. Ces femmes étaientles reines du monde ; elles portaient des noms qui avaient eudéjà l’apothéose de l’histoire, et quand elles traversaient un bal,laissant derrière elles un sillage de parfums et de grâces, tousles hommes faisaient sur leur passage une haie d’admirationsgénuflexes.

– Ulric ne tarda pas à se convaincre queles mœurs de l’atelier ne valaient pas mieux que celles dusalon.

En venant pour la première fois à son travail,l’apparence chétive de sa personne, la pâleur distinguée de sonvisage, la blancheur de ses mains, jusque-là restées oisives, luivalurent, de la part de ses nouveaux compagnons, un accueil pleind’ironie et d’insultes. Résigné d’abord aux humbles fonctionsd’apprenti, Ulric subit patiemment sans y répondre toutes lesoppressions et toutes les injures dont on l’accablait à cause de safaiblesse apparente, à cause de sa façon de parler, qui n’avaitrien de commun avec le vocabulaire du cabaret. Plus tard, lorsquela pratique de son état eut développé sa force, quand la rouille dutravail eut rendu ses mains calleuses et bruni son visage empreintd’un cachet de mâle virilité, ceux qui, en d’autres temps, avaientabusé de leur force pour l’opprimer, changèrent subitement delangage et de manières avec lui dès qu’ils s’aperçurent que sonbras frêle soulevait les plus lourds fardeaux aussi facilement quele souffle d’orage enlève une plume du sol.

Au bout d’un an de séjour dans l’atelier,Ulric, dont l’intelligence avait été remarquée par ses chefs, futnommé contremaître. Cette nomination excita parmi tous sescompagnons un concert de récriminations honteuses et jalouses, etle jour où Ulric se présenta pour la première fois à l’atelier avecson nouveau titre, la conspiration éclata d’une façon assezmenaçante pour nécessiter l’intervention des chefs.

– Qu’y a-t-il ? demanda l’un d’euxen s’avançant au milieu des ouvriers en révolte.

– Il y a, dit un des ouvriers, que nousne voulons pas de monsieur pour contremaître, et il désignaitUlric.

– Pourquoi n’en voulez-vous pas ?dit le patron.

– Parce que c’est humiliant pour nousd’être commandés par quelqu’un qui, il y a un an, était encorenotre apprenti.

– Eh bien, répondit le maître, qu’est-ceque cela prouve ?

– Ça prouve, continua l’ouvrier, quicommençait à balbutier, ça prouve que nous sommes tous égaux etqu’on ne doit pas faire d’injustice. Il y a des gens quitravaillent depuis dix ans dans la maison, et ça les vexe de voirentrer un étranger comme ça tout de go dans la premièrebonne place qui se trouve vacante.

– Oui, c’est injuste ! murmurèrenttous les ouvriers, comme pour encourager l’orateur qui discutaitleurs intérêts.

– À bas Marc Gilbert ! s’écrièrentquelques voix, à bas le monsieur !

– D’ailleurs, continua l’ouvrierqui avait déjà parlé, pourquoi avez-vous renvoyé Pierre ?C’était un brave homme… qui faisait vivre sa femme et ses enfantsavec sa place.

– Silence ! dit le maître d’une voiximpérative, et qu’on n’ajoute plus un mot. Je n’ai pas de compte àvous rendre, et je fais ce que je veux. Si Pierre a perdu sa place,il est d’autant plus coupable de s’être exposé à la perdre qu’il aune femme et des enfants. Pierre était un paresseux quiencourageait la paresse ; c’était un brave homme pour vous, unbon enfant, et vous le regrettez parce qu’il vous comptait desheures de travail que vous passiez au cabaret. Pour moi, Pierreétait un voleur…

Un murmure, aussitôt comprimé par un geste dumaître, s’éleva parmi les ouvriers.

– J’ai dit un voleur, et je le répète, ettous ceux qui reçoivent de l’argent qu’ils n’ont pas gagné sont demalhonnêtes gens. Pierre a abusé de ma confiance ; pourtantj’ai été patient, j’ai eu égard à sa position de père defamille.

Mais plus j’étais indulgent, et plus il s’estmontré incorrigible. À mon tour, j’eusse été coupable envers mesassociés en conservant chez moi un homme qui compromettait leursintérêts. L’honnêteté est dans le devoir ; j’ai fait le mien,donc j’ai été juste en renvoyant Pierre, et juste encore en leremplaçant par un homme honnête, laborieux, intelligent. Est-ce mafaute si, parmi tous les ouvriers qui travaillent ici depuis dixans, je n’en ai pas trouvé un réunissant les qualités et lescapacités nécessaires pour remplir l’emploi vacant ? Est-ce mafaute si c’est justement l’apprenti à qui tout l’atelier commandaitil y a un an qui se trouve être le seul aujourd’hui digne decommander à tout l’atelier ? Vous parliez d’égalité tout àl’heure ; eh bien, non, vous tous qui parlez, vous n’êtes pasles égaux de Marc Gilbert. Vous n’êtes pas égaux les uns auxautres, puisqu’il y en a parmi vous dont le salaire est différent,et ceux-là qui vous prêchent cette égalité sont des fous ; etvous savez bien vous-mêmes, quand vous venez recevoir votrepaye, que celui qui travaille le plus et le mieux doitêtre payé davantage que ceux dont le travail et l’habileté sontmoindres.

Ainsi donc, à compter d’aujourd’hui, MarcGilbert est votre contremaître. C’est un autre moi-même, etj’entends qu’on le respecte et qu’on lui obéisse comme à moi-même.Et maintenant, ceux qui ne sont pas contents peuvent s’enaller.

Pendant ce discours, tous les ouvriers étaientsilencieusement retournés à leur travail.

– Cet homme est juste, pensa Ulric enregardant son patron.

– Monsieur Marc Gilbert, lui ditcelui-ci, il y a un an vous êtes entré dans la maison en qualitéd’apprenti ; aujourd’hui,  après moi, vous allez yoccuper la première place. Ce n’est pas une faveur que je vousaccorde, comme je le disais tout à l’heure, c’est une justice.J’espère que vous êtes content, et qu’en une année vous aurez faitdu chemin. Seulement, comme vous êtes un peu jeune, et que vousn’auriez pas peut-être toute l’expérience nécessaire, nous ne vousdonnerons d’abord que les deux tiers des appointements que nousdonnions à votre prédécesseur. Néanmoins la part est encore belle,avouez-le.

Ulric resta profondément étonné par cettecontradiction.

– Singulière justice, murmura-t-il quandil fut seul. On remplace un homme paresseux, sans intelligence etsans probité, par un homme qu’on sait être intelligent, probe etdévoué, et sans tenir compte du bénéfice que sa gestion loyaleprocurera à la maison, on paye l’honnête homme moins cher qu’on nepayait le voleur !

Au bout de huit jours, les nouvelles fonctionset l’autorité dont elles investissaient Ulric lui avaient attirédéjà une foule de courtisans, et ceux-là qui se montraient les plushumbles et les plus empressés autour de lui étaient les mêmes quijadis s’étaient montrés les plus durs et les moins indulgents à sonégard, les mêmes qui s’étaient le plus ouvertement déclaréshostiles à sa nomination. Il expérimenta alors sur le vif cesnobles qualités qui, disait-il autrefois, devaient croîtredans les sillons arrosés par les sueurs du travail, et son cœurs’emplit d’un nouveau dégoût en voyant ces hommes qui, devant êtrepourtant liés par une commune solidarité, essayaient de se nuireles uns aux autres en venant dénoncer les infractions qui secommettaient dans l’atelier, espérant sans doute qu’Ulric leurpayerait, en tolérant les leurs, la dénonciation des fautescommises par ceux de leurs compagnons dont ils se faisaient lesespions.

– Ô fraternité ! murmurait Ulric,fantôme chimérique, mot sonore qu’on fait retentir comme un tocsinpour ameuter les révoltes. On peut facilement t’inscrire sur lesétendards et sur le fronton des monuments ; mais les sièclesfuturs ajoutés aux siècles passés auront bien de la peine à tegraver dans le cœur de l’homme.

Ainsi donc, dans les classes inférieures de lasociété, dans le monde des blouses, Ulric avait retrouvé la mêmecorruption, le même esprit de mensonge, la même fureur d’oppressiondu fort contre le faible. Là, comme ailleurs, tous les vicesrégnaient sous la présidence de l’égoïsme, maître souverain ;tous les nobles instincts étaient crucifiés sur les croix del’intérêt ; là aussi, toute vertu avait son Judas et sonPilate. Là aussi, comme ailleurs et plus qu’ailleurs, Ulric put seconvaincre par sa propre expérience que l’ingratitude, celle qui detoutes les plantes humaines a le moins besoin de culture, croissaiten plein cœur.

En haut, il avait trouvé le mal hypocrite,rusé, mais intelligent et presque séducteur.

En bas, il le trouva de même, mais cynique,brutal, et presque repoussant.

Un soir Ulric était seul dans sachambre ; plongé dans une misanthropie qui devenait chaquejour plus aiguë, la tête posée entre ses mains, ses yeux erraientmachinalement sur un livre ouvert qui se trouvait sur unetable : c’était l’Émile de Rousseau, et un signemarginal semblait annoter ce passage :

« Il faut être heureux ! c’est lafin de tout être sensible ; c’est le premier désir que nousimprima la nature et le seul qui ne nous quitte jamais. Mais où estle bonheur ? Chacun le cherche et nul ne le trouve ; onuse sa vie à le poursuivre et on meurt sans l’avoiratteint. »

Pour la millième fois au moins Ulric faisaiten réflexion le tour de cette phrase, dont la conclusion est sidésespérée, lorsque des cris perçants qui retentissaient au dehorsvinrent brusquement l’arracher à sa rêverie.

Ulric courut à sa fenêtre.

Des cris : au secours ! Ausecours ! continuaient plus pressés et plus inquiets. Ilsparaissaient sortir d’une croisée faisant face au corps de logishabité par Ulric, qui reconnut la voix d’une femme.

Il descendit en toute hâte l’escalier, et enquelques secondes il était arrivé sur le palier de l’étagesupérieur, où les cris avaient atteint le diapason del’épouvante.

– Qu’y a-t-il donc ? demanda Ulric àquelques voisins assemblés sur le carré.

– Ah ! dit une commère avec unaccent de fausse pitié, c’est la mère Durand qui vient detrépasser, et c’est sa petite qui crie. Que c’est un enfer dans lamaison depuis quinze jours, que la vieille tousse son âme parpetits morceaux du matin au soir ; qu’on ne peut pas fermerl’œil ; que c’est bien malheureux pour de pauvres gens qui ontsi besoin de repos ; que la vieille n’a pas voulu aller àl’hôpital, qu’elle était trop fière ; qu’elle a mieux aimévoir sa pauvre enfant s’abîmer le tempérament à la veiller ;qu’elle lui disait encore des sottises par-dessus le marché ;qu’enfin nous en voilà débarrassée, et que nous allons pouvoirdormir.

Ce speach avait été prononcé d’un seul traitpar une horrible femme, dont la figure ignoble et la voix enrouéeétaient ravagées par l’ivrognerie.

Ulric entra dans la chambre, où les sanglotsavaient succédé aux cris. C’était un taudis sinistre, désolé,obscur, humide, et dont l’atmosphère étreignait la gorge. Dans uncoin, sur un grabat mal caché par de misérables loques servant derideaux, était étendue la morte, cadavre jaune et long, dont lesmembres roidis paraissaient encore lutter contre les attaques del’agonie, et dont la bouche horriblement ouverte semblait vomir desblasphèmes posthumes.

Au pied du lit, tenant dans ses mains une desmains de la trépassée, une jeune fille en désordre était accroupiedans l’abrutissement de la douleur et du désespoir. Une femme duvoisinage essayait de lui donner de banales consolations. Àl’entrée d’Ulric la jeune fille avait à peine levé la tête, etétait aussitôt retombée dans son insensibilité.

– Madame, dit Ulric à la voisine, vousdevriez emmener cette jeune fille de cette chambre, ce spectacle latue.

– C’est ce que je lui disais, mon chermonsieur, mais elle ne m’entend pas.

– Il faudrait pourtant prendre auprèsd’elle quelques informations, dit Ulric, pour savoir le nom de sesparents, de ses amis, afin de les avertir.

– Ah ! la pauvre fille ! je lacrois bien abandonnée, répondit la voisine en essayant de fairerevenir l’orpheline au sentiment de la réalité.

Enfin elle rouvrit les yeux, qu’elle baissaaussitôt en apercevant un étranger, et murmura quelques parolesconfuses. Puis les sanglots la reprirent, et elle tomba de nouveauà genoux au pied du lit.

– Allons, ma petite, dit la voisine, nevous désolez donc pas comme ça ! à quoi que ça sert ?Nous sommes tous mortels, d’ailleurs ; et puis, après tout,c’est un bien pour un mal. Elle n’était pas bonne, ladéfunte ; méchante, hargneuse et dépensière ; on nepouvait pas la souffrir dans la maison, d’abord : demandez unpeu aux voisins, vous verrez ce qu’ils vous diront.

– Madame !… dit Ulric en jetant à lavoisine un regard sévère.

– Eh ! c’est la vérité du bon Dieu,ce que je dis là, reprit-elle. Vous ne vous figurez pas, mon chermonsieur, quelle méchante créature c’était que la mère Durand, etcombien elle a fait souffrir la pauvre Rosette, qui est bien unvéritable ange de patience ; qu’elle la battait comme plâtre,et lui prenait tout l’argent qu’elle gagnait pour aller boire touteseule des liqueurs qui l’ont conduite insensiblement autombeau ; que le médecin l’avait bien dit, là ! Aussi,moi je dis que ça ne vaut pas la peine de tant se chagriner, et quec’est un bon débarras, comme dit cet autre…

– Silence ! madame ! s’écriaUlric indigné de pareils propos. Dans un tel moment, devant ce lit,c’est odieux.

Et comme la voisine continuait, Ulric, nepouvant davantage contenir sa colère, la prit par le bras et la mitdehors.

Peu à peu Rosette sortit de son abattement, etlorsque, revenue presque entièrement à elle, elle aperçut un jeunehomme dans cette chambre où elle se croyait seule, elle ne putretenir un cri d’étonnement.

– Pardonnez-moi, mademoiselle, dit Ulrictrès doucement, si j’ai pris la liberté d’entrer chez vous…

– Je… ne… vous connais pas… je ne sais,monsieur… répondit la jeune fille en balbutiant.

– Tout à l’heure, reprit Ulric, j’aientendu appeler au secours, et je suis monté ; voilà commentvous me trouvez ici. Veuillez m’excuser si j’ai pris la liberté derester ; dans les circonstances douloureuses où vous voustrouvez, et vous voyant seule, j’ai cru devoir rester pour memettre à votre disposition…

– Merci, monsieur, dit Rosette. Je…

– La mort de votre mère nécessite desdémarches à faire ; il y a une foule de détails dont vous nepouvez vous occuper vous-même. Il faut prévenir vos parents, vosamis, pour qu’ils viennent vous assister… Toutes ces courses, jeles ferai. Ce sont là de légers services qui se proposent et quis’acceptent entre voisins, car je suis le vôtre ; je m’appelleMarc Gilbert ; je suis ouvrier et je travaille dans lafabrique de M. Vincent…

– Je n’ai ni parents ni amis ; jen’avais que ma mère. Ah ! Mon Dieu ! Comment faire ?Qu’est-ce que je vais devenir ? s’écria Rosette enpleurant.

Ce cri, qui révélait un abandon et une misèresi profonds, émut Ulric.

– S’il en est ainsi, mademoiselle, dit-ilà Rosette, par amour même pour votre mère, vous devriez acceptermes propositions, et me laisser le soin de veiller aux tristesdevoirs qu’il reste à accomplir.

Après une longue hésitation, Rosette se laissaconvaincre et accepta les offres de service que lui faisaitUlric.

Le lendemain un modeste corbillard emmenait àl’église le corps de la mère Durand, et de là au cimetière, oùUlric avait acquis une fosse particulière pour que l’orpheline pûty agenouiller son souvenir filial.

Deux jours après l’enterrement de sa mère,Rosette vint chez Ulric pour le remercier de ce qu’il avait faitpour elle. Elle exprima sa reconnaissance avec une franchise et unesincérité telles qu’Ulric resta encore plus ému après cette secondeentrevue qu’il ne l’avait été lors de sa première rencontre avec lajeune fille.

Quelque temps après, comme il rentrait chezlui le soir, son portier lui remit une lettre. Ulric, inquiet desavoir qui pouvait lui écrire, courut d’abord à la signature :il y trouva celle de Rosette. La lettre contenait cesmots :

« Monsieur Marc, « Excusez-moi si jeprends la liberté de vous écrire ; c’est que j’ai de mauvaisesnouvelles à vous apprendre, et je ne puis pas aller chez vous pourvous les dire. Il y a des méchantes gens dans la maison, et on ditde vilaines choses sur nous deux à cause du service que vous m’avezrendu. J’ai beaucoup de chagrin, et je voudrais vous voir unmoment. Ce soir, en revenant de mon ouvrage, je passerai par lagrande allée du jardin des plantes. « Votre servante bienreconnaissante, « Rosette Durand. »

Ulric courut au rendez-vous que lui donnaitl’orpheline. Elle venait seulement d’arriver. Sans parler, elleprit le bras d’Ulric, et le jeune homme s’aperçut que son cœurbattait avec violence. Son visage était pâle, fatigué, et laissaitvoir des traces d’une rosée de larmes. Il la conduisit dans uneallée peu fréquentée, et la fit asseoir auprès de lui sur un bancdésert.

– Qu’est-il arrivé, Rosette ?demanda Ulric.

– Ne l’avez-vous pas deviné en lisant malettre ? répondit la jeune fille en baissant les yeux.Oh ! c’est horrible, ce qu’on a dit ! ajouta-t-elleprécipitamment, et une rougeur d’indignation empourpra sonvisage.

– Et bien, dit Ulric, qu’a-t-on pudire ? que j’étais votre amant, n’est-ce pas ?

– Si on n’avait dit que cela, je nesouffrirais pas tant, continua Rosette, – car ce seraitseulement ma vertu qu’on attaquerait ; – mais c’est plushorrible. On a dit que nous avions joué tous les deux une comédie,le jour même où ma mère est morte. Ce service que vous m’avez sigénéreusement rendu sans me connaître, on a dit que c’était unespéculation, un marché… conclu et payé… devant le corps de mamère…

– C’est odieux ! On a ditcela ? fit Ulric.

– Et depuis quelques jours tout le mondele répète dans la maison, dit Rosette.

– Eh bien, ma pauvre enfant, quevoulez-vous y faire ? Ce que vous m’apprenez ne m’étonne pas.Je comprends que vous vous soyez indignée de cette monstrueusecalomnie ; mais, à vrai dire, j’eusse été surpris davantage sielle n’avait pas été faite. Il y a des gens qui ne peuvent pascomprendre qu’on fasse le bien seulement pour le bien ; nousavons affaire à ces gens-là, et quoi que nous disions, quoi quenous fassions, l’honnêteté de nos relations sera toujourscriminelle à leurs yeux.

En ce moment une ombre passa rapidement devantle banc sur lequel ils étaient assis, et une voix leur jeta cesmots en passant : Bonsoir, les amoureux !

Rosette tressaillit et se serra auprèsd’Ulric.

Tous deux venaient de reconnaître la voixd’une de leurs voisines.

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