La Dégringolade, Tome 2

La Dégringolade, Tome 2

d’ Émile Gaboriau
TROISIÈME PARTIE – RAYMOND
I

… Ce fut, pour Mme Delorge et pour Mme Cornevin, un beau jour et un jourg lorieux, que celui où, appuyées l’une sur l’autre, et contemplant leurs fils, elles purent se dire :

– Notre tâche est remplie et nous pouvons attendre en paix l’heure de la justice. À nos fils désormais la lutte et la peine. Nous pouvons mourir, l’œuvre sacrée que nous avions entreprise sera poursuivie sans relâche par des bras plus robustes que les nôtres…

Et certes, leur orgueil et leur confiance étaient légitimes : elles avaient fait des hommes…

Onze années s’étaient écoulées depuis la sanglante catastrophe de l’Élysée. On était à la fin de 1863.

Raymond Delorge et Léon Cornevin, admis à l’École polytechnique ensemble, venaient d’en sortir.

Et leur situation, ils ne la devaient bien qu’à eux-mêmes. Jamais les démarches d’un protecteur ne leur avaient aplani un obstacle.

Il y a plus : à deux ou trois reprises ils avaient trouvé des difficultés là où leurs camarades n’en trouvaient pas.

Mais aussi, ils s’étaient tenus parole ;ils avaient travaillé avec cette persévérance obstinée qu’on neconnaît guère à seize ans, et leurs études n’avaient été qu’unelongue suite de succès.

C’est qu’aussi ces deux noms de Delorge et deCornevin, qu’on retrouvait chaque année associés aux triomphes dugrand concours, avaient fini par frapper les rares Parisiens quiconnaissent leur histoire contemporaine et qui ont de lamémoire.

Si le nom de Cornevin leur était inconnu,celui de Delorge faisait tressaillir en eux de sinistressouvenirs.

– Delorge !… disaient-ils, nousavons certainement entendu prononcer ce nom… Attendez donc…N’est-ce pas ainsi que s’appelait le général dont la mortmystérieuse passa inaperçue au milieu des terribles émotions ducoup d’État, et qui avait été tué en duel, à ce qu’on prétendit,par M. de Combelaine ?

Ni Léon, ni Raymond d’ailleurs, en dépit desprudentes recommandations de Mme Delorge, n’avaientété parfaitement discrets.

Ils avaient eu de ces amitiés comme on n’en aqu’au collège, amitiés sincères et confiantes, qu’on croiraittrahir si on gardait un secret.

Ils n’avaient pu s’empêcher de dire leurpassé, d’affirmer leur haine présente, de parler de leur soif devengeance, de laisser entrevoir leurs espérances pour l’avenir.

Et les amis à qui ils s’étaient confiésavaient rapporté à leurs parents la dramatique histoire de leurscamarades…

Si bien qu’en 1859, à la distribution des prixdu grand concours, le prix d’honneur, remporté par Raymond, avaitété le prétexte d’une manifestation bruyante qui avait faillitourner à l’émeute.

Les élèves s’étaient levés en tumulte, battantdes mains, agitant leurs képis et criant à pleine gorge :

Vive Delorge !… Vive le fils du généralDelorge !…

Et cela avec une telle insistance, queS. E. M. le ministre de l’instruction publique quiprésidait la solennité, était devenu aussi blanc que sacravate.

« Cette manifestation est à la foisaffligeante et grotesque, écrivait le lendemain un des auguresofficieux du Constitutionnel, et si nous avions l’honneurde gouverner le lycée auquel appartient le jeune Delorge, nousprierions ce précoce perturbateur et ses amis d’aller continuerleurs études ailleurs. »

Mais le lendemain aussi, le rédacteur en chefd’un journal de l’opposition se présenta chezMme Delorge, la priant de vouloir bien lui diretout ce qu’elle savait des circonstances de la mort de sonmari.

Il se proposait de faire de la mort du généralle prétexte d’une agitation qui serait, disait-il, très utile à lacause de la liberté, et dont le résultat serait, en tout cas, deprovoquer une enquête…

M. Ducoudray, qui assistait à cetteentrevue, avait toutes les peines du monde à dissimuler sasatisfaction.

– Fameuse affaire !… souffla-t-il àl’oreille de Mme Delorge.

Tel ne fut pas l’avis de la noble etcourageuse femme.

Il lui parut que ce serait une profanation quede livrer la pure mémoire de son mari à des discussions enragées età des polémiques sans fin. Elle frémit à cette idée de voir latombe de l’homme qu’elle avait tant aimé devenir la tribune detoutes les ambitions, le théâtre de scènes scandaleuses, le champde bataille des partis.

Elle conjura donc le journaliste de renoncer àson idée.

– Laissons, monsieur, lui dit-elle,laissons les morts dormir en paix leur éternel sommeil.

Raymond n’avait point goûté cette façon devoir. À un âge où on est si facile aux illusions, exalté parl’éducation qu’il avait reçue, peut-être n’était-il pas loin de secroire un personnage…

Ce fut Léon, son ami, le confident de ses plussecrètes pensées, qui le ramena à la raison, qui lui fit comprendrequ’ils n’étaient que deux enfants encore.

Ils reprirent donc leurs études, et avec tantd’assiduité et de bonheur, qu’ils sortirent de l’Écolepolytechnique, Léon avec le numéro 3, Raymond avec le numéro 9.

Ils avaient alors vingt ans, mais le malheurles avait vieillis avant l’âge, et ils avaient déjà le caractèrequ’ils devaient garder.

Grand, large d’épaules, d’une forceherculéenne comme son père, très blond avec des yeux d’un bleupâle, Léon Cornevin avait la raideur et le flegme d’un Anglais.

Très capable d’une folie, il était de ceux quirèglent jusqu’à leurs actes de démence et qui les accomplissentjusqu’au bout avec un calme imperturbable, froidement etméthodiquement.

Tout autre était Raymond.

Remarquablement bien de sa personne, grand,élancé, très brun avec un teint d’une pâleur mate, il avait toutesles séductions de l’homme du Midi, des flammes plein ses grandsyeux noirs, et cette parole vibrante qui remue les foules.

Il était l’enthousiasme même, capable deprodigieux élans, mais prompt à se décourager. Son intelligencevive et nette concevait les plus audacieux projets, les réglaitsagement, les lançait bien… Seulement, au premier échec, il perdaitla tête. Devant un obstacle que l’obstiné Léon eût usé avec sesongles, il s’asseyait désespéré.

Jean Cornevin l’avait bien défini.

– Raymond, disait-il, a le courage d’unhéros, les nerfs d’une femme, et la sensibilité d’un enfant.

Il avait autre chose encore, une timiditéincroyable, ridicule, absurde, qui souvent, lorsqu’il prenait surlui de la surmonter, le poussait aux actes les plus contraires àson caractère et à sa volonté.

Près de ces deux jeunes hommes, remarquables àtitre divers, Jean, le second fils de Mme Cornevin,faisait contraste.

Il n’avait pas fait de brillantes études, lui…À dix-sept ans, fatigué du joug du lycée, il avait déclaré qu’il enavait assez, et depuis, en effet, il peignait et il dessinait…

Petit, fluet, très brun, assez laid, maisl’œil pétillant d’esprit, Jean Cornevin dissimulait sous uneinsouciance affectée et sous le débraillé de ses façons uneintelligence très vive, des aptitudes remarquables, une finesseextrême et une grande ambition.

Prompt à saisir les ridicules, et ayant le motimpitoyable, il avait coutume de dire qu’il arriverait par sesennemis…

Mais cette diversité si grande d’humeur, detempérament et d’idées n’empêchait pas ces jeunes hommes de s’aimercomme rarement s’aiment des frères.

Un lien les unissait, plus puissant et plusindissoluble que ceux de la famille et du sang : la communautédu malheur et de la haine.

Ils pouvaient se trouver en désaccord, quandils discutaient les moyens d’atteindre leur but, mais leur butétait le même, et immuable : obtenir justice des misérablesqui avaient frappé leurs pères, le général Delorge et le pauvrepalefrenier Cornevin.

Seulement, que tenter ?

Tandis que le chevaleresque Raymond Delorges’écriait : – C’est au grand jour, et en plein soleil que jecombats mes ennemis !…

Pendant que le froid et méthodique Léonrépétait : – Sachons attendre, sachons guetter cette occasionpropice qui ne fait jamais défaut aux hommes patients !…

Jean, incapable de modération et tout brûlantde colère, disait :

– Que me parles-tu de lutter au grandsoleil, Raymond ! N’est-ce pas dans l’ombre, lâchement, quenos pères ont été frappés ?… Avec de tels ennemis, il n’estpas de nuit trop obscure ni d’armes déloyales. Je m’associerais àdes forçats, s’il le fallait, pour les atteindre sûrement. Et toi,Léon, que me parles-tu de patienter ? Attendre, c’est laisserces misérables jouir en paix de leur crime !…

C’était si bien son opinion que dès l’âge dedix-huit ans il s’était trouvé compromis dans ce fameux complot dubois de Boulogne, dont la découverte envoya trente-sept accusés surles bancs de la Cour d’assises et une douzaine de condamnés àLambessa.

Ce qui rendait la situation de Jean Cornevintrès mauvaise, c’est qu’une perquisition, opérée à son domicile,avait livré à la police toute une série de chargesintitulées : le Panthéon du second Empire,« dont la méchanceté, disait le commissaire de police dans sonrapport, m’a fait frémir d’indignation ».

Cependant, d’actives démarches deMe Roberjot tirèrent de ce guêpier le précoceconspirateur.

– Vois-tu où mène la précipitation ?lui disait son frère, lorsqu’il sortit un peu penaud de laConciergerie, où il avait été détenu trois semaines. Te voilàsignalé et nous aussi, par la même occasion, au zèle investigateurde la police ; toutes nos démarches vont être épiées…

Puis avec quels gens conspirais-tu !insistait Raymond. Avec des mouchards et avec des drôles ou desimbéciles, dont la politique est à coup sûr la moindrepréoccupation.

– Ce qui est d’autant plus niais,continuait Léon, que l’Empire, ayant atteint son apogée, ne peutplus que descendre.

Dire cela était hardi, sinon prématuré à cetteépoque.

Ils étaient encore bien rares, les espritsperspicaces qui, sous l’apparence des prospérités inouïes du règnede Napoléon III, discernaient des symptômes dedissolution.

L’excès même de la prospérité matérielledevait être une cause de ruine.

Car ce n’est pas en vain qu’on surexcitetoutes les passions grossières, les convoitises brutales, lesappétits sensuels et la soif de l’or.

Léon, observateur attentif, avait pu voir legouvernement trahir l’embarras que lui causait la cupidité decertains zélés de Décembre, dont il ne savait comment sedébarrasser.

Il avait vu le ministre de l’intérieur,M. Billaud, écrire au préfet de police cette lettre fameuse oùil lui signalait « certains individus qui, en se vantant d’uneinfluence qu’ils n’ont pas, ont réussi à en faire un véritablecommerce et prélèvent une dîme sur tous les soumissionnaires desgrandes entreprises ».

Dame ! elle avait fait causer, cettelettre.

– Connaissez-vous ces « certainsindividus » ? se demandait-on en ricanant.

N’avait-on pas vu aussi le ministre de laguerre lancer une circulaire « à la seule fin d’empêcher lesofficiers de l’armée de s’adresser trop souvent à l’empereur pourlui demander de l’argent ?… »

– Est-ce possible !… s’était-on ditdans le public. Où trouver le désintéressement, s’il désertel’armée !…

L’empereur n’était pas sans apercevoir ledanger.

Ponsard ayant fait représenter sacomédie : la Bourse, au Théâtre-Français,l’empereur lui écrivit pour le féliciter de réagir de toute laforce de son talent contre la funeste passion du jeu.

M. Oscar de Vallée, au lendemain de lapublication de son livre : les Manieurs d’argent,reçut les mêmes félicitations.

Mais que pouvaient une comédie, un livre etdeux lettres impériales, contre la fureur, contre le besoin presquede spéculation ?

Beaucoup spéculaient, qui n’avaient que cemoyen de soutenir le train de leur maison.

Le prix de tout allait croissant.

Les immenses abatis de maisons, oùM. Verdale et ses amis gagnaient des sommes énormes,occasionnaient sur les loyers une hausse prodigieuse.

Le Moniteur ne cessait de répéter quele nombre des maisons construites dépassait de beaucoup le nombredes maisons démolies…

Et c’était fort possible.

Seulement, comme les propriétaires nebâtissaient plus que des palais, divisés en appartements immenses,les gens à petite fortune ne savaient plus où se caser, et sevoyaient réduits à dépenser à leur loyer non plus le dixième, maisle sixième et même le quart de leur revenu.

Il est vrai que Paris devenait une sorte decaravansérail où accouraient de tous les points du globe lesaltérés de jouissances grossières, ceux qui avaient beaucoupd’argent à dépenser, ceux qui voulaient en gagner par n’importequels moyens.

Il est positif que les théâtres, les bals, lesrestaurants où l’on soupe la nuit et les cafés ne désemplissaientpas.

Il est sûr que des légions de demoiselles àchignons jaunes et à toilettes impudentes envahissaient lesboulevards et les rendaient impraticables aux honnêtes femmes.

Il est certain que le retour de certainescourses, de celles de Vincennes, par exemple, où se suivaient autriple galop des voitures pleines de jeunes gens et de femmesexaltées par le champagne, était un superbe défi à la populationdes faubourgs.

Tout le monde sait que le lord Hollandécrivait dans le Times :

– Paris est la ville de l’univers où ons’amuse le mieux.

Les clairvoyants disaient :

– C’est très beau, c’est assurément trèshonorable pour nous, mais c’est par là que nous périrons.

D’un autre côté, parMe Roberjot qui s’exprimait librement devant eux,Raymond Delorge et Léon Cornevin savaient bien que les vaincus ducoup d’État s’étaient remis depuis longtemps de leur premièrestupeur et guettaient avidement l’occasion d’une revanche.

Et cette revanche eût été proche, peut-être,sans les instincts pervers, les malsaines ambitions et les théoriesabsurdes que révélaient certains procès, celui de laMarianne, par exemple, ou celui de laCommune révolutionnaire.

Par la peur, l’Empire tenait encore quantitéde gens, qui tout en l’exécrant ne pouvaient s’empêcher dedire :

– Mieux vaut encore le grand sabre deNapoléon III que le poignard de ces ennemis de la propriété etde la famille.

Il est vrai que la jeune génération, celle deRaymond et des fils Cornevin, s’irritait de cette prudence.

La jeunesse sifflait les cours de Sainte-Beuveau retour de l’enterrement de Lamennais.

Cent mille personnes suivaient le convoi deBéranger, tout en sachant bien qu’il avait été le barde du premierEmpire au temps où libéralisme et bonapartisme rimaient, tout ensachant bien qu’il avait plus fait pour la popularité deNapoléon Ier que tous les panégyristes ensemble,avec un seul refrain : « Parlez-nous de lui, grand’mère…Grand’mère, parlez-nous de lui !… »

Pas un cri, cependant, ne troubla la funèbrecérémonie…

Dix ou douze écervelés essayèrent bien deforcer les portes du cimetière que la police avait cru devoir tenirfermées, ils furent aussitôt arrêtés…

Jean Cornevin, que le tumulte attirait commela lumière les papillons, en était, et son frère et Raymond durentaller, le soir, le réclamer au poste, où il avait été consigné.

Mais on ne leur rendit pas le prisonnier. Etcette fois toutes les démarches de Me Roberjot nel’empêchèrent pas de passer en police correctionnelle, et d’yattraper un mois de prison…

La mort de Cavaignac, arrivée peut de tempsaprès, passa presque inaperçue.

C’est dans sa propriété d’Ourne, au fond de laSarthe, que s’éteignit ce grand citoyen qui avait poussé aussi loinque pas un la fierté et le désintéressement…

Il fut enterré au cimetière Montmartre, dansle même caveau que son frère Godefroi. Il n’y eut pas de discoursprononcé. Le gouvernement confisqua son oraison funèbre, comme ilavait confisqué celle de Lamennais, de Marrast et de Béranger.

Bien avant cette époque, cependant, RaymondDelorge avait mis à exécution un projet longtemps caressé dans lesecret de ses pensées.

Le lendemain du jour où il avait eu vingt etun ans, il était allé trouver ses amis, Léon et Jean Cornevin, et,d’un ton solennel qui ne lui était pas habituel :

– Je viens, leur avait-il dit, réclamerde votre amitié un grand service, et, quoi qu’il advienne, je vousdemande le secret. J’ai résolu de me battre en duel avecM. de Combelaine, et je vous prie d’être mes témoins…

Léon Cornevin avait bondi à cettedéclaration.

Raymond s’attendait à quelque réponse de cegenre.

– Raisonnable ou insensé, mon parti estpris.

– Et si nous refusions ?…

Tristement, Raymond hocha la tête, et d’unaccent d’inébranlable détermination :

– Je le regretterais, mais je chercheraiset je trouverais des amis moins dévoués, mais aussi moins…raisonnables que vous.

Étant donné le caractère de Raymond Delorge,il était manifeste que rien ne le ferait renoncer à sondessein.

Si quelque chose eût pu l’ébranler, c’eût été,bien plus que les objections du froid et méthodique Léon, lesilence significatif de Jean, l’esprit aventureux par excellence,et l’homme des résolutions extrêmes.

Tout en comprenant fort bien cela, Léon ne setenait pas pour battu.

– Admettons, reprit-il, que nous nouschargions de la mission que tu veux nous confier, mon cher Raymond,que dirons-nous à M. de Combelaine ?

– Qu’il faut que nous nous battions…

Jean lui-même haussa les épaules.

– À quel propos ? demanda-t-il.Pourquoi ? Sous quel prétexte ?…

Un flot de sang monta aux joues de Raymond, etles poings crispés par la colère :

– Quoi !… s’écria-t-il, ce misérablen’a-t-il plus assassiné mon père ?…

Léon l’interrompit.

– C’est très vrai, prononça-t-ilfroidement. Seulement ce misérable nie. N’existe-t-il pas uneordonnance de non-lieu, qui déclare que M. de Combelaineest innocent et que le général Delorge a succombé dans un combatloyal ?…

– Qu’est-ce que cela prouve ?

– Que M. de Combelaine refuseraton cartel.

– Non, parce qu’il est brave ou plutôtparce qu’il se fie à son adresse et à son sang-froid de spadassin…Non, parce que, si je le hais, il doit être las de me craindre, etqu’il ne sera pas fâché, ayant tué le père, de trouver une occasionde se débarrasser honnêtement du fils…

– Et s’il refuse, cependant ?

– Vous lui direz qu’il est des moyensd’obliger les lâches à se battre…

– Et s’il s’obstine à refuser ?

– Alors, soyez tranquilles, j’aurairecours à ces moyens.

Léon Cornevin allait sans doute répliquer.Jean lui coupa la parole.

L’entêtement de Raymond l’impatientait.

– Et tu prétends que je suis un écervelécompromettant, s’écria-t-il ; qu’es-tu donc, toi ?… Pourt’imaginer que M. de Combelaine te suivra sur le terrain,il faut que tu aies perdu la tête. Autrefois, c’est vrai, quand iln’avait ni sou ni maille, pour un oui ou pour un non, il vousmettait l’épée à la main. Maintenant qu’il a de l’argent, beaucoup,tant qu’il en veut, ce doit être une autre paire de manches.Comment ! voilà un gredin qui mène la plus heureuse existencedu monde, et tu te figures qu’il va risquer, comme cela, de fairetrouer sa précieuse peau par le premier venu ?… Pas sibête !…

C’est de l’air résigné d’un homme qui subitune averse que Raymond écoutait les remontrances de Jean.

Et lorsqu’il eut achevé :

– Je suis venu, prononça-t-il, vousdemander un service et non des conseils. Voulez-vous être mestémoins ? Si oui, convenons de nos faits. Si non, adieu. Dansune heure, j’en aurai trouvé d’autres…

À la dérobée, les deux frères se consultaientdu regard.

Eux refusant, Raymond, ainsi qu’il les enmenaçait, ne s’adresserait-il pas à des étrangers, et ne valait-ilpas mieux qu’il les eût pour seconds que des inconnus, qui parindifférence, par sottise ou par méchanceté se prêteraient auxpires extravagances !…

– C’est convenu, dit Jean Cornevin, nousserons tes témoins.

Les traits contractés de Raymond sedétendirent.

– Ah ! merci !… s’écria-t-il,merci ! Je savais bien que je pouvais compter sur vous.

Mais la chaleur des protestations ne fonditpas la réserve glacée de ses amis.

– Oh ! ne nous remercie pas,interrompit brusquement Léon, car c’est bien à contre cœur que nousnous embarquons dans cette affaire. Donne-nous tes instructions,nous nous y conformerons.

Raymond en était arrivé à ses fins, ilsouriait.

– Mes instructions sont bien simples,dit-il. Je veux me battre avec M. de Combelaine. Qu’ilchoisisse les armes, le mode de combat, le lieu et l’heure, peum’importe. Que je l’aie en face de moi, voilà tout ce que jedemande. Du reste, rassurez-vous. S’il est de première force àtoutes les armes, je ne suis pas manchot, vous le savez, et je luiréserve une désagréable surprise…

Les deux frères ne firent aucune objection.N’ayant pu éviter l’affaire, les détails leur importaient peu.

– C’est bien, répondirent-ils, demainmatin nous irons chez ton homme. Viens nous attendre ici…

Et le lendemain, en effet, sur les neufheures, ils se mettaient en route.

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