La Dégringolade, Tome 2

IX

Il y a deux châteaux de Maillefert.

Le vieux, que l’Annuaire historique etmonumental de l’Anjou mentionne sous le nom de château deChalandray, se dressait au sommet du coteau et commandait le coursde la Loire en amont et en aval.

Démantelé par les ordres de Richelieu, il netarda pas à tomber en ruines.

Il n’en reste plus aujourd’hui que desvestiges que se disputent les ronces et le lierre, et deux tours,encore imposantes, qu’on aperçoit de la station des Rosiers.

Le château neuf est bâti plus bas, àmi-côte.

C’est une massive construction à l’italienne,avec deux ailes en retour et trois perrons, qui n’a rien deremarquable, bien qu’en dise le guide Joanne, que ses vastesproportions.

Les grilles de la cour d’honneur, cependant,épargnées par la Révolution, sont assez curieuses, et les boiseriesde la chapelle ont une haute valeur artistique.

Par exemple, les jardins de Maillefert n’ontpas de rivaux, malgré l’état d’abandon où on les laisse depuisquelques années.

Dessinés dans le goût des jardins de Marly,ils se composent d’une succession d’immenses terrasses à balustresélégants, reliées entre elles par de larges escaliers de marbre,dont la dernière marche baigne dans la Loire.

Des charmilles admirables, des bosquetsd’arbres verts et des talus gazonnés dissimulent les murs desoutènement, et, tout au fond, se dressent les hautes futaies duparc.

Une avenue de près d’un kilomètre de long,ombragée d’un quadruple rang d’ormes séculaires, conduit de lagrande route au château moderne de Maillefert.

Et c’est cette avenue que, le samedi, 24octobre, sur les dix heures du soir, suivaient Raymond Delorge etM. de Boursonne.

Car, après bien des perplexités, Raymonds’était décidé à accepter cette occasion inattendue et unique de serapprocher de Mlle Simone de Maillefert.

Il essayait, il est vrai, de se payer de cessubterfuges dont les faibles colorent les capitulations de leurconscience ou les défaillances de leur volonté.

– C’est curiosité pure, se disait-il.Est-ce que je puis aimer une jeune fille que je ne connaispas !… Avant trois mois d’ailleurs, j’aurais quitté lesRosiers pour n’y jamais revenir, et jamais plus je n’entendraiparler d’elle.

N’importe ! Mécontent de lui-même, ilétait triste et préoccupé, et ne répondait que par monosyllabes auxcontinuelles observations de M. de Boursonne.

C’est que, d’un autre côté, jamais le vieilingénieur n’avait été si guilleret.

Il frétillait dans son habit noir, arrivé laveille de Tours et encore tout froissé du voyage, un de ces bonsvieux habits à larges basques et à manches étroites, où, après unquart de siècle de service, les bonnes mères de familles taillentl’habillement complet d’un gamin de dix ans.

– Que nous chantait donc cet imbécile deBéru ? grommelait-il, que la duchesse de Maillefert en étaitréduite à vendre ses terres ! Quand on est ruiné, on ne donnepas de fêtes comme celles-ci. Avec ce que coûte seulementl’illumination de cette avenue, du parc et du jardin, nousvivrions, vous et moi, pendant un bon mois.

Il calculait juste.

Des milliers de verres de couleur, habilementdisposés dans les arbres, versaient de tous côtés leurs clartéstremblantes, et, se reflétant dans la Loire, donnaient au châteaude Maillefert un aspect féerique.

– Positivement, continuait le vieilingénieur, c’est à rougir de venir sur ses jambes. Comme on voitbien que nous ne sommes, vous et moi, que de pauvres employés dugouvernement !… Vous qui êtes si lié avec M. Bizet deChenehutte, vous auriez dû lui emprunter ce cabriolet dans lequelje l’ai aperçu l’autre jour.

Il est certain qu’ils étaient peut-être lesseuls invités à venir à pied. Les gens qu’ils apercevaient seglissant à travers les arbres étaient de simples curieux, venus deGennes et des Rosiers, pour voir et pour se moquer ensuite.

À chaque moment, ils étaient dépassés par desvoitures lancées au grand trot, où ils apercevaient, à la lueur deslanternes, des femmes en costume de bal.

Et, quand ils arrivèrent à la cour d’honneur,ils la trouvèrent, si vaste qu’elle soit, trop étroite pour tousles équipages.

De trois côtés et sur trois rangsstationnaient, roues à roues, tous les véhicules connus, depuis lesplendide huit-ressorts qui avait amené de Saumur ou d’Angersquelque belle millionnaire, jusqu’à l’humble boc, atteléd’un bidet d’allure paisible, du gentilhomme fermier de Trèves oude Saint-Mathurin.

Au milieu de la cour un léger hangar avait étédressé, et on y voyait une centaine de domestiques en livréesmulticolores se chauffant autour d’un grand feu, et vidant desbouteilles dont on voyait une armée sur des tables immenses.

– Heureuse intention ! remarquaM. de Boursonne, et qui, au retour, conduira plus d’unevoiture dans le fossé… Voilà qui me console d’être venu à pied.

Il se hâtait, tout en disant cela, car ilétait clair que depuis assez longtemps déjà la fête avaitcommencé.

Toutes les fenêtres de la façade flamboyaient.On entendait le brouhaha de la foule et, par-dessus, lesritournelles de l’orchestre.

Dans le vestibule, immense et dallé de marbre,des valets à la livrée de Maillefert recevaient les invités et lesconduisaient au premier étage, où quantité de pièces avaient étédisposées en vestiaire.

Seulement, M. de Boursonne etRaymond arrivaient si tard, que presque toutes les chambres étaientencombrées de vêtements, de cache-nez, de pardessus, demanteaux.

Si bien que le domestique qui les conduisait,voyant cela, leur ouvrit une sorte de petit salon éclairé par uneseule lampe où il les laissa seuls.

En un tour de main Raymond fut prêt.

Mais le vieil ingénieur n’était pas sileste.

Il en avait pour un moment avant d’avoiressuyé ses lunettes, dépouillé son pardessus, cherché son mouchoirde poche et mis ses gants.

– C’est égal, disait-il, c’est fort bienvu, cela, quand on donne une fête à la campagne, de mettre à ladisposition des invités une manière de cabinet de toilette…

Tout à coup il s’interrompit…

Dans la pièce voisine, dont la porte, cachéepar une portière, était ouverte, évidemment une discussionéclatait :

– Chut ! fitM. de Boursonne à Raymond.

Et, sans vergogne, il se rapprocha de laportière.

– Il est inouï, disait une voix de femme,très aigre et très impérieuse, il est incroyable, Simone, que vousn’ayez même pas commencé votre toilette… Êtes-vous folle !… Àquoi donc avez-vous employé votre soirée ?

– Vous le savez bien, ma mère, réponditdoucement une voix admirable de pureté, je surveillais les derniersapprêts de votre fête…

– Eh bien ! justement, c’est ce dontje me plains… C’est le rôle de mon maître d’hôtel et non pas levôtre…

– C’est vrai, ma mère ; seulement masurveillance vous aura certainement économisé quinze cents ou deuxmille francs.

– Assez !… je vous ai déjà dit quecette rage d’économie m’est odieuse.

– Cependant, ma mère, c’est grâce à elleque j’ai pu vous rendre service, ainsi qu’à mon frère…

– Jolis services !… Plutôt que delaisser prendre hypothèque sur vos prés de l’Authion, vous avezlaissé vendre les propriétés de Philippe.

– Je vous ai dit pourquoi, ma mère… Mesrevenus vous appartiennent, à mon frère et à vous, jamais je nevous les disputerai… Mais ni lui, ni vous, ne toucherez aucapital…

– Simone !

– C’est ainsi. N’espérez de moi, sur cesujet, ni concession ni faiblesse. Ce que j’ai, je saurai ledéfendre et, si je mourrais, mon héritage serait à l’abri de vosprodigalités. Vous aurez beau faire, Philippe et vous, ma mère,vous aurez toujours de quoi vivre. Les Maillefert ne finiront pas àl’hôpital…

Seul et libre de suivre ses inspirations,M. de Boursonne se fût glissé sous le canapé du petitsalon, plutôt que de perdre la fin de cette discussion, quiéclairait d’un jour si extraordinaire les relations de la duchessede Maillefert et de sa fille.

Le fâcheux est qu’il n’était pas seul.

Cloué sur place tout d’abord, et pétrifié desurprise, Raymond Delorge ne fut pas long à se remettre.

Il eut horreur de la situation où le mettaitla maladresse d’un valet.

Et, se rapprochant deM. de Boursonne :

– Sortons, monsieur, lui dit-il àl’oreille, sortons vite.

D’un geste, le vieil ingénieurl’écarta :

– Chut donc !… fit-il.

La discussion s’envenimait entre la mère et lafille, et attaques et répliques se succédaient avec une vivacitéextraordinaire.

– Ah ! vous vous oubliez,Simone ! s’écriait la duchesse de Maillefert. Vous osez nousmanquer de respect, à moi, qui suis votre mère, et à votre frère,qui est le chef de la famille !…

– Madame, de grâce, implorait la voix autimbre de cristal de la jeune fille, songez que vous avez cinqcents personnes dans vos salons ; songez que très certainementon commente votre absence.

– On s’étonne bien plus de lavôtre !

– Oh ! moi, il est connu que jen’aime pas le monde.

– On remarque votre affectation à lefuir, en tout cas, et comme à votre âge ce n’est pas naturel, on sedemande pourquoi…

– Ne le savez-vous pas, mamère ?…

– Je sais que vous êtes la fable du pays,voilà tout !… Je sais que ma fille, une Maillefert, est lesujet de disputes de cabaret, une manière d’héroïne populaire pourqui les imbéciles s’en vont sur le pré. Et je suis résolue à neplus tolérer ces excentricités. Non, je ne vous laisserai pasdavantage jouer les filles persécutées, et par votre conduitecensurer la mienne. Voici assez longtemps que vous vous posez enchef de famille et me rompez la tête de vos sottesremontrances…

Raymond n’en voulut pas entendredavantage.

Saisissant le bras deM. de Boursonne, dont les pieds, positivement, semblaientrivés au parquet :

– Venez, monsieur, lui dit-il d’un accentindigné, bien qu’à voix basse, ce que nous faisons ici estabominable. Venez, ou je me retire et je vous laisseseul !…

Le vieil ingénieur n’osa pas résister. Maisune fois dans le corridor :

– Parbleu ! fit-il, je me sens toutfier de l’opinion qu’a de nous cette excellente duchesse. Vousl’avez entendue ? Dispute de cabaret ! batailled’imbéciles !… Risquez donc votre peau pour lesgens !…

Qu’importait à Raymond l’opinion de laduchesse !…

– Je plains Mlle Simone,monsieur, prononça-t-il.

– Oui, le fait est qu’avec une pareillemaman, sa vie ne doit pas toujours être tissée de soie et d’or…

– Et quelle résignation ! Pas uneplainte !

– Hum !… je trouve au contrairequ’elle se plaint haut et ferme… Mais elle a mille millions de foisraison, la pauvre enfant !

Sur quoi, s’arrêtant court sur le palier del’escalier, et d’un ton sérieux et ému qui ne lui était pashabituel :

– C’est que c’est une brave et vaillantefille, ajouta-t-il, j’en mettrais la main au feu, moi qui tiens àma main et qui crains les brûlures. Elle est fière de son nom, maiselle a, morbleu ! le droit de l’être, elle qui se sacrifie àl’honneur de cet illustre et vieux nom de Maillefert, elle quioublie ses vingt ans, ses beaux yeux, sa grosse dot, tous ses rêvesde jeune fille, pour se faire l’intendant d’une mère prodigue etd’un frère panier percé !…

Jamais, au gré de Raymond,M. de Boursonne n’avait si bien parlé.

– Drôle de boutique !poursuivait-il, où c’est la fille qui tient la clef de la caisse etqui monte la garde devant la monnaie. Nous vivons, sacrebleu !dans un joli temps !… J’avais bien déjà vu un père et son filsse ruiner gaiement de compagnie, mais une maman et son garçoncroquant gaillardement leurs millions ensemble, c’est neuf, c’estgracieux, c’est coquet. Il n’y a plus après cela qu’à tirer sonchapeau. Et, ma foi, vive le progrès !…

Il descendit quatre ou cinq marches, puis,s’arrêtant de nouveau en se frappant le front :

– C’est égal, dit-il encore, je voudraisbien savoir de qui nous vient notre invitation, si c’est de lamère, du frère ou de la sœur…

Raymond aussi se le demandait, et avec unebien autre anxiété que le vieil ingénieur.

Pourtant il ne lui répondit pas.

Ils arrivaient au grand vestibule, où sepressaient, au milieu de valets, une douzaine d’invitésretardataires.

Un huissier, grave comme un pair d’Angleterre,les précéda jusqu’à la porte du grand salon, et après leur avoirdemandé leurs noms, annonça :

– M. Raymond Delorge !M. le baron de Boursonne !

Le vieil ingénieur tressauta comme si on luieût coulé dans le dos un grand verre d’eau glacée.

– D’où diable cet escogriffe sait-il queje suis baron ? grommela-t-il.

– C’est vous qui venez de le lui dire,monsieur, répondit Raymond, que le rire gagnait.

– Êtes-vous sûr ?

– J’ai entendu.

Le bonhomme hocha la tête.

– Vanité des vanités ! murmura-t-il.Voilà pourtant la contagion de l’exemple. Mais donnez-moi le bras,mon cher Delorge, que nous ne nous perdions pas.

La précaution était bonne, car la foule étaitgrande et d’autant plus animée qu’un quadrille venait de finir etque tous les danseurs refluaient dans les couloirs dedégagement.

En annonçant cinq cents personnes,Mlle Simone était restée bien au-dessous de lavérité : il y en avait bien le triple, circulant à traverstrois salons et la grande galerie, qui occupaient tout lerez-de-chaussée d’une des ailes du château.

Rien de plus magnifique que ces salons, avecleurs plafonds enluminés, leurs boiseries dorées, leurs largesfenêtres et leurs immenses cheminées, décorées des armes desMaillefert, salons si vastes que dans chacun d’eux eût tenul’appartement entier où un parvenu entasse glorieusement un millierd’invités.

Et cependant, cette splendeur même devaitattrister un observateur, qui y retrouvait l’indice d’une opulenceévanouie.

Il n’était que trop aisé de voir que cesappartements de réception ne servaient que de loin en loin. Plus demeubles, plus de tentures. Les rideaux aussi bien que lesbanquettes sortaient évidemment des magasins d’un tapissierd’Angers, qui les avait loués pour une nuit et qui attendaitpeut-être que le bal fût fini pour les décrocher et courir lestendre ailleurs…

– Ne jurerait-on pas, disait à RaymondM. de Boursonne, que la bande noire a passé ici ! Labande noire !… Parbleu ! c’est cette chère duchesse. Nepouvant emporter le château, elle en a, du moins, emporté lesmeubles, les antiques bahuts, les vieilles consoles, lestapisseries curieuses, les horloges précieusement travaillées, tousces trésors artistiques dont les grandes familles se font honneuret qui se transmettent de génération en génération.

Cependant, le vieil ingénieur et Raymondétaient sans doute les seuls à faire ces affligeantesobservations.

Le bal arrivait au moment de son plus viféclat.

Aux gais refrains de deux orchestres,dansaient, avec l’entrain de simples paysannes, les plus jolies,les plus riches et les plus nobles héritières de l’Anjou.

Le visage, même, se déridait, des douairièresqui faisaient tapisserie en robe de satin ou de velours,audacieusement décolletées et la tête chargée de plumes ou dediamants.

À toutes les portes et dans l’embrasure desfenêtres, les hommes graves, cravatés de blanc, se serraient engroupes compacts.

Plus loin, dans deux petits salons ouvrant surla galerie, on entendant l’or rouler sur les tapis verts ets’échanger les paroles sacramentelles : « Jepasse !… – À vous la main !… – Je marque lepoint !… »

Sans relâche, les valets se succédaient,portant des plateaux chargés de glaces, de bonbons exquis et decoupes de champagne.

– Avec tout cela, disait Raymond àM. de Boursonne, nous sommes ici comme deux intrus. Nousn’avons seulement pas salué la duchesse. Comment ne redescend-ellepas ? où donc est-elle ?…

C’était en ce moment la préoccupation de bonnombre d’invités ; il n’y avait pour s’en assurer qu’à prêterl’oreille.

– Décidément cette chère duchesse nousabandonne !…

Ainsi, près de Raymond et deM. de Boursonne, disait un gros monsieur à une trèsvieille dame extrêmement parée.

– C’est assez son habitude, ce me semble,répondit la douairière.

– Alors pourquoi donner desfêtes ?…

– Eh ! cher marquis, lorsqu’on a del’argent de trop, il faut bien le dépenser.

Ils éclatèrent de rire tous deux, de ce bonrire de la médisance, puis le gros monsieur – le marquis –reprit :

– En tout cas, elle n’avait jamais donnéune fête aussi magnifique.

– Aussi… nombreuse, du moins.

– C’est ce que je voulais dire. Aussidoit-elle avoir un but…

– Elle en a un.

– Et vous le connaissez ?

– Assurément.

Le vieil ingénieur et Raymond oubliaient lebal pour écouter.

– En y réfléchissant, continuait le grosmarquis, il me semble que je devine les projets deMme de Maillefert.

– Dites.

– Elle songe à marier sa fille.

La vieille dame eut un petit ricanement, quidécouvrit les perles de son râtelier.

– Pourquoi cela, comtesse ? demandal’autre, piqué.

– Parce que vous savez bien que lemariage de cette petite Simone mettrait la duchesse sur la paille.Parce que c’est Cendrillon qui paye les violons quand la duchessedanse. Parce que le mari garderait pour lui la fortune de sa femme,comme de juste, au lieu de la donner à croquer àMme de Maillefert et à son fils… Allez donc unpeu demander la main de Simone pour votre fils, et vous verrez cequ’on vous répondra… À moins que…

– Eh bien !…

– À moins que vous ne consentiez à donnerreçu de la dot sans la recevoir…

Le gros homme se grattait l’oreille, ce quiétait sa façon de faire appel à ses idées.

– Peut-être avez-vous raison, comtesse,dit-il ; mais, alors, que se propose donc la duchesse ?Cherche-t-elle une femme pour Philippe ?…

– Y songez-vous !… Quelle famillevoudrait ce garçon ! Peut-être, à Angers, trouverait-ilquelque marchand vaniteux qui donnerait un million ou deux de sonnom et de son titre ; mais il ne trouvera jamais une fille denoblesse…

– Alors, je donne ma langue aux chiens…Voyons, chère comtesse, apprenez-moi ce que vous savez. Faut-ilvous jurer un secret éternel ?

– Ce n’est pas la peine.

– Bah !…

– Ce que je vais vous dire, tout le mondele saura avant huit jours.

– Comtesse, je suis sur le gril.

– Eh bien ! marquis,Mme la comtesse d’Hostal de Chalandray, duchesse deMaillefert, est ici en tournée électorale.

Le gros homme fit un tel saut en arrière,qu’il posa lourdement son talon sur le pied deM. de Boursonne, lequel avait fini par se rapprocher delui un peu plus que ne le permettaient les convenances.

– Sacrrr !… commença le vieilingénieur.

– Oh !… monsieur, mille pardons,agréez toutes mes excuses, fit gracieusement le marquis.

Et revenant bien vite à la vieilledame :

– C’est invraisemblable, ce que vous medites là, comtesse, fit-il.

– Oui, mais c’est vrai. Ignorez-vous doncque la duchesse est ralliée, tout ce qu’il y a de plus ralliée,qu’elle ne sort plus des Tuileries, qu’elle va à Compiègne, qu’ellese montre partout avec la femme de ce Maumussy qui s’est affublé dutitre de duc, qu’elle sera peut-être, un de ces jours, damed’honneur de l’impératrice…

– Une duchesse de Maillefert !…

– Voilà ! Quand on se noie, on seraccroche à toutes les branches, et la duchesse et son fils en sontà leur dernier bouillon. Que deviendront-ils, quand ils aurontcroqué la légitime de cette petite Simone ? Cela les inquièteet ils se sont adressés à l’empire pour obtenir, elle des rentes,lui quelque sinécure bien lucrative. Seulement, comme on ne payebien que les gens qui rendent des services, la duchesse a promis derallier la noblesse de l’Anjou et de nous amener tous aux pieds deLeurs Majestés…

– C’est monstrueux !…

– Attendez !… Pour faciliter à cettechère duchesse sa mission politique, on a mis à sa disposition uncertain nombre de places qu’elle va proposant à l’un et à l’autre.Déjà elle m’a offert une recette particulière pour mon gendre, quin’est pas riche, comme vous savez, et qui est chargé defamille…

– Tenez, comtesse, il me semble que jerêve !…

– C’est-à-dire que vous doutez, et quevous voudriez des preuves ? Eh bien ! regardez autour devous, et vous verrez tous les gros fonctionnaires du département.Vous verrez notre préfet, le sous-préfet de Saumur, le général, lecommandant de l’école, l’enregistrement, la douane et les ponts etchaussées. C’est un bal de fusion.

Singulier fut le regard qu’échangèrent Raymondet M. de Boursonne.

Mais déjà le gros monsieurcontinuait :

– Cela étant, je vais aller saluer laduchesse et lui donner à entendre que personne de nous ne mettraplus les pieds chez elle… Mais où donc est-elle ? Étrangemaison, dont personne ne fait les honneurs !… Avez-vous aperçuMlle Simone ?

– Pas encore.

– Et Philippe ?…

– Oh ! lui, vous le trouverez dansle salon de jeu… Je viens de l’y voir aux prises avec votrefils…

– Comment ! monsieur mon fils sepermet… Ah ! je vais y mettre bon ordre !…

Mais, au moment où il quittait la comtesse, unmouvement se fit dans la galerie.

Raymond et M. de Boursonne sehaussèrent sur la pointe du pied.

Et, dans l’encadrement de la porte, ilsaperçurent la duchesse et Mlle Simone deMaillefert.

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