Service de la reine

Service de la reine

de Sir Anthony Hope Hawkins
Chapitre 1 L’adieu de la Reine.

Celui qui a vécu dans le monde et remarqué combien l’acte le plus insignifiant peut avoir de conséquences à travers le temps et l’espace, ne saurait être bien certain que la mort du duc de Strelsau, la délivrance et la restauration du roi Rodolphe aient mis fin pour toujours aux troubles causés par l’audacieuse conspiration de Michel le Noir. L’enjeu avait été considérable, la lutte ardente, les passions surexcitées, les semences de haine répandues. Cependant, Michel ayant payé de sa vie son attentat contre la couronne, tout n’était-il pas fini ?Michel était mort, la princesse avait épousé son cousin, le secret était bien gardé ; M. Rassendyll ne paraissait plus en Ruritanie. N’était-ce pas un dénouement ? Je parlais en ce sens à mon ami, le connétable de Zenda, en causant au chevet du lit du maréchal. Il répondit :

« Vous êtes optimiste, ami Fritz, maisRupert de Hentzau est-il mort ? Je ne l’ai pas entendudire. »

L’agent principal dont Rupert se servaiteffrontément pour se rappeler au souvenir du Roi, était son cousin,le comte de Rischenheim, jeune homme de haut rang et très riche,qui lui était dévoué. Le comte remplissait bien sa mission,reconnaissait les fautes graves de Rupert, mais invoquait en safaveur l’entraînement de la jeunesse et l’influence prédominante duduc Michel ; il promettait pour l’avenir, en termes sisignificatifs qu’on les devinait dictés par Rupert lui-même, unefidélité aussi discrète que sincère.

« Payez-moi mon prix et je metairai, » semblait dire l’audacieux Rupert par les lèvresrespectueuses de son cousin. Comme on peut le croire, néanmoins, leRoi et ses conseillers en cette affaire, sachant trop bien quelleespèce d’homme était Rupert de Hentzau, n’étaient guère disposés àécouter les prières de ses ambassadeurs. Nous gardions d’une mainferme les revenus du comte et surveillions ses mouvements de notremieux, car nous étions bien décidés à ne pas permettre qu’ilrentrât jamais en Ruritanie.

Nous aurions peut-être pu obtenir sonextradition et le faire pendre en prouvant ses crimes, mais nouscraignions que si Rupert était livré à notre police et cité devantles tribunaux de Strelsau, le secret que nous gardions avec tant desoin ne devînt le sujet des bavardages de la ville, voire de toutel’Europe. Rupert échappa donc à tout autre châtiment que l’exil etla confiscation de ses biens.

Cependant, Sapt était dans le vrai. Siimpuissant qu’il parût, Rupert ne renonça pas un instant à lalutte. Il vivait dans l’espoir que la chance tournerait et luireviendrait, et il se préparait à en profiter. Il conspirait contrenous, comme nous nous efforcions de nous protéger contre lui :la surveillance était réciproque. Ainsi armé, il rassembla desinstruments autour de lui et organisa un système d’espionnage quile tint au courant de toutes nos actions et de toute la situationdes affaires à la cour. Plus encore, il se fit donner tous lesdétails concernant la santé du Roi, bien qu’on ne traitât ce sujetqu’avec la plus discrète réticence. Si ses découvertes se fussentbornées là, elles eussent été contrariantes et même inquiétantes,mais en somme peu dangereuses. Elles allèrent plus loin. Mis sur lavoie par ce qu’il savait de ce qui s’était passé pendant queM. Rassendyll occupait le trône, il devina le secret qu’onavait réussi à cacher au Roi lui-même. Il trouva la l’occasionqu’il attendait et entrevit la possibilité de réussir s’il s’enservait hardiment.

Je ne saurais dire ce qui l’emporta en lui, dudésir de rétablir sa position dans le royaume ou de sa rancunecontre M. Rassendyll. S’il aimait la puissance et l’argent, ilchérissait la vengeance, Les deux causes agirent sans doutesimultanément, et il fut ravi de voir que l’arme mise entre sesmains était à deux tranchants. Grâce à elle, il débarrasserait sonchemin des obstacles et blesserait l’homme qu’il haïssait à traversla femme que cet homme aimait.

Bref, le comte de Hentzau, devinant lesentiment qui existait entre la Reine et Rodolphe Rassendyll, plaçases espions en vedette et, grâce à eux, découvrit la raison de marencontre annuelle avec M. Rassendyll. Du moins, il se doutade la nature de ma mission, et cela lui suffit.

Trois années s’étaient écoulées depuis lacélébration du mariage qui avait rempli de joie toute la Ruritanie,en témoignant aux yeux du peuple de la victoire remportée surMichel le Noir et ses complices. Depuis trois ans, la princesseFlavie était reine. Je connaissais, aussi bien qu’un homme lepouvait, le fardeau imposé à la reine Flavie. Je crois que seule,une femme peut en apprécier pleinement le poids ; car mêmemaintenant, les yeux de la mienne se remplissent de larmes quandelle en parle. Et pourtant, la Reine l’a porté, et si elle a euquelques défaillances, une seule chose m’étonne : c’estqu’elle n’en ait pas eu davantage. Car non seulement, elle n’avaitjamais aimé le Roi et elle en aimait un autre, mais encore, lasanté de Sa Majesté, très ébranlée par l’horreur et la rigueur desa captivité dans le château de Zenda, avait bientôt périclité toutà fait. Il vivait, il chassait même, il conservait en quelquemesure la conduite du gouvernement, mais il n’était plus qu’unvalétudinaire irritable, entièrement différent du prince jovial etgai que les instruments de Michel avaient saisi au Pavillon dechasse. Il y avait pis encore. Avec le temps, les sentimentsd’admiration et de reconnaissance qu’il avait voués àM. Rassendyll s’étaient éteints. Il s’était mis à réfléchirsombrement à ce qui s’était passé pendant son emprisonnement. Outrela crainte incessante de Rupert par qui il avait tant souffert, iléprouvait une jalousie maladive, presque folle, à l’égard deM. Rassendyll, ce Rodolphe qui avait joué un rôle héroïquependant que lui était paralysé. C’étaient les exploits de Rodolpheque son peuple acclamait en lui dans sa propre capitale, leslauriers de Rodolphe qui couronnaient son front impatient. Il avaitassez de noblesse naturelle pour souffrir de sa gloire imméritée,mais pas assez d’énergie morale pour s’y résigner virilement. Et ladétestable comparaison le blessait dans ses sentiments les plusintimes. Sapt lui disait sans ambages que Rodolphe avait fait ceciou cela, établi tel ou tel précédent, inauguré telle oui tellepolitique, et que le Roi ne pouvait mieux faire que de suivre lamême voie. Le nom de M. Rassendyll était rarement prononcé parla Reine, mais quand elle parlait de lui, c’était comme d’un grandhomme défunt, dont la grandeur rapetissait, par la gloire de sonnom, tous les autres hommes. Je ne crois pas que le Roi devinât lavérité que la Reine passait sa vie à lui cacher, mais il montraitde l’inquiétude si Sapt ou moi prononcions ce nom ; et de lapart de la Reine, cela lui était insupportable. Je l’ai vu entreren fureur pour cette seule raison, car il avait perdu tout empiresur lui-même.

Sous l’influence de cette troublante jalousie,il cherchait sans cesse à exiger de la Reine des preuves detendresse et de dévouement dépassant, selon mon humble jugement, ceque la plupart des maris obtiennent ou méritent ; luidemandant toujours ce qu’il n’était pas au pouvoir de son cœur delui donner. Elle faisait beaucoup par devoir et par pitié, maisparfois, n’étant après tout qu’une femme et une femme fière, ellefaiblissait – alors, le plus petit reproche ou la moindre froideur,même involontaire, prenaient dans cette imagination malade lesproportions d’une grande offense ou d’une insulte préméditée, ettous les efforts pour le calmer restaient vains. De la sorte, cesdeux êtres, que rien n’avait jamais rapprochés, s’éloignaientchaque jour davantage l’un de l’autre : lui demeurait seulavec sa maladie et ses soupçons, elle avec sa douleur et sessouvenirs. Il n’y avait pas d’enfant pour combler le vide qui lesséparait et, quoiqu’elle fût sa Reine et sa femme, elle luidevenait chaque jour plus étrangère. Il semblait le vouloirainsi.

Telle était la vie de la Reine depuis troisannées ; une fois par an seulement, elle envoyait trois mots àl’homme qu’elle aimait, et il lui répondait par trois motssemblables. Enfin, la force lui manqua. Une scène misérable eutlieu, pendant laquelle le Roi lui adressa des reproches à propos deje ne sais plus quelle raison futile, et s’exprima devant témoinsen termes que, même dans le tête-à-tête, elle n’aurait pu entendresans être offensée. J’étais présent et Sapt aussi ; les petitsyeux du colonel brillaient de colère.

Cette chose, dont je ne parlerai plus, sepassa deux ou trois jours avant que je partisse pour allerrejoindre M. Rassendyll. Je devais, cette fois, le rencontrerà Wintenberg, car j’avais été reconnu l’année précédente àDresde ; et Wintenberg étant une ville moins importante etmoins sur la route des touristes, nous avait paru plus sûre. Je merappelle bien la Reine telle que je la trouvai dans son appartementoù elle m’avait fait appeler quelques heures après la scène avec leRoi. Elle était assise devant la table sur laquelle se trouvait lepetit coffret renfermant, je le savais, la rose rouge et lemessage. Mais ce jour-là, il y avait quelque chose de plus qu’àl’ordinaire. Sans préambule, elle aborda le sujet de mamission.

« Il faut que je lui écrive, medit-elle. C’est intolérable ; il faut que j’écrive. Mon cherami Fritz, vous porterez ma lettre en toute sûreté, n’est-cepas ? Et il faudra qu’il me réponde. Et vous m’apporterez saréponse ? Ah ! Fritz ! je sais que j’ai tort, maisje meurs de chagrin, oui, de chagrin ! D’ailleurs, ce sera ladernière fois ; mais il faut que je lui dise adieu ; ilfaut que j’aie son adieu en retour pour m’aider à vivre. Cette foisdonc encore, Fritz, faites cela pour moi. »

Les larmes coulaient sur ses joues dont lapâleur habituelle avait fait place à la rougeur de la colère :ses yeux me suppliaient et me défiaient en même temps. Je courbaila tête et lui baisai la main.

« Avec l’aide de Dieu, répondis-je, jeporterai les deux messages, ô ma Reine !

– Et vous me direz bien comment il est.Regardez-le bien, Fritz. Voyez s’il paraît fort et en bonne santé.Oh ! tâchez de le rendre heureux et gai. Amenez le sourire quej’aime sur ses lèvres et dans ses yeux. En parlant de moi, observezs’il… s’il m’aime encore. »

Elle cessa de pleurer et ajouta :« Mais ne lui rapportez pas que j’ai dit cela. Il serait peinési je doutais de son amour. Je n’en doute pas, non, vraiment ;mais cependant, dites‑moi bien ce que sera sa physionomie quandvous parlerez de moi, n’est‑ce pas, Fritz ? Tenez, voici lalettre. »

La tirant de son corsage, elle la baisa avantde me la donner. Puis elle ajouta mille conseils deprécaution : comment je devais porter la lettre, aller etrevenir sans m’exposer à aucun danger, car ma femme Helga m’aimaitcomme elle-même aurait aimé son mari, si le ciel lui eût étépropice, « ou du moins presque autant, Fritz, »reprit-elle, entre le sourire et les larmes, car elle n’admettaitpas qu’aucune autre femme pût aimer autant qu’elle.

Je la quittai pour aller terminer mespréparatifs de départ. Je n’emmenais qu’un domestique et je lechangeais chaque année. Aucun d’eux n’avait su que je rencontraisM. Rassendyll ; ils supposaient que je voyageais pour desaffaires personnelles avec l’autorisation du Roi. Cette fois,j’avais décidé d’emmener un jeune Suisse entré à mon service depuisquelques semaines seulement. Il s’appelait Bauer, était un peulourd, ne paraissait pas très intelligent, mais en revanche,semblait parfaitement honnête et fort obligeant. Il m’avait étébien recommandé et je l’avais engagé sans hésiter. Je le choisispour compagnon de route, surtout parce qu’étant étranger, ilbavarderait probablement moins avec les autres au retour. Je n’aipas de prétentions à une intelligence extraordinaire – pourtant,j’avoue ma vexation au souvenir de la façon dont ce jeune lourdaudà l’air innocent se joua de moi. Car Rupert savait que j’avaisrencontré M. Rassendyll l’année précédente à Dresde. Rupertsuivait, d’un œil attentif, tout ce qui se passait àStrelsau ; Rupert avait procuré à ce garçon ses admirablescertificats et me l’avait envoyé dans l’espoir qu’il apprendraitquelque chose d’utile à celui qui l’employait. On avait pu espérer,mais sans aucune certitude, que je l’emmènerais, s’il en fut ainsi,ce fut un effet du hasard qui seconde si souvent les projets d’unhabile intrigant.

Quand j’allai prendre congé du Roi, je letrouvai pelotonné près du feu. Il ne faisait pas froid, maisl’humidité de son cachot de jadis semblait avoir pénétré jusqu’à lamoelle de ses os. Mon départ le contrariait et il me questionnaaigrement sur les affaires qui en étaient le prétexte. Je déjouaisa curiosité de mon mieux, sans réussir à calmer sa mauvaisehumeur. Un peu honteux de son récent emportement et désireux de setrouver des excuses, il s’écria irrité :

« Des affaires ! Toute affaire estune excuse suffisante pour me quitter. Par le ciel ! je medemande si jamais roi fut aussi mal servi que moi ! Pourquoiavez-vous pris la peine de me faire sortir de Zenda ? Personnen’a besoin de moi ; personne ne se soucie que je vive ou queje meure. »

Raisonner avec quelqu’un ayant une humeur dece genre était impossible. Je ne pus que lui promettre de revenirau plus vite.

« C’est cela. Je vous en prie. J’aibesoin de quelqu’un qui veille sur moi. Qui sait ce que ce coquinde Rupert serait capable de tenter contre ma personne ? Je nepeux pas me défendre ; je ne suis pas Rodolphe Rassendyll,n’est-ce pas ? »

Si j’avais dit un mot de M. Rassendyll,il ne m’aurait pas laissé partir. Déjà, il m’avait reprochéd’entretenir des rapports avec Rodolphe, tant la jalousie avaitdétruit en lui la reconnaissance. Je crois vraiment qu’il n’auraitpu haïr son sauveur davantage, même s’il avait su ce dont j’étaisporteur. Peut-être ce sentiment avait-il quelque chose denaturel ; il n’en était pas moins pénible à constater.

En quittant le Roi, j’allai trouver leconnétable de Zenda. Il avait connaissance de ma mission. Je luiparlai de la lettre que je portais et m’entendis avec lui sur lesmoyens de lui faire connaître promptement et sûrement ce quim’adviendrait. Il n’était pas de bonne humeur ce jour-là ; leRoi l’avait rabroué aussi, et le colonel Sapt n’avait pas unegrande provision de patience.

« Si nous ne nous sommes pas coupé lagorge d’ici là, me dit-il, nous serons tous à Zenda quand vousarriverez à Wintenberg. La cour s’y rend demain et j’y serai aussilongtemps que le Roi. »

Il s’arrêta, puis reprit :« Détruisez la lettre si vous prévoyez un danger. »

Je fis un signe affirmatif.

Il continua avec un sourire bourru :« Et détruisez-vous avec, s’il n’y a pas d’autre moyen. Dieusait pourquoi il faut qu’elle envoie cette absurde missive, maispuisqu’il le faut, elle aurait mieux fait de me la confier. »Sachant que Sapt affectait de se moquer de toute sentimentalité, jeme contentai de répondre à la dernière partie de son discours.

« Non, il vaut mieux que vous soyez ici,répliquai-je, car si je perdais la lettre, ce qui, toutefois, estpeu probable, vous pourriez empêcher qu’elle ne parvînt au Roi.

– J’essaierais, dit-il en ricanant ;mais, sur ma vie, courir ce risque pour une lettre ! c’estbien peu de chose qu’une lettre pour exposer la paix d’unroyaume.

– Malheureusement, Sapt, c’est à peu prèsla seule chose qu’un messager puisse porter.

– Partez donc, grogna lecolonel. Dites à Rassendyll de ma part qu’il a bien agi,mais exposez-lui aussi qu’il a encore autre chose à faire. Qu’ilsse disent adieu et que cela finisse. Grand Dieu ! Va-t-ilperdre toute sa vie à penser à une femme qui ne sera jamais rienpour lui ! »

Sapt avait l’air indigné.

« Que peut-il faire de plus, demandai-je.Sa tâche ici n’est-elle pas remplie ?

– Oui, sans doute… peut-être… En toutcas, il nous a rendu notre bon Roi. »

Rendre le Roi entièrement responsable de cequ’il était devenu eût été une parfaite injustice. Sapt n’en étaitpas coupable, mais il était amèrement désappointé que tous nosefforts n’eussent pas rendu un meilleur souverain à la Ruritanie.Sapt savait servir, mais il aimait que son maître fût un homme.« Oui, reprit-il, en me serrant la main, la tâche du bravegarçon est accomplie. » Puis son regard brilla tout à coup etil ajouta tout bas : « Peut-être que non ! Quisait ? »

Un homme ne mérite pas, je crois, d’êtreaccusé de trop aimer sa femme, parce qu’il désire dînertranquillement avec elle avant de partir pour un long voyage.Telle, du moins, était ma fantaisie, et je fus ennuyé d’apprendreque le cousin d’Helga, Anton de Strofzin, s’était invité à partagernotre repas, pour me dire adieu. Il nous rapporta, avec sa légèretévide, tous les bavardages de Strelsau. Une dernière nouvelle arrêtamon attention. On pariait au Club que Rupert serait rappelé.

« En avez-vous entendu parler,Fritz ? »

Inutile de dire que si j’avais su quelquechose, je ne l’aurais pas confié à Anton. Mais la chose était simanifestement opposée aux intentions du Roi, que je n’hésitai pas àla contredire avec autorité. Anton m’écouta, son front placidefroncé d’un air entendu.

« Tout cela est bel et bien, merépondit-il, et vous êtes sans doute tenu de parler ainsi. Tout ceque je sais, c’est que Rischenheim en a dit quelque chose aucolonel Markel, il y a un jour ou deux.

– Rischenheim croit ce qu’il espère,répliquai-je.

– Et où est-il allé ? s’écria Antontriomphant. Pourquoi a-t-il quitté Strelsau si subitement ? Jevous dis qu’il est allé retrouver Rupert et je parie qu’il luiporte quelque proposition. Oh ! vous ne savez pas tout, Fritz,mon garçon. »

C’était profondément vrai et je m’empressai dele reconnaître.

« Je ne savais même pas que le comte fûtparti et bien moins encore pourquoi.

– Vous voyez bien ! » s’écriaAnton.

Anton s’en alla persuadé qu’il m’avait damé lepion. Je ne voyais pas trop comment il était possible que le comtede Luzau-Rischenheim fût parti pour voir son cousin ; dureste, rien n’était moins certain. En tout cas, j’avais à m’occuperd’une affaire plus pressante. Oubliant ces bavardages, je dis aumaître d’hôtel de faire partir Bauer avec le bagage, et de veillerà ce que ma voiture fût exacte. Helga s’était occupée, depuis ledépart de notre hôte, de préparer de petites provisions pour monvoyage ; maintenant, elle venait me dire adieu. Quoiqu’elles’efforçât de cacher toute apparence d’inquiétude, je m’aperçus deses craintes. Elle n’aimait pas ces missions dans lesquelles ellevoyait des dangers et des risques, selon moi fort peu probables. Nevoulant pas entrer dans cet ordre d’idées, je lui dis, enl’embrassant, de compter sur mon retour dans quelques jours. Je nelui parlai même pas du nouveau et dangereux fardeau que je portais,bien que je n’ignorasse pas combien était grande la confiance quelui accordait la Reine.

« Mes amitiés au roi Rodolphe, au vrairoi Rodolphe, dit-elle ; il est vrai que ce que vous luiportez le rendra fort indifférent à mes amitiés.

– Je ne désire pas qu’il y attache tropde prix, ma chérie, » lui répondis-je.

Elle me prit les mains et leva les yeux versmon visage.

« Quel ami vous êtes, Fritz, medit-elle ; vous adorez M. Rassendyll. Vous croyez, je lesais, que je l’adorerais aussi, s’il me le demandait. Ehbien ! non ! Je suis assez absurde pour avoir ma propreidole. »

Toute ma modestie ne pouvait m’empêcher dedeviner quelle était cette idole. Tout à coup, elle se rapprocha demoi et murmura à mon oreille (j’imagine que notre bonheur luiinspirait subitement une nouvelle sympathie pour samaîtresse) :

« Faites qu’il lui envoie un messageattestant qu’il l’aime, Fritz, quelque chose qui la réconforte. Sonidole ne peut pas être près d’elle comme la mienne est près demoi.

– Oui, répondis-je ; il lui enverrace qu’il faut pour la réconforter. Que Dieu vous garde, mabien-aimée. »

Oui, sans doute il enverrait une réponse à lalettre que je portais, et j’avais juré d’apporter cette réponsesaine et sauve. Je partis donc, confiant, avec la petite boîte etl’adieu de la Reine dans la poche intérieure de mon habit ;ainsi que me l’avait récemment recommandé le colonel Sapt, jedétruirais au besoin l’une et l’autre et moi-même, s’il le fallait.On ne pouvait servir la reine Flavie avec un demi-dévouement.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer