Service de la reine

Chapitre 13Un roi dans sa manche.

La grande et belle fille enlevait les voletsde la boutique au n° 19 de la Königstrasse. Elle faisait sonouvrage sans entrain, mais il y avait sur ses joues une rougeurardente et ses yeux brillaient comme d’une surexcitation contenue.La vieille mère Holf, accoudée au comptoir, grommelait avec colèreparce que Bauer n’était pas venu. Or, il n’était guère probable queBauer vînt immédiatement, car il était encore à l’infirmerie jointeaux cellules de la police où deux médecins étaient fort occupés àle remettre sur pied. La vieille femme ignorait cela ; ellesavait seulement qu’il était sorti la veille au soir pour faire unereconnaissance, mais elle ignorait où il devait jouer son rôled’espion ; contre qui, elle le devinait peut-être.

« Tu es sûre qu’il n’est pas revenu dutout ? demanda-t-elle à sa fille.

– Je ne l’ai pas vu revenir, répondit lajeune fille, et j’ai fait le guet avec ma lampe toute la nuitjusqu’à l’aube.

– Il y a douze heures qu’il est parti etpas un message. Et le comte Rupert reviendra sans doute bientôt. Ilsera de belle humeur si Bauer n’est pas de retour. »

La jeune fille ne répondit pas. Elle avaitfini sa tâche et restait sur la porte à regarder les passants. Ilétait plus de huit heures et il y avait beaucoup de mondedehors ; la plupart, des gens de la classe ouvrière ; lesplus fortunés ne se montreraient pas d’une heure ou deux encore.Dans la rue, le mouvement consistait surtout en allées et venues decharrettes, de paysans apportant des victuailles à la grande ville.La jeune fille les suivait des yeux, mais sa pensée était occupéedu majestueux gentilhomme qui était venu la veille au soir luidemander un service. Elle avait entendu le coup de revolver, alorselle avait éteint sa lampe et derrière la porte, dans les ténèbres,elle avait entendu la retraite précipitée des fugitifs et, un peuplus tard, l’arrivée de la patrouille. La patrouille n’oserait pastoucher au Roi : quant à Bauer, qu’il fût mort ou vivant,qu’est-ce que cela pouvait lui faire à elle, la servante du Roi eten situation de l’aider contre ses ennemis ?

Si Bauer était l’ennemi du Roi, elle seraitenchantée que le coquin fût mort. Comme le Roi l’avait bien prispar le cou pour le jeter dehors ! Elle riait en pensantcombien peu sa mère se doutait de la compagnie qu’elle avait reçuela veille.

La chaîne des charrettes avançait lentement.Une ou deux s’arrêtèrent devant la boutique et leurs conducteursoffrirent de vendre des légumes. La vieille femme ne voulut pas lesécouter et les renvoya avec irritation. Trois s’étaient déjàarrêtées, et un grognement d’impatience échappa à la vieillefemme ; quand une quatrième charrette (couverte celle-là) seplaça devant la porte.

« Il ne nous faut rien ; passezvotre chemin, » cria-t-elle d’une voix aigre.

Le charretier descendit de son siège sansl’écouter et se dirigea vers l’arrière du véhicule.

« Vous y êtes, monsieur, dit-il ;19, Königstrasse. »

On entendit un bâillement et le long soupird’un homme qui s’étire, au moment à la fois agréable et pénible duréveil, après un sommeil réparateur.

« Très bien ; je descends, »répondit une voix de l’intérieur.

« Ah ! c’est le comte, dit lavieille à sa fille d’un ton de satisfaction ; que dira-t-il ausujet de ce coquin de Bauer ?

Rupert de Hentzau passa la tête hors de latoile qui couvrait la charrette, jeta un regard le long de la rue,donna deux couronnes au charretier, sauta à terre et courutrapidement à l’intérieur de la petite boutique. La charrettecontinua sa route.

« Une bonne chance de l’avoir rencontrée,dit Rupert gaiement. J’étais très bien caché dans cette charrette,et si beau que soit mon visage, je ne peux faire aux gens deStrelsau le plaisir de le leur montrer beaucoup pour le moment. Ehbien ! mère, comment va ? Et vous, ma joliefille ? » Il effleura de son gant la joue de la jeunefille. « Ah ! pardon ! fit-il ; mon gant n’estpas assez propre pour toucher votre joue. » Il examinait legant de peau de chamois maculé de taches d’un brun nuance derouille.

« Tout est comme vous l’avez laissé,comte Rupert, dit la mère Holf, excepté que ce coquin de Bauer estsorti hier soir…

– Fort bien ; mais n’est-il pasrentré ?

– Pas encore.

– Hum ! Et personne d’autre n’aparu ? » Son regard donnait un sens précis à cette vaguequestion.

La vieille femme fit de la tête un signenégatif. La jeune fille se détourna pour cacher un sourire. Ellesupposait que personne d’autre signifiait le Roi. Ils nesauraient rien par elle ; le Roi lui-même lui avait enjoint lesilence.

Mais Rischenheim est venu, je pense ?reprit Rupert.

– Oh ! oui, Monseigneur ; ilest arrivé peu après votre départ ; il a le bras enécharpe.

– Ah ! s’écria Rupert, subitementému. C’est ce que j’avais deviné. Par le diable ! Que nepuis-je faire tout moi-même au lieu de me fier à des niais et à desmaladroits. Où est le comte ?

– Dans la mansarde, bien sûr ! Vousconnaissez le chemin ?

– Sans doute. Mais je voudrais déjeuner,la mère.

– Rosa va vous servir de suite,Monseigneur. »

La jeune fille monta derrière Rupertl’escalier étroit et délabré de la vieille et haute maison. Ilsgravirent trois étages inhabités, puis un quatrième, plus raideencore, ce qui les amena sous le toit mansardé. Rupert ouvrit uneporte qui se trouvait en haut de l’escalier et, toujours suivi deRosa qui conservait son heureux et mystérieux sourire, il pénétradans une chambre étroite et longue. Elle n’avait guère que sixpieds d’élévation. Une table de chêne, quelques chaises ; ungrand buffet et deux lits de fer placés contre le mur, près de lafenêtre, en composaient l’ameublement. Sur l’un des lits, le comtede Luzau-Rischenheim était étendu tout habillé, le bras droit passédans une écharpe de soie noire. Rupert s’arrêta sur le seuil etsourit à son cousin ; la jeune fille se dirigea vers lebuffet, l’ouvrit et en tira des assiettes, des verres, en un mottout ce qu’il fallait pour mettre le couvert. Rischenheim étaitaccouru au milieu de la chambre.

« Quelles nouvelles ? cria-t-il,très surexcité. Vous leur avez échappé, Rupert ?

– Comme vous voyez, répliqua Rupertgaiement ; et s’avançant dans la chambre, il se laissa tombersur un siège en jetant son chapeau sur la table. J’ai échappé, maisla stupidité d’un imbécile a failli me coûter la vie. »

Rischenheim rougit.

« Je vous conterai tout cela, ajoutaRupert, en jetant un regard vers la jeune fille qui avait posé dela viande froide et une bouteille de vin sur la table et complétaitles préparatifs du souper de Rupert, sans se presser le moins dumonde.

– Si je n’avais rien à faire qu’àregarder de jolis visages, ce qui, par le Ciel ! me plairaitfort, je vous prierais de rester, dit Rupert en se levant et en luifaisant un profond salut.

– Je ne désire nullement entendre ce quine me regarde pas, répliqua-t-elle dédaigneusement.

– Quelle rare et charmante qualité,répondit-il, ouvrant la porte et saluant de nouveau.

– Je sais ce que je sais, luicria-t-elle, triomphante, lorsqu’elle fut sur le palier. Peut-êtrebien donneriez-vous beaucoup pour le savoir aussi, comteRupert ?

– C’est fort probable ; en effet,par Jupiter ! les jeunes filles savent des chosesmerveilleuses, » et Rupert souriant, ferma la porte. Quand ilrevint à la table, il fronçait le sourcil.

« Allons, dites-moi comment ils s’y sontpris pour vous mettre dedans, ou pourquoi vous en avez fait autantpour moi, cousin ? »

Pendant que Rischenheim racontait comment onl’avait pris et joué au château de Zenda, Rupert de Hentzau fit untrès bon déjeuner. Sans interruptions ni commentaires, il écoutait,mais quand le nom de Rodolphe Rassendyll fut prononcé, il leva toutà coup la tête et une lueur s’alluma dans ses yeux. LorsqueRischenheim termina son récit, il était redevenu souriant etindulgent.

« Ah ! le piège était bien tendu,dit-il ; je ne m’étonne pas que vous y soyez tombé.

– Et vous ? Que vous est-il arrivé,demanda Rischenheim plein de curiosité.

– À moi ? Dame, ayant reçu votremessage qui n’était pas votre message, j’ai agi d’après vos avisqui n’étaient pas vos avis.

– Vous êtes allé au Pavillon ?

– Certainement.

– Et vous y avez trouvé Sapt ?Était-il seul ?

– Non, pas de Sapt du tout.

– Pas Sapt ! Ils vous avaient donctendu un piège, à vous aussi ?

– Probablement, mais il ne morditpas. »

Rupert se croisa les jambes et alluma unecigarette.

« Mais qui avez-vous trouvé ?

– Moi ? J’ai trouvé un gardeforestier du Roi et le lévrier du Roi et… le Roi lui-même.

– Le Roi au Pavillon ?

– Vous ne vous étiez pas trompé autantque vous le pensiez, n’est-ce pas ?

– Mais enfin, Sapt, ou Bernenstein, ouquelqu’un des leurs était avec lui ?

– Son garde et son chien, comme je vousle dis ; pas d’autre homme ni d’autre bête, sur monhonneur !

– Alors, vous lui avez donné la lettre,s’écria Rischenheim, tremblant d’émotion.

– Hélas ! Non, mon cher cousin. Jelui jetai la boîte, mais je ne crois pas qu’il ait eu le temps del’ouvrir. Nous ne sommes pas arrivés au point de la conversation oùje comptais lui donner la lettre.

– Mais pourquoi pas ? Pourquoipas ? »

Rupert se leva et venant se placer juste enface de Rischenheim assis, se dandina sur ses talons et abaissa sonregard vers son cousin en soufflant la cendre de sa cigarette etsouriant agréablement.

« Avez-vous remarqué, dit-il, que monhabit est déchiré ?

– Oui, je le vois.

– Le lévrier essaya de me mordre, cousin,et le garde de m’embrocher… et le Roi de me tuer d’un coup defusil.

– Pour l’amour du Ciel ! Qu’est-ilarrivé ?

– Eh bien ! aucun d’eux ne fit cequ’il désirait, cousin voilà ce qui est arrivé. »

Rischenheim ouvrait des yeux démesurés. Rupertlui souriait tranquillement.

« Parce que, voyez-vous, le Ciel m’aaidé. De sorte, mon cher cousin, que le chien ne mordra plus et quele garde n’embrochera plus personne. Le pays peut se passerd’eux. »

Un silence suivit. Puis Rischenheim sepenchant vers son cousin, dit à voix basse, comme s’il craignaitd’entendre sa propre question :

« Et le Roi ?

– Le Roi ? Eh bien ! le Roi nechassera plus ! »

Pendant un instant, Rischenheim resta penchévers son cousin, puis lentement, il retomba sur le dossier de sonsiège.

« Mon Dieu ! murmura-t-il, monDieu !

– Le Roi était un imbécile, dit Rupert.Allons, je vais vous en conter un peu plus long. »

Il prit une chaise et s’assit. Pendant que soncousin parlait Rischenheim semblait l’écouter à peine. Le récitgagnait en pittoresque par le contraste du ton léger de Rupert etdu visage pâle, des mains tremblantes de son compagnon ; il ytrouvait un stimulant à des plaisanteries odieuses. Mais quand ileut fini, il tira sa moustache élégamment frisée et dit avec unegravité subite :

« Après tout, c’est une affairesérieuse. »

Rischenheim était atterré.

L’influence de son cousin avait été assezforte pour l’entraîner dans l’affaire de la lettre ; il étaitterrifié en voyant comment l’intrépidité sans conscience de Rupertl’avait égaré pas à pas, jusqu’à ce que la mort d’un roi ne fûtplus qu’un incident de ses machinations. Il sauta tout à coup surses pieds en s’écriant :

« Mais il nous faut fuir ! Il nousfaut fuir !

– Non : il n’est pas nécessaire defuir. Peut-être ferons-nous bien de partir, mais il est inutile defuir.

– Mais quand on saura… Il se tutsubitement pour s’écrier : Pourquoi me l’avez-vousdit ?

– Dame ! Je vous l’ai dit parce quec’était intéressant, et je suis revenu ici parce que je n’avais pasd’argent pour aller ailleurs.

– Je vous aurais envoyé de l’argent.

– Je me suis aperçu que j’en obtiensdavantage quand je le demande moi-même en personne. En outre, toutest-il donc fini ?

– Je ne veux plus m’en mêler.

– Ah ! mon cher cousin, vous vousdécouragez trop tôt. Le bon Roi nous a malheureusement quittés,mais nous avons encore notre chère Reine. Nous avons aussi, grâce àla bonté du Ciel, la lettre de notre chère Reine.

– Je vous répète que je ne veux plus m’enmêler.

– Parce que notre cou sent… »

Rupert imita délicatement le geste de celuiqui passe un nœud coulant autour du cou d’un homme. Rischenheim seleva subitement et ouvrit violemment la fenêtre toute grande.

« J’étouffe ! murmura-t-il, lesourcil froncé, évitant les yeux de Rupert.

– Où est Rodolphe Rassendyll ?demanda Rupert. Avez-vous eu de ses nouvelles ?

– Non. J’ignore où il est.

– Je crois qu’il nous faut découvrircela. »

Rischenheim se tourna brusquement verslui.

« Je n’ai été pour rien dans cetévénement, dit-il, et je ne veux plus me mêler de rien. Je n’étaispas au Pavillon. Savais-je seulement que le Roi y était ! Jene suis pas coupable de sa mort, sur mon âme ! j’ignoraistout.

– Tout cela est très vrai, réponditRupert, approuvant d’un signe de tête.

– Rupert, s’écria son cousin, laissez-moipartir ; laissez-moi tranquille. Si vous avez besoin d’argent,je vous en donnerai. Pour l’amour de Dieu ! prenez-le etquittez Strelsau.

– J’ai honte de mendier, mon cher ami,mais il est vrai que j’ai besoin d’un peu d’argent jusqu’à ce queje puisse vendre le précieux objet que je détiens. Est-il ensûreté ? Ah ! oui, le voilà. »

Il tira de sa poche la lettre de la Reine etla contemplant :

« Ah ! dit-il avec regret, si le Roin’avait pas été un imbécile ! »

Il alla vers la fenêtre et regarda audehors ; il ne pouvait pas être vu de la rue et il n’y avaitpersonne aux fenêtres d’en face. Les gens allaient et venaient àleurs affaires et à leurs plaisirs comme à l’ordinaire ; iln’y avait pas d’agitation inusitée dans la ville. Par-dessus lestoits, Rupert pouvait voir l’étendard royal flotter à la briseau-dessus du Palais et des casernes. Il tira sa montre. Rischenheimfit de même ; il était dix heures moins dix.

« Rischenheim, dit-il, venez ici uninstant ; regardez au dehors. »

Rischenheim obéit et Rupert le laissa regarderpendant une minute ou deux avant d’ajouter :

« Voyez-vous quelque chosed’extraordinaire ?

– Non ; rien, répondit Rischenheimbref et sombre, effet de sa frayeur.

– Eh bien ! ni moi non plus et c’esttrès singulier, car ne pensez-vous pas que Sapt ou quelque autreami du Roi a dû aller au Pavillon hier soir ?

– Je peux vous jurer qu’ils en avaientl’intention, répondit Rischenheim dont l’attention se réveillasubitement.

– Alors ils ont dû trouver le Roi. Il y aun bureau du télégraphe à Hofbau, c’est-à-dire à quelques milles.Et il est dix heures. Mon cousin, pourquoi Strelsau ne pleure-t-ilpas son regretté Roi ? Pourquoi les drapeaux ne sont-ils pas àmi-mât ? Je ne comprends pas.

– Ni moi, » dit Rischenheim, lesyeux fixés sur le visage de son cousin.

Rupert sourit et dit d’un tonméditatif :

« Je me demande si ce vieux comédien deSapt a encore une fois, un roi dans sa manche ? »

Il se tut et sembla réfléchir profondément.Rischenheim, sans l’interrompre, regardait tantôt son visage,tantôt au dehors. Les rues demeuraient tranquilles et les drapeauxflottaient toujours au sommet des hampes. La mort du Roi n’étaitpas encore connue à Strelsau.

« Où est Bauer ? demanda Rupert toutà coup. Où diable peut-il être ? Il était mes yeux. Nous voicienfermés ici et je ne sais rien de ce qui se passe.

– J’ignore où il est. Il a dû lui arriverquelque chose.

– Sans doute, mon sage cousin, maisquoi ? »

Rupert se mit à marcher par la chambre, fumantnerveusement une autre cigarette. Rischenheim s’assit près de latable, la tête dans la main. Il était las de cette longue tensionet de tant de surexcitation ; son bras blessé lui faisaitgrand mal et il était plein d’horreur et de remords à la pensée desévénements qui s’étaient accomplis le soir précédent sans qu’il ensût rien.

« Que je voudrais être hors de toutcela ! » gémit-il enfin.

Rupert s’arrêta devant lui.

« Vous vous repentez de vos méfaits,dit-il. Eh bien ! on ne vous en empêchera pas. Bienplus ! Vous irez dire au Roi que vous vous repentez.Rischenheim, il faut que je sache ce que fait le Roi. Il faut quevous alliez solliciter une audience du Roi.

– Mais le Roi est…

– Nous le saurons mieux quand vous aurezdemandé une audience. Écoutez-moi. »

Rupert s’assit en face de son cousin pour luidonner ses instructions. Il aurait à découvrir s’il y avait un roià Strelsau ; ou si celui qui gisait mort au Pavillon n’avaitpas été remplacé. Si l’on n’essayait pas de cacher la mort du Roi,Rupert chercherait son salut dans la fuite. Il ne renonçait pas àses desseins. En sûreté à l’étranger, il tiendrait la lettresuspendue sur la tête de la Reine, et en la menaçant de la publier,il s’assurerait aussitôt l’immunité et tout ce qu’il lui plairaitd’exiger d’elle. Si, d’autre part ; Rischenheim trouvait unroi à Strelsau, si les drapeaux continuaient de flotter au sommetde leurs hampes, si Strelsau ne savait rien du mort étendu auPavillon, alors Rupert aurait mis la main sur un second secret, caril savait qui était le Roi en ce moment à Strelsau. Partant de là,son esprit audacieux concevait des projets nouveaux et plusaudacieux encore. Il pourrait offrir de nouveau à RodolpheRassendyll ce qu’il lui avait déjà offert trois ans plus tôt :l’association dans le crime et le partage des bénéfices ; etsi ses propositions étaient repoussées, il se déclarerait prêt àdescendre dans les rues de Strelsau et à proclamer la mort du roisur les marches de la Cathédrale.

« Qui peut dire, s’écria-t-il en selevant impétueusement, ravi de son inspiration, qui peut dire quide Sapt ou de moi est arrivé le premier au Pavillon ? Qui atrouvé le Roi vivant, Sapt ou moi ? Qui l’a laissé mort, Saptou moi ? Qui avait le plus d’intérêt à le tuer, moi quicherchais seulement à lui faire connaître ce qui touchait à sonhonneur, ou Sapt qui était et est encore étroitement lié avecl’homme qui lui vole son nom et usurpe sa place pendant que soncorps est encore chaud ?

« Ah ! ils ne sont pas encorequittes de Rupert de Hentzau ! »

Il s’arrêta et regarda son compagnon. Lesdoigts de Rischenheim étaient encore crispés et ses jouespâles.

Mais de nouveau, son visage exprimaitl’intérêt et l’ardeur. De nouveau, la fascination exercée parl’audace de Rupert et la contagion de son courage agissaient sur lanature plus faible de son parent et lui inspiraient une émulationtemporaire qui le dominait.

« Vous devez voir, poursuivit Rupert,qu’il est peu probable qu’ils veuillent vous nuire.

– Je risquerai tout.

– Brave chevalier ! Le pire qu’ilspourraient faire serait de vous garder prisonnier. Si vous n’êtespas de retour dans deux heures, j’en conclurai qu’il y a un Roi àStrelsau.

– Mais où chercherai-je le Roi ?

– D’abord au palais, puis chez Fritz deTarlenheim. Je pense que vous le trouverez plutôt chez Fritz.

– Alors, irai-je là d’abord ?

– Non. Ce serait paraître trop sûr de sonfait.

– Vous attendrez ici ?

– Certainement, cousin ; à moins queje ne voie des raisons de m’éloigner.

– Et je vous trouverai à monretour ?

– Moi, ou des instructions de moi. Àpropos, apportez de l’argent. Il est toujours bon d’avoir une pochepleine. Je me demande comment fait le diable sans gousset à sesculottes ? »

Rischenheim ne releva pas cette curieuseobservation, quoiqu’il eût remarqué l’air drôle dont Rupert l’avaitlancée. Il brûlait maintenant de partir, son cerveau mal équilibrésautant des profondeurs du découragement à la certitude d’unbrillant succès.

« Nous les aurons à merci, Rupert,cria-t-il.

– Peut-être. Mais les bêtes sauvagesacculées mordent ferme.

– Je voudrais que mon bras fût guéri.

– Il est moins dangereux pour vous qu’ilsoit blessé, répliqua Rupert en souriant.

– Par Dieu ! Rupert, je peux medéfendre !

– Sans doute, sans doute, mais c’est devotre cerveau que j’ai besoin en ce moment, cousin.

– Vous verrez que je suis bon à quelquechose.

– Plaise à Dieu ! chercousin. »

Chaque encouragement moqueur et chaqueraillerie légère fortifiaient la résolution de Rischenheim deprouver sa valeur. Il saisit un revolver posé sur la cheminée et lemit dans sa poche.

« Ne tirez pas si vous pouvez vous endispenser, » lui conseilla Rupert.

Rischenheim répondit affirmativement en sehâtant vers la porte.

Rupert le regarda partir, puis retourna à lafenêtre. Son cousin vit encore une fois de la rue, sa haute et finetaille ressortant sur le fond de lumière, tandis qu’il regardait laville. La tranquillité régnait toujours dans les rues et toujours,au-dessus du Palais, les drapeaux flottaient aux hampes.

Rischenheim se précipita au bas del’escalier ; ses pieds étaient trop lents pour son ardeur. Enbas, il trouva Rosa balayant le corridor avec une grande apparencede zèle.

« Vous sortez, monsieur le comte ?demanda-t-elle.

– Mais oui. J’ai des affaires… Veuillezvous écarter ; ce maudit corridor est siétroit ! »

Rosa ne se hâta pas d’obéir.

« Et le comte Rupert, va-t-il sortiraussi ? dit-elle.

– Vous voyez bien qu’il n’est pas avecmoi ? Il attendra… Rischenheim s’interrompit et demanda aveccolère En quoi cela vous regarde-t-il, jeune fille ? Ôtez-vousde mon chemin. »

Elle obéit cette fois et sans répondre. Ils’élança hors de la maison.

Elle le suivit des yeux avec un sourire detriomphe.

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