ALLÔ, HERCULE POIROT… d’ Agatha Christie

D’un commun accord, elles s’étaient retirées dans le salon de la directrice au lieu de rester comme d’habitude dans le salon d’essayage.

— Ridicule… dans quel sens ?

— Eh bien ! sur quoi repose-t-elle sinon sur une poupée qui change constamment de place ?

Les jours suivants, le fait devint de plus en plus évident. La poupée ne changeait plus seulement de place durant la nuit, mais à tout moment. Lorsque les couturières revenaient dans le salon d’essayage, même après quelques secondes d’absence, elles la retrouvaient dans une position nouvelle. Elle passait du sofa sur une chaise, puis sur la fenêtre. Parfois, elle occupait le fauteuil et parfois la chaise devant le secrétaire.

Un après-midi que Sybil Fox et sa directrice contemplaient la poupée étendue sur le sofa, Miss Coombe remarqua :

— Elle se déplace comme bon lui semble, à présent. Et j’ai l’impression, Sybil, que cela l’amuse beaucoup. Mais qu’est-ce après tout sinon de vieux morceaux de velours fané et quelques coups de pinceau en guise de figure ? – Sa voix cependant avait un accent angoissé. – Je suppose que nous pourrions… nous débarrasser d’elle… ?

Devant l’expression choquée de sa seconde, elle enchaîna vivement :

— Si nous avions un feu, nous pourrions la brûler… comme une sorcière. Bien sûr, il y a toujours la poubelle…

— Non ! Quelqu’un l’y repêcherait sûrement pour nous la rapporter.

— Et si nous l’envoyions à une de ces institutions qui demandent toujours des objets pour leurs ventes de charité ? Ce serait probablement la meilleure solution.

— Je ne sais pas. Cela me ferait presque peur.

— Peur ?

— Je crois qu’elle reviendrait ici.

— Ici ?

— Oui.

— Comme un pigeon-voyageur ?

— Dans un sens, oui.

— Est-ce que nous deviendrions folles ? Peut-être suis-je complètement gâteuse et cherchez-vous à me taquiner.

— Non. Mais j’ai une horrible appréhension… je crains que cette poupée ne soit plus forte que nous.

— Quoi ?… cet amas de chiffons ?

— Elle est très déterminée et agit comme bon lui semble. Cette pièce lui appartient à présent.

— C’est vrai. Je dois dire qu’elle s’harmonise avec les coloris ambiants… ou plutôt, c’est le décor qui s’harmonise avec elle. C’est trop bête qu’une poupée prenne possession d’un lieu de cette manière. Vous savez que Mrs Groves refuse de venir nettoyer ici ?

— Vous a-t-elle dit qu’elle redoutait la présence de la poupée ?

— Non, elle invente toujours un prétexte quelconque. – Puis, avec un accent angoissé dans la voix. – Qu’allons-nous faire, Sybil ? Cette histoire me démoralise complètement. Je n’ai pas dessiné un seul modèle depuis des semaines.

— Je ne puis concentrer mon esprit sur mes patrons, confessa Sybil. Je n’arrête pas de commettre des erreurs monstrueuses. Peut-être que votre idée d’écrire à l’institut psychiatrique n’est pas si mauvaise, après tout ?

— Cela ne réussirait qu’à nous exposer au ridicule. Je ne parlais pas sérieusement. Non. Je suppose que nous devrons supporter la situation jusqu’à…

— Jusqu’à ?

— Oh ! je ne sais pas. – Elle émit un petit rire nerveux.

Le lendemain matin, Sybil trouva la porte du salon d’essayage fermée à clé.

— Miss Coombe, avez-vous fermé cette porte, hier soir ?

— Oui et elle restera fermée.

— Comment cela ?

— J’abandonne la pièce. La poupée peut la garder. J’ai décidé que nous avions assez de place pour transformer ce coin en salon d’essayage.

— Mais, c’est votre salon privé ?

— Eh bien ! Je n’en veux plus. J’ai une grande chambre que je puis arranger en salle de séjour.

— Vous voulez dire que vous ne retournerez jamais dans le salon d’essayage ?

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