ALLÔ, HERCULE POIROT… d’ Agatha Christie

— Exactement.

— Mais… et le nettoyage ? Tout va devenir terriblement sale.

— Laissez-le ! S’il est dit que la pièce doit appartenir à une poupée, d’accord… je la lui laisse. Qu’elle s’occupe du nettoyage, elle-même. – Elle ajouta d’un air pensif : Elle nous déteste, vous savez !

— La poupée nous déteste ?

— Ne le saviez-vous pas ? Vous avez bien dû le remarquer en la regardant.

— Oui… je suppose que je m’en suis rendue compte. Peut-être même l’ai-je senti instinctivement… Elle a finalement réussi à nous chasser de sa pièce.

— C’est une petite personne malveillante.

— En tout cas, elle doit être satisfaite, à présent.

À partir de ce jour, le calme parut se rétablir. Alicia Coombe annonça à ses employées qu’elle avait décidé de condamner le salon d’essayage sous prétexte que la maison était trop grande ce qui exigeait trop de soins ménagers.

Mais à l’heure de la fermeture, elle entendit une des ouvrières qui descendait l’escalier, annoncer à une de ses compagnes :

— Miss Coombe est vraiment timbrée, à présent. Je l’ai toujours jugée bizarre avec ses pertes de mémoire, maintenant c’est pire. Elle en est vraiment venue à être obsédée par cette poupée.

— Vous croyez qu’elle irait jusqu’à essayer de nous poignarder, un de ces jours ?

Miss Coombe se redressa, indignée. « Timbrée ! Quelle impertinence !… Il est vrai que si Sybil ne pensait pas comme moi, je me demanderais vraiment si je ne deviens pas folle. Et Mrs Groves pense comme nous. Je voudrais bien savoir comment tout cela va se terminer. »

Trois semaines plus tard, Sybil annonça à sa patronne :

— Il va falloir que nous ouvrions cette pièce.

— Pourquoi ?

— Elle doit être pleine de poussière. Les mites vont se mettre partout. Nous pourrions nettoyer, aérer et refermer aussitôt.

— Je préférerais ne jamais y retourner.

— Je crois que vous êtes encore plus superstitieuse que moi.

— C’est possible. Bien qu’au début l’affaire m’ait paru assez amusante, maintenant j’ai peur et je souhaiterais n’avoir jamais à remettre les pieds dans cette pièce.

— Eh bien, moi, je veux y aller… et tout de suite.

— Vous savez ce que vous êtes ?… une curieuse !

— Je vous l’accorde. Je désire voir ce qu’a fait la poupée depuis sa claustration.

— Je ne puis m’empêcher de penser qu’il vaudrait mieux la laisser en paix. À présent que nous lui avons abandonné la pièce, elle doit être satisfaite. Autant respecter sa volonté. – Elle soupira exaspérée : Voilà que je raconte des bêtises !

— Si vous connaissez un moyen d’aborder le sujet avec intelligence… Allons, donnez-moi la clé.

— D’accord, d’accord.

— Vous avez peut-être peur que je la laisse échapper. Elle doit pourtant avoir le pouvoir de passer à travers les murs ou les fenêtres.

Sybil tourna la clé dans la serrure et poussa le battant.

— Que c’est étrange ! s’exclama-t-elle.

— Quoi donc ? – fit Alicia Coombe en accourant.

— Voyez, il n’y a presque pas de poussière. On pourrait pourtant croire qu’après avoir été fermé depuis si longtemps…

— En effet, c’est vraiment bizarre.

— Regardez-la.

La poupée se trouvait sur le sofa, mais au lieu de s’y être vautrée, elle se tenait assise très droite, un coussin supportant son dos, dans l’attitude d’une lady prête à recevoir ses invités.

— Elle semble parfaitement à son aise, – constata Miss Coombe – j’ai presque le sentiment que je devrais lui présenter des excuses pour l’avoir dérangée.

— Allons-nous en.

En sortant, Sybil referma la porte à clé et les deux femmes se regardèrent perplexes.

— Je voudrais bien savoir pourquoi elle nous effraie tant, observa la directrice.

— Qui n’éprouverait pas la même frayeur ?

— Qu’est-elle néanmoins ? Une sorte de marionnette, rien de plus. Ce n’est pas elle qui change de place mais « un esprit frappeur » qui l’anime.

— Quelle splendide idée !

— Je n’y crois pas beaucoup. Intérieurement, je suis persuadée que c’est la poupée qui agit seule.

— Êtes-vous certaine de ne pas savoir d’où elle vient ?

— Absolument. Et plus j’y pense, plus je suis convaincue que je ne l’ai pas achetée et que personne ne me l’a donnée. Je crois… ma foi, je crois qu’un jour, elle s’est simplement trouvée ici.

— Pensez-vous qu’elle s’en ira jamais ?

— Je ne vois pas pourquoi elle partirait… Elle a tout ce qu’elle désire, il me semble.

Il s’avéra cependant que la poupée n’était pas complètement comblée avec l’empire qu’on lui abandonnait. Le lendemain matin, lorsque Sybil Fox pénétra dans le nouveau salon d’essayage, ce qu’elle vit lui fit pousser une exclamation étouffée et elle se lança dans les escaliers en appelant :

— Miss Coombe ! Miss Coombe, venez voir !

Alicia Coombe qui s’était levée plus tard que de coutume, descendit les escaliers avec précaution – car elle souffrait de douleurs rhumatismales – et s’approcha de la jeune femme.

— Sybil, vous êtes toute pâle. Que se passe-t-il ?

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