Chapitre 10
Parfois encore, je vois un autre tableau. Ce n’est plus untemple ancien qui nous écrase de son austère magnificence, ce sontles murs bas d’une petite chambre confortable où nous sommes isolésdu monde entier. Que dis-je ! nous sommes seuls, seuls dansl’univers : plus rien de vivant hors nous deux ; derrière cesmurs bienveillants, ce sont les ténèbres de la mort, le néant. Cen’est pas le vent qui hurle, ni les torrents de pluie qui frappentà la fenêtre : c’est le Chaos qui se plaint et gémit ; ce sontses yeux aveugles qui versent des larmes. Mais chez nous tout estcalme, lumineux, chaud, accueillant : quelque chose d’amusant, denaïf comme un enfant, voltige autour de nous, tel un papillon,n’est-ce pas là ton impression ? Nous sommes l’un contrel’autre, nos têtes se touchent, nous lisons tous deux un bon livre: je sens une petite veine battre sur tes tempes, je t’entendsvivre, tu m’entends vivre, ton sourire naît sur ma bouche avant denaître sur la tienne, tu réponds sans paroles à ma questionsilencieuse, tes pensées sont les miennes comme les deux ailes d’unmême oiseau noyé dans l’azur du ciel… Les dernières cloisons sontabolies et notre amour est si calme, si profond, que rien ne noussépare, que nous n’éprouvons même pas le besoin d’échanger uneparole, un regard… Nous ne désirons que respirer ensemble, vivreensemble, être ensemble…, sans même nous rendre compte que noussommes ensemble…