Au Bonheur des Dames

Chapitre 12

 

Ce fut le vingt-cinq septembre que commencèrent les travaux dela nouvelle façade du Bonheur des Dames. Le baron Hartmann, selonsa promesse, avait enlevé l’affaire, dans la dernière réuniongénérale du Crédit Immobilier. Et Mouret touchait enfin à laréalisation de son rêve : cette façade qui allait grandir surla rue du Dix-Décembre, était comme l’épanouissement même de safortune. Aussi voulut-il fêter la pose de la première pierre. Il enfit une cérémonie, distribua des gratifications à ses vendeurs,leur donna le soir du gibier et du champagne. On remarqua sonhumeur joyeuse sur le chantier, le geste victorieux dont il scellala pierre, d’un coup de truelle. Depuis des semaines, il étaitinquiet, agité d’un tourment nerveux, qu’il ne parvenait pastoujours à cacher ; et son triomphe apportait un répit, unedistraction dans sa souffrance. Tout l’après-midi, il sembla revenuà sa gaieté d’homme bien portant. Mais, dès le dîner, lorsqu’iltraversa le réfectoire pour boire un verre de champagne avec sonpersonnel, il reparut fiévreux, souriant d’un air pénible, lestraits tirés par le mal inavoué qui le rongeait. Il étaitrepris.

Le lendemain, aux confections, Clara Prunaire essaya d’êtredésagréable à Denise. Elle avait remarqué l’amour transi deColomban, elle eut l’idée de plaisanter les Baudu. Comme Margueritetaillait son crayon en attendant les clientes, elle lui dit à voixhaute :

– Vous savez, mon amoureux d’en face… Il finit par mechagriner dans cette boutique noire, où il n’entre jamaispersonne.

– Il n’est pas si malheureux, répondit Marguerite, il doitépouser la fille du patron.

– Tiens ! reprit Clara, ce serait drôle de l’enleveralors !… Je vais en faire la blague, paroled’honneur !

Et elle continua, heureuse de sentir Denise révoltée. Celle-cilui pardonnait tout ; mais l’idée de sa cousine Genevièvemourante, achevée par cette cruauté, la jetait hors d’elle.Justement, une cliente se présentait, et commeMme Aurélie venait de descendre au sous-sol, elleprit la direction du comptoir, elle appela Clara.

– Mademoiselle Prunaire, vous feriez mieux de vous occuperde cette dame que de causer.

– Je ne causais pas.

– Veuillez vous taire, je vous prie. Et occupez-vous demadame tout de suite.

Clara se résigna, domptée. Lorsque Denise faisait acte de force,sans élever le ton, pas une ne résistait. Elle avait conquis uneautorité absolue, par sa douceur même. Un instant, elle se promenaen silence, au milieu de ces demoiselles devenues sérieuses.Marguerite s’était remise à tailler son crayon, dont la minecassait toujours. Elle seule continuait à approuver la seconde derésister à Mouret, hochant la tête, n’avouant pas l’enfant qu’elleavait fait par hasard, mais déclarant que, si l’on se doutait desembarras d’une bêtise, on aimerait mieux se bien conduire.

– Vous vous fâchez ? dit une voix derrière Denise.

C’était Pauline qui traversait le rayon. Elle avait vu la scène,elle parlait bas, en souriant.

– Mais il le faut bien, répondit de même Denise. Je ne puisvenir à bout de mon petit monde.

La lingère haussa les épaules.

– Laissez donc, vous serez notre reine à toutes, quand vousvoudrez.

Elle, ne comprenait toujours pas les refus de son amie. Depuisla fin d’août, elle avait épousé Baugé, une vraie sottise,disait-elle gaiement. Le terrible Bourdoncle la traitait maintenanten sabot, en femme perdue pour le commerce. Sa frayeur était qu’onne les envoyât un beau matin s’aimer dehors, car ces messieurs dela direction décrétaient l’amour exécrable et mortel à la vente.C’était au point que, lorsqu’elle rencontrait Baugé dans lesgaleries, elle affectait de ne pas le connaître. Justement, ellevenait d’avoir une alerte, le père Jouve avait failli la surprendrecausant avec son mari, derrière une pile de torchons.

– Tenez ! il m’a suivie, ajouta-t-elle, après avoirconté vivement l’aventure à Denise. Le voyez-vous qui me flaire deson grand nez !

Jouve, en effet, sortait des dentelles, correctement cravaté deblanc, le nez à l’affût de quelque faute. Mais, lorsqu’il aperçutDenise, il fit le gros dos et passa d’un air aimable.

– Sauvée ! murmura Pauline. Ma chère, vous lui avezrentré ça dans la gorge… Dites donc, s’il m’arrivait malheur, vousparleriez pour moi ? Oui, oui, ne prenez pas votre air étonné,on sait qu’un mot de vous révolutionnerait la maison.

Et elle se hâta de rentrer à son comptoir. Denise avait rougi,troublée de ces allusions amicales. C’était vrai, du reste. Elleavait la sensation vague de sa puissance, aux flatteries quil’entouraient. Lorsque Mme Aurélie remonta, etqu’elle trouva le rayon tranquille et actif, sous la surveillancede la seconde, elle lui sourit amicalement. Elle lâchait Mouretlui-même, son amabilité grandissait chaque jour pour une personnequi pouvait, un beau matin, ambitionner sa situation de première.Le règne de Denise commençait.

Seul, Bourdoncle ne désarmait pas. Dans la guerre sourde qu’ilcontinuait contre la jeune fille, il y avait d’abord une antipathiede nature. Il la détestait pour sa douceur et son charme. Puis, illa combattait comme une influence néfaste qui mettrait la maison enpéril, le jour où Mouret aurait succombé. Les facultés commercialesdu patron lui semblaient devoir sombrer, au milieu de cettetendresse inepte : ce qu’on avait gagné par les femmes, s’enirait par cette femme. Toutes le laissaient froid, il les traitaitavec le dédain d’un homme sans passion, dont le métier était devivre d’elles, et qui avait perdu ses illusions dernières, en lesvoyant à nu, dans les misères de son trafic. Au lieu de le griser,l’odeur des soixante-dix mille clientes lui donnait d’intolérablesmigraines : il battait ses maîtresses, dès qu’il rentrait chezlui. Et ce qui l’inquiétait surtout, devant cette petite vendeusedevenue peu à peu si redoutable, c’était qu’il ne croyait point àson désintéressement, à la franchise de ses refus. Pour lui, ellejouait un rôle, le plus habile des rôles ; car, si elles’était livrée le premier jour, Mouret sans doute l’aurait oubliéele lendemain ; tandis que, en se refusant, elle avait fouettéson désir, elle le rendait fou, capable de toutes les sottises. Unerouée, une fille de vice savant, n’aurait pas agi d’une autre façonque cette innocente. Aussi Bourdoncle ne pouvait-il la voir, avecses yeux clairs, son visage doux, toute son attitude simple, sansêtre pris maintenant d’une peur véritable, comme s’il avait eu, enface de lui, une mangeuse de chair déguisée, l’énigme sombre de lafemme, la mort sous les traits d’une vierge. De quelle manièredéjouer la tactique de cette fausse ingénue ? Il ne cherchaitplus qu’à pénétrer ses artifices, dans l’espoir de les dévoiler augrand jour ; certainement, elle commettrait quelque faute, illa surprendrait avec un de ses amants, et elle serait chassée denouveau, la maison retrouverait enfin son beau fonctionnement demachine bien montée.

– Veillez, monsieur Jouve, répétait Bourdoncle àl’inspecteur. C’est moi qui vous récompenserai.

Mais Jouve y apportait de la mollesse, car il avait pratiqué lesfemmes, et il songeait à se mettre du côté de cette enfant, quipouvait être la maîtresse souveraine du lendemain. S’il n’osaitplus y toucher, il la trouvait diablement jolie. Son colonel,autrefois, s’était tué pour une gamine pareille, une figureinsignifiante, délicate et modeste, dont un seul regard retournaitles cœurs.

– Je veille, je veille, répondait-il. Mais, paroled’honneur ! je ne découvre rien.

Pourtant, des histoires circulaient, il y avait un courant decommérages abominables, sous les flatteries et le respect queDenise sentait monter autour d’elle. La maison entière, à cetteheure, racontait qu’elle avait eu jadis Hutin pour amant ; onn’osait jurer que la liaison continuât, seulement on lessoupçonnait de se revoir, de loin en loin. Et Deloche aussicouchait avec elle : ils se retrouvaient sans cesse dans lescoins noirs, ils causaient pendant des heures. Un véritablescandale !

– Alors, rien du premier à la soie, rien du jeune homme desdentelles ? répétait Bourdoncle.

– Non, monsieur, rien encore, affirmait l’inspecteur.

C’était surtout avec Deloche que Bourdoncle comptait surprendreDenise. Un matin, lui-même les avait aperçus en train de rire dansle sous-sol. En attendant, il traitait la jeune fille de puissanceà puissance, car il ne la dédaignait plus, il la sentait assezforte pour le culbuter lui-même, malgré ses dix ans de service,s’il perdait la partie.

– Je vous recommande le jeune homme des dentelles,concluait-il chaque fois. Ils sont toujours ensemble. Si vous lespincez, appelez-moi, et je me charge du reste.

Mouret, cependant, vivait dans l’angoisse. Était-cepossible ? cette enfant le torturait à ce point !Toujours il la revoyait arrivant au Bonheur, avec ses grossouliers, sa mince robe noire, son air sauvage. Elle bégayait, tousse moquaient d’elle, lui-même l’avait trouvée laide d’abord.Laide ! et, maintenant, elle l’aurait fait mettre à genouxd’un regard, il ne l’apercevait plus que dans un rayonnement !Puis, elle était restée la dernière de la maison, rebutée,plaisantée, traitée par lui en bête curieuse. Pendant des mois, ilavait voulu voir comment une fille poussait, il s’était amusé àcette expérience, sans comprendre qu’il y jouait son cœur. Elle,peu à peu, grandissait, devenait redoutable. Peut-être l’aimait-ildepuis la première minute, même à l’époque où il ne croyait avoirque de la pitié. Et, pourtant, il ne s’était senti à elle que lesoir de leur promenade, sous les marronniers des Tuileries. Sa viepartait de là, il entendait les rires d’un groupe de fillettes, leruissellement lointain d’un jet d’eau, tandis que, dans l’ombrechaude, elle marchait près de lui, silencieuse. Ensuite, il nesavait plus, sa fièvre avait augmenté d’heure en heure, tout sonsang, tout son être s’était donné. Une enfant pareille, était-cepossible ? Quand elle passait à présent, le vent léger de sarobe lui paraissait si fort, qu’il chancelait.

Longtemps, il s’était révolté, et parfois encore, ils’indignait, il voulait se dégager de cette possession imbécile.Qu’avait-elle donc pour le lier ainsi ? ne l’avait-il pas vuesans chaussures ? n’était-elle pas entrée presque parcharité ? Au moins, s’il se fût agi d’une de ces créaturessuperbes qui ameutent la foule ! mais cette petite fille,cette rien du tout ! Elle avait, en somme, une de ces figuresmoutonnières dont on ne dit rien. Elle ne devait même pas êtred’une intelligence vive, car il se rappelait ses mauvais débuts devendeuse. Puis, après chacune de ses colères, il y avait en lui unerechute de passion, comme une terreur sacrée d’avoir insulté sonidole. Elle apportait tout ce qu’on trouve de bon chez la femme, lecourage, la gaieté, la simplicité ; et, de sa douceur, montaitun charme, d’une subtilité pénétrante de parfum. On pouvait ne pasla voir, la coudoyer ainsi que la première venue ; bientôt, lecharme agissait avec une force lente, invincible ; on luiappartenait à jamais, si elle daignait sourire. Tout souriait alorsdans son visage blanc, ses yeux de pervenche, ses joues et sonmenton troués de fossettes ; tandis que ses lourds cheveuxblonds semblaient s’éclairer aussi, d’une beauté royale etconquérante. Il s’avouait vaincu, elle était intelligente commeelle était belle, son intelligence venait du meilleur de son être.Lorsque les autres vendeuses, chez lui, n’avaient qu’une éducationde frottement, le vernis qui s’écaille des filles déclassées, elle,sans élégances fausses, gardait sa grâce, la saveur de son origine.Les idées commerciales les plus larges naissaient de la pratique,sous ce front étroit, dont les lignes pures annonçaient la volontéet l’amour de l’ordre. Et il aurait joint les deux mains, pour luidemander pardon de blasphémer, dans ses heures de révolte.

Aussi pourquoi se refusait-elle avec une pareilleobstination ? Vingt fois, il l’avait suppliée, augmentant sesoffres, offrant de l’argent, beaucoup d’argent. Puis, il s’étaitdit qu’elle devait être ambitieuse, il lui avait promis de lanommer première, dès qu’un rayon serait vacant. Et elle refusait,elle refusait encore ! C’était pour lui une stupeur, une lutteoù son désir s’enrageait. Le cas lui semblait impossible, cetteenfant finirait par céder, car il avait toujours regardé la sagessed’une femme comme une chose relative. Il ne voyait plus d’autrebut, tout disparaissait dans ce besoin : la tenir enfin chezlui, l’asseoir sur ses genoux, en la baisant aux lèvres ; et,à cette vision, le sang de ses veines battait, il demeuraittremblant, bouleversé de son impuissance.

Désormais, ses journées s’écoulaient dans la même obsessiondouloureuse. L’image de Denise se levait avec lui. Il avait rêvéd’elle la nuit, elle le suivait devant le grand bureau de soncabinet, où il signait les traites et les mandats, de neuf à dixheures : besogne qu’il accomplissait machinalement, sanscesser de la sentir présente, disant toujours non de son airtranquille. Puis, à dix heures, c’était le conseil, un véritableconseil des ministres, une réunion des douze intéressés de lamaison, qu’il lui fallait présider : on discutait lesquestions d’ordre intérieur, on examinait les achats, on arrêtaitles étalages ; et elle était encore là, il entendait sa voixdouce au milieu des chiffres, il voyait son clair sourire dans lessituations financières les plus compliquées. Après le conseil, ellel’accompagnait, faisait avec lui l’inspection quotidienne descomptoirs, revenait l’après-midi dans le cabinet de la direction,restait près de son fauteuil de deux à quatre, pendant qu’ilrecevait toute une foule, les fabricants de la France entière, dehauts industriels, des banquiers, des inventeurs : va-et-vientcontinu de la richesse et de l’intelligence, danse affolée desmillions, entretiens rapides où l’on brassait les plus grossesaffaires du marché de Paris. S’il l’oubliait une minute en décidantde la ruine ou de la prospérité d’une industrie, il la retrouvaitdebout, à un élancement de son cœur ; sa voix expirait, il sedemandait à quoi bon cette fortune remuée, puisqu’elle ne voulaitpas. Enfin, lorsque sonnaient cinq heures, il devait signer lecourrier, le travail machinal de sa main recommençait, pendantqu’elle se dressait plus dominatrice, le reprenant tout entier,pour le posséder à elle seule, durant les heures solitaires etardentes de la nuit. Et, le lendemain, la même journéerecommençait, ces journées si actives, si pleines d’un colossallabeur, que l’ombre fluette d’une enfant suffisait à ravagerd’angoisse.

Mais c’était surtout pendant son inspection quotidienne desmagasins, qu’il sentait sa misère. Avoir bâti cette machine géante,régner sur un pareil monde, et agoniser de douleur, parce qu’unepetite fille ne veut pas de vous ! Il se méprisait, iltraînait la fièvre et la honte de son mal. Certains jours, ledégoût le prenait de sa puissance, il ne lui venait que desnausées, d’un bout à l’autre des galeries. D’autres fois, il auraitvoulu étendre son empire, le faire si grand, qu’elle se seraitlivrée peut-être, d’admiration et de peur.

D’abord, en bas, dans les sous-sols, il s’arrêtait devant laglissoire. Elle se trouvait toujours rueNeuve-Saint-Augustin ; mais on avait dû l’élargir, elle avaitmaintenant un lit de fleuve, où le continuel flot des marchandisesroulait avec la voix haute des grandes eaux ; c’étaient desarrivages du monde entier, des files de camions venus de toutes lesgares, un déchargement sans arrêt, un ruissellement de caisses etde ballots coulant sous terre, bu par la maison insatiable. Ilregardait ce torrent tomber chez lui, il songeait qu’il était undes maîtres de la fortune publique, qu’il tenait dans ses mains lesort de la fabrication française, et qu’il ne pouvait acheter lebaiser d’une de ses vendeuses.

Puis, il passait au service de la réception, qui occupait àcette heure la partie des sous-sols en bordure sur la rue Monsigny.Vingt tables s’y allongeaient, dans la clarté pâle dessoupiraux ; tout un peuple de commis s’y bousculait, vidantles caisses, vérifiant les marchandises, les marquant en chiffresconnus ; et l’on entendait sans relâche le ronflement voisinde la glissoire, qui dominait les voix. Des chefs de rayonl’arrêtaient, il devait résoudre des difficultés, confirmer desordres. Ce fond de cave s’emplissait de l’éclat tendre des satins,de la blancheur des toiles, d’un déballage prodigieux où lesfourrures se mêlaient aux dentelles, et les articles de Paris, auxportières d’Orient. Lentement, il marchait parmi ces richessesjetées sans ordre, entassées à l’état brut. En haut, elles allaients’allumer aux étalages, lâcher le galop de l’argent à travers lescomptoirs, aussi vite emportées que montées, dans le furieuxcourant de vente qui traversait la maison. Lui, songeait qu’ilavait offert à la jeune fille des soies, des velours, tout cequ’elle voudrait prendre à pleines mains, dans ces tas énormes, etqu’elle avait refusé, d’un petit signe de sa tête blonde.

Ensuite, il se rendait à l’autre bout des sous-sols, pour donnerson coup d’œil habituel au service du départ. D’interminablescorridors s’étendaient, éclairés au gaz ; à droite et àgauche, les réserves, fermées par des claies, mettaient comme desboutiques souterraines, tout un quartier commerçant, des merceries,des lingeries, des ganteries, des bimbeloteries, dormant dansl’ombre. Plus loin, se trouvait un des trois calorifères ;plus loin encore, un poste de pompiers gardait le compteur central,enfermé dans sa cage métallique. Il trouvait, au départ, les tablesde triage encombrées déjà des charges de paquets, de cartons et deboîtes, que des paniers descendaient continuellement ; etCampion, le chef du service, le renseignait sur la besognecourante, tandis que les vingt hommes placés sous ses ordresdistribuaient les paquets dans les compartiments, qui portaientchacun le nom d’un quartier de Paris, et d’où les garçons lesmontaient ensuite aux voitures, rangées le long du trottoir.C’étaient des appels, des noms de rue jetés, des recommandationscriées, tout un vacarme, toute une agitation de paquebot, sur lepoint de lever l’ancre. Et il restait un moment immobile, ilregardait ce dégorgement des marchandises, dont il venait de voirla maison s’engorger, à l’extrémité opposée des sous-sols :l’énorme courant aboutissait là, sortait par là dans la rue, aprèsavoir déposé de l’or au fond des caisses. Ses yeux se troublaient,ce départ colossal n’avait plus d’importance, il ne lui restaitqu’une idée de voyage, l’idée de s’en aller dans des payslointains, de tout abandonner, si elle s’obstinait à dire non.

Alors, il remontait, il continuait sa tournée, parlant ets’agitant davantage, sans pouvoir se distraire. Au second étage, ilvisitait le service des expéditions, cherchait des querelles,s’exaspérait sourdement contre la régularité parfaite de la machinequ’il avait réglée lui-même. Ce service était celui qui prenait dejour en jour l’importance la plus considérable : ilnécessitait à présent deux cents employés, dont les uns ouvraient,lisaient, classaient les lettres venues de la province et del’étranger, tandis que les autres réunissaient dans des cases lesmarchandises demandées par les signataires. Et le nombre deslettres croissait tellement, qu’on ne les comptait plus ; onles pesait, il en arrivait jusqu’à cent livres par jour. Lui,fiévreux, traversait les trois salles du service, questionnaitLevasseur, le chef, sur le poids du courrier : quatre-vingtslivres, quatre-vingt-dix parfois, le lundi cent. Le chiffre montaittoujours, il aurait dû être ravi. Mais il demeurait frissonnant,dans le tapage que l’équipe voisine des emballeurs faisait enclouant des caisses. En vain, il battait la maison : l’idéefixe restait enfoncée entre ses deux yeux, et à mesure que sapuissance se déroulait, que les rouages des services et l’armée deson personnel défilaient devant lui, il sentait plus profondémentl’injure de son impuissance. Les commandes de l’Europe entièreaffluaient, il fallait une voiture des Postes spéciale pourapporter la correspondance ; et elle disait non, toujoursnon.

Il redescendait, visitait la caisse centrale, où quatrecaissiers gardaient les deux coffres-forts géants, dans lesquelsvenaient de passer, l’année précédente, quatre-vingt-huit millions.Il donnait un coup d’œil au bureau de la vérification des factures,qui occupait vingt-cinq employés, choisis parmi les plus sérieux.Il entrait au bureau de défalcation, un service de trente-cinqjeunes gens, les débutants de la comptabilité, chargés de contrôlerles notes de débit et de calculer le tant pour cent des vendeurs.Il revenait à la caisse centrale, s’irritait à la vue descoffres-forts, marchait au milieu de ces millions, dont l’inutilitéle rendait fou. Elle disait non, toujours non.

Non toujours, dans tous les comptoirs, dans les galeries devente, dans les salles, dans les magasins entiers ! Il allaitde la soie à la draperie, du blanc aux dentelles ; il montaitles étages, s’arrêtait sur les ponts volants, prolongeait soninspection avec une minutie maniaque et douloureuse. La maisons’était agrandie démesurément, il avait créé ce rayon, cet autreencore, il gouvernait ce nouveau domaine, il étendait son empirejusqu’à cette industrie, la dernière conquise ; et c’étaitnon, toujours non, quand même. Aujourd’hui, son personnel auraitpeuplé une petite ville : il y avait quinze cents vendeurs,mille autres employés de toute espèce, dont quarante inspecteurs etsoixante-dix caissiers ; les cuisines seules occupaienttrente-deux hommes ; on comptait dix commis pour la publicité,trois cent cinquante garçons de magasin portant la livrée,vingt-quatre pompiers à demeure. Et, dans les écuries, des écuriesroyales, installées rue Monsigny, en face des magasins, setrouvaient cent quarante-cinq chevaux, tout un luxe d’attelage déjàcélèbre. Les quatre premières voitures qui remuaient le commerce duquartier, autrefois, lorsque la maison n’occupait encore quel’angle de la place Gaillon, étaient montées peu à peu au chiffrede soixante-deux : petites voitures à bras, voitures à uncheval, lourds chariots à deux chevaux. Continuellement, ellessillonnaient Paris, conduites avec correction par des cochers vêtusde noir, promenant l’enseigne d’or et de pourpre du Bonheur desDames. Même elles sortaient des fortifications, couraient labanlieue ; on les rencontrait dans les chemins creux deBicêtre, le long des berges de la Marne, jusque sous les ombragesde la forêt de Saint-Germain ; parfois, du fond d’une avenueensoleillée, en plein désert, en plein silence, on en voyait unesurgir, passer au trot de ses bêtes superbes, en jetant à la paixmystérieuse de la grande nature la réclame violente de ses panneauxvernis. Il rêvait de les lancer plus loin, dans les départementsvoisins, il aurait voulu les entendre rouler sur toutes les routesde France, d’une frontière à l’autre. Mais, il ne descendait mêmeplus visiter ses chevaux, qu’il adorait. À quoi bon cette conquêtedu monde, puisque c’était non, toujours non ?

Maintenant, le soir, lorsqu’il arrivait devant la caisse deLhomme, il regardait encore par habitude le chiffre de la recette,inscrit sur une carte, que le caissier embrochait dans une pique defer, à côté de lui ; rarement le chiffre tombait au-dessous decent mille francs, il montait parfois à huit ou neuf cent mille,les jours de grande exposition ; et ce chiffre ne sonnait plusà son oreille comme un coup de trompette, il regrettait de l’avoirregardé, il en emportait une amertume, la haine et le mépris del’argent.

Mais les souffrances de Mouret devaient grandir. Il devintjaloux. Un matin, dans le cabinet, avant le conseil, Bourdoncle osalui faire entendre que cette petite fille des confections semoquait de lui.

– Comment ça ? demanda-t-il très pâle.

– Eh oui ! elle a des amants ici même.

Mouret eut la force de sourire.

– Je ne songe plus à elle, mon cher. Vous pouvez parler…Qui donc, des amants ?

– Hutin, assure-t-on, et encore un vendeur des dentelles,Deloche, ce grand garçon bête… Je n’affirme rien, je ne les ai pasvus. Seulement, il paraît que ça crève les yeux.

Il y eut un silence. Mouret affectait de ranger des papiers surson bureau, pour cacher le tremblement de ses mains. Enfin, il ditsans lever la tête :

– Il faudrait des preuves, tâchez de m’apporter despreuves… Oh ! pour moi, je vous le répète, je m’en moque, carelle a fini par m’agacer. Mais nous ne pourrions tolérer des chosespareilles chez nous.

Bourdoncle répondit simplement :

– Soyez tranquille, vous aurez des preuves un de ces jours.Je veille.

Alors, Mouret acheva de perdre toute tranquillité. Il n’eut plusle courage de revenir sur cette conversation, il vécut dans lacontinuelle attente d’une catastrophe, où son cœur resterait broyé.Et son tourment le rendit terrible, la maison entière trembla. Ildédaignait de se cacher derrière Bourdoncle, il faisait lui-mêmeles exécutions, dans un besoin nerveux de rancune, se soulageant àabuser de sa puissance, de cette puissance qui ne pouvait rien pourle contentement de son désir unique. Chacune de ses inspectionsdevenait un massacre, on ne le voyait plus paraître, sans qu’unfrisson de panique soufflât de comptoir en comptoir. Justement, onentrait dans la morte-saison d’hiver, et il balaya les rayons, ilentassa les victimes, poussant tout à la rue. Sa première idéeétait de chasser Hutin et Deloche ; puis, il avait réfléchique, s’il ne les gardait pas, il ne saurait jamais rien ; etles autres payaient pour eux, le personnel entier craquait. Lesoir, quand il se retrouvait seul, des larmes lui gonflaient lespaupières.

Un jour surtout, la terreur régna. Un inspecteur croyaitremarquer que le gantier Mignot volait. Toujours des filles auxallures étranges rôdaient devant son comptoir ; et l’on venaitd’arrêter une d’elles, les hanches garnies et la gorge bourrée desoixante paires de gants. Dès lors, une surveillance fut organisée,l’inspecteur prit Mignot en flagrant délit, facilitant les tours demain d’une grande blonde, une ancienne vendeuse du Louvre tombée autrottoir : la manœuvre était simple, il affectait de luiessayer des gants, attendait qu’elle se fût emplie, et la menaitensuite à une caisse, où elle en payait une paire. Justement,Mouret se trouvait là. D’habitude, il préférait ne pas se mêler deces sortes d’aventures, qui étaient fréquentes ; car, malgréle fonctionnement de machine bien réglée, un grand désordre régnaitdans certains rayons du Bonheur des Dames, et il ne se passait pasde semaine, sans qu’on chassât un employé pour vol. Même ladirection aimait mieux faire le plus de silence possible autour deces vols, jugeant inutile de mettre la police sur pied, ce quiaurait étalé une des plaies fatales des grands bazars. Seulement,ce jour-là, Mouret avait le besoin de se fâcher, et il traitaviolemment le joli Mignot, qui tremblait de peur, la face blême etdécomposée.

– Je devrais appeler un sergent de ville, criait-il aumilieu des autres vendeurs. Mais répondez ! quelle est cettefemme ?… Je vous jure que j’envoie chercher le commissaire, sivous ne me dites pas la vérité.

On avait emmené la femme, deux vendeuses la déshabillaient.Mignot balbutia :

– Monsieur, je ne la connais pas autrement… C’est elle quiest venue…

– Ne mentez donc pas ! interrompit Mouret avec unredoublement de violence. Et personne ici qui nous avertisse !Vous vous entendez tous, ma parole ! Nous sommes dans unevéritable forêt de Bondy, volés, pillés, saccagés ! C’est àn’en plus laisser sortir un seul, sans fouiller sespoches !

Des murmures se firent entendre. Les trois ou quatre clientesqui achetaient des gants, restaient effarées.

– Silence ! reprit-il furieusement, ou je balaie lamaison !

Mais Bourdoncle était accouru, inquiet à l’idée du scandale. Ilmurmura quelques mots à l’oreille de Mouret, l’affaire prenait unegravité exceptionnelle ; et il le décida à conduire Mignotdans le bureau des inspecteurs, une pièce située aurez-de-chaussée, près de la porte Gaillon. La femme se trouvait là,en train de remettre tranquillement son corset. Elle venait denommer Albert Lhomme. Mignot, questionné de nouveau, perdit latête, sanglota : lui, n’était pas coupable, c’était Albert quilui envoyait ses maîtresses ; d’abord, il les avantageaitsimplement, les faisait profiter des occasions ; puis, quandelles finissaient par voler, il était trop compromis déjà pouravertir ces messieurs. Et ceux-ci apprirent alors toute une sériede vols extraordinaires : des marchandises enlevées par desfilles, qui allaient les attacher sous leurs jupons, dans lescabinets luxueux, installés près du buffet, au milieu des plantesvertes ; des achats qu’un vendeur négligeait d’appeler à unecaisse, lorsqu’il y conduisait une cliente, et dont il partageaitle prix avec le caissier ; jusqu’à de faux« rendus », des articles qu’on annonçait comme rentrésdans la maison, pour empocher l’argent remboursé fictivement ;sans compter le vol classique, des paquets sortis le soir sous laredingote, roulés autour de la taille, parfois même pendus le longdes cuisses. Depuis quatorze mois, grâce à Mignot et à d’autresvendeurs sans doute qu’ils refusèrent de nommer, il se faisaitainsi, à la caisse d’Albert, une cuisine louche, tout un gâchisimpudent, pour des sommes dont on ne connut jamais le chiffreexact.

Cependant, la nouvelle s’était répandue dans les rayons. Lesconsciences inquiètes frissonnaient, les honnêtetés les plus sûresd’elles redoutaient le coup de balai général. On avait vu Albertdisparaître dans le bureau des inspecteurs. Ensuite Lhomme étaitpassé, étouffant, le sang au visage, le cou serré déjà parl’apoplexie. Puis, Mme Aurélie elle-même venaitd’être appelée ; et elle, la tête haute sous l’affront, avaitla bouffissure grasse et blême d’un masque de cire. L’explicationdura longtemps, personne n’en sut au juste les détails : onraconta que la première des confections avait giflé son fils, à luiretourner la tête, et que le vieux brave homme de père pleurait,pendant que le patron, sorti de toutes ses habitudes de grâce,jurait comme un charretier, en voulant absolument livrer lescoupables aux tribunaux. Cependant, on étouffa le scandale. Seul,Mignot fut chassé sur-le-champ. Albert ne disparut que deux joursplus tard ; sans doute, sa mère avait obtenu qu’on nedéshonorât pas la famille par une exécution immédiate. Mais lapanique souffla plusieurs jours encore, car, après la scène, Mourets’était promené d’un bout à l’autre des magasins, l’œil terrible,sabrant devant lui ceux qui osaient simplement lever les yeux.

– Que faites-vous là, monsieur, à regarder lesmouches ?… Passez à la caisse !

Enfin, l’orage éclata un jour sur la tête de Hutin lui-même.Favier, nommé second, mangeait le premier, afin de le déloger de saplace. C’était la continuelle tactique, des rapports sournoisadressés à la direction, des occasions exploitées pour faireprendre le chef de comptoir en défaut. Donc, un matin, comme Mourettraversait la soie, il s’arrêta, surpris de voir Favier en train demodifier les étiquettes de tout un solde de velours noir.

– Pourquoi baissez-vous les prix ? demanda-t-il. Quivous en a donné l’ordre ?

Le second, qui menait grand bruit autour de ce travail, commes’il eût voulu accrocher le directeur au passage, en prévoyant lascène, répondit d’un air naïvement surpris :

– Mais c’est M. Hutin, monsieur.

– M. Hutin !… Où est doncM. Hutin ?

Et, lorsque celui-ci fut remonté de la réception, où un vendeurétait descendu le chercher, une explication vive s’engagea.Comment ! il baissait maintenant les prix de lui-même !Mais il parut très étonné à son tour, il avait simplement causé decette baisse avec Favier, sans donner un ordre positif. Alors, cedernier prit l’air chagrin d’un employé qui se voit dansl’obligation de contredire son supérieur. Pourtant, il voulait bienaccepter la faute, s’il s’agissait de le tirer d’un mauvais pas. Ducoup, les choses se gâtèrent.

– Entendez-vous ! monsieur Hutin, criait Mouret, jen’ai jamais toléré ces tentatives d’indépendance… Nous seulsdécidons de la marque.

Il continua, d’une voix âpre, avec des intentions blessantes,qui surprirent les vendeurs, car d’ordinaire ces sortes dediscussions avaient lieu à l’écart, et le cas pouvait du restevenir en effet d’un malentendu. On sentait chez lui comme unerancune inavouée à satisfaire. Enfin, il le prenait donc en défaut,ce Hutin qu’on donnait pour amant à Denise ! il pouvait doncse soulager un peu, en lui faisant sentir durement qu’il était lemaître ! Et il exagérait les choses, il finissait par insinuerque la baisse des prix cachait des intentions peu honnêtes.

– Monsieur, répétait Hutin, je comptais vous soumettrecette baisse… Elle est nécessaire, vous le savez, car ces veloursn’ont pas réussi.

Mouret voulut couper court, par une dernière dureté.

– C’est bien, monsieur, nous examinerons l’affaire… Et nerecommencez pas, si vous tenez à la maison.

Il tourna le dos. Hutin, étourdi, furieux, ne trouvant queFavier pour vider son cœur, lui jura qu’il allait flanquer sadémission à la tête de cette brute-là. Puis, il ne parla plus des’en aller, il remuait seulement toutes les accusations abominablesqui traînaient parmi les vendeurs contre les chefs. Et Favier,l’œil luisant, se défendait, avec de grandes démonstrations desympathie. Il avait dû répondre, n’est-ce pas ? et puis,est-ce qu’on pouvait s’attendre à une pareille histoire pour desbêtises ? Sur quoi donc marchait le patron, depuis quelquetemps, qu’il devenait indécrottable ?

– Oh ! sur quoi il marche, on le sait, reprit Hutin.Est-ce ma faute, à moi, si cette grue des confections le faittourner en bourrique !… Voyez-vous, mon cher, le coup vient delà. Il sait que j’ai couché avec, et ça ne lui est pasagréable ; ou bien c’est elle qui veut me faire flanquer à laporte, parce que je la gêne… Je vous jure qu’elle aura de mesnouvelles, si jamais elle tombe sous ma patte.

Deux jours plus tard, comme Hutin était monté à l’atelier desconfections, en haut, sous les toits, pour recommander lui-même uneouvrière, il eut un léger sursaut, en apercevant, au bout d’uncouloir, Denise et Deloche accoudés devant une fenêtre ouverte, sienfoncés dans une conversation intime, qu’ils ne tournèrent pas latête. L’idée de les faire surprendre lui vint brusquement,lorsqu’il s’aperçut que Deloche pleurait. Alors, il se retira sansbruit ; et, dans l’escalier, ayant rencontré Bourdoncle etJouve, il leur conta une histoire, un des extincteurs dont la portesemblait arrachée ; de cette façon, ils monteraient, ilstomberaient sur les deux autres. Bourdoncle les découvrit lepremier. Il s’arrêta net, dit à Jouve d’aller chercher ledirecteur, pendant que lui resterait là. L’inspecteur dut obéir,très contrarié de se compromettre dans une pareille affaire.

C’était un coin perdu du vaste monde où s’agitait le peuple duBonheur des Dames. On y arrivait par une complication d’escalierset de couloirs. Les ateliers occupaient les combles, une suite desalles basses et mansardées, éclairées de larges baies tailléesdans le zinc, uniquement meublées de longues tables et de grospoêles de fonte ; il y avait, à la file, des lingères, desdentellières, des tapissiers, des confectionneuses, vivant l’été etl’hiver dans une chaleur étouffante, au milieu de l’odeur spécialedu métier ; et l’on devait longer toute l’aile, prendre àgauche après les confectionneuses, monter cinq marches, avantd’atteindre ce bout écarté de corridor. Les rares clientes, qu’unvendeur amenait là parfois, pour une commande, reprenaient haleine,brisées, effarées, avec la sensation de tourner sur elles-mêmesdepuis des heures, et d’être à cent lieues du trottoir.

Plusieurs fois déjà, Denise avait trouvé Deloche quil’attendait. Comme seconde, elle était chargée des rapports durayon avec l’atelier, où l’on ne faisait d’ailleurs que les modèleset les retouches ; et, à toute heure, elle montait, pourdonner des ordres. Il la guettait, inventait un prétexte, filaitderrière elle ; puis, il affectait la surprise, quand il larencontrait, à la porte des confectionneuses. Elle avait fini paren rire, c’étaient comme des rendez-vous acceptés. Le corridorlongeait le réservoir, un énorme cube de tôle qui contenaitsoixante mille litres d’eau ; et il y en avait, sur le toit,un second d’égale grandeur, auquel on arrivait par une échelle defer. Un instant, Deloche causait, appuyé d’une épaule contre leréservoir, dans le continuel abandon de son grand corps ployé defatigue. Des bruits d’eau chantaient, des bruits mystérieux dont latôle gardait toujours la vibration musicale. Malgré le profondsilence, Denise se retournait avec inquiétude, ayant cru voirpasser une ombre sur les murailles nues, peintes en jaune clair.Mais, bientôt, la fenêtre les attirait, ils s’y accoudaient, s’youbliaient dans des bavardages rieurs, des souvenirs sans fin surle pays de leur enfance. Au-dessous d’eux, s’étendait l’immensevitrage de la galerie centrale, un lac de verre borné par lestoitures lointaines, comme par des côtes rocheuses. Et ils nevoyaient au-delà que du ciel, une nappe de ciel, qui reflétait,dans l’eau dormante des vitres, le vol de ses nuages et le bleutendre de son azur.

Justement, ce jour-là, Deloche parlait de Valognes.

– J’avais six ans, ma mère m’emmenait dans une carriole aumarché de la ville. Vous savez qu’il y a treize bons kilomètres, ilfallait partir de Briquebec à cinq heures… C’est très beau, parchez nous. Est-ce que vous connaissez ?

– Oui, oui, répondait lentement Denise, les regards auloin. J’y suis allée une fois, mais j’étais bien petite… Desroutes, avec des gazons à droite et à gauche, n’est-ce pas ?et, de loin en loin, des moutons lâchés deux à deux, traînant lacorde de leurs entraves…

Elle se taisait, puis reprenait avec un vague sourire :

– Nous autres, nous avons des routes droites pendant deslieues, entre les arbres qui font de l’ombre… Nous avons desherbages entourés de haies plus grandes que moi, où il y a deschevaux et des vaches… Nous avons une petite rivière, et l’eau esttrès froide, sous les broussailles, dans un endroit que je saisbien.

– C’est comme nous ! c’est comme nous ! criaitDeloche ravi. Il n’y a que de l’herbe, chacun enferme son morceauavec des aubépines et des ormes, et l’on est chez soi, et c’esttout vert, oh ! d’un vert qu’ils n’ont pas à Paris… MonDieu ! que j’ai joué au fond du chemin creux, à gauche, endescendant du moulin !

Et leurs voix défaillaient, ils demeuraient les yeux fixés etperdus sur le lac ensoleillé des vitres. Un mirage se levait poureux de cette eau aveuglante, ils voyaient des pâturages à l’infini,le Cotentin trempé par les haleines de l’océan, baigné d’une vapeurlumineuse, qui fondait l’horizon dans un gris délicat d’aquarelle.En bas, sous la colossale charpente de fer, dans le hall dessoieries, ronflait la vente, la trépidation de la machine entravail ; toute la maison vibrait du piétinement de la foule,de la hâte des vendeurs, de la vie des trente mille personnes quis’écrasaient là ; et eux, emportés par leur rêve, à sentirainsi cette profonde et sourde clameur dont les toits frémissaient,croyaient entendre le vent du large passer sur les herbes, ensecouant les grands arbres.

– Mon Dieu ! mademoiselle Denise, balbutia Deloche,pourquoi n’êtes-vous pas plus gentille ?… Moi qui vous aimetant !

Des larmes lui étaient montées aux yeux et comme elle voulaitl’interrompre d’un geste, il continua vivement :

– Non, laissez-moi vous dire ces choses une fois encore…Nous nous entendrions si bien ensemble ! On a toujours àcauser, quand on est du même pays.

Il suffoqua, elle put enfin dire doucement :

– Vous n’êtes pas raisonnable, vous m’aviez promis de neplus parler de cela… C’est impossible. J’ai beaucoup d’amitié pourvous, parce que vous êtes un brave garçon ; mais je veuxrester libre.

– Oui, oui, je sais, reprit-il d’une voix brisée, vous nem’aimez pas. Oh ! vous pouvez le dire, je comprends ça, jen’ai rien pour que vous m’aimiez… Tenez ! il n’y a eu qu’unebonne heure dans ma vie, le soir où je vous ai rencontrée àJoinville, vous vous souvenez ? Un instant, sous les arbres,où il faisait si noir, j’ai cru que votre bras tremblait, j’ai étéassez bête pour m’imaginer…

Mais elle lui coupa de nouveau la parole. Son oreille finevenait d’entendre les pas de Bourdoncle et de Jouve, au bout ducorridor.

– Écoutez donc, on a marché.

– Non, dit-il, en l’empêchant de quitter la fenêtre. C’estdans ce réservoir : il en sort toujours des bruitsextraordinaires, on croirait qu’il y a du monde dedans.

Et il continua ses plaintes timides et caressantes. Elle nel’écoutait plus, reprise d’une songerie à ce bercement d’amour,promenant ses regards sur les toitures du Bonheur des Dames. Àdroite et à gauche de la galerie vitrée, d’autres galeries,d’autres halls luisaient au soleil, entre des combles troués defenêtres et allongés symétriquement, comme des ailes de caserne.Des charpentes métalliques se dressaient, des échelles, des ponts,qui découpaient leur dentelle dans le bleu de l’air ; tandisque la cheminée des cuisines faisait une grosse fumée de fabrique,et que le grand réservoir carré, tenu en plein ciel sur des piliersde fonte, prenait un étrange profil de construction barbare,haussée à cette place par l’orgueil d’un homme. Au loin, Parisgrondait.

Lorsque Denise revint de ces espaces, de ce développement duBonheur où ses pensées flottaient comme dans une solitude, elle vitque Deloche s’était emparé de sa main. Et il avait le visage sibouleversé, qu’elle ne la retira pas.

– Pardonnez-moi, murmurait-il. C’est fini maintenant, jeserais trop malheureux, si vous me punissiez en reprenant votreamitié… Je vous jure que je voulais vous dire autre chose. Oui, jem’étais promis de comprendre la situation, d’être bien sage…

Ses larmes coulaient de nouveau, il tâchait d’affermir savoix.

– Car, enfin, je connais mon lot, dans l’existence. Cen’est pas maintenant que la chance peut tourner. Battu là-bas,battu à Paris, battu partout. Voici quatre ans que je suis ici, etje reste le dernier du rayon… Alors, je voulais vous dire de ne pasavoir de la peine à cause de moi. Je ne vous ennuierai plus. Tâchezd’être heureuse, aimez-en un autre ; oui, ça me fera plaisir.Si vous êtes heureuse, je serai heureux… Ce sera mon bonheur.

Il ne put continuer. Comme pour sceller sa promesse, il avaitposé les lèvres sur la main de la jeune fille, qu’il baisait d’unhumble baiser d’esclave. Elle était très touchée, elle ditsimplement, avec une fraternité attendrie, qui atténuait la pitiédes mots :

– Mon pauvre garçon !

Mais ils tressaillirent, ils se tournèrent. Mouret était devanteux.

Depuis dix minutes, Jouve cherchait le directeur dans lesmagasins. Celui-ci se trouvait sur les chantiers de la nouvellefaçade, rue du Dix-Décembre. Tous les jours, il y passait delongues heures, il tentait de s’intéresser à ces travaux, dont ilavait si longtemps rêvé. C’était son refuge contre ses tourments,au milieu des maçons établissant les piles d’angle en pierre detaille, et des serruriers posant les fers des grandes charpentes.Déjà, la façade, sortie du sol, indiquait le vaste porche, lesbaies du premier étage, un développement de palais à l’étatd’ébauche. Il montait aux échelles, discutait avec l’architectel’ornementation qui devait être tout à fait neuve, enjambait lesfers et les briques, descendait jusque dans les caves ; et leronflement de la machine à vapeur, le tic-tac des treuils, letapage des marteaux, la clameur de ce peuple d’ouvriers, au traversde cette grande cage entourée de planches sonores, arrivaient àl’étourdir un instant. Il en sortait blanc de plâtre, noir delimaille, les pieds éclaboussés par les robinets des prises d’eau,si peu guéri de son mal, que l’angoisse revenait et battait soncœur à coups plus retentissants, à mesure que le vacarme duchantier s’éteignait derrière lui. Précisément, ce jour-là, unedistraction lui avait rendu sa gaieté, il se passionnait enregardant sur un album les dessins des mosaïques et des terrescuites émaillées, qui devaient décorer les frises, lorsque Jouveétait venu le chercher, essoufflé, très ennuyé de salir saredingote parmi ces matériaux. D’abord, il avait crié qu’on pouvaitbien l’attendre ; puis, sur un mot de l’inspecteur dit à voixbasse, il l’avait suivi, frissonnant, repris tout entier. Plus rienn’existait, la façade croulait avant d’être debout : à quoibon ce triomphe suprême de son orgueil, si le nom seul d’une femme,murmuré tout bas, le torturait à ce point !

En haut, Bourdoncle et Jouve crurent prudent de disparaître.Deloche s’était enfui. Seule, Denise restait en face de Mouret,plus blanche que d’habitude, mais le regard franchement levé surlui.

– Mademoiselle, veuillez me suivre, dit-il d’une voixdure.

Elle le suivit, ils descendirent deux étages, traversèrent lesrayons des meubles et des tapis, sans dire un mot. Quand il futdevant son cabinet, il ouvrit la porte toute grande.

– Entrez, mademoiselle.

Et il referma la porte, il marcha jusqu’à son bureau. Le nouveaucabinet du directeur était plus luxueux que l’ancien, une tenturede velours vert avait remplacé le reps, un corps de bibliothèqueincrusté d’ivoire tenait tout un panneau ; mais, sur les murs,on ne voyait toujours que le portrait deMme Hédouin, une jeune femme au beau visage calme,qui souriait dans son cadre d’or.

– Mademoiselle, dit-il enfin, en tâchant de garder unesévérité froide, il y a des choses que nous ne pouvons tolérer… Labonne conduite est ici de rigueur…

Il s’arrêtait, cherchait les mots, pour ne pas céder à la colèrequi lui montait des entrailles. Eh quoi ! c’était ce garçonqu’elle aimait, ce misérable vendeur, la risée de soncomptoir ! c’était le plus humble et le plus gauche de tousqu’elle lui préférait, à lui, le maître ! car il les avaitbien vus, elle abandonnant sa main, lui couvrant cette main debaisers.

– J’ai été très bon pour vous, mademoiselle, continua-t-il,en faisant un nouvel effort. Je ne m’attendais guère à êtrerécompensé de cette façon.

Denise, dès la porte, avait eu les yeux attirés par le portraitde Mme Hédouin ; et, malgré son grand trouble,elle en demeurait préoccupée. Chaque fois qu’elle entrait à ladirection, son regard se croisait avec celui de cette dame peinte.Elle en avait un peu peur, elle la sentait pourtant très bonne.Cette fois, elle trouvait là comme une protection.

– En effet, monsieur, répondit-elle doucement, j’ai eu tortde m’arrêter à causer, et je vous demande pardon de cette faute… Cejeune homme est de mon pays…

– Je le chasse ! cria Mouret, qui mit toute sasouffrance dans ce cri furieux.

Et, bouleversé, sortant de son rôle de directeur sermonnant unevendeuse coupable d’une infraction au règlement, il se répandit enparoles violentes. N’avait-elle pas de honte ? une jeune fillecomme elle s’abandonner à un être pareil ! et il en vint à desaccusations atroces, il lui reprocha Hutin, d’autres encore, dansun tel flot de paroles, qu’elle ne pouvait même se défendre. Maisil allait faire maison nette, il les jetterait dehors à coups depied. L’explication sévère qu’il s’était promis d’avoir, en suivantJouve, tombait aux brutalités d’une scène de jalousie.

– Oui, vos amants !… On me le disait bien, et j’étaisassez bête pour en douter… Il n’y avait que moi ! il n’y avaitque moi !

Denise, suffoquée, étourdie, écoutait ces affreux reproches.Elle n’avait pas compris d’abord. Mon Dieu ! il la prenaitdonc pour une malheureuse ? À un mot plus dur, elle se dirigeavers la porte, silencieusement. Et, sur un geste qu’il fit pourl’arrêter :

– Laissez, monsieur, je m’en vais… Si vous croyez ce quevous dites, je ne veux pas rester une seconde de plus dans lamaison.

Mais il se précipita devant la porte.

– Défendez-vous, au moins !… Dites quelquechose !

Elle restait toute droite, dans un silence glacé. Longtemps, illa pressa de questions, avec une anxiété croissante ; et ladignité muette de cette vierge semblait une fois encore le calculsavant d’une femme rompue à la tactique de la passion. Ellen’aurait pu jouer un jeu qui le jetât à ses pieds, plus déchiré dedoute, plus désireux d’être convaincu.

– Voyons, vous dites qu’il est de votre pays… Vous vousêtes peut-être rencontrés là-bas… Jurez-moi qu’il ne s’est rienpassé entre vous.

Alors, comme elle s’entêtait dans son silence, et qu’ellevoulait toujours ouvrir la porte et s’en aller, il acheva de perdrela tête. Il eut une explosion suprême de douleur.

– Mon Dieu ! je vous aime, je vous aime… Pourquoiprenez-vous plaisir à me martyriser ainsi ? Vous voyez bienque plus rien n’existe, que les gens dont je vous parle ne metouchent que par vous, que c’est vous seule maintenant qui importezdans le monde… Je vous ai crue jalouse et j’ai sacrifié mesplaisirs. On vous a dit que j’avais des maîtresses ; ehbien ! je n’en ai plus, c’est à peine si je sors. Ne vousai-je pas préférée, chez cette dame ? n’ai-je pas rompu pourêtre à vous seule ? J’attends encore un remerciement, un peude gratitude… Et, si vous craignez que je retourne chez elle, vouspouvez être tranquille : elle se venge, en aidant un de nosanciens commis à fonder une maison rivale… Dites, faut-il que je memette à genoux, pour toucher votre cœur ?

Il en était là. Lui qui ne tolérait pas une peccadille à sesvendeuses, qui les jetait sur le pavé au moindre caprice, setrouvait réduit à supplier une d’elles de ne pas partir, de ne pasl’abandonner dans sa misère. Il défendait la porte contre elle, ilétait prêt à lui pardonner, à s’aveugler, si elle daignait mentir.Et il disait vrai, le dégoût lui venait des filles ramassées dansles coulisses des petits théâtres et dans les restaurants denuit ; il ne voyait plus Clara, il n’avait pas remis les piedschez Mme Desforges, où Bouthemont régnaitmaintenant, en attendant l’ouverture des nouveaux magasins :les Quatre Saisons, qui emplissaient déjà les journaux deréclames.

– Dites, dois-je me mettre à genoux ? répéta-t-il, lagorge étranglée de larmes contenues.

Elle l’arrêta de la main, ne pouvant plus elle-même cacher sontrouble, profondément remuée par cette passion souffrante.

– Vous avez tort de vous faire de la peine, monsieur,répondit-elle enfin. Je vous jure que ces vilaines histoires sontdes mensonges… Ce pauvre garçon de tout à l’heure est aussi peucoupable que moi.

Et elle avait sa belle franchise, ses yeux clairs quiregardaient droit devant elle.

– C’est bien, je vous crois, murmura-t-il, je ne renverraiaucun de vos camarades, puisque vous prenez tout ce monde sousvotre protection… Mais alors pourquoi me repoussez-vous, si vousn’aimez personne ?

Une gêne soudaine, une pudeur inquiète s’empara de la jeunefille.

– Vous aimez quelqu’un, n’est-ce pas ? reprit-il d’unevoix tremblante. Oh ! vous pouvez le dire, je n’ai aucun droitsur vos tendresses… Vous aimez quelqu’un.

Elle devenait très rouge, son cœur était sur ses lèvres, et ellesentait le mensonge impossible, avec cette émotion qui latrahissait, cette répugnance à mentir qui mettait quand même lavérité sur son visage.

– Oui, finit-elle par avouer faiblement. Je vous en prie,monsieur, laissez-moi, vous me faites du chagrin.

À son tour, elle souffrait. N’était-ce point assez déjà d’avoirà se défendre contre lui ? aurait-elle encore à se défendrecontre elle, contre les souffles de tendresse qui lui ôtaient parmoments tout courage ? Quand il lui parlait ainsi, quand ellele voyait si ému, si bouleversé, elle ne savait plus pourquoi ellese refusait ; et elle ne retrouvait qu’ensuite, au fond mêmede sa nature de fille bien portante, la fierté et la raison qui latenaient debout, dans son obstination de vierge. C’était par uninstinct du bonheur qu’elle s’entêtait, pour satisfaire son besoind’une vie tranquille, et non pour obéir à l’idée de la vertu. Elleserait tombée aux bras de cet homme, la chair prise, le cœurséduit, si elle n’avait éprouvé une révolte, presque une répulsiondevant le don définitif de son être, jeté à l’inconnu du lendemain.L’amant lui faisait peur, cette peur folle qui blêmit la femme àl’approche du mâle.

Cependant, Mouret avait eu un geste de morne découragement. Ilne comprenait pas. Il retourna vers son bureau, où il feuilleta despapiers qu’il reposa tout de suite, en disant :

– Je ne vous retiens plus, mademoiselle, je ne puis vousgarder malgré vous.

– Mais je ne demande pas à m’en aller, répondit-elle ensouriant. Si vous me croyez honnête, je reste… On doit toujourscroire les femmes honnêtes, monsieur. Il y en a beaucoup qui lesont, je vous assure.

Les yeux de Denise, involontairement, s’étaient levés sur leportrait de Mme Hédouin, de cette dame si belle etsi sage, dont le sang, disait-on, portait bonheur à la maison.Mouret suivit le regard de la jeune fille, en tressaillant, car ilavait cru entendre sa femme morte prononcer la phrase, une phrase àelle, qu’il reconnaissait. Et c’était comme une résurrection, ilretrouvait chez Denise le bon sens, le juste équilibre de cellequ’il avait perdue, jusqu’à la voix douce, avare de parolesinutiles. Il en resta frappé, plus triste encore.

– Vous savez que je vous appartiens, murmura-t-il pourconclure. Faites de moi ce qu’il vous plaira.

Alors, elle reprit avec gaieté :

– C’est cela, monsieur. L’avis d’une femme, si humblequ’elle soit, est toujours utile à écouter, quand elle a un peud’intelligence… Je ne ferai de vous qu’un brave homme, allez !si vous vous remettez entre mes mains.

Elle plaisantait, de son air simple qui avait tant de charme. Ileut à son tour un faible sourire, il la reconduisit jusqu’à laporte, comme une dame.

Le lendemain, Denise était nommée première. La direction avaitdédoublé le rayon des robes et costumes, en créant spécialement ensa faveur un rayon de costumes pour enfants, qui fut installé prèsdu comptoir des confections. Depuis le renvoi de son fils,Mme Aurélie tremblait, car elle sentait cesmessieurs devenir froids, et elle voyait de jour en jour grandir lapuissance de la jeune fille. N’allait-on pas la sacrifier à cettedernière, en profitant d’un prétexte quelconque ? Son masqued’empereur soufflé de graisse semblait avoir maigri de la honte quientachait maintenant la dynastie des Lhomme : et elleaffectait de s’en aller chaque soir au bras de son mari, rapprochéstous deux par l’infortune, comprenant que le mal venait de ladébandade de leur intérieur ; tandis que le pauvre homme, plusaffecté qu’elle, dans la peur maladive qu’on ne le soupçonnâtlui-même de vol, comptait deux fois les recettes, bruyamment, enfaisant avec son mauvais bras de véritables miracles. Aussi,lorsqu’elle vit Denise passer première aux costumes pour enfants,éprouva-t-elle une joie si vive, qu’elle afficha à l’égard decelle-ci les sentiments les plus affectueux. C’était bien beau dene pas lui avoir pris sa place. Et elle la comblait d’amitiés, latraitait désormais en égale, allait causer souvent avec elle, dansle rayon voisin, d’un air d’apparat, comme une reine mère rendantvisite à une jeune reine.

Du reste, Denise était maintenant au sommet. Sa nomination depremière avait abattu autour d’elle les dernières résistances. Sil’on clabaudait toujours, par cette démangeaison de langue quiravage toute réunion d’hommes et de femmes, on s’inclinait trèsbas, jusqu’à terre. Marguerite, passée seconde aux confections, serépandait en éloges. Clara elle-même, travaillée d’un sourd respecten face de cette fortune dont elle était incapable, avait plié latête. Mais la victoire de Denise était plus complète encore sur cesmessieurs, sur Jouve qui ne lui parlait à présent que courbé endeux, sur Hutin pris d’inquiétude en sentant craquer sa situation,sur Bourdoncle enfin réduit à l’impuissance. Quand ce dernierl’avait vue sortir du cabinet de la direction, souriante, de sonair tranquille, et que le lendemain le directeur avait exigé duconseil la création du nouveau comptoir, il s’était incliné, vaincusous la terreur sacrée de la femme. Toujours il avait cédé ainsidevant la grâce de Mouret, il le reconnaissait pour son maître,malgré les fuites du génie et les coups de cœur imbéciles. Cettefois, la femme était la plus forte, et il attendait d’être emportédans le désastre.

Cependant, Denise avait le triomphe paisible et charmant. Elleétait touchée de ces marques de considération, elle voulait y voirune sympathie pour la misère de ses débuts et le succès final deson long courage. Aussi accueillait-elle avec une joie rieuse lesmoindres témoignages d’amitié, ce qui la fit réellement aimer dequelques-uns, tellement elle était douce et accueillante, toujoursprête à donner son cœur. Elle ne montra une invincible répulsionque pour Clara, car elle avait appris que cette fille s’étaitamusée, comme elle en annonçait en plaisantant le projet, à menerun soir Colomban chez elle ; et le commis, emporté par sapassion enfin satisfaite, découchait maintenant, tandis que latriste Geneviève agonisait. On en causait au Bonheur, on trouvaitl’aventure drôle.

Mais ce chagrin, le seul qu’elle eût au-dehors, n’altérait pasl’humeur égale de Denise. C’était surtout à son rayon qu’il fallaitla voir, au milieu de son peuple de bambins de tout âge. Elleadorait les enfants, on ne pouvait la mieux placer. Parfois, oncomptait là une cinquantaine de fillettes, autant de garçons, toutun pensionnat turbulent, lâché dans les désirs de la coquetterienaissante. Les mères perdaient la tête. Elle, conciliante,souriait, faisait aligner ce petit monde sur des chaises ; et,quand il y avait dans le tas une gamine rose, dont le joli museaula tentait, elle voulait la servir elle-même, apportait la robe,l’essayait sur les épaules potelées, avec des précautions tendresde grande sœur. Des rires clairs sonnaient, de légers cris d’extasepartaient, au milieu de voix grondeuses. Parfois, une fillette déjàgrande personne, neuf ou dix ans, ayant aux épaules un paletot dedrap, l’étudiait devant une glace, se tournait, la mine absorbée,les yeux luisant du besoin de plaire. Et le déballage encombraitles comptoirs, des robes en toile d’Asie rose ou bleue pour enfantsd’un an à cinq ans, des costumes de marin en zéphyr, jupe plisséeet blouse ornée d’appliques en percale, des costumes Louis XV,des manteaux, des jaquettes, un pêle-mêle de vêtements étroits,raidis dans leur grâce enfantine, quelque chose comme le vestiaired’une bande de grandes poupées, sorti des armoires et livré aupillage. Denise avait toujours au fond des poches quelquesfriandises, apaisait les pleurs d’un marmot désespéré de ne pasemporter des culottes rouges, vivait là parmi les petits, commedans sa famille naturelle, rajeunie elle-même de cette innocence etde cette fraîcheur sans cesse renouvelées autour de ses jupes.

Maintenant, il lui arrivait d’avoir de longues conversationsamicales avec Mouret. Quand elle devait se rendre à la directionpour prendre des ordres ou pour donner un renseignement, il laretenait à causer, il aimait l’entendre. C’était ce qu’elleappelait en riant « faire de lui un brave homme ». Danssa tête raisonneuse et avisée de Normande, poussaient toutes sortesde projets, ces idées sur le nouveau commerce, qu’elle osaiteffleurer déjà chez Robineau, et dont elle avait expriméquelques-unes, le beau soir de leur promenade aux Tuileries. Ellene pouvait s’occuper d’une chose, voir fonctionner une besogne,sans être travaillée du besoin de mettre de l’ordre, d’améliorer lemécanisme. Ainsi, depuis son entrée au Bonheur des Dames, elleétait surtout blessée par le sort précaire des commis ; lesrenvois brusques la soulevaient, elle les trouvait maladroits etiniques, nuisibles à tous, autant à la maison qu’au personnel. Sessouffrances du début la poignaient encore, une pitié lui remuait lecœur, à chaque nouvelle venue qu’elle rencontrait dans les rayons,les pieds meurtris, les yeux gros de larmes, traînant sa misèresous sa robe de soie, au milieu de la persécution aigrie desanciennes. Cette vie de chien battu rendait mauvaises lesmeilleures ; et le triste défilé commençait : toutesmangées par le métier avant quarante ans, disparaissant, tombant àl’inconnu, beaucoup mortes à la peine, phtisiques ou anémiques, defatigue et de mauvais air, quelques-unes roulées au trottoir, lesplus heureuses mariées, enterrées au fond d’une petite boutique deprovince. Était-ce humain, était-ce juste, cette consommationeffroyable de chair que les grands magasins faisaient chaqueannée ? Et elle plaidait la cause des rouages de la machine,non par des raisons sentimentales, mais par des arguments tirés del’intérêt même des patrons. Quand on veut une machine solide, onemploie du bon fer ; si le fer casse ou si on le casse, il y aun arrêt du travail, des frais répétés de mise en train, toute unedéperdition de force. Parfois, elle s’animait, elle voyaitl’immense bazar idéal, le phalanstère du négoce, où chacun auraitsa part exacte des bénéfices, selon ses mérites, avec la certitudedu lendemain, assurée à l’aide d’un contrat. Mouret alorss’égayait, malgré sa fièvre. Il l’accusait de socialisme,l’embarrassait en lui montrant des difficultés d’exécution ;car elle parlait dans la simplicité de son âme, et elle s’enremettait bravement à l’avenir, lorsqu’elle s’apercevait d’un troudangereux, au bout de sa pratique de cœur tendre. Cependant, ilétait ébranlé, séduit, par cette voix jeune, encore frémissante desmaux endurés, si convaincue, lorsqu’elle indiquait des réformes quidevaient consolider la maison ; et il l’écoutait en laplaisantant, le sort des vendeurs était amélioré peu à peu, onremplaçait les renvois en masse par un système de congés accordésaux mortes-saisons, enfin on allait créer une caisse de secoursmutuels, qui mettrait les employés à l’abri des chômages forcés, etleur assurerait une retraite. C’était l’embryon des vastes sociétésouvrières du vingtième siècle.

D’ailleurs, Denise ne s’en tenait pas à vouloir panser lesplaies vives dont elle avait saigné : des idées délicates defemme, soufflées à Mouret, ravirent la clientèle. Elle fit aussi lajoie de Lhomme, en appuyant un projet qu’il nourrissait depuislongtemps, celui de créer un corps de musique, dont les exécutantsseraient tous choisis dans le personnel. Trois mois plus tard,Lhomme avait cent vingt musiciens sous sa direction, le rêve de savie était réalisé. Et une grande fête fut donnée dans les magasins,un concert et un bal, pour présenter la musique du Bonheur à laclientèle, au monde entier. Les journaux s’en occupèrent,Bourdoncle lui-même, ravagé par ces innovations, dut s’inclinerdevant l’énorme réclame. Ensuite, on installa une salle de jeu pourles commis, deux billards, des tables de trictrac et d’échecs. Il yeut des cours le soir dans la maison, cours d’anglais etd’allemand, cours de grammaire, d’arithmétique, degéographie ; on alla jusqu’à des leçons d’équitation etd’escrime. Une bibliothèque fut créée, dix mille volumes mis à ladisposition des employés. Et l’on ajouta encore un médecin àdemeure donnant des consultations gratuites, des bains, desbuffets, un salon de coiffure. Toute la vie était là, on avait toutsans sortir, l’étude, la table, le lit, le vêtement. Le Bonheur desDames se suffisait, plaisirs et besoins, au milieu du grand Paris,occupé de ce tintamarre, de cette cité du travail qui poussait silargement dans le fumier des vieilles rues, ouvertes enfin au pleinsoleil.

Alors, un nouveau mouvement d’opinion se fit en faveur deDenise. Comme Bourdoncle, vaincu, répétait avec désespoir à sesfamiliers qu’il aurait donné beaucoup pour la coucher lui-même dansle lit de Mouret, il fut acquis qu’elle n’avait pas cédé, que satoute-puissance résultait de ses refus. Et, dès ce moment, elledevint populaire. On n’ignorait pas les douceurs qu’on lui devait,on l’admirait pour la force de sa volonté. En voilà une, au moins,qui mettait le pied sur la gorge du patron, et qui les vengeaittous, et qui savait tirer de lui autre chose que despromesses ! Elle était donc venue, celle qui faisait respecterun peu les pauvres diables ! Lorsqu’elle traversait lescomptoirs, avec sa tête fine et obstinée, son air tendre etinvincible, les vendeurs lui souriaient, étaient fiers d’elle,l’auraient volontiers montrée à la foule. Denise, heureuse, selaissait porter par cette sympathie grandissante. Était-cepossible, mon Dieu ! Elle se voyait arriver en jupe pauvre,effarée, perdue au milieu des engrenages de la terriblemachine ; longtemps, elle avait eu la sensation de n’êtrerien, à peine un grain de mil sous les meules qui broyaient unmonde ; et, aujourd’hui, elle était l’âme même de ce monde,elle seule importait, elle pouvait d’un mot précipiter ou ralentirle colosse, abattu à ses petits pieds. Cependant, elle n’avait pasvoulu ces choses, elle s’était simplement présentée, sans calcul,avec l’unique charme de la douceur. Sa souveraineté lui causaitparfois une surprise inquiète : qu’avaient-ils donc tous à luiobéir ? elle n’était point jolie, elle ne faisait pas le mal.Puis, elle souriait, le cœur apaisé, n’ayant en elle que de labonté et de la raison, un amour de la vérité et de la logique quiétait toute sa force.

Une des grandes joies de Denise, dans sa faveur, fut de pouvoirêtre utile à Pauline. Celle-ci était enceinte, et elle tremblait,car deux vendeuses, en quinze jours, avaient dû partir au septièmemois de leur grossesse. La direction ne tolérait pas cesaccidents-là, la maternité était supprimée comme encombrante etindécente ; à la rigueur, on permettait le mariage, mais ondéfendait les enfants. Pauline, sans doute, avait un mari dans lamaison ; elle se méfiait pourtant, elle n’en était pas moinsimpossible au comptoir ; et, afin de retarder un renvoiprobable, elle se serrait à étouffer, résolue de cacher ça tantqu’elle pourrait. Une des deux vendeuses congédiées venaitjustement d’accoucher d’un enfant mort, pour s’être torturé ainsila taille ; on désespérait de la sauver elle-même. Cependant,Bourdoncle regardait le teint de Pauline se plomber, tandis qu’illui trouvait une raideur pénible dans la démarche. Un matin, ilétait près d’elle, aux trousseaux, quand un garçon de magasin, quienlevait un paquet, la heurta d’un tel coup, qu’elle porta les deuxmains à son ventre, en poussant un cri. Tout de suite, il l’emmena,la confessa, soumit au conseil la question de son renvoi, sous leprétexte qu’elle avait besoin du bon air de la campagne :l’histoire du coup allait se répandre, l’effet serait désastreuxsur le public, si elle faisait une fausse couche, comme il y enavait eu déjà une aux layettes, l’année précédente. Mouret, quin’assistait pas à ce conseil, ne put donner son avis que le soir.Mais Denise avait eu le temps d’intervenir, et il ferma la bouchede Bourdoncle, au nom des intérêts mêmes de la maison. On voulaitdonc ameuter les mères, froisser les jeunes accouchées de laclientèle ? Pompeusement, il fut décidé que toute vendeusemariée qui deviendrait enceinte, serait mise chez une sage-femmespéciale, dès que sa présence au comptoir blesserait les bonnesmœurs.

Le lendemain, lorsque Denise monta voir à l’infirmerie Pauline,qui avait dû s’aliter à la suite du coup reçu, celle-ci l’embrassaviolemment sur les deux joues.

– Que vous êtes gentille ! Sans vous, ils me jetaientdehors… Et ne vous inquiétez pas, le médecin affirme que ce ne serarien.

Baugé, échappé de son rayon, était là, de l’autre côté du lit.Il balbutiait aussi des remerciements, troublé devant Denise, qu’iltraitait maintenant en personne arrivée et d’une classe supérieure.Ah ! s’il entendait encore des saletés sur son compte, c’étaitlui qui fermerait le bec des jaloux ! Mais Pauline le renvoya,en haussant amicalement les épaules.

– Mon pauvre chéri, tu ne dis que des bêtises… Tiens !laisse-nous causer.

L’infirmerie était une longue pièce claire, où douze litss’alignaient, avec leurs rideaux blancs. On y soignait les commislogés dans la maison, lorsqu’ils ne témoignaient pas le désir derejoindre leurs familles. Mais, ce jour-là, Pauline seule s’ytrouvait couchée, près d’une des grandes fenêtres, qui ouvraientsur la rue Neuve-Saint-Augustin. Et les confidences, les parolestendres et chuchotées vinrent tout de suite, au milieu de ceslinges candides, dans cet air assoupi, parfumé d’une vague odeur delavande.

– Il fait donc quand même ce que vous voulez ?… Commevous êtes dure, de lui causer tant de peine ! Voyons,expliquez-moi ça, puisque j’ose aborder ce sujet. Vous ledétestez ?

Elle avait gardé la main de Denise, assise près du lit, accoudéeau traversin ; et cette dernière, gagnée par une soudaineémotion, les joues envahies de rougeur, eut une faiblesse, à cettequestion directe et inattendue. Son secret lui échappa, elle cachala tête dans l’oreiller, en murmurant :

– Je l’aime !

Pauline restait stupéfaite.

– Comment ! vous l’aimez ? Mais, c’est biensimple : dites oui.

Denise, le visage toujours caché, répondait non, d’un branleénergique de la tête. Et elle disait non, justement parce qu’ellel’aimait, sans expliquer cela. Certainement, c’étaitridicule ; mais elle sentait ainsi, elle ne pouvait serefaire. La surprise de son amie augmentait, elle demandaenfin :

– Alors, tout ça, c’est pour en arriver à ce qu’il vousépouse ?

Du coup, la jeune fille se redressa. Elle était bouleversée.

– Lui, m’épouser ! oh ! non, oh ! je vousjure que je n’ai jamais voulu une pareille chose !… Non,jamais un tel calcul n’est entré dans ma tête, et vous savez quej’ai horreur du mensonge !

– Dame ! ma chère, reprit doucement Pauline, vousauriez l’idée de vous faire épouser, que vous ne vous y prendriezpas autrement… Il faudra bien que ça finisse, et il n’y a encoreque le mariage, puisque vous ne voulez point de l’autre affaire…Écoutez, je dois vous prévenir que tout le monde a la mêmepensée : oui, on est persuadé que vous lui tenez la dragéehaute pour le mener devant M. le maire… Mon Dieu ! quelledrôle de femme vous êtes !

Et elle dut consoler Denise, qui était retombée la tête sur letraversin, sanglotant, répétant qu’elle finirait par s’en aller,puisqu’on lui prêtait sans cesse toutes sortes d’histoires, qui nepouvaient seulement lui entrer dans le crâne. Sans doute, quand unhomme aimait une femme, il devait l’épouser. Mais elle ne demandaitrien, elle ne calculait rien, elle suppliait seulement qu’on lalaissât vivre tranquille, avec ses chagrins et ses joies, commetout le monde. Elle s’en irait.

À la même minute, en bas, Mouret traversait les magasins. Ilavait voulu s’étourdir, en visitant les travaux une fois encore.Des mois s’étaient écoulés, la façade dressait maintenant seslignes monumentales, derrière la vaste chemise de planches qui lacachait au public. Toute une armée de décorateurs se mettaient àl’œuvre : des marbriers, des faïenciers, des mosaïstes ;on dorait le groupe central, au-dessus de la porte, tandis que, surl’acrotère, on scellait déjà les piédestaux qui devaient recevoirles statues des villes manufacturières de la France. Du matin ausoir, le long de la rue du Dix-Décembre, ouverte depuis peu,stationnait une foule de badauds, le nez en l’air, ne voyant rien,mais préoccupés des merveilles qu’on se racontait de cette façadedont l’inauguration allait révolutionner Paris. Et c’était sur cechantier enfiévré de travail, au milieu des artistes achevant laréalisation de son rêve, commencée par les maçons, que Mouretvenait de sentir plus amèrement que jamais la vanité de sa fortune.La pensée de Denise lui avait brusquement serré la poitrine, cettepensée qui, sans relâche, le traversait d’une flamme, commel’élancement d’un mal inguérissable. Il s’était enfui, il n’avaitpas trouvé un mot de satisfaction, craignant de montrer ses larmes,laissant derrière lui le dégoût du triomphe. Cette façade, qui setrouvait debout enfin, lui semblait petite, pareille à un de cesmurs de sable que les gamins bâtissent, et l’on aurait pu laprolonger d’un faubourg de la cité à l’autre, l’élever jusqu’auxétoiles, elle n’aurait pas rempli le vide de son cœur, que seul le« oui » d’une enfant pouvait combler.

Lorsque Mouret rentra dans son cabinet, il étouffait de sanglotscontenus. Que voulait-elle donc ? il n’osait plus lui offrirde l’argent, l’idée confuse d’un mariage se levait, au milieu deses révoltes de jeune veuf. Et, dans l’énervement de sonimpuissance, ses larmes coulèrent. Il était malheureux.

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