Au Bonheur des Dames

Chapitre 4

 

Ce lundi-là, le dix octobre, un clair soleil de victoire perçales nuées grises, qui depuis une semaine assombrissaient Paris.Toute la nuit encore, il avait bruiné, une poussière d’eau dontl’humidité salissait les rues ; mais, au petit jour, sous leshaleines vives qui emportaient les nuages, les trottoirs s’étaientessuyés ; et le ciel bleu avait une gaieté limpide deprintemps.

Aussi, le Bonheur des Dames, dès huit heures, flambait-il auxrayons de ce clair soleil, dans la gloire de sa grande mise envente des nouveautés d’hiver. Des drapeaux flottaient à la porte,des pièces de lainage battaient l’air frais du matin, animant laplace Gaillon d’un vacarme de fête foraine ; tandis que, surles deux rues, les vitrines développaient des symphoniesd’étalages, dont la netteté des glaces avivait encore les tonséclatants. C’était comme une débauche de couleurs, une joie de larue qui crevait là, tout un coin de consommation largement ouvert,et où chacun pouvait aller se réjouir les yeux.

Mais, à cette heure, il entrait peu de monde, quelques raresclientes affairées, des ménagères du voisinage, des femmesdésireuses d’éviter l’écrasement de l’après-midi. Derrière lesétoffes qui le pavoisaient, on sentait le magasin vide, sous lesarmes et attendant la pratique, avec ses parquets cirés, sescomptoirs débordant de marchandises. La foule pressée du matindonnait à peine un coup d’œil aux vitrines, sans ralentir le pas.Rue Neuve-Saint-Augustin et place Gaillon, où les voitures devaientse ranger, il n’y avait encore, à neuf heures, que deux fiacres.Seuls, les habitants du quartier, les petits commerçants surtout,remués par un tel déploiement de banderoles et de panaches,formaient des groupes, sous les portes, aux coins des trottoirs, lenez levé, pleins de remarques amères. Ce qui les indignait,c’était, rue de la Michodière, devant le bureau du départ, une desquatre voitures que Mouret venait de lancer dans Paris : desvoitures à fond vert, rechampies de jaune et de rouge, et dont lespanneaux fortement vernis prenaient au soleil des éclats d’or et depourpre. Celle-là, avec son bariolage tout neuf, écartelée du nomde la maison sur chacune de ses faces, et surmontée en outre d’unepancarte où la mise en vente du jour était annoncée, finit pars’éloigner au trot d’un cheval superbe, lorsqu’on eut achevé del’emplir des paquets restés de la veille ; et, jusqu’auboulevard, Baudu, qui blêmissait sur le seuil du Vieil Elbeuf, laregarda rouler, promenant à travers la ville ce nom détesté duBonheur des Dames, dans un rayonnement d’astre.

Cependant, quelques fiacres arrivaient et prenaient la file.Chaque fois qu’une cliente se présentait, il y avait un mouvementparmi les garçons de magasin, rangés sous la haute porte, habillésd’une livrée, l’habit et le pantalon vert clair, le gilet rayéjaune et rouge. Et l’inspecteur Jouve, l’ancien capitaine retraité,était là, en redingote et en cravate blanche, avec sa décoration,comme une enseigne de vieille probité, accueillant les dames d’unair gravement poli, se penchant vers elles pour leur indiquer lesrayons. Puis, elles disparaissaient dans le vestibule, changé en unsalon oriental.

Dès la porte, c’était ainsi un émerveillement, une surprise qui,toutes, les ravissait. Mouret avait eu cette idée. Le premier, ilvenait d’acheter dans le Levant, à des conditions excellentes, unecollection de tapis anciens et de tapis neufs, de ces tapis raresque, seuls, les marchands de curiosités vendaient jusque-là, trèscher ; et il allait en inonder le marché, il les cédaitpresque à prix coûtant, en tirait simplement un décor splendide,qui devait attirer chez lui la haute clientèle de l’art. Du milieude la place Gaillon, on apercevait ce salon oriental, faituniquement de tapis et de portières, que des garçons avaientaccrochés sous ses ordres. D’abord, au plafond, étaient tendus destapis de Smyrne, dont les dessins compliqués se détachaient sur desfonds rouges. Puis, des quatre côtés, pendaient desportières : les portières de Karamanie et de Syrie, zébrées devert, de jaune et de vermillon ; les portières de Diarbékir,plus communes, rudes à la main, comme des sayons de berger ;et encore des tapis pouvant servir de tentures, les longs tapisd’Ispahan, de Téhéran et de Kermancha, les tapis plus larges deSchoumaka et de Madras, floraison étrange de pivoines et de palmes,fantaisie lâchée dans le jardin du rêve. À terre, les tapisrecommençaient, une jonchée de toisons grasses : il y avait,au centre, un tapis d’Agra, une pièce extraordinaire à fond blancet à large bordure bleu tendre, où couraient des ornementsviolâtres, d’une imagination exquise ; partout, ensuite,s’étalaient des merveilles, les tapis de la Mecque aux reflets develours, les tapis de prière du Daghestan à la pointe symbolique,les tapis du Kurdistan, semés de fleurs épanouies ; enfin,dans un coin, un écroulement à bon marché, des tapis de Gheurdès,de Coula et de Kircheer, en tas, depuis quinze francs. Cette tentede pacha somptueux était meublée de fauteuils et de divans, faitsavec des sacs de chameau, les uns coupés de losanges bariolés, lesautres plantés de roses naïves. La Turquie, l’Arabie, la Perse, lesIndes étaient là. On avait vidé les palais, dévalisé les mosquéeset les bazars. L’or fauve dominait, dans l’effacement des tapisanciens, dont les teintes fanées gardaient une chaleur sombre, unfondu de fournaise éteinte, d’une belle couleur cuite de vieuxmaître. Et des visions d’Orient flottaient sous le luxe de cet artbarbare, au milieu de l’odeur forte que les vieilles laines avaientgardée du pays de la vermine et du soleil.

Le matin, à huit heures, lorsque Denise, qui allait justementdébuter ce lundi-là, avait traversé le salon oriental, elle étaitrestée saisie, ne reconnaissant plus l’entrée du magasin, achevantde se troubler dans ce décor de harem, planté à la porte. Un garçonl’ayant conduite sous les combles et remise entre les mains deMme Cabin, chargée du nettoyage et de lasurveillance des chambres, celle-ci l’installa au numéro 7, où l’onavait déjà monté sa malle. C’était une étroite cellule mansardée,ouvrant sur le toit par une fenêtre à tabatière, meublée d’un petitlit, d’une armoire de noyer, d’une table de toilette et de deuxchaises. Vingt chambres pareilles s’alignaient le long d’uncorridor de couvent, peint en jaune ; et, sur les trente-cinqdemoiselles de la maison, les vingt qui n’avaient pas de famille àParis couchaient là, tandis que les quinze autres logeaientau-dehors, quelques-unes chez des tantes ou des cousines d’emprunt.Tout de suite, Denise ôta la mince robe de laine, usée par labrosse, raccommodée aux manches, la seule qu’elle eût apportée deValognes. Puis, elle passa l’uniforme de son rayon, une robe desoie noire, qu’on avait retouchée pour elle, et qui l’attendait surle lit. Cette robe était encore un peu grande, trop large auxépaules. Mais elle se hâtait tellement, dans son émotion, qu’ellene s’arrêta point à ces détails de coquetterie. Jamais elle n’avaitporté de la soie. Quand elle redescendit, endimanchée, mal àl’aise, elle regardait luire la jupe, elle éprouvait une honte auxbruissements tapageurs de l’étoffe.

En bas, comme elle entrait au rayon, une querelle éclatait. Elleentendit Clara dire d’une voix aiguë :

– Madame, je suis arrivée avant elle.

– Ce n’est pas vrai, répondait Marguerite. Elle m’abousculée à la porte, mais j’avais déjà le pied dans le salon.

Il s’agissait de l’inscription au tableau de ligne, qui réglaitles tours de vente. Les vendeuses s’inscrivaient sur une ardoise,dans leur ordre d’arrivée ; et, chaque fois qu’une d’ellesavait eu une cliente, elle remettait son nom à la queue.Mme Aurélie finit par donner raison àMarguerite.

– Toujours des injustices ! murmura furieusementClara.

Mais l’entrée de Denise réconcilia ces demoiselles. Elles laregardèrent, puis se sourirent. Pouvait-on se fagoter de lasorte ! La jeune fille alla gauchement s’inscrire au tableaude ligne, où elle se trouvait la dernière. Cependant,Mme Aurélie l’examinait avec une moue inquiète.Elle ne put s’empêcher de dire :

– Ma chère, deux comme vous tiendraient dans votre robe. Ilfaudra la faire rétrécir… Et puis, vous ne savez pas vous habiller.Venez donc, que je vous arrange un peu.

Et elle l’emmena devant une des hautes glaces, qui alternaientavec les portes pleines des armoires, où étaient serrées lesconfections. La vaste pièce, entourée de ces glaces et de cesboiseries de chêne sculpté, garnie d’une moquette rouge à grandsramages, ressemblait au salon banal d’un hôtel, que traverse uncontinuel galop de passants. Ces demoiselles complétaient laressemblance, vêtues de leur soie réglementaire, promenant leursgrâces marchandes, sans jamais s’asseoir sur la douzaine de chaisesréservées aux clientes seules. Toutes avaient, entre deuxboutonnières du corsage, comme piqué dans la poitrine, un grandcrayon qui se dressait, la pointe en l’air ; et l’onapercevait, sortant à demi d’une poche, la tache blanche du cahierde notes de débit. Plusieurs risquaient des bijoux, des bagues, desbroches, des chaînes ; mais leur coquetterie, le luxe dontelles luttaient, dans l’uniformité imposée de leur toilette, étaitleurs cheveux nus, des cheveux débordants, augmentés de nattes etde chignons quand ils ne suffisaient pas, peignés, frisés,étalés.

– Tirez donc la ceinture par-devant, répétaitMme Aurélie. Là, vous n’avez plus de bosse dans ledos, au moins… Et vos cheveux, est-il possible de les massacrerainsi ! Ils seraient superbes, si vous vouliez.

C’était, en effet, la seule beauté de Denise. D’un blond cendré,ils lui tombaient jusqu’aux chevilles ; et, quand elle secoiffait, ils la gênaient, au point qu’elle se contentait de lesrouler et de les retenir en un tas, sous les fortes dents d’unpeigne de corne. Clara, très ennuyée par ces cheveux, affectaitd’en rire, tellement ils étaient noués de travers, dans leur grâcesauvage. Elle avait appelé d’un signe une vendeuse du rayon de lalingerie, une fille à figure large, l’air agréable. Les deuxrayons, qui se touchaient, étaient en continuelle hostilité ;mais ces demoiselles s’entendaient parfois pour se moquer desgens.

– Mademoiselle Cugnot, voyez donc cette crinière, répétaitClara, que Marguerite poussait du coude, en feignant aussid’étouffer de rire.

Seulement, la lingère n’était pas en train de plaisanter. Elleregardait Denise depuis un instant, elle se rappelait ce qu’elleavait souffert elle-même, les premiers mois, dans son rayon.

– Eh bien ! quoi ? dit-elle. Toutes n’en ont pas,de ces crinières !

Et elle retourna à la lingerie, laissant les deux autres gênées.Denise, qui avait entendu, la suivit d’un regard de remerciement,tandis que Mme Aurélie lui remettait un cahier denotes de débit à son nom, en disant :

– Allons, demain, vous vous arrangerez mieux… Et,maintenant, tâchez de prendre les habitudes de la maison, attendezvotre tour de vente. La journée d’aujourd’hui sera rude, on vapouvoir juger ce dont vous êtes capable.

Cependant, le rayon restait désert, peu de clientes montaientaux confections, à cette heure matinale. Ces demoiselles seménageaient, droites et lentes, pour se préparer aux fatigues del’après-midi. Alors, Denise, intimidée par la pensée qu’ellesguettaient son début, tailla son crayon, afin d’avoir unecontenance ; puis, imitant les autres, elle se l’enfonça dansla poitrine, entre deux boutonnières. Elle s’exhortait au courage,il fallait qu’elle conquît sa place. La veille, on lui avait ditqu’elle entrait au pair, c’est-à-dire sans appointementsfixes ; elle aurait uniquement le tant pour cent et la gueltesur les ventes qu’elle ferait. Mais elle espérait bien arriverainsi à douze cents francs, car elle savait que les bonnesvendeuses allaient jusqu’à deux mille, quand elles prenaient de lapeine. Son budget était réglé, cent francs par mois luipermettraient de payer la pension de Pépé et d’entretenir Jean, quine touchait pas un sou ; elle-même pourrait acheter quelquesvêtements et du linge. Seulement, pour atteindre ce gros chiffre,elle devait se montrer travailleuse et forte, ne pas se chagrinerdes mauvaises volontés autour d’elle, se battre et arracher sa partaux camarades, s’il le fallait. Comme elle s’excitait ainsi à lalutte, un grand jeune homme qui passait devant le rayon, luisourit ; et, lorsqu’elle eut reconnu Deloche, entré de laveille au rayon des dentelles, elle lui rendit son sourire,heureuse de cette amitié qu’elle retrouvait, voyant dans ce salutun bon présage.

À neuf heures et demie, une cloche avait sonné le déjeuner de lapremière table. Puis, une nouvelle volée appela la deuxième. Et lesclientes ne venaient toujours pas. La seconde,Mme Frédéric, qui, dans sa rigidité maussade deveuve, se plaisait aux idées de désastre, jurait en phrases brèves,que la journée était perdue : on ne verrait pas quatre chats,on pouvait fermer les armoires et s’en aller ; prédiction quiassombrissait la face plate de Marguerite, très âpre au gain,tandis que Clara, avec ses allures de cheval échappé, rêvait déjàd’une partie au bois de Verrières, si la maison croulait. Quant àMme Aurélie, muette, grave, elle promenait sonmasque de César à travers le vide du rayon, en général qui a uneresponsabilité dans la victoire et la défaite.

Vers onze heures, quelques dames se présentèrent. Le tour devente de Denise arrivait. Justement, une cliente fut signalée.

– La grosse de province, vous savez, murmuraMarguerite.

C’était une femme de quarante-cinq ans, qui débarquait de loinen loin à Paris, du fond d’un département perdu. Là-bas, pendantdes mois, elle mettait des sous de côté ; puis, à peinedescendue de wagon, elle tombait au Bonheur des Dames, elledépensait tout. Rarement, elle demandait par lettre, car ellevoulait voir, avait la joie de toucher la marchandise, faisaitjusqu’à des provisions d’aiguilles, qui, disait-elle, coûtaient lesyeux de la tête, dans sa petite ville. Tout le magasin laconnaissait, savait qu’elle se nommait Mme Boutarelet qu’elle habitait Albi, sans s’inquiéter du reste, ni de sasituation, ni de son existence.

– Vous allez bien, madame ? demandait gracieusementMme Aurélie qui s’était avancée. Et quedésirez-vous ? On est à vous tout de suite.

Puis, se tournant :

– Mesdemoiselles !

Denise s’approchait, mais Clara s’était précipitée. D’habitude,elle se montrait paresseuse à la vente, se moquant de l’argent, engagnant davantage au-dehors, et sans fatigue. Seulement, l’idée desouffler une bonne cliente à la nouvelle venue, l’éperonnait.

– Pardon, c’est mon tour, dit Denise révoltée.

Mme Aurélie l’écarta d’un regard sévère, enmurmurant :

– Il n’y a pas de tour, je suis la seule maîtresse ici…Attendez de savoir, pour servir les clientes connues.

La jeune fille recula ; et, comme des larmes lui montaientaux yeux, elle voulut cacher cet excès de sensibilité, elle tournale dos, debout devant les glaces sans tain, feignant de regarderdans la rue. Allait-on l’empêcher de vendre ? Toutess’entendraient-elles, pour lui enlever ainsi les ventessérieuses ? La peur de l’avenir la prenait, elle se sentaitécrasée entre tant d’intérêts lâchés. Cédant à l’amertume de sonabandon, le front contre la glace froide, elle regardait en face leVieil Elbeuf, elle songeait qu’elle aurait dû supplier son oncle dela garder ; peut-être lui-même désirait-il revenir sur sadécision, car il lui avait semblé bien ému, la veille. Maintenant,elle était toute seule, dans cette maison vaste, où personne nel’aimait, où elle se trouvait blessée et perdue ; Pépé et Jeanvivaient chez des étrangers, eux qui n’avaient jamais quitté sesjupes ; c’était un arrachement, et les deux grosses larmesqu’elle retenait faisaient danser la rue dans un brouillard.

Derrière elle, pendant ce temps, bourdonnaient desvoix :

– Celui-ci m’engonce, disaitMme Boutarel.

– Madame a tort, répétait Clara. Les épaules vont à laperfection… À moins que Madame ne préfère une pelisse à unmanteau.

Mais Denise tressaillit. Une main s’était posée sur son bras,Mme Aurélie l’interpellait avec sévérité.

– Eh bien ! vous ne faites rien maintenant, vousregardez passer le monde ?… Oh ! ça ne peut pas marchercomme ça !

– Puisqu’on m’empêche de vendre, madame.

– Il y a d’autre ouvrage pour vous, mademoiselle. Commencezpar le commencement… Faites le déplié.

Afin de contenter les quelques clientes qui étaient venues, onavait dû bouleverser déjà les armoires ; et, sur les deuxlongues tables de chêne, à gauche et à droite du salon, traînait unfouillis de manteaux, de pelisses, de rotondes, des vêtements detoutes les tailles et de toutes les étoffes. Sans répondre, Denisese mit à les trier, à les plier avec soin et à les classer denouveau dans les armoires. C’était la besogne inférieure desdébutantes. Elle ne protestait plus, sachant qu’on exigeait uneobéissance passive, attendant que la première voulût bien lalaisser vendre, ainsi qu’elle semblait d’abord en avoirl’intention. Et elle pliait toujours, lorsque Mouret parut. Ce futpour elle une secousse ; elle rougit, elle se sentit reprisede son étrange peur, en croyant qu’il allait lui parler. Mais il nela voyait seulement pas, il ne se rappelait plus cette petitefille, que l’impression charmante d’une minute lui avait faitappuyer.

– Madame Aurélie ! appela-t-il d’une voix brève.

Il était légèrement pâle, les yeux clairs et résolus pourtant.En faisant le tour des rayons, il venait de les trouver vides, etla possibilité d’une défaite s’était brusquement dressée, dans safoi entêtée à la fortune. Sans doute, onze heures sonnaient àpeine ; il savait par expérience que la foule n’arrivait guèreque l’après-midi. Seulement, certains symptômesl’inquiétaient : aux autres mises en vente, un mouvement seproduisait dès le matin ; puis, il ne voyait même pas defemmes en cheveux, les clientes du quartier, qui descendaient chezlui en voisines. Comme tous les grands capitaines, au moment delivrer sa bataille, une faiblesse superstitieuse l’avait pris,malgré sa carrure habituelle d’homme d’action. Ça ne marcheraitpas, il était perdu, et il n’aurait pu dire pourquoi : ilcroyait lire sa défaite sur les visages mêmes des dames quipassaient.

Justement, Mme Boutarel, elle qui achetaittoujours, s’en allait en disant :

– Non, vous n’avez rien qui me plaise… Je verrai, je medéciderai.

Mouret la regarda partir. Et, comme Mme Aurélieaccourait à son appel, il l’emmena à l’écart ; tous deuxéchangèrent quelques mots rapides. Elle eut un geste désolé, ellerépondait visiblement que la vente ne s’allumait pas. Un instant,ils restèrent face à face, gagnés par un de ces doutes que lesgénéraux cachent à leurs soldats. Ensuite, il dit tout haut, de sonair brave :

– Si vous avez besoin de monde, prenez une fille del’atelier… Elle aidera toujours un peu.

Il continua son inspection, désespéré. Depuis le matin, ilévitait Bourdoncle, dont les réflexions inquiètes l’irritaient. Ensortant de la lingerie, où la vente marchait plus mal encore, iltomba sur lui, il dut subir l’expression de ses craintes. Alors, ill’envoya carrément au diable, avec une brutalité qu’il ne ménageaitpas même à ses hauts employés, dans les heures mauvaises.

– Fichez-moi donc la paix ! Tout va bien… Je finiraipar flanquer les trembleurs à la porte.

Mouret se planta, seul et debout, au bord de la rampe du hall.De là, il dominait le magasin, ayant autour de lui les rayons del’entresol, plongeant sur les rayons du rez-de-chaussée. En haut,le vide lui parut navrant : aux dentelles, une vieille damefaisait fouiller tous les cartons, sans rien acheter ; tandisque trois vauriennes, à la lingerie, choisissaient longuement descols à dix-huit sous. En bas, sous les galeries couvertes, dans lescoups de lumière qui venaient de la rue, il remarqua que lesclientes commençaient à être plus nombreuses. C’était un lentdéfilé, une promenade devant les comptoirs, espacée, pleine detrous ; à la mercerie, à la bonneterie, des femmes en camisolese pressaient ; seulement, il n’y avait presque personne aublanc ni aux lainages. Les garçons de magasin, avec leur habit vertdont les larges boutons de cuivre luisaient, attendaient le monde,les mains ballantes. Par moments, passait un inspecteur, l’aircérémonieux, raidi dans sa cravate blanche. Et le cœur de Mouretétait surtout serré par la paix morte du hall : le jour ytombait de haut, d’un vitrage aux verres dépolis, qui tamisait laclarté en une poussière blanche, diffuse et comme suspendue, souslaquelle le rayon des soieries semblait dormir, au milieu d’unsilence frissonnant de chapelle. Le pas d’un commis, des paroleschuchotées, un frôlement de jupe qui traversait, y mettaient seulsdes bruits légers, étouffés dans la chaleur du calorifère.Pourtant, des voitures arrivaient : on entendait l’arrêtbrusque des chevaux ; puis, des portières se refermaientviolemment. Au-dehors, montait un lointain brouhaha, des curieuxqui se bousculaient en face des vitrines, des fiacres quistationnaient sur la place Gaillon, toute l’approche d’une foule.Mais, en voyant les caissiers inactifs se renverser derrière leurguichet, en constatant que les tables aux paquets restaient nues,avec leurs boîtes à ficelle et leurs mains de papier bleu, Mouret,indigné d’avoir peur, croyait sentir sa grande machines’immobiliser et se refroidir sous lui.

– Dites donc, Favier, murmura Hutin, regardez le patron,là-haut… Il n’a pas l’air à la noce.

– En voilà une sale baraque ! répondit Favier. Quandon pense que je n’ai pas encore vendu !

Tous deux, guettant les clientes, se soufflaient ainsi decourtes phrases, sans se regarder. Les autres vendeurs du rayonétaient en train d’empiler des pièces de Paris-Bonheur, sous lesordres de Robineau ; tandis que Bouthemont, en grandeconférence avec une jeune femme maigre, paraissait prendre àdemi-voix une commande importante. Autour d’eux, sur des étagèresd’une élégance frêle, les soies, pliées dans de longues chemises depapier crème, s’entassaient comme des brochures de format inusité.Et, encombrant les comptoirs, des soies de fantaisie, des moires,des satins, des velours, semblaient des plates-bandes de fleursfauchées, toute une moisson de tissus délicats et précieux. C’étaitle rayon élégant, un salon véritable, où les marchandises, silégères, n’étaient plus qu’un ameublement de luxe.

– Il me faut cent francs pour dimanche, reprit Hutin. Si jene me fais pas mes douze francs par jour en moyenne, je suisflambé… J’avais compté sur leur mise en vente.

– Bigre ! cent francs, c’est raide, dit Favier. Moi,je n’en demande que cinquante ou soixante… Vous vous payez donc desfemmes chic ?

– Mais non, mon cher. Imaginez-vous, une bêtise : j’aiparié et j’ai perdu… Alors, je dois régaler cinq personnes, deuxhommes et trois femmes… Sacré mâtin ! la première qui passe,je la tombe de vingt mètres de Paris-Bonheur !

Un moment encore, ils causèrent, ils se dirent ce qu’ils avaientfait la veille et ce qu’ils comptaient faire dans huit jours.Favier pariait aux courses, Hutin canotait et entretenait deschanteuses de café-concert. Mais un même besoin d’argent lesfouettait, ils ne songeaient qu’à l’argent, ils se battaient pourl’argent du lundi au samedi, puis ils mangeaient tout le dimanche.Au magasin, c’était là leur préoccupation tyrannique, une luttesans trêve ni pitié. Et ce malin de Bouthemont qui venait deprendre pour lui l’envoyée de Mme Sauveur, cettefemme maigre avec laquelle il causait ! une belle affaire,deux ou trois douzaines de pièces, car la grande couturière avaitles bouchées grosses. À l’instant, Robineau s’était bien avisé, luiaussi, de souffler une cliente à Favier !

– Oh ! celui-là, il faut lui régler son compte, repritHutin qui profitait des plus minces faits pour ameuter le comptoircontre l’homme dont il voulait la place. Est-ce que les premiers etles seconds devraient vendre !… Parole d’honneur ! moncher, si jamais je deviens second, vous verrez comme j’agiraigentiment avec vous autres.

Et toute sa petite personne normande, aimable et grasse, jouaitla bonhomie, énergiquement. Favier ne put s’empêcher de lui jeterun regard oblique ; mais il garda son flegme d’homme bilieux,il se contenta de répondre :

– Oui, je sais… Moi, je ne demande pas mieux.

Puis, voyant une dame s’approcher, il ajouta plus bas :

– Attention ! voilà pour vous.

C’était une dame couperosée, avec un chapeau jaune et une roberouge. Tout de suite Hutin devina la femme qui n’achèterait pas. Ilse baissa vivement derrière le comptoir, en feignant de rattacherles cordons d’un de ses souliers ; et, caché, ilmurmurait :

– Ah ! non, par exemple ! qu’un autre se la paie…Merci ! pour perdre mon tour !

Cependant, Robineau l’appelait :

– À qui la ligne, messieurs ? À M. Hutin ?…Où est M. Hutin ?

Et, comme celui-ci ne répondait décidément pas, ce fut levendeur inscrit à la suite qui reçut la dame couperosée. En effet,elle voulait simplement des échantillons, avec les prix ; etelle retint le vendeur plus de dix minutes, elle l’accabla dequestions. Seulement, le second avait vu Hutin se relever, derrièrele comptoir. Aussi, lorsqu’une nouvelle cliente se présenta,intervint-il d’un air sévère, en arrêtant le jeune homme qui seprécipitait.

– Votre tour est passé… Je vous ai appelé, et comme vousétiez là derrière…

– Mais, monsieur, je n’ai pas entendu.

– Assez !… Inscrivez-vous à la queue… Allons, monsieurFavier, c’est à vous.

D’un regard, Favier, très amusé au fond de l’aventure, s’excusaauprès de son ami. Hutin, les lèvres pâles, avait détourné la tête.Ce qui l’enrageait, c’était qu’il connaissait bien la cliente, uneadorable blonde qui venait souvent au rayon et que les vendeursappelaient entre eux : « la jolie dame », ne sachantrien d’elle, pas même son nom. Elle achetait beaucoup, faisaitporter dans sa voiture, puis disparaissait. Grande, élégante, miseavec un charme exquis, elle paraissait fort riche et du meilleurmonde.

– Eh bien ! et votre cocotte ? demanda Hutin àFavier, lorsque celui-ci revint de la caisse, où il avaitaccompagné la dame.

– Oh ! une cocotte, répondit celui-ci. Non, elle al’air trop comme il faut. Ça doit être la femme d’un boursier oud’un médecin, enfin je ne sais pas, quelque chose dans cegenre.

– Laissez donc ! c’est une cocotte… Avec leurs airs defemmes distinguées, est-ce qu’on peut dire aujourd’hui !

Favier regardait son cahier de notes de débit.

– N’importe ! reprit-il, je lui en ai collé pour deuxcent quatre-vingt-treize francs. Ça me fait près de troisfrancs.

Hutin pinça les lèvres, et il soulagea sa rancune sur lescahiers de notes de débit : encore une drôle d’invention quileur encombrait les poches ! Il y avait entre eux une luttesourde. Favier, d’habitude, affectait de s’effacer, de reconnaîtrela supériorité de Hutin, quitte à le manger par-derrière. Aussi cedernier souffrait-il des trois francs emportés d’une façon siaisée, par un vendeur qu’il ne reconnaissait pas de sa force. Unebelle journée, vraiment ! Si ça continuait, il ne gagneraitpas de quoi payer de l’eau de seltz à ses invités. Et, dans labataille qui s’échauffait, il se promenait devant les comptoirs,les dents longues, voulant sa part, jalousant jusqu’à son chef, entrain de reconduire la jeune femme maigre, à laquelle ilrépétait :

– Eh bien ! c’est entendu. Dites-lui que je ferai monpossible pour obtenir cette faveur de M. Mouret.

Depuis longtemps, Mouret n’était plus à l’entresol, debout prèsde la rampe du hall. Brusquement, il reparut en haut du grandescalier qui descendait au rez-de-chaussée ; et, de là, ildomina encore la maison entière. Son visage se colorait, la foirenaissait et le grandissait, devant le flot de monde qui, peu àpeu, emplissait le magasin. C’était enfin la poussée attendue,l’écrasement de l’après-midi, dont il avait un instant désespéré,dans sa fièvre ; tous les commis se trouvaient à leur poste,un dernier coup de cloche venait de sonner la fin de la troisièmetable ; la désastreuse matinée, due sans doute à une aversetombée vers neuf heures, pouvait encore être réparée, car le cielbleu du matin avait repris sa gaieté de victoire. Maintenant, lesrayons de l’entresol s’animaient, il dut se ranger pour laisserpasser les dames qui, par petits groupes, montaient à la lingerieet aux confections ; tandis que, derrière lui, aux dentelleset aux châles, il entendait voler de gros chiffres. Mais la vue desgaleries, au rez-de-chaussée, le rassurait surtout : ons’écrasait devant la mercerie, le blanc et les lainages eux-mêmesétaient envahis, le défilé des acheteuses se serrait, presquetoutes en chapeau à présent, avec quelques bonnets de ménagèresattardées. Dans le hall des soieries, sous la blonde lumière, desdames s’étaient dégantées, pour palper doucement des pièces deParis-Bonheur, en causant à demi-voix. Et il ne se trompait plusaux bruits qui lui arrivaient du dehors, roulements de fiacres,claquement de portières, brouhaha grandissant de foule. Il sentait,à ses pieds, la machine se mettre en branle, s’échauffer etrevivre, depuis les caisses où l’or sonnait, depuis les tables oùles garçons de magasin se hâtaient d’empaqueter les marchandises,jusqu’aux profondeurs du sous-sol, au service du départ, quis’emplissait de paquets descendus, et dont le grondement souterrainfaisait vibrer la maison. Au milieu de la cohue, l’inspecteur Jouvese promenait gravement, guettant les voleuses.

– Tiens ! c’est toi ! dit Mouret tout à coup, enreconnaissant Paul de Vallagnosc, que lui amenait un garçon. Non,non, tu ne me déranges pas… Et, d’ailleurs, tu n’as qu’à me suivre,si tu veux tout voir, car aujourd’hui je reste sur la brèche.

Il gardait des inquiétudes. Sans doute le monde venait, mais lavente serait-elle le triomphe espéré ? Pourtant, il riait avecPaul, il l’emmena gaiement.

– Ça paraît vouloir s’allumer un peu, dit Hutin à Favier.Seulement, je n’ai pas de chance, il y a des jours de guignon, maparole !… Je viens encore de faire un Rouen, cette tuile nem’a rien acheté.

Et il désignait du menton une dame qui s’en allait, en jetantdes regards dégoûtés sur toutes les étoffes. Ce ne serait pas avecses mille francs d’appointements qu’il s’engraisserait, s’il nevendait rien ; d’habitude, il se faisait sept ou huit francsde tant pour cent et de guelte, ce qui lui donnait, avec son fixe,une dizaine de francs par jour, en moyenne. Favier n’arrivait guèrequ’à huit ; et voilà que ce sabot lui enlevait les morceaux dela bouche, car il sortait de débiter une nouvelle robe. Un garçonfroid qui n’avait jamais su égayer une cliente ! C’étaitexaspérant.

– Les bonnetons et les bobinards ont l’air de battremonnaie, murmura Favier en parlant des vendeurs de la bonneterie etde la mercerie.

Mais Hutin, qui fouillait le magasin du regard, ditbrusquement :

– Connaissez-vous Mme Desforges, la bonneamie du patron ?… Tenez ! cette brune à la ganterie,celle à qui Mignot essaye des gants.

Il se tut, puis il reprit tout bas, comme parlant à Mignot,qu’il ne quittait plus des yeux :

– Va, va, mon bonhomme, frotte-lui bien les doigts, pour ceque ça t’avance ! On les connaît, tes conquêtes !

Il y avait, entre lui et le gantier, une rivalité de jolishommes, qui tous deux affectaient de coqueter avec les clientes.D’ailleurs, ils n’auraient pu, ni l’un ni l’autre, se vanterd’aucune bonne fortune réelle ; Mignot vivait sur la légended’une femme de commissaire de police tombée amoureuse de lui,tandis que Hutin avait véritablement conquis à son rayon unepassementière, lasse de traîner dans les hôtels louches duquartier ; mais ils mentaient, ils laissaient volontierscroire à des aventures mystérieuses, à des rendez-vous donnés pardes comtesses, entre deux achats.

– Vous devriez la faire, dit Favier de son air depince-sans-rire.

– C’est une idée ! s’écria Hutin. Si elle vient ici,je l’entortille, il me faut cent sous !

À la ganterie, toute une rangée de dames étaient assises devantl’étroit comptoir, tendu de velours vert, à coins de métalnickelé ; et les commis souriants amoncelaient devant ellesles boîtes plates, d’un rose vif, qu’ils sortaient du comptoirmême, pareilles aux tiroirs étiquetés d’un cartonnier. Mignotsurtout penchait sa jolie figure poupine, donnait de tendresinflexions à sa voix grasseyante de Parisien. Déjà il avait vendu àMme Desforges douze paires de gants de chevreau,des gants Bonheur, la spécialité de la maison. Elle avait ensuitedemandé trois paires de gants de Suède. Et, maintenant, elleessayait des gants de Saxe, par crainte que la pointure ne fût pasexacte.

– Oh ! à la perfection, madame ! répétait Mignot.Le six trois quarts serait trop grand pour une main comme lavôtre.

À demi couché sur le comptoir, il lui tenait la main, prenaitles doigts un à un, faisant glisser le gant d’une caresse longue,reprise et appuyée ; et il la regardait, comme s’il eûtattendu, sur son visage, la défaillance d’une joie voluptueuse.Mais elle, le coude au bord du velours, le poignet levé, luilivrait ses doigts de l’air tranquille dont elle donnait son pied àsa femme de chambre, pour que celle-ci boutonnât ses bottines. Iln’était pas un homme, elle l’employait aux usages intimes avec sondédain familier des gens à son service, sans le regarder même.

– Je ne vous fais pas de mal, madame ?

Elle répondit non, d’un signe de tête. L’odeur des gants deSaxe, cette odeur de fauve comme sucrée du musc, la troublaitd’habitude ; et elle en riait parfois, elle confessait songoût pour ce parfum équivoque, où il y a de la bête en folie,tombée dans la boîte à poudre de riz d’une fille. Mais, devant cecomptoir banal, elle ne sentait pas les gants, ils ne mettaientaucune chaleur sensuelle entre elle et ce vendeur quelconquefaisant son métier.

– Et avec ça, madame ?

– Rien, merci… Veuillez porter ça à la caisse 10, pourMme Desforges, n’est-ce pas ?

En habituée de la maison, elle donnait son nom à une caisse et yenvoyait chacune de ses emplettes, sans se faire suivre par uncommis. Quand elle se fut éloignée, Mignot cligna les yeux, en setournant vers son voisin, auquel il aurait bien voulu laissercroire que des choses extraordinaires venaient de se passer.

– Hein ? murmura-t-il crûment, on la ganteraitjusqu’au bout !

Cependant, Mme Desforges continuait ses achats.Elle revint à gauche, s’arrêta au blanc, pour prendre destorchons ; puis, elle fit le tour, poussa jusqu’aux lainages,au fond de la galerie. Comme elle était contente de sa cuisinière,elle désirait lui donner une robe. Le rayon des lainages débordaitd’une foule compacte, toutes les petites-bourgeoises s’y portaient,tâtaient les étoffes, s’absorbaient en muets calculs ; et elledut s’asseoir un instant. Dans les cases s’étageaient de grossespièces, que les vendeurs descendaient, une à une, d’un brusqueeffort des bras. Aussi, commençaient-ils à ne plus se reconnaîtresur les comptoirs envahis, où les tissus se mêlaient ets’écroulaient. C’était une mer montante de teintes neutres, de tonssourds de laine, les gris fer, les gris jaunes, les gris bleus, oùéclataient çà et là des bariolures écossaises, un fond rouge sangde flanelle. Et les étiquettes blanches des pièces étaient commeune volée de rares flocons blancs, mouchetant un sol noir dedécembre.

Derrière une pile de popeline, Liénard plaisantait avec unegrande fille en cheveux, une ouvrière du quartier, envoyée par sapatronne pour rassortir du mérinos. Il abominait ces jours degrosse vente, qui lui cassaient les bras, et il tâchait d’esquiverla besogne, largement entretenu par son père, se moquant de vendre,en faisant tout juste assez pour ne pas être mis à la porte.

– Écoutez donc, mademoiselle Fanny, disait-il. Vous êtestoujours pressée… Est-ce que la vigogne croisée allait bien,l’autre jour ? Vous savez que j’irai toucher ma guelte chezvous.

Mais l’ouvrière s’échappait en riant, et Liénard se trouvadevant Mme Desforges, à laquelle il ne puts’empêcher de demander :

– Que désire madame ?

Elle voulait une robe pas chère, solide pourtant. Liénard, dansle but d’épargner ses bras, ce qui était son unique souci, manœuvrapour lui faire prendre une des étoffes déjà dépliées sur lecomptoir. Il y avait là des cachemires, des serges, des vigognes,et il lui jurait qu’il n’existait rien de meilleur, on n’en voyaitpas la fin. Mais aucun ne semblait la satisfaire. Elle avait avisé,dans une case, un escot bleuâtre. Alors, il finit par se décider,il descendit l’escot, qu’elle jugea trop rude. Ensuite, ce furentune cheviotte, des diagonales, des grisailles, toutes les variétésde la laine, qu’elle eut la curiosité de toucher, pour le plaisir,décidée au fond à prendre n’importe quoi. Le jeune homme dut ainsidéménager les cases les plus hautes ; ses épaules craquaient,le comptoir avait disparu sous le grain soyeux des cachemires etdes popelines, sous le poil rêche des cheviottes, sous le duvetpelucheux des vigognes. Tous les tissus et toutes les teintes ypassaient. Même, sans avoir la moindre envie d’en acheter, elle sefit montrer de la grenadine et de la gaze de Chambéry. Puis, quandelle en eut assez :

– Oh ! mon Dieu ! la première est encore lameilleure. C’est pour ma cuisinière… Oui, la serge à petitpointillé, celle à deux francs.

Et lorsque Liénard eut métré, pâle d’une colèrecontenue :

– Veuillez porter ça à la caisse 10… PourMme Desforges.

Comme elle s’éloignait, elle reconnut près d’elleMme Marty, accompagnée de sa fille Valentine, unegrande demoiselle de quatorze ans, maigre et hardie, qui jetaitdéjà sur les marchandises des regards coupables de femme.

– Tiens ! c’est vous, chère madame ?

– Mais oui, chère madame… Hein ? quellefoule !

– Oh ! ne m’en parlez pas, on étouffe. Unsuccès !… Avez-vous vu le salon oriental ?

– Superbe ! inouï !

Et, au milieu des coups de coude, bousculées par le flotcroissant des petites bourses qui se jetaient sur les lainages àbon marché, elles se pâmèrent au sujet de l’exposition des tapis.Puis, Mme Marty expliqua qu’elle cherchait uneétoffe pour un manteau ; mais elle n’était pas fixée, elleavait voulu se faire montrer du matelassé de laine.

– Regarde donc, maman, murmura Valentine, c’est tropcommun.

– Venez à la soie, dit Mme Desforges. Ilfaut voir leur fameux Paris-Bonheur.

Un instant, Mme Marty hésita. Ce serait biencher, elle avait si formellement juré à son mari d’êtreraisonnable ! Depuis une heure, elle achetait, tout un lotd’articles la suivait déjà, un manchon et des ruches pour elle, desbas pour sa fille. Elle finit par dire au commis qui lui montraitle matelassé :

– Eh bien ! non, je vais à la soie… Tout cela ne faitpas mon affaire.

Le commis prit les articles et marcha devant ces dames.

À la soie, la foule était aussi venue. On s’écrasait surtoutdevant l’étalage intérieur, dressé par Hutin, et où Mouret avaitdonné les touches du maître. C’était, au fond du hall, autour d’unedes colonnettes de fonte qui soutenaient le vitrage, comme unruissellement d’étoffe, une nappe bouillonnée tombant de haut ets’élargissant jusqu’au parquet. Des satins clairs et des soiestendres jaillissaient d’abord : les satins à la reine, lessatins renaissance, aux tons nacrés d’eau de source ; lessoies légères aux transparences de cristal, vert Nil, ciel indien,rose de mai, bleu Danube. Puis, venaient des tissus plus forts, lessatins merveilleux, les soies duchesse, teintes chaudes, roulant àflots grossis. Et, en bas, ainsi que dans une vasque, dormaient lesétoffes lourdes, les armures façonnées, les damas, les brocarts,les soies perlées et lamées, au milieu d’un lit profond de velours,tous les velours, noirs, blancs, de couleur, frappés à fond de soieou de satin, creusant avec leurs taches mouvantes un lac immobileoù semblaient danser des reflets de ciel et de paysage. Des femmes,pâles de désirs, se penchaient comme pour se voir. Toutes, en facede cette cataracte lâchée, restaient debout, avec la peur sourded’être prises dans le débordement d’un pareil luxe et avecl’irrésistible envie de s’y jeter et de s’y perdre.

– Te voilà donc ! dit Mme Desforges,en trouvant Mme Bourdelais installée devant uncomptoir.

– Tiens ! bonjour ! répondit celle-ci, qui serrales mains à ces dames. Oui, je suis entrée donner un coupd’œil.

– Hein ? c’est prodigieux, cet étalage ! On enrêve… Et le salon oriental, as-tu vu le salon oriental ?

– Oui, oui, extraordinaire !

Mais, sous cet enthousiasme qui allait être décidément la noteélégante du jour, Mme Bourdelais gardait sonsang-froid de ménagère pratique. Elle examinait avec soin une piècede Paris-Bonheur, car elle était uniquement venue pour profiter dubon marché exceptionnel de cette soie, si elle la jugeaitréellement avantageuse. Sans doute elle en fut contente, elle endemanda vingt-cinq mètres, comptant bien couper là-dedans une robepour elle et un paletot pour sa petite fille.

– Comment ! tu pars déjà ? repritMme Desforges. Fais donc un tour avec nous.

– Non, merci, on m’attend chez moi… Je n’ai pas voulurisquer les enfants dans cette foule.

Et elle s’en alla, précédée du vendeur qui portait lesvingt-cinq mètres de soie, et qui la conduisit à la caisse 10, oùle jeune Albert perdait la tête, au milieu des demandes de facturesdont il était assiégé. Quand le vendeur put s’approcher, aprèsavoir débité sa vente d’un trait de crayon sur son cahier àsouches, il appela cette vente, que le caissier inscrivit auregistre ; puis, il y eut un contre-appel, et la feuilledétachée du cahier fut embrochée dans une pique de fer, près dutimbre aux acquits.

– Cent quarante francs, dit Albert.

Mme Bourdelais paya et donna son adresse, carelle était à pied, elle ne voulait pas s’embarrasser les mains.Déjà, derrière la caisse, Joseph tenait la soie,l’empaquetait ; et le paquet, jeté dans un panier roulant, futdescendu au service du départ, où toutes les marchandises dumagasin semblaient maintenant vouloir s’engouffrer avec un bruitd’écluse.

Cependant, l’encombrement devenait tel à la soie, queMme Desforges et Mme Marty nepurent d’abord trouver un commis libre. Elles restèrent debout,mêlées à la foule des dames qui regardaient les étoffes, lestâtaient, stationnaient là des heures, sans se décider. Mais ungrand succès s’indiquait surtout pour le Paris-Bonheur, autourduquel grandissait une de ces poussées d’engouement, dont labrusque fièvre décide d’une mode en un jour. Tous les vendeursn’étaient occupés qu’à métrer de cette soie ; on voyait,au-dessus des chapeaux, luire l’éclair pâle des lés dépliés, dansle continuel va-et-vient des doigts le long des mètres de chêne,suspendus à des tiges de cuivre ; on entendait le bruit desciseaux mordant le tissu, et cela sans arrêt, au fur et à mesure dudéballage, comme s’il n’y avait pas eu assez de bras pour suffireaux mains gloutonnes et tendues des clientes.

– C’est qu’elle n’est vraiment pas vilaine pour cinq francssoixante, dit Mme Desforges, qui avait réussi às’emparer d’une pièce, sur le bord d’une table.

Mme Marty et sa fille Valentine éprouvaient unedésillusion. Les journaux en avaient tant parlé, qu’elless’attendaient à quelque chose de plus fort et de plus brillant.Mais Bouthemont venait de reconnaîtreMme Desforges, et désireux de faire sa cour à unebelle personne qu’on prétendait toute-puissante sur le patron, ils’avançait avec son amabilité un peu grosse. Comment ! on nela servait pas ! c’était impardonnable ! Elle devait semontrer indulgente, car on ne savait vraiment plus où donner de latête. Et il cherchait des chaises au milieu des jupes voisines, ilriait de son rire bon enfant, où il y avait un amour brutal de lafemme, qui ne semblait pas déplaire à Henriette.

– Dites donc, murmura Favier, en allant prendre un cartonde velours dans une case, derrière Hutin, voilà Bouthemont qui vousfait votre particulière.

Hutin avait oublié Mme Desforges, mis hors delui par une vieille dame, qui, après l’avoir gardé un quartd’heure, venait d’acheter un mètre de satin noir pour un corset.Dans les moments de presse, on ne tenait plus compte du tableau deligne, les vendeurs servaient au hasard des clientes. Et ilrépondait à Mme Boutarel, en train d’achever sonaprès-midi au Bonheur des Dames, où elle était déjà restée troisheures le matin, lorsque l’avertissement de Favier lui causa unsursaut. Est-ce qu’il allait manquer la bonne amie du patron, dontil avait juré de tirer cent sous ? Ce serait le comble de lamalchance, car il ne s’était pas encore fait trois francs, avectous ces autres chignons qui traînaient !

Bouthemont, justement, répétait très haut :

– Voyons, messieurs, quelqu’un par ici !

Alors, Hutin passa Mme Boutarel à Robineauinoccupé.

– Tenez ! madame, adressez-vous au second… il vousrépondra mieux que moi.

Et il se précipita, il se fit remettre les articles deMme Marty par le vendeur aux lainages, qui avaitaccompagné ces dames. Ce jour-là, une excitation nerveuse devaittroubler la délicatesse de son flair. D’habitude, au premier coupd’œil jeté sur une femme, il disait si elle achèterait, et laquantité. Puis, il dominait la cliente, il se hâtait de l’expédierpour passer à une autre, en lui imposant son choix, en luipersuadant qu’il savait mieux qu’elle l’étoffe dont elle avaitbesoin.

– Madame, quel genre de soie ? demanda-t-il de son airle plus galant.

Mme Desforges ouvrait à peine la bouche, qu’ilreprenait :

– Je sais, j’ai votre affaire.

Quand la pièce de Paris-Bonheur fut dépliée, sur un coin étroitdu comptoir, entre des amoncellements d’autres soies,Mme Marty et sa fille s’approchèrent. Hutin, un peuinquiet, comprit qu’il s’agissait d’abord d’une fourniture pourcelles-ci. Des paroles à demi-voix s’échangeaient,Mme Desforges conseillait son amie.

– Oh ! sans doute, murmurait-elle, une soie de cinqfrancs soixante n’en vaudra jamais une de quinze, ni même une dedix.

– Elle est bien chiffon, répétaitMme Marty. J’ai peur que, pour un manteau, ellen’ait point assez de corps.

Cette remarque fit intervenir le vendeur. Il avait une politesseexagérée d’homme qui ne peut se tromper.

– Mais, madame, la souplesse est la qualité de cette soie.Elle ne se chiffonne pas… C’est absolument ce qu’il vous faut.

Impressionnées par une telle assurance, ces dames se taisaient.Elles avaient repris l’étoffe, l’examinaient de nouveau,lorsqu’elles se sentirent touchées à l’épaule. C’étaitMme Guibal qui, depuis une heure, marchait dans lemagasin, d’un pas de promenade, donnant à ses yeux la joie desrichesses entassées, sans acheter seulement un mètre de calicot. Etil y eut encore là une explosion de bavardages.

– Comment ! c’est vous !

– Oui, c’est moi, un peu bousculée seulement.

– N’est-ce pas ? il y a du monde, on ne circule plus…Et le salon oriental ?

– Ravissant !

– Mon Dieu ! quel succès !… Restez donc, nousirons là-haut ensemble.

– Non, merci, j’en viens.

Hutin attendait, cachant son impatience sous le sourire qui nequittait pas ses lèvres. Est-ce qu’elles allaient le tenirlongtemps là ? Les femmes vraiment se gênaient peu, c’étaitcomme si elles lui avaient volé de l’argent dans sa bourse. Enfin,Mme Guibal s’éloigna, continua sa lente promenadeen tournant d’un air ravi, autour du grand étalage de soies.

– Moi, à votre place, j’achèterais le manteau tout fait,dit Mme Desforges en revenant au Paris-Bonheur, çavous coûtera moins cher.

– Il est vrai qu’avec les garnitures et la façon, murmuraMme Marty. Puis, on a le choix.

Toutes trois s’étaient levées. Mme Desforgesreprit, debout devant Hutin :

– Veuillez nous conduire aux confections.

Il resta saisi, n’étant pas habitué à de pareilles défaites.Comment ! la dame brune n’achetait rien ! son flairl’avait donc trompé ! Il abandonna Mme Marty,il insista auprès d’Henriette, essaya sur elle sa puissance de bonvendeur.

– Et vous, madame, ne désirez-vous pas voir nos satins, nosvelours ?… Nous avons des occasions extraordinaires.

– Merci, une autre fois, répondit-elle tranquillement, enne le regardant pas plus qu’elle n’avait regardé Mignot.

Hutin dut reprendre les articles de Mme Marty etmarcher devant ces dames, pour les mener aux confections. Mais ileut encore la douleur de voir que Robineau était en train de vendreà Mme Boutarel un fort métrage de soie. Décidément,il n’avait plus de nez, il ne ferait pas quatre sous. Une raged’homme dépouillé, mangé par les autres, s’aigrissait sous lacorrection aimable de ses manières.

– Au premier, mesdames, dit-il sans cesser de sourire.

Ce n’était plus chose facile que de gagner l’escalier. Une houlecompacte de têtes roulait sous les galeries, s’élargissant enfleuve débordé au milieu du hall. Toute une bataille du négocemontait, les vendeurs tenaient à merci ce peuple de femmes, qu’ilsse passaient des uns aux autres, en luttant de hâte. L’heure étaitvenue du branle formidable de l’après-midi, quand la machinesurchauffée menait la danse des clientes et leur tirait l’argent dela chair. À la soie surtout, une folie soufflait, le Paris-Bonheurameutait une foule telle, que, pendant plusieurs minutes, Hutin neput faire un pas ; et Henriette, suffoquée, ayant levé lesyeux, aperçut en haut de l’escalier Mouret, qui revenait toujours àcette place, d’où il voyait la victoire. Elle sourit, espérantqu’il descendrait la dégager. Mais il ne la distinguait même pasdans la cohue, il était encore avec Vallagnosc, occupé à luimontrer la maison, la face rayonnante de triomphe. Maintenant, latrépidation intérieure étouffait les bruits du dehors ; onn’entendait plus ni le roulement des fiacres, ni le battement desportières ; il ne restait, au-delà du grand murmure de lavente, que le sentiment de Paris immense, d’une immensité quitoujours fournirait des acheteuses. Dans l’air immobile, oùl’étouffement du calorifère attiédissait l’odeur des étoffes, lebrouhaha augmentait, fait de tous les bruits, du piétinementcontinu, des mêmes phrases cent fois répétées autour des comptoirs,de l’or sonnant sur le cuivre des caisses assiégées par unebousculade de porte-monnaie, des paniers roulants dont les chargesde paquets tombaient sans relâche dans les caves béantes. Et, sousla fine poussière, tout arrivait à se confondre, on nereconnaissait pas la division des rayons : là-bas, la mercerieparaissait noyée ; plus loin, au blanc, un angle de soleil,entré par la vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin, était commeune flèche d’or dans la neige ; ici, à la ganterie et auxlainages, une masse épaisse de chapeaux et de chignons barrait leslointains du magasin. On ne voyait même plus les toilettes, lescoiffures seules surnageaient, bariolées de plumes et derubans ; quelques chapeaux d’homme mettaient des tachesnoires, tandis que le teint pâle des femmes, dans la fatigue et lachaleur, prenait des transparences de camélia. Enfin, grâce à sescoudes vigoureux, Hutin ouvrit un chemin à ces dames en marchantdevant elles. Mais, quand elle eut monté l’escalier, Henriette netrouva plus Mouret, qui venait de plonger Vallagnosc en pleinefoule, pour achever de l’étourdir, et pris lui-même du besoinphysique de ce bain du succès. Il perdait délicieusement haleine,c’était là contre ses membres comme un long embrassement de toutesa clientèle.

– À gauche, mesdames, dit Hutin, de sa voix prévenante,malgré son exaspération qui grandissait.

En haut, l’encombrement était le même. On envahissait jusqu’aurayon de l’ameublement, le plus calme d’ordinaire. Les châles, lesfourrures, la lingerie grouillaient de monde. Comme ces damestraversaient le rayon des dentelles, une nouvelle rencontre seproduisit. Mme de Boves était là, avec safille Blanche, toutes deux enfoncées dans des articles que Delocheleur montrait. Et Hutin dut faire encore une station, le paquet àla main.

– Bonjour !… Je pensais à vous.

– Moi, je vous ai cherchée. Mais comment voulez-vous qu’onse retrouve, au milieu de ce monde ?

– C’est magnifique, n’est-ce pas ?

– Éblouissant, ma chère. Nous ne tenons plus debout.

– Et vous achetez ?

– Oh ! non, nous regardons. Ça nous repose un peu,d’être assises.

En effet, Mme de Boves, n’ayant guère dansson porte-monnaie que l’argent de sa voiture, faisait sortir descartons toutes sortes de dentelles, pour le plaisir de les voir etde les toucher. Elle avait senti chez Deloche le vendeur débutant,d’une gaucherie lente, qui n’ose résister aux caprices desdames ; et elle abusait de sa complaisance effarée, elle letenait depuis une demi-heure, demandant toujours de nouveauxarticles. Le comptoir débordait, elle plongeait les mains dans ceflot montant de guipures, de malines, de valenciennes, dechantilly, les doigts tremblants de désir, le visage peu à peuchauffé d’une joie sensuelle ; tandis que Blanche, prèsd’elle, travaillée de la même passion, était très pâle, la chairsoufflée et molle.

Cependant, la conversation continuait, Hutin les aurait giflées,immobile, attendant leur bon plaisir.

– Tiens ! dit Mme Marty, vous regardezdes cravates et des voilettes pareilles aux miennes.

C’était vrai, Mme de Boves, que lesdentelles de Mme Marty tourmentaient depuis lesamedi, n’avait pu résister au besoin de se frotter du moins auxmêmes modèles, puisque la gêne où son mari la laissait ne luipermettait pas de les emporter. Elle rougit légèrement, elleexpliqua que Blanche avait voulu voir les cravates de blondeespagnole. Puis, elle ajouta :

– Vous allez aux confections… Eh bien ! à tout àl’heure. Voulez-vous dans le salon oriental ?

– C’est ça, dans le salon oriental… Hein ?superbe !

Elles se séparèrent en se pâmant, au milieu de l’encombrementproduit par la vente des entre-deux et des petites garnitures à basprix. Deloche, heureux d’être occupé, s’était remis à vider lescartons devant la mère et la fille. Et, lentement, parmi lesgroupes pressés le long des comptoirs, l’inspecteur Jouve sepromenait de son allure militaire, étalant sa décoration, gardantces marchandises précieuses et fines, si faciles à cacher au fondd’une manche. Quand il passa derrièreMme de Boves, surpris de la voir les brasplongés dans un tel flot de dentelles, il jeta un regard vif surses mains fiévreuses.

– À droite, mesdames, dit Hutin en reprenant sa marche.

Il était hors de lui. N’était-ce donc pas assez de lui fairemanquer une vente, en bas ? Voilà qu’elles l’attardaientmaintenant, à chaque détour du magasin ! Et, dans sonirritation, il y avait surtout la rancune des rayons de tissuscontre les rayons d’articles confectionnés, en lutte continuelle,se disputant les clientes, se volant leur tant pour cent et leurguelte. La soie, plus que les lainages encore, enrageait, lorsqu’illui fallait conduire aux confections une dame, qui se décidait pourun manteau, après s’être fait montrer des taffetas et desfailles.

– Mademoiselle Vadon ! dit Hutin d’une voix qui sefâchait, lorsqu’il fut enfin dans le comptoir.

Mais celle-ci passa sans l’écouter, toute à une vente qu’ellebâclait. La pièce était pleine, une queue de monde la traversaitdans un bout, entrant et sortant par la porte des dentelles etcelle de la lingerie, qui se faisaient face ; tandis que, aufond, des clientes en taille essayaient des vêtements, les reinscambrés devant les glaces. La moquette rouge étouffait le bruit despas, la voix haute et lointaine du rez-de-chaussée se mourait, cen’était plus que le murmure discret, la chaleur d’un salon,alourdie par toute une cohue de femmes.

– Mademoiselle Prunaire ! cria Hutin.

Et, comme celle-là ne s’arrêtait pas davantage, il ajouta entreses dents, de manière à ne pouvoir être entendu :

– Tas de guenons !

Lui, surtout, ne les aimait guère, les jambes cassées de monterl’escalier pour leur amener des acheteuses, furieux du gain qu’illes accusait de lui prendre ainsi dans la poche. C’était une luttesourde, où elles-mêmes apportaient une égale âpreté ; et, dansleur fatigue commune, toujours sur pied, la chair morte, les sexesdisparaissaient, il ne restait plus face à face que des intérêtscontraires, irrités par la fièvre du négoce.

– Alors, il n’y a personne ? demanda Hutin.

Mais il aperçut Denise. On l’occupait au déplié depuis le matin,on ne lui avait abandonné que quelques ventes douteuses, qu’elleavait manquées d’ailleurs. Quand il la reconnut, occupée àdébarrasser une table d’un tas énorme de vêtements, il courut lachercher.

– Tenez ! mademoiselle, servez donc ces dames quiattendent.

Vivement, il lui mit sur le bras les articles deMme Marty, qu’il était las de promener. Son sourirerevenait, et il y avait, dans ce sourire, la secrète méchancetéd’un vendeur d’expérience, se doutant de l’embarras où il allaitjeter ces dames et la jeune fille. Celle-ci, cependant, demeuraittout émue devant cette vente inespérée qui se présentait. Pour laseconde fois, il lui apparaissait comme un ami inconnu, fraternelet tendre, toujours prêt dans l’ombre à la sauver. Ses yeuxbrillèrent de gratitude, elle le suivit d’un long regard, pendantqu’il jouait des coudes, afin de regagner son rayon au plusvite.

– Je désirerais un manteau, ditMme Marty.

Alors, Denise la questionna. Quel genre de manteau ? Maisla cliente n’en savait rien, elle n’avait pas d’idée, elle voulaitvoir les modèles de la maison. Et la jeune fille, très lasse déjà,étourdie par le monde, perdit la tête ; elle n’avait jamaisservi qu’une clientèle rare, chez Cornaille, à Valognes ; elleignorait encore le nombre des modèles, et leur place, dans lesarmoires. Aussi n’en finissait-elle plus de répondre aux deux amiesqui s’impatientaient, lorsque Mme Aurélie aperçutMme Desforges, dont elle devait connaître laliaison, car elle se hâta de venir demander :

– On s’occupe de ces dames ?

– Oui, cette demoiselle qui cherche là-bas, réponditHenriette. Mais elle n’a pas l’air très au courant, elle ne trouverien.

Du coup, la première acheva de paralyser Denise, en allant luidire à demi-voix :

– Vous voyez bien que vous ne savez pas. Tenez-voustranquille, je vous prie.

Et appelant :

– Mademoiselle Vadon, un manteau !

Elle resta, pendant que Marguerite montrait les modèles.Celle-ci prenait avec les clientes une voix sèchement polie, uneattitude désagréable de fille vêtue de soie, frottée à toutes lesélégances, dont elle gardait, à son insu même, la jalousie et larancune. Lorsqu’elle entendit Mme Marty direqu’elle ne voulait pas dépasser deux cents francs, elle eut unemoue de pitié. Oh ! madame mettrait davantage, il étaitimpossible avec deux cents francs que madame trouvât quelque chosede convenable. Et elle jetait, sur un comptoir, les manteauxordinaires, d’un geste qui signifiait : « Voyez donc,est-ce pauvre ! » Mme Marty n’osait lestrouver bien. Elle se pencha pour murmurer à l’oreille deMme Desforges :

– Hein ? n’aimez-vous pas mieux être servie par deshommes ?… On est plus à l’aise.

Enfin, Marguerite apporta un manteau de soie garni de jais,qu’elle traitait avec respect. Et Mme Aurélieappela Denise.

– Servez à quelque chose, au moins… Mettez ça sur vosépaules.

Denise, frappée au cœur, désespérant de jamais réussir dans lamaison, était demeurée immobile, les mains ballantes. On allait larenvoyer sans doute, les enfants seraient sans pain. Le brouhaha dela foule bourdonnait dans sa tête, elle se sentait chanceler, lesmuscles meurtris d’avoir soulevé des brassées de vêtements, besognede manœuvre qu’elle n’avait jamais faite. Pourtant, il lui fallutobéir, elle dut laisser Marguerite draper le manteau sur elle,comme sur un mannequin.

– Tenez-vous droite, dit Mme Aurélie.

Mais, presque aussitôt, on oublia Denise. Mouret venait d’entreravec Vallagnosc et Bourdoncle ; et il saluait ces dames, ilrecevait leurs compliments pour sa magnifique exposition desnouveautés d’hiver. On se récria forcément sur le salon oriental.Vallagnosc, qui achevait sa promenade à travers les comptoirs,témoignait plus de surprise que d’admiration ; car, aprèstout, pensait-il dans sa nonchalance de pessimiste, ce n’étaitjamais que beaucoup de calicot à la fois. Quant à Bourdoncle, iloubliait qu’il était de l’établissement, il félicitait aussi sonpatron, afin de lui faire oublier ses doutes et ses persécutionsinquiètes du matin.

– Oui, oui, ça marche assez bien, je suis content, répétaitMouret radieux, répondant par un sourire aux tendres regardsd’Henriette. Mais il ne faut pas que je vous dérange, mesdames.

Alors, tous les yeux revinrent sur Denise. Elle s’abandonnaitaux mains de Marguerite, qui la faisait tourner lentement.

– Hein ? qu’en pensez-vous ? demandaMme Marty à Mme Desforges.

Cette dernière décidait, en arbitre suprême de la mode.

– Il n’est pas mal, et de coupe originale… Seulement, il mesemble peu gracieux de la taille.

– Oh ! intervint Mme Aurélie, ilfaudrait le voir sur madame elle-même… Vous comprenez, il ne faitaucun effet sur mademoiselle, qui n’est guère étoffée…Redressez-vous donc, mademoiselle, donnez-lui toute sonimportance.

On sourit. Denise était devenue très pâle. Une honte la prenait,d’être ainsi changée en une machine qu’on examinait et dont onplaisantait librement. Mme Desforges, cédant à uneantipathie de nature contraire, agacée par le visage doux de lajeune fille, ajouta méchamment :

– Sans doute, il irait mieux si la robe de mademoiselleétait moins large.

Et elle jetait à Mouret le regard moqueur d’une Parisienne, quel’attifement ridicule d’une provinciale égayait. Celui-ci sentit lacaresse amoureuse de ce coup d’œil, le triomphe de la femmeheureuse de sa beauté et de son art. Aussi, par gratitude d’hommeadoré, crut-il devoir railler à son tour, malgré la bienveillancequ’il éprouvait pour Denise, dont sa nature galante subissait lecharme secret.

– Puis, il faudrait être peignée, murmura-t-il.

Ce fut le comble. Le directeur daignait rire, toutes cesdemoiselles éclatèrent. Marguerite risqua un léger gloussement defille distinguée qui se retient ; Clara avait lâché une vente,pour se faire du bon sang à son aise ; même des vendeuses dela lingerie étaient venues, attirées par la rumeur. Quant à cesdames, elles s’amusaient plus discrètement, d’un air d’intelligencemondaine ; tandis que, seul, le profil impérial deMme Aurélie ne riait pas, comme si les beauxcheveux sauvages et les fines épaules virginales de la débutantel’eussent déshonorée, dans la bonne tenue de son rayon. Deniseavait encore pâli, au milieu de tout ce monde qui se moquait. Ellese sentait violentée, mise à nu, sans défense. Quelle était donc safaute, pour qu’on s’attaquât de la sorte à sa taille trop mince, àson chignon trop lourd ? Mais elle souffrait surtout du rirede Mouret et de Mme Desforges, avertie par uninstinct de leur entente, le cœur défaillant d’une douleurinconnue ; cette dame était bien mauvaise, de s’en prendreainsi à une pauvre fille qui ne disait rien ; et lui,décidément, la glaçait d’une peur où tous ses autres sentimentssombraient, sans qu’elle pût les analyser. Alors, dans son abandonde paria, atteinte à ses plus intimes pudeurs de femme et révoltéecontre l’injustice, elle étrangla les sanglots qui lui montaient àla gorge.

– N’est-ce pas ? Qu’elle se peigne demain, c’estinconvenant, répétait à Mme Aurélie le terribleBourdoncle, qui dès l’arrivée avait condamné Denise, plein demépris pour ses petits membres.

Et la première vint enfin enlever le manteau des épaules decelle-ci, en lui disant tout bas :

– Eh bien ! mademoiselle, voilà un joli début.Vraiment, si vous avez voulu montrer ce dont vous êtes capable… Onn’est pas plus sotte.

Denise, de peur que les larmes ne lui jaillissent des yeux, sehâta de retourner au tas de vêtements qu’elle transportait etqu’elle classait sur un comptoir. Là, au moins, elle était perduedans la foule, la fatigue l’empêchait de penser. Mais elle sentitprès d’elle la vendeuse de la lingerie, qui, le matin déjà, avaitpris sa défense. Cette dernière venait de suivre la scène, elle luimurmurait à l’oreille :

– Ma pauvre fille, ne soyez donc pas si sensible. Renfoncezça, autrement on vous en fera bien d’autres… Moi qui vous parle, jesuis de Chartres. Oui, parfaitement, Pauline Cugnot ; et mesparents sont meuniers, là-bas… Eh bien ! on m’aurait mangée,les premiers jours, si je ne m’étais pas mise en travers… Allons,du courage ! donnez-moi la main, nous causerons gentiment,quand vous voudrez.

Cette main qui se tendait, redoubla le trouble de Denise. Ellela serra furtivement, elle se hâta d’enlever une lourde charge depaletots, craignant encore de mal faire et d’être grondée, si onlui savait une amie.

Cependant, Mme Aurélie elle-même venait de poserle manteau sur les épaules de Mme Marty, et l’on serécriait : Oh ! très bien ! ravissant ! tout desuite, ça prenait une tournure. Mme Desforgesdéclara qu’on ne trouverait pas mieux. Il y eut des saluts, Mouretprit congé, tandis que Vallagnosc, qui avait aperçu aux dentellesMme de Boves et sa fille, se hâta d’alleroffrir son bras à la mère. Déjà Marguerite, debout devant une descaisses de l’entresol, appelait les divers achats deMme Marty, qui paya et qui donna l’ordre de porterle paquet dans sa voiture. Mme Desforges avaitretrouvé tous ses articles à la caisse 10. Puis, ces dames serencontrèrent une fois encore dans le salon oriental. Ellespartaient, mais ce fut au milieu d’une crise bavarde d’admiration.Mme Guibal elle-même s’exaltait.

– Oh ! délicieux !… On se diraitlà-bas !

– N’est-ce pas, un vrai harem ? Et pas cher !

– Les Smyrne, ah ! les Smyrne ! quels tons,quelle finesse !

– Et ce Kurdistan, voyez donc ! unDelacroix !

Lentement, la foule diminuait. Des volées de cloche, à une heured’intervalle, avaient déjà sonné les deux premières tables dusoir ; la troisième allait être servie, et dans les rayons,peu à peu déserts, il ne restait que des clientes attardées, à quileur rage de dépense faisait oublier l’heure. Du dehors, nevenaient plus que les roulements des derniers fiacres, au milieu dela voix empâtée de Paris, un ronflement d’ogre repu, digérant lestoiles et les draps, les soies et les dentelles, dont on le gavaitdepuis le matin. À l’intérieur, sous le flamboiement des becs degaz, qui, brûlant dans le crépuscule, avaient éclairé les secoussessuprêmes de la vente, c’était comme un champ de bataille encorechaud du massacre des tissus. Les vendeurs, harassés de fatigue,campaient parmi la débâcle de leurs casiers et de leurs comptoirs,que paraissait avoir saccagés le souffle furieux d’un ouragan. Onlongeait avec peine les galeries du rez-de-chaussée, obstruées parla débandade des chaises ; il fallait enjamber, à la ganterie,une barricade de cartons, entassés autour de Mignot ; auxlainages, on ne passait plus du tout, Liénard sommeillait au-dessusd’une mer de pièces, où des piles restées debout, à moitiédétruites, semblaient des maisons dont un fleuve débordé charrieles ruines ; et, plus loin, le blanc avait neigé à terre, onbutait contre des banquises de serviettes, on marchait sur lesflocons légers des mouchoirs. Mêmes ravages en haut, dans lesrayons de l’entresol : les fourrures jonchaient les parquets,les confections s’amoncelaient comme des capotes de soldats mishors de combat, les dentelles et la lingerie, dépliées, froissées,jetées au hasard, faisaient songer à un peuple de femmes qui seserait déshabillé là, dans le désordre d’un coup de désir ;tandis que, en bas, au fond de la maison, le service du départ, enpleine activité, dégorgeait toujours les paquets dont il éclataitet qu’emportaient les voitures, dernier branle de la machinesurchauffée. Mais, à la soie surtout, les clientes s’étaient ruéesen masse ; là, elles avaient fait place nette ; on ypassait librement, le hall restait nu, tout le colossalapprovisionnement du Paris-Bonheur venait d’être déchiqueté,balayé, comme sous un vol de sauterelles dévorantes. Et, au milieude ce vide, Hutin et Favier feuilletaient leurs cahiers de débit,calculaient leur tant pour cent, essoufflés de la lutte. Faviers’était fait quinze francs, Hutin n’avait pu arriver qu’à treize,battu ce jour-là, enragé de sa mauvaise chance. Leurs yeuxs’allumaient de la passion du gain, tout le magasin autour d’euxalignait également des chiffres et flambait d’une même fièvre, dansla gaieté brutale des soirs de carnage.

– Eh bien ! Bourdoncle, cria Mouret, tremblez-vousencore ?

Il était revenu à son poste favori, en haut de l’escalier del’entresol, contre la rampe ; et, devant le massacre d’étoffesqui s’étalait sous lui, il avait un rire victorieux. Ses craintesdu matin, ce moment d’impardonnable faiblesse que personne neconnaîtrait jamais, le jetait à un besoin tapageur de triomphe. Lacampagne était donc définitivement gagnée, le petit commerce duquartier mis en pièces, le baron Hartmann conquis, avec sesmillions et ses terrains. Pendant qu’il regardait les caissierspenchés sur leurs registres, additionnant les longues colonnes dechiffres, pendant qu’il écoutait le petit bruit de l’or, tombant deleurs doigts dans les sébiles de cuivre, il voyait déjà le Bonheurdes Dames grandir démesurément, élargir son hall, prolonger sesgaleries jusqu’à la rue du Dix-Décembre.

– Et maintenant, reprit-il, êtes-vous convaincu que lamaison est trop petite ?… On aurait vendu le double.

Bourdoncle s’humiliait, ravi du reste d’être dans son tort. Maisun spectacle les rendit graves. Comme tous les soirs, Lhomme,premier caissier de la vente, venait de centraliser les recettesparticulières de chaque caisse ; après les avoir additionnées,il affichait la recette totale, en embrochant dans sa pique de ferla feuille où elle était inscrite ; et il montait ensuitecette recette à la caisse centrale, dans un portefeuille et dansdes sacs, selon la nature du numéraire. Ce jour-là, l’or etl’argent dominaient, il gravissait lentement l’escalier, portanttrois sacs énormes. Privé de son bras droit, coupé au coude, il lesserrait de son bras gauche contre sa poitrine, il en maintenait unavec son menton, pour l’empêcher de glisser. Son souffle forts’entendait de loin, il passait, écrasé et superbe, au milieu durespect des commis.

– Combien, Lhomme ? demanda Mouret.

Le caissier répondit :

– Quatre-vingt mille sept cent quarante-deux francs dixcentimes !

Un rire de jouissance souleva le Bonheur des Dames. Le chiffrecourait. C’était le plus gros chiffre qu’une maison de nouveautéseût encore jamais atteint en un jour.

Et, le soir, lorsque Denise monta se coucher, elle s’appuyaitaux cloisons de l’étroit corridor, sous le zinc de la toiture. Danssa chambre, la porte fermée, elle s’abandonna sur le lit, tellementles pieds lui faisaient du mal. Longtemps, elle regarda d’un airhébété la table de toilette, l’armoire, toute cette nudité d’hôtelgarni. C’était donc là qu’elle allait vivre ; et sa premièrejournée se creusait, abominable, sans fin. Jamais elle netrouverait le courage de la recommencer. Puis, elle s’aperçutqu’elle était vêtue de soie ; cet uniforme l’accablait, elleeut l’enfantillage, pour défaire sa malle, de vouloir remettre savieille robe de laine, restée au dossier d’une chaise. Mais quandelle fut rentrée dans ce pauvre vêtement à elle, une émotionl’étrangla, les sanglots qu’elle contenait depuis le matincrevèrent brusquement en un flot de larmes chaudes. Elle étaitretombée sur le lit, elle pleurait au souvenir de ses deux enfants,elle pleurait toujours sans avoir la force de se déchausser, ivrede fatigue et de tristesse.

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