Contes et nouvelles en vers – Tome II

Qui craint d’aimer, a tort selon mon sens

S’il ne fuit pas dès qu’il voit une belle.

Je vous connais objets doux et puissants :

Plus ne m’irai brûler à la chandelle.

Une vertu sort de vous ne sais quelle,

Qui dans le cœur s’introduit par les yeux.

Ce qu’elle y fait, besoin n’est de le dire :

On meurt d’amour, on languit, on soupire.

Pas ne tiendrait aux gens qu’on ne fit mieux.

À tels périls ne faut qu’on s’abandonne.

J’en vais donner pour preuve une personne

Dont la beauté fit trébucher Rustic.

Il en avint un fort plaisant trafic :

Plaisant fut-il, au pêché près, sans faute :

Car pour ce point, je l’excepte et je l’ôte :

Et ne suis pas du goût de celle-là !

Qui buvant frais (ce fut je pense à Rome)

Disait : « Que n’est-ce un pêché que cela ! »

Je la condamne ; et veux prouver en somme

Qu’il fait bon craindre encor que l’on soit saint.

Rien n’est plus vrai. Si Rustic avait craint,

Il n’aurait pas retenu cette fille,

Qui jeune et simple et pourtant très gentille

Jusques au vif vous l’eut bientôt atteint.

Alibech fut son nom, si j’ai mémoire

Fille un peu neuve, à ce que dit l’histoire.

Lisant un jour comme quoi certains saints,

Pour mieux vaquer à leurs pieux desseins

Se séquestraient ; vivaient comme des anges,

Qui ça et là, portant toujours leurs pas

En lieux cachés ; choses qui bien qu’étranges

Pour Alibech avaient quelques appas :

« Mon Dieu, dit-elle, il me prend une envie

D’aller mener une semblable vie. »

Alibech donc s’en va sans dire adieu.

Mère ni sœur, nourrice ni compagne

N’est avertie. Alibech en campagne

Marche toujours, n’arrête en pas un lieu.

Tant court enfin qu’elle entre en un bois sombre

Et dans ce bois elle trouve un vieillard ;

Homme possible autrefois plus gaillard,

Mais n’étant lors qu’un squelette et qu’une ombre

« Père, dit-elle, un mouvement m’a pris ;

C’est d’être sainte, et mériter pour prix

Qu’on me révère, et qu’on chomme ma fête.

Ô quel plaisir j’aurais si tous les ans,

La palme en main, les rayons sur la tête,

Je recevais des fleurs et des présents !

Votre métier est-il si difficile ?

Je sais déjà jeûner plus qu’à demi.

– Abandonnez ce penser inutile,

Dit le vieillard, je vous parle en ami.

La sainteté n’est chose si commune

Que le jeûner suffise pour l’avoir.

Dieu gard de mal fille et femme qui jeûne

Sans pour cela guère mieux en valoir.

Il faut encor pratiquer d’autres choses,

D’autres vertus qui me sont lettres closes,

Et qu’un ermite habitant de ces bois

Vous apprendra mieux que moi mille fois.

Allez le voir, ne tardez davantage :

Je ne retiens tels oiseaux dans ma cage. »

Disant ces mots le vieillard la quitta,

Ferma sa porte, et se barricada.

Très sage fut d’agir ainsi sans doute,

Ne se fiant à vieillesse ni goutte,

Jeune ni haire, enfin à rien qui soit.

Non loin de là notre sainte aperçoit

Celui de qui ce bon vieillard parloit ;

Homme ayant l’âme en Dieu tout occupée,

Et se faisant tout blanc de son épée ».

C’était Rustic, jeune saint très fervent :

Ces jeunes-là s’y trompent bien souvent.

En peu de mots l’appétit d’être sainte

Lui fut d’abord par la belle explique ;

Appétit tel qu’Alibech avait crainte

Que quelque jour son fruit n’en fut marqué.

Rustic sourit d’une telle innocence.

« Je n’ai, dit-il, que peu de connaissance

En ce métier ; mais ce peu-là que j’ai

Bien volontiers vous sera partagé.

Nous vous rendrons la chose familière. »

Maître Rustic eût dû donner congé

Tout dès l’abord à semblable écolière.

Il ne le fit ; en voici les effets.

Comme il voulait être des plus parfaits,

Il dit en soi : « Rustic, que sais-tu faire ?

Veiller, prier, jeûner, porter la haire ?

Qu’est-ce cela ? moins que rien ; tous le font :

Mais d’être seul auprès de quelque belle

Sans la toucher, il n’est victoire telle ;

Triomphes grands chez les anges en sont

Méritons-les ; retenons cette fille.

Si je résiste à chose si gentille,

J’atteins le comble, et me tire du pair. »

Il la retint- et fut si téméraire,

Qu’outre Satan il défia la chair,

Deux ennemis toujours prêts à mal faire ;

Or sont nos saints logés sous même toit

Rustic apprête en un petit endroit

Un petit lit de jonc pour la novice.

Car de coucher sur la dure d’abord,

Quelle apparence ? elle n’était encor

Accoutumée à si rude exercice.

Quant au souper, elle eut pour tout service

Un peu de fruit, du pain non pas trop beau.

Faites état que la magnificence

De ce repas ne consista qu’en l’eau,

Claire, d’argent, belle par excellence.

Rustic jeûna ; la fille eut appétit.

Couchés à part, Alibech s’endormit :

L’ermite non. Une certaine bête

Diable nommée, un vrai serpent maudit,

N’eut point de paix qu’il ne fût de la fête.

On l’y reçoit ; Rustic roule en sa tête,

Tantôt les traits de la jeune beauté,

Tantôt sa grâce, et sa naïveté,

Et ses façons, et sa manière douce,

L’âge, la taille, et surtout l’embonpoint,

Et certain sein ne se reposant point ;

Allant, venant ; sein qui pousse et repousse

Certain corset en dépit d’Alibech,

Qui tâche en vain de lui clore le bec :

Car toujours parle : il va, vient, et respire :

C’est son patois ; Dieu sait ce qu’il veut dire.

Le pauvre ermite ému de passion

Fit de ce point sa méditation.

Adieu la haire, adieu la discipline ;

Et puis voilà de ma dévotion ;

Voilà mes saints. Celui-ci s’achemine

Vers Alibech ; et l’éveille en sursaut.

« Ce n’est bien fait que de dormit sitôt

Dit le frater ; il faut au préalable

Qu’on fasse une œuvre à Dieu fort agréable.

Emprisonnant en enfer le Malin.

Crée ne fut pour aucune autre fin.

Procédons-y. » Tout à l’heure il se glisse

Dedans le lit. Alibech sans malice,

N’entendait rien à ce mystère-là :

Et ne sachant ni ceci ni cela,

Moitié forcée et moitié consentante,

Moitié voulant combattre ce désir,

Moitié n’osant, moitié peine et plaisir,

Elle crut faire acte de repentante ;

Bien humblement rendit grâce au frater,

Sut ce que c’est que le diable en enfer.

Désormais faut qu’Alibech se contente

D’être martyre, en cas que sainte soit :

Frère Rustic peu de vierges faisoit.

Cette leçon ne fut la plus aisée.

Dont Alibech non encor déniaisée

Dit : « Il faut bien que le diable en effet

Soit une chose étrange et bien mauvaise :

Il brise tout ; voyez le mal qu’il fait

À sa prison : non pas qu’il m’en déplaise :

Mais il mérite en bonne vérité

D’y retourner. – Soit fait », ce dit le frère.

Tant s’appliqua Rustic à ce mystère,

Tant prit de soin, tant eut de charité

Qu’enfin l’enfer s’accoutumant au diable

Eût eu toujours sa présence agréable

Si l’autre eût pu toujours en faire essai.

Sur quoi la belle : « On dit encor bien vrai

Qu’il n’est prison si douce que son hôte

En peu de temps ne s’y lasse sans faute. »

Bientôt nos gens ont noise sur ce point.

En vain l’enfer son prisonnier rappelle

Le diable est sourd, le diable n’entend point.

L’enfer s’ennuie ; autant en fait la belle.

Ce grand désir d’être sainte s’en va.

Rustic voudrait être dépêtré d’elle.

Elle pourvoit d’elle-même à cela.

Furtivement elle quitte le sire :

Par le plus court s’en retourne chez soi.

Je suis en soin de ce qu’elle put dire

À ses parents : c’est ce qu’en bonne foi

Jusqu’à présent je n’ai bien su comprendre.

Apparemment elle leur fit entendre

Que son cœur mû d’un appétit d’enfant

L’avait portée à tacher d’être sainte.

Ou l’on la crut, ou l’on en fit semblant.

Sa parenté prit pour argent comptant

Un tel motif : non que de quelque atteinte

À son enfer on n’eût quelque soupçon :

Mais cette chartre est faite de façon

Qu’on n’y voit goutte ; et maint geôlier s’y trompe.

Alibech fut festinée en grand’pompe.

L’histoire dit que par simplicité

Elle conta la chose à ses compagnes.

« Besoin n’était que Votre Sainteté,

Ce lui dit-on, traversât ces campagnes.

On vous aurait, sans bouger du logis,

Même leçon même secret appris.

– Je vous aurais, dit l’une, offert mon frère.

– Vous auriez eu, dit l’autre, mon cousin :

– Et Néherbal notre prochain voisin

N’est pas non plus novice en ce mystère.

Il vous recherche ; acceptez ce parti,

Devant qu’on soit d’un tel cas averti. »

Elle le fit : Néherbal n’était homme

À cela près. On donna telle somme,

Qu’avec les traits de la jeune Alibech

Il prit pour bon un enfer très suspect ;

Usant des biens que l’Hymen nous envoie.

À tous époux Dieu doint pareille joie ;

Ne plus ne moins qu’employait au désert

Rustic son diable, Alibech son enfer.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer