Contes et nouvelles en vers – Tome II

Les Aveux indiscrets

Paris, sans pair, n’avait en son enceinte

Rien dont les yeux semblassent si ravis

Que de la belle, aimable et jeune Aminte.

Fille à pourvoir, et des meilleurs partis.

Sa mère encor la tenait sous son aile

Son père avait du comptant et du bien

Faites état qu’il ne lui manquait rien.

Le beau Damon s’étant pique pour elle

Elle reçut les offres de son cœur :

Il fit si bien l’esclave de la belle

Qu’il en devint le maître et le vainqueur :

Bien entendu sous le nom d’hyménée :

Pas ne voudrais qu’on le crût autrement.

L’an révolu ce couple si charmant

Toujours d’accord, de plus en plus s’aimant

(Vous eussiez dit la première journée)

Se promettait la vigne de l’abbé ;

Lorsque Damon, sur ce propos tombé

Dit à sa femme : « Un point trouble mon âme

Je suis épris d’une si douce flamme

Que je voudrais n’avoir aimé que vous,

Que mon cœur n’eût ressenti que vos coups

Qu’il n’eût logé que votre seule image

Digne, il est vrai, de son premier hommage.

J’ai cependant éprouvé d’autres feux ;

J’en dis ma coulpe, et j’en suis tout honteux.

Il m’en souvient, la nymphe était gentille,

Au fond d’un bois, l’Amour seul avec nous ;

Il fit si bien, si mal, me direz-vous,

Que de ce fait il me reste une fille.

– Voilà mon sort, dit Aminte à Damon :

J’étais un jour seulette à la maison ;

Il me vint voir certain fils de famille,

Bien fait et beau, d’agréable façon ;

J’en eus pitié ; mon naturel est bon ;

Et pour conter tout de fil en aiguille,

Il m’est resté de ce fait un garçon. »

Elle eut à peine achevé la parole,

Que du mari l’âme jalouse et folle

Au désespoir s’abandonne aussitôt.

Il sort plein d’ire, il descend tout d’un saut,

Rencontre un bât, se le met, et puis crie :

« Je suis bâté ». Chacun au bruit accourt,

Les père et mère, et toute la mégnie,

Jusqu’aux voisins. Il dit, pour faire court,

Le beau sujet d’une telle folie.

II ne faut pas que le lecteur oublie

Que les parents d’Aminte, bons bourgeois,

Et qui n’avaient que cette fille unique,

La nourrissaient, et tout son domestique,

Et son époux, sans que, hors cette fois,

Rien eût troublé la paix de leur famille.

La mère donc s’en va trouver sa fille ;

Le père suit, laisse sa femme entrer,

Dans le dessein seulement d’écouter.

La porte était entrouverte ; il s’approche ;

Bref il entend la noise et le reproche

Que fit sa femme à leur fille en ces mots :

« Vous avez tort : j’ai vu beaucoup de sots,

Et plus encor de sottes en ma vie ;

Mais qu’on pût voir telle indiscrétion,

Qui l’aurait cru ? car enfin, je vous prie,

Qui vous forçait ? quelle obligation

De révéler une chose semblable ?

Plus d’une fille a forligné ; le diable

Est bien subtil ; bien malins sont les gens.

Non pour cela que l’on soit excusable :

Il nous faudrait toutes dans des couvents

Claquemurer jusques à l’hyménée.

Moi qui vous parle ai même destinée ;

J’en garde au cœur un sensible regret.

J’eus trois enfants avant mon mariage

À votre père ai-je dit ce secret ?

En avons-nous fait plus mauvais ménage ? »

Ce discours fut à peine proféré,

Que l’écoutant s’en court, et tout outre

Trouve du bât la sangle et se l’attache,

Puis va criant partout : « Je suis sanglé. »

Chacun en rit, encor que chacun sache

Qu’il a de quoi faire rire à son tour.

Les deux maris vont dans maint carrefour,

Criant, courant, chacun à sa manière,

« Bâté » le gendre, et « sanglé » le beau-père.

On doutera de ce dernier point-ci ;

Mais il ne faut telles choses mécroire

Et par exemple, écoutez bien ceci.

Quand Roland sut les plaisirs et la gloire

Que dans la grotte avait eus son rival,

D’un coup de poing il tua son cheval.

Pouvait-il pas, traînant la pauvre bête,

Mettre de plus la selle sur son dos ?

Puis s’en aller, tout du haut de sa tête,

Faire crier et redire aux échos :

« Je suis bâté, sanglé ! » car il n’importe,

Tous deux sont bons. Vous voyez de la sorte

Que ceci peut contenir vérité ;

Ce n’est assez, cela ne doit suffire ;

Il faut aussi montrer l’utilité

De ce récit ; je m’en vais vous la dire.

L’heureux Damon me semble un pauvre sire.

Sa confiance eut bientôt tout gâté.

Pour la sottise et la simplicité

De sa moitié, quant à moi, je l’admire.

Se confesser à son propre mari !

Quelle folie ! imprudence est un terme

Faible à mon sens pour exprimer ceci.

Mon discours donc en deux points se renferme.

Le nœud d’hymen doit être respecté,

Veut de la foi, veut de l’honnêteté :

Si par malheur quelque atteinte un peu forte

Le fait clocher d’un ou d’autre côté,

Comportez-vous de manière et de sorte

Que ce secret ne soit point éventé.

Gardez de faire aux égards banqueroute ;

Mentir alors est digne de pardon.

Je donne ici de beaux conseils, sans doute :

Les ai-je pris pour moi-même ? hélas ! non.

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