Contes et nouvelles en vers – Tome II

La Chose impossible

Un démon plus noir que malin

Fit un charme si souverain

Pour l’amant de certaine belle

Qu’à la fin celui-ci posséda sa cruelle.

Le pact de notre amant et de l’esprit follet

Ce fut que le premier jouirait à souhait

De sa charmante inexorable.

« Je te la rends dans peu, dit Satan, favorable :

Mais par tel si, qu’au lieu qu’on obéit au diable

Quand il a fait ce plaisir-là,

À tes commandements le diable obéira

Sur l’heure même, et puis sur la même heure

Ton serviteur lutin, sans plus longue demeure,

Ira te demander autre commandement

Que tu lui feras promptement ;

Toujours ainsi, sans nul retardement :

Sinon, ni ton corps ni ton âme

N’appartiendront plus à ta dame

Ils seront à Satan, et Satan en fera

Tout ce que bon lui semblera. »

Le galant s’accorde à cela

Commander, était-ce un mystère ?

Obéir est bien autre affaire

Sur ce penser-là notre amant

S’en va trouver sa belle ; en a contentement

Goûte des voluptés qui n’ont point de pareille ;

Se trouve très heureux ; hormis qu’incessamment

Le diable était à ses oreilles.

Alors l’amant lui commandait

Tout ce qui lui venait en tête ;

De bâtir des palais, d’exciter la tempête ;

En moins d’un tour de main cela s’accomplissait

Mainte pistole se glissait

Dans l’escarcelle de notre homme.

II envoyait le diable à Rome ;

Le diable revenait tout chargé de pardons.

Aucuns voyages n’étaient longs,

Aucune chose malaisée.

L’amant à force de rêver

Sur les ordres nouveaux qu’il lui fallait trouver,

Vit bientôt sa cervelle usée.

Il s’en plaignit à sa divinité :

Lui dit de bout en bout toute la vérité.

« Quoi ce n’est que cela ? lui repartit la dame :

Je vous aurai bientôt tiré

Une telle épine de l’âme.

Quand le diable viendra, vous lui présenterez

Ce que je tiens, et lui direz :

« Défrise-moi ceci ; fais tant par tes journées

Qu’il devienne tout plat. » Lors elle lui donna

Je ne sais quoi qu’elle tira

Du verger de Cypris, labyrinthe des fées,

Ce qu’un duc autrefois jugea si précieux,

Qu’il voulut l’honorer d’une chevalerie ;

Illustre et noble confrérie

Moins pleine d’hommes que de dieux.

L’amant dit au démon : « C’est ligne circulaire

Et courbe que ceci ; je t’ordonne d’en faire

Ligne droite et sans nul retours.

Va-t’en y travailler, et cours. »

L’esprit s’en va ; n’a point de cesse

Qu’il n’ait mis le fil sous la presse,

Tâche de l’aplatir à grands coups de marteau,

Fait séjourner au fond de l’eau ;

Sans que la ligne fut d’un seul point étendue ;

De quelque tour qu’il se servît,

Quelque secret qu’il eût, quelque charme qu’il fît

C’était temps et peine perdue :

Il ne put mettre à la raison

La toison.

Elle se révoltait contre le vent, la pluie

La neige, le brouillard : plus Satan y touchait,

Moins l’annelure se lâchait.

« Qu’est ceci, disait-il, je ne vis de ma vie

Chose de telle étoffe : il n’est point de lutin

Qui n’y perdît tout son latin. »

Messire diable un beau matin

S’en va trouver son homme, et lui dit : « Je te laisse.

Apprends-moi seulement ce que c’est que cela :

Je te le rends, tiens, le voilà,

Je suis victus, je le confesse.

– Notre ami Monsieur le luiton,

Dit l’homme, vous perdez un peu trop tôt courage ;

Celui-ci n’est pas seul, et plus d’un compagnon

Vous aurait taillé de l’ouvrage. »

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